Regards sur l'histoire de la psychopathologie

ACTUALITÉS DES CLINIQUES ADDICTIVES

Psychologie Clinique 14

décembre 2002

Regards sur l'histoire de la psychopathologie

G. Gatian de Clérambault, du syndrome à la structure

Par Fabienne Hulak[1]

Résumé : Un point de vue “ archéologique ” sur le syndrome de l’automatisme mental chez Gatian de Clérambault rend perceptible que l’écart si important entre la métaphore et le réalisme de son syndrome S voilerait une approche structurale encore à venir du phénomène psychotique. Gatian de Clérambault à la fin de sa vie identifia la présence d’un sujet dans le phénomène hallucinatoire.

Mots clés : Automatisme mental ; écholalie hallucinatoire ; épistémologie ; structure ; théorie mécaniste.

Selon Michel Foucault, l’apparition de la notion de syndrome aurait marqué dans l’histoire de la pensée un tournant qui serait constitutif de la psychiatrie en tant que science. Le syndrome dans la clinique médicale, et en particulier dans la clinique psychiatrique, constitue pour E. Dupré “ un groupement nosographique fondé sur la coexistence habituelle et la subordination logique des symptômes, un tout, une unité clinique, dont les éléments sont rapprochés entre eux par des liens d’affinité naturelle ”[2]. Paul Guiraud donne une définition équivalente quand il écrit “ qu’un syndrome n’est pas une juxtaposition de symptômes fortuite ” et que “ la solidarité des symptômes ne s’explique que quand on a trouvé la clé pathogénique ”, cette clé que de Clérambault se propose également de mettre en valeur quand il expose sa théorie de l’automatisme mental.

Un produit de laboratoire, le syndrome S

La théorie de l’automatisme mental chez de Clérambault constitue une véritable doctrine de psychopathologie générale. Elle met en évidence un ensemble d’éléments sémiologiques fondamentaux qui, lorsqu’ils sont regroupés, constituent le syndrome basal ou nucléaire commun à un grand nombre d’états psychopathologiques. De Clérambault, afin d’éviter toute confusion et toute discussion d’ordre terminologique ou philosophique, préfère désigner ce syndrome par la lettre S comme s’il s’agissait, sans plus, d’un produit de laboratoire. Cette utilisation de la lettre pour établir une généralisation dans le discours psychiatrique prend, à son époque, un caractère novateur[3], mais cette précaution ne suffira pas à mettre un terme aux querelles du moment autour de la notion d’automatisme. Ce syndrome S de l’automatisme mental ou syndrome d’écho, de Clérambault le définit comme “ un syndrome de désannexion, d’interférence, de parasitisme et de construction ”[4] équivalant à une signature de la structure psychotique ; véritable “ syndrome de syndromes ”, il serait caractéristique d’un très grand nombre de psychoses. Il hésite un moment à dire si le syndrome S est basal ou nucléaire, même s’il marque sa préférence pour le terme de nucléaire[5], car il y voit “ une continuité entre les phénomènes parcellaires du début et les constructions idéiques de la période d’état ” tous issus d’un même processus qu’il appelle “ Dérivation ” et qui consisterait en troubles de la chronaxie. La cartographie des éléments structuraux du syndrome que dresse de Clérambault et la magistrale description symptomatique qu’il en fait restent valables de nos jours alors même que ses théories étiopathogéniques sont depuis longtemps reconnues comme erronées.

Lacan trouvera plus tard ses observations sur l’automatisme mental fort judicieuses car elles mettent en évidence un élément structural de première importance, à savoir que dès l’origine le phénomène élémentaire (hallucination, délire…) se déploie selon une même structure et il rappelle aussi que dans son travail sur la psychose paranoïaque[6] il emprunte à de Clérambault ce terme de phénomène élémentaire . Cet emprunt et d’autres vaudront d’ailleurs à Lacan une brouille avec de Clérambault, une accusation de plagiat et l’insigne honneur de recevoir à la figure des exemplaires dédicacés du maître[7] qui est persuadé qu’on lui vole ses idées… alors qu’en fait Lacan va remplacer le concept de syndrome d’automatisme mental par celui de structure[8]. Lacan ayant ainsi substitué au mécanisme la notion de structure donne sens à la métaphore chimique de de Clérambault contre le maître lui-même : “ le fonds commun de ces phénomènes est un trouble pour ainsi dire moléculaire de la pensée élémentaire ”[9].

Les éléments principaux du syndrome S, sont “ les échos, les non-sens, les paresthésies de tous ordres, les phénomènes psychomoteurs et les inhibitions de tous genres ”. Il n’est pas nettement circonscrit, mais il est toutefois “ bien cohérent ” et “ forme la base commune des Délires d’Influence, de Possession et de Persécution, avec ou sans démence ”. Ce syndrome, de Clérambault le dénomme aussi “ Petit Automatisme, Syndrome de Passivité, Syndrome d’Interférence, Syndrome de Parasitisme, Syndrome de Contrainte… ” pour mieux le distinguer de l’Automatisme Général et des Hallucinations thématiques avec lesquelles, sur les limites, dit-il, il se confond. Son origine, martèle-t-il, est “ mécanique ”[10] et sa “ cause histologique ”. Selon lui les phénomènes de l’automatisme mental résultent tous de ce même processus “ que par métaphore et peut-être aussi avec vérité ” il appelle “ Dérivation ” et qui consisterait “ en des troubles de la chronaxie ”[11]. C’est ce processus de dérivation qu’il veut mettre en évidence ; il s’en sert au début de son travail comme d’une métaphore, mais il finira par en faire la réalité même du phénomène.

Le Syndrome S comprendrait une série de phénomènes positifs (écho, mentisme), négatifs (inhibition, perplexité) ou mixtes (fausse reconnaissance, étrangeté) qui auraient cependant tous pour propriété commune d’être neutres au point de vue affectif ou nuls au point de vue idéique, c’est à dire athématiques ou très faiblement thématiques, ce que de Clérambault traduit par l’anidéisme. De Clérambault qui ne considère pas le Syndrome S comme spécifique des “ Psychoses hallucinatoires Chroniques de l’adulte ”, pour lesquelles il constituerait “ sinon le fait toujours initial, du moins le fait le plus spécifique ”[12], en étend néanmoins la validité à une grande partie de la pathologie mentale car l’Automatisme mental lui paraît être fondamental dans un très grand nombre de psychoses. Les systèmes délirants lui sont superposés et postérieurs dans le temps[13], le travail interprétatif et l’agencement systématique des conceptions n’étant que des épiphénomènes résultant d’un travail conscient en lui-même, non morbide ou à peine morbide “ sur une matière qui est imposée par l’inconscient ”. Ainsi, affirme de Clérambault, au moment où le délire apparaît, la psychose est déjà ancienne, “ le délire n’est qu’une Superstructure ”[14].

Pour Lacan, la force des remarques de de Clérambault réside dans le fait qu’elles mettent en évidence que “ c’est toujours la même force structurante… qui est à l’œuvre dans le délire, qu’on le considère dans une de ses parties ou dans sa totalité ” et il ajoute, “ le délire n’est pas déduit, il en reproduit la même force constituante, il est, lui aussi un phénomène élémentaire. C’est dire que la notion d’élément n’est pas là à prendre autrement que pour celle de structure, structure différenciée, irréductible à autre chose qu’à elle-même ”[15].

De Clérambault fonde essentiellement la consistance du syndrome d’automatisme mental sur le phénomène d’écho de la pensée, sans plus s’appesantir sur le fonctionnement et le mécanisme normal de la pensée. Il est alors permis de se poser des questions sur sa conception de la réflexivité de la conscience, et sur celle du Cogito par rapport au phénomène d’écho, et ainsi sur ce qu’il pense du sujet psychotique qui n’arrive plus lui-même à se percevoir comme producteur de ses propres pensées ou de ses énoncés.

L’écho de la pensée ou l’écholalie hallucinatoire

Ce qu’il est convenu d’appeler dans la terminologie psychiatrique l’écho de la pensée est un phénomène subjectif qui fait croire au sujet qu’on répète ses pensées ou encore qu’on énonce ses intentions et que l’on commente ses actes. Ce trouble du langage intérieur est souvent caractéristique d’un début d’automatisme mental fréquemment rencontré dans la psychose. Il a été également appelé syndrome d’action extérieure (cf. H. Claude) mais de Clérambault le décrit de la façon la plus complète et il en décline les différents cas de figure, à savoir ces énonciations des gestes et des intentions, ces commentaires sur les actes ou encore cet écho de l’écriture. Il constate qu’il y a cependant lieu de distinguer “ l’écho de la pensée claire ” et “ l’écho de la pensée obscure ”, la pensée obscure pouvant être “ préconsciente ” ou “ d’ordre tel qu’elle serait restée inconsciente tout à fait ou longtemps encore sans l’écho ”. Il en irait d’ailleurs de même très souvent de la pensée viscérale considérée comme une pensée archaïque dans laquelle les velléités, les sentiments et les affects sont de l’ordre de l’inférieur…

L’écho réfléchit donc une pensée qui n’est pas consciente et qui revient au sujet sous la forme de l’hallucination, “ il semble que le malade fasse petit à petit son éducation d’auditif et qu’il arrive à le devenir à un tel point qu’il ne peut plus penser sans entendre immédiatement sa pensée résonner au-dehors à son oreille sous forme d’écho ”[16]. Ce terme d’écho de la pensée a été emprunté à J. Séglas qui dira d’ailleurs beaucoup plus tard n’en pas situer l’origine exacte, si ce n’est quelle provient du discours d’un patient[17]. Comme il renvoie au vocabulaire de l’acoustique, le terme d’écho va donc stimuler l’imaginaire mécaniste de de Clérambault, et l’acoustique, qui s’est développée parallèlement à la mécanique dont elle est une branche, va tout naturellement servir de référence scientifique, voire même d’assise à sa théorie des hallucinations. Il s’empare donc de ce modèle qui semble en adéquation parfaite avec la réalité clinique qu’il rencontre et en particulier avec le dire de ses patients. Tout ceci l’amène sans doute à faire de l’Echo l’épicentre de sa théorie et le phénomène central du Syndrome S. Il ne fait pas grand cas, du moins dans un premier temps, des impasses qui apparaissent dans sa théorie et qui sont liées au fait que l’écho n’est pas toujours une stricte répétition mais qu’il peut aussi renvoyer au sujet injures ou commentaires de ses actes. En 1892, Séglas relevait ainsi différents cas possibles de figures, comme ceux qui apparaissent chez “ l’aliéné interprétant ce qu’il éprouve, se plaint qu’on lui vole ses idées, qu’on répète ce qu’il pense, qu’on annonce ce qu’il va faire, ce qu’il éprouve avant même qu’il ait eu le temps de penser ”[18]. Tous les genres d’échos peuvent donc être consécutifs, simultanés, retardés ou anticipants. Cette dernière forme démontrerait tout particulièrement selon de Clérambault “ qu’il s’agit bien d’un déréglage dans le mécanisme de la pensée ”[19] puisqu’il prend par excellence l’apparence d’un trouble physique et cela l’incite à s’en saisir pour illustrer sa théorie.

Echos anticipés ou retardés l’amènent d’autre part à concevoir que si des messages partent d’un lieu du cerveau en même temps mais n’arrivent pas ensemble, c’est que la vitesse de conduction du message n’aura pas, par définition, été la même ou que le trajet suivi par l’un des influx nerveux aura été plus long. C’est à partir de là qu’il formule l’hypothèse d’un fonctionnement mental calqué sur celui d’un quelconque circuit électrique et il n’hésite pas à utiliser les découvertes de Charles Lapiques sur l’excitabilité du nerf, les mesures de la conduction nerveuse venant très opportunément confirmer son intuition et renforcer le modèle scientifique sur lequel il s’appuie, “ le choix de la version assimilée ou non assimilée de la même phrase ne peut dépendre que de conditions mécaniques telles, la longueur du détour ou le rythme différent des influx dans les deux circuits parcourus ”[20].

Présence d’un point sujet

Après avoir défini un modèle, de Clérambault cherche l’origine de cet écho de la pensée et opte pour l’hypothèse d’une lésion. En observant le délire de ses patients il constate la temporalité du phénomène de l’écho et établit donc que l’écart qui existe entre l’aller et le retour du message est lié au temps nécessaire à sa propagation comme dans le banal phénomène acoustique du même nom. Le fait qu’il puisse y avoir un écart, une avance ou un retard entre l’aller et le retour du message renforce cette hypothèse mécaniciste. Ces constatations l’amènent implicitement à supposer qu’il y a un même point de réception pour les deux messages décalés, mais l’existence d’un tel point est méconnu dans sa théorie et Lacan le fera d’ailleurs remarquer dans son séminaire sur les Psychoses en 1956 dans lequel il nous dit aussi que lorsqu’un sujet est l’objet d’un écho de la pensée il nous faut admettre avec de Clérambault “ que c’est le fait d’une dérivation produite par une altération chronaxique – l’un des deux messages intracérébraux, des deux télégrammes si l’on peut dire, est freiné, et arrive en retard sur l’autre, donc en écho avec lui. Pour que ce retard soit enregistré, il faut bien qu’il y ait un point privilégié d’où ce repérage puisse être fait, d’où le sujet note la discordance éventuelle entre un système et un autre. De quelque façon qu’on construise la théorie organogénique ou automatisante, on n’échappe pas à la conséquence qu’il y a un point privilégié. Bref on est plus psychogénétiste que jamais ”[21]. C’est donc cette discordance repérée par le sujet dans la réception du message qui amène à inférer que ce “ point privilégié ” n’est autre que le sujet.

Nanti de ses nombreuses observations cliniques sur les états aigus, de Clérambault va décrire le mécanisme de sa machine vraisemblable, supposée être à l’origine de l’hallucination ; il pense que la dérivation de l’influx nerveux va ou non activer certains centres ou certaines zones du cerveau, que l’onde va stimuler certains points qui vont devenir émetteurs, la dérivation fonctionnant sur le schéma fondamental de l’arc réflexe. “ L’Echo de la pensée est un phénomène d’origine nettement mécanique : toute idéologie restera impuissante à l’expliquer. Le mécanisme susceptible de la produire nous paraît ne pouvoir être qu’une forme de la dérivation ”[22].

Comme le souligne G. Canguilhem[23], le concept de réflexe, fondamental dans la biologie, imprègne nombre d’explications scientifiques tout au long des XIX° et XX° siècles. De Clérambault utilise le schéma qu’il a trouvé dans la théorie de Charcot et plus encore dans celle de Grasset qui l’aura systématisée jusqu’à l’outrance dans sa fameuse figure du polygone (“ le polygone de Charcot ”) qui illustre une théorisation neurologique localisationniste abstraite sans véritable vérification expérimentale… Cela lui permet d’avancer que “ la non-annexion au Moi s’explique peut-être par des omissions dans l’enchaînement ordinaire des stades transmetteurs, par des actions à distance dont un prototype, dans le domaine périphérique, serait le réflexe palmo-mentonnier ”. Le réflexe c’est-à-dire l’action stimuli-réponse provoque une action à distance tout comme dans le phénomène de l’écho de la pensée, trouble résultant d’une lésion cérébrale, ce que d’ailleurs de Clérambault ne cherchera nullement à prouver expérimentalement.

Cependant cette idéologie et ce Dogme mécaniste que de Clérambault ne remet aucunement en question sont malgré tout soumis à son éthique de clinicien, ce qui entraîne à la fin de son œuvre certaines contradictions. Contrairement à l’avis des élèves du “ Maître ”, Henri Ey[24] affirme ainsi vigoureusement que son dernier discours public[25], avant son suicide ne constitue nullement un démenti de sa théorie mécaniste, d’ailleurs poussée jusqu’à l’extrême limite, mais tout au contraire un aboutissement logique. Dans ce discours de Clérambault déclarait en effet que “ la pensée extra-personnelle est inférieure à l’idéation personnelle ; elle est plus proche de la démence ; elle représente la forme mentale qui sera dans plusieurs années, celle du malade. Les hallucinations pensent. Nous pouvons saisir en partant de l’écho la complication idéique qui progressivement extensive aboutira à l’exploitation très active d’un thématisme très étendu. Déjà dans l’écho pur et simple la transposition de "je" et "il" (il sort au lieu de je sors) est le travail personnel de l’hallucination… Chaque formule reste acquise et le travail d’idéation se continuant, les formules vont se complétant d’un jour à l’autre ; ainsi se forme tout un roman d’origine extrapersonnelle : c’est le délire auto-constructif. Ce délire auto-constructif est plus absurde que le délire personnel du sujet… Toutes les fois que le malade exprime une idée dont l’absurdité contraste avec son apparente intégrité mentale, nous pouvons être sûrs qu’elle lui a été fournie par les voix… En résumé il existe un délire auto-constructif, dont une activité idéo-hallucinatoire fait tout le travail. Ce travail organisateur peut être suivi depuis l’écho jusqu’à la période des stéréotypies ”[26]. Ce discours n’a pas été pris en considération et reste la plupart du temps méconnu et H. Ey souligne face à ses contradicteurs qu’il ne s’agit pas là de simples métaphores, mais tout au contraire “ de la clef de voûte du système ”[27], telle que de Clérambault nous l’a léguée dans ce “ solennel testament ”.

Volontiers critique des théories de de Clérambault, Ey se veut aussi lecteur fidèle et lui rend hommage en respectant à la lettre ses positions en refusant de dénaturer ce qu’il considère comme un héritage méconnu et une conclusion inattendue, a priori tout à fait contradictoire avec une conception mécaniste, à savoir que “ l’hallucination pense ”. Dans ce passage du je au il repéré par de Clérambault dans ce qu’il découvre être le travail propre de l’hallucination, il y a une décision, un choix grammatical qui relève d’un sujet, ce qui revient à admettre qu’il y a une subjectivation du côté de l’hallucination. Si le sujet perd son point d’ancrage, il y a un sujet ailleurs et ce phénomène témoigne d’un certain mode de division subjective. La fine observation clinique de de Clérambault lui permet donc de faire des remarques très pertinentes. Il ne remet pas en cause un processus qui selon lui relève d’une simple mécanique et il n’ira pas non plus jusqu’à une véritable reconnaissance de l’inconscient. Comment en est-il arrivé à cette conclusion qui consiste en une véritable rupture épistémologique, au sens de Bachelard, qui le fait basculer d’une position proprement mécaniste à celle qui le mène au bord de la reconnaissance d’un sujet, celui de la jouissance[28], distinct de celui de l’énonciation, c’est ce qui fait encore question pour nous et qui entraîne notre admiration pour son travail de clinicien.

De la machine à la structure

Bien qu’il ait approché la reconnaissance du sujet dans l’hallucination, de Clérambault s’en tient donc à sa position mécaniste. Son constat reste limité au repérage d’une pensée inconsciente qui se livre à ciel ouvert et dont le sujet serait le récepteur[29]. J. A. Miller considère que le syndrome de l’automatisme mental n’est certes pas à fonder dans une “ dérivation d’influx ” mais plutôt dans le graphe même de la communication “ intersubjective ” que nous donne Lacan quand il dit que “ lacanienne, cette construction l’est assez pour que du S de Clérambault, nous osions faire l’initiale du mot de structure ”[30]. D’ailleurs Lacan dans “ De nos antécédents ” nous dit que “ Son automatisme mental, avec son idéologie mécanistique de métaphore, bien critiquable assurément, nous paraît, dans ses prises du texte subjectif, plus proche de ce qui peut se construire d’une analyse structurale, qu’aucun effort clinique dans la psychiatrie française ”[31].

En ayant adopté un point de vue archéologique pour étudier le syndrome de l’automatisme mental de de Clérambault, nous avons pu nous apercevoir que l’écart si mince entre la métaphore et le réalisme de la théorie de son syndrome S est ce qui voile une approche structurale encore à venir du phénomène psychotique. Nous apprécions par là même toute la valeur de la révérence que lui fait Lacan en le reconnaissant comme son seul maître en psychiatrie.

[1]

[2] M. L. Mondzain in Porot A. Manuel alphabétique de psychiatrie, Paris, PUF, 1969, p. 569-570.

[3] Ce qu’il affirme de façon péremptoire, “ je ne désignerai le syndrome, objet exclusif de mon étude, que par le terme Syndrome S ”.

[4] De Clérambault G. G., (1927) Œuvres Psychiatriques, Paris, Frénésie Editions, 1987, p. 579.

[5] En 1926.

[6] Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975.

[7] Roudinesco E., La bataille de cent ans. Histoire de la psychanalyse en France. 2. (1925-1985), Paris, Seuil, 1986, pp. 123-124.

[8] Ibid., p. 124.

[9] De Clérambault G., (1923), ibid, p. 485.

[10] G. G. De Clérambault, (1926), Ibid, p. 573.

[11] Ibid,.

[12] (1927), Ibid, p. 589.

[13] (1927), Ibid, p. 466.

[14] (1927), Ibid, p. 486.

[15] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 28.

[16] Séglas J., Les Troubles du langage chez les aliénés, Paris, J. Rueff, 1892, pp. 178-179.

[17] H. Ey, Hallucination et Délire, (cf. entretien avec J. Séglas), Paris, Alcan, 1934.

[18] op. cit.

[19] De Clérambault, (1927), ibid, p. 59O.

[20] Ibid, (1926), p. 554.

[21] Lacan J., ibid, p. 46.

[22] De Clérambault, (1926), ibid, p. 553.

[23] G. Canguilhem, La formation du concept de réflexe au XVIIème et XVIIIème siècle, 1955.

[24] H. Ey, Etudes psychiatriques, Tome I, Etude n° 5, Paris, Desclée de Brouwer, 1952, pp.83-102.

[25] G. de Clérambault, ibid, Le délire auto-constructif, Nov. 1934, pp. 610-612.

[26] Ey H., Etudes psychiatriques, t.I, p. 98.

[27] ibid, p. 99.

[28] J. Lacan, Mémoire d’un névropathe, Présentation in Cahier pour l’analyse, n° 5, Nov.-Déc., 1966, pp. 73-76. Lacan dans ce texte donne une définition du sujet de la jouissance dans la paranoïa comme identifiant la jouissance dans ce lieu de l’Autre comme tel.

[29] J. Lacan nous dit “ le code de l’Autre… puisque c’est de lui que le sujet se constitue, par quoi c’est de l’Autre que le sujet reçoit même le message qu’il émet ” in Ecrits, p. 807.

[30] J. A. Miller, La Conversation d’Arcachon. Cas rares. Les inclassables de la clinique. Agalma, Seuil, Paris, 1997, p. 295.

[31] J. Lacan, De nos antécédents, in Ecrits, p. 65.