Cahiers de l’enfance et de l’adolescence

Argument, pour le numéro 10

Et appel à contribution


NATALITES ET CONJUGAISONS DES FILS DE VIE ET DE MORT

(LA VIE … OU LA MORT ?)

(LA VIE ET LA MORT)

La périnatalité a été de tout temps une période de grands investissements des pensées collectives et individuelles. Depuis quelques décennies les politiques en Europe et ailleurs se sont saisies pour agir sur ce temps-là, que ce soit pour des raisons démographiques ou pour des projets de santé publique. Depuis la deuxième guerre mondiale, les progrès médicaux en obstétrique et pédiatrie ont été spectaculaires et les connaissances sur la vie psychique ont grandement évolué en s’acculturant de l’anthropologie et de l’ethnologie. Les faits des environnements culturels, économiques, industriels, juridiques, guerriers sont venus aussi infléchir nos regards sur cette période de l’unicité mère enfant et de leur santé. Récemment, des débats de société se revendiquant d’une émancipation de contraintes culturelles puis des lois sont venus resituer l’enfantement dans de nouveaux périmètres où les évènements naturels n’auraient plus la légitimité exclusive pour penser les parentalités, les filiations, jusqu’aux conceptions. Il semble que les évolutions si importantes des connaissances et des techniques médicales provoquent « psyché » et « socius ». Des tensions existent sans qu’elles s’inscrivent dans des paradoxes. De tout temps et encore aujourd’hui dans certaines situations émergent encore plus exacerbées les violences de la vie au moment des temps de la conception, donner la vie, in utero, « la mise au monde », des premiers mois, à rapprocher d’avec celles de la mort : concevoir, enfanter en temps de guerre, d’agonie ou deuil d’un membre de la famille, ...

Aujourd’hui les professionnels médicaux de la périnatalité, qu’ils soient obstétriciens, pédiatres, sages-femmes, psychologues se voient impliqués dans l’intimité de femmes et de couples s’apprêtant à être parents. Nombre de grossesses et accouchements dans nos régions se retrouvent surmédicalisés, comme si la place de la physiologie n’était plus maîtrisée ou frustrante après leur longue éducation médicale. Ce phénomène tend à créer dans l’approche de la maternité des futurs parents une sorte de dualité. Certains ne comprennent plus pourquoi l’on n’intervient pas au cours du processus de la naissance et qu’on laisse le corps de la mère, seul, mettre au monde l’enfant. D’autres couples vont se présenter avec un projet de naissance rédigé, comme une nécessité de préciser à l’équipe soignante le besoin de laisser sa chance à la nature de réaliser ce dont elle est capable, avec une simple surveillance.

Différentes évolutions des aspects médicaux, sociaux et juridiques qui encadrent la grossesse renouvellent de façon spectaculaire les représentations qu’on a d’un certain nombre de circonstances difficiles comme les naissances très prématurées avec une vie possible dès 24 semaines. Ainsi l’arrivée à la maison de ces bébés nés dans des environnements hyper médicalisés pose la question de sevrages d’un nouveau type pour le bébé mais aussi pour les parents :  celui d’équipes soignantes très présentes pendant plusieurs mois.  Au décours de la naissance mais aussi du retour à la maison de nouvelles formes de travail se sont mises en place : pluridisciplinaire articulant pédiatres, neuro pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, neuropsychologues, psychomotriciens spécialisés dans le développement précoce. Ces situations de traumatisme dans la période périnatale ont des effets psychiques extrêmement variés, l’éventail des manifestations cliniques en suite de situation traumatique est très large. Les traitements proposés sont également divers.

Les parents de ces bébés qui ont été hospitalisés en réanimation présentent une symptomatologie polymorphe. Le portage psychique de ces familles par les équipes qui prennent le relais post-hospitalisation permet de traiter des troubles graves des interactions précoces. Certains parents témoignent de la nécessité de ces soins psychiques périnataux pluridisciplinaires car ils en perçoivent la valeur thérapeutique.  

Dans les premières heures de la guerre en Ukraine, une information « tombait » dans la presse : des bébés récemment nés dans ce pays avaient été déplacés d’une nurserie vers des caves pour être protégés des bombardements. Leur particularité était qu’ils avaient été conçus en relation avec un cadre juridique de ce pays : la grossesse pour autrui. Après leur mise au monde les femmes porteuses étaient reparties mais les mamans, pour la plupart habitant des pays étrangers, n’étaient pas venues les chercher dans les temps prévus.

Au décours de combats d’une extrême violence dans le Caucase en Octobre 2020, 4000 femmes arméniennes ont perdu leur fils, soldats conscrits ou volontaires. Ces jeunes hommes et femmes émergeaient à peine d’une adolescence dont beaucoup de fils culturels étaient trempés dans le sang des générations qui avaient subi le même sort. Leur relation à leur mère était encore imprégnée de « maternité », en témoignent les échanges par téléphones peu avant leur mort. Or un certain nombre d’entre elles ont décidé de porter à nouveau un bébé, vingt ans après la naissance de celui qui venait d’être tué.

En Afrique, dans certains pays, des enfants errants sont désignés comme enfants sorciers. Naissants dans des temps de guerre ou de crimes de masse, ils étaient alors identifiés comme ceux qui donnaient la mort pendant ces conflits extrêmes. Grandissant dans les rues de cités certains sont devenus des enfants ou adolescents soldats agissant avec cruauté. Les anthropologues ont élaboré à leur sujet des recherches remarquables qui ont pointé plus particulièrement combien les fils des transmissions transgénérationnelles ont été plus que rompus, morcelés au moment de la naissance de ces enfants ou de leurs premiers mois.

Aujourd’hui, certaines ONG se déplacent sur des terres en conflit pour dresser des tentes sous lesquelles des femmes enceintes ou parturientes pourront être entourées dans ces circonstances. Il s’agit d’un moment privilégié pour celles-ci qui sont souvent séparées du père de leur enfant par le conflit, d’avoir une attention propre, d’être réassurées, d’être accompagnées et d’avoir accès à des soins qui ne sont parfois plus possibles dans leur pays ou région dans ce contexte faute d’infrastructures, de soignants, de matériel ou de formation des professionnels.

Ces exemples qui peuvent sembler lointains ne le sont plus, si on considère les rapprochements qu’occasionnent des technologies de communications ainsi que l’exode elle-même, qui voit ces populations chercher leur survie près de nous.

La Protection de l’enfance aussi est au travail quand il faut mettre en place un travail pluridisciplinaire pour des mineures de moins de 16 ans enceintes à accompagner en relation avec leur contexte culturel.

Nous souhaitons que les contributions arrivent avant le 31 Juillet 2023 au Comité de lecture des Cahiers de l’enfance et de l’adolescence.