Cahiers de l’enfance et de l’adolescence

Argument, pour le numéro 9

Et appel à contribution


Sur le Soin

Qu’est-ce qui fait souffrir l’enfant placé ? Que doit-on soigner ? Le placement familial peut-il encore constituer un soin à pour l’enfant séparé ?

« Lorsque nous nous trouvons face à un enfant ayant vécu des privations parentales précoces et répétées, nous sommes d’emblée confrontés à ses difficultés relationnelles…si nous partageons le vécu quotidien de ce jeune…Nous sommes perpétuellement interpellés par son avidité, son agressivité, ses craintes d’abandon, son incapacité à s’attacher réellement, l’oscillation entre des attitudes de toute-puissance et l’expression d’un grand désarroi, ses comportements régressifs… » Michel Lemay - J’ai mal à ma mère, Fleurus 1993

Soigner, prendre soin, suppose de reconnaitre et de chercher à apaiser la souffrance de l’enfant, dans sa vie et dans ses liens aux autres. Il s’agit de considérer ses liens à ses parents et ceux qu’il construit dans un autre espace de vie - en institution ou en famille d’accueil. C’est dans ce double mouvement de préoccupation, l’enfant à protéger et son/ses parents dont il est séparé, que s’inscrit l’action des professionnels de la Protection de l’enfance.

Définir/concevoir le soin implique de cerner les troubles de l’enfant, leurs manifestations et d’en comprendre l’origine, la génèse et l’historique.

Quel que nécessaire qu’il soit, le placement d’un enfant pour sa protection comporte, en lui-même, une part de souffrance, de violence infligée : perte de son environnement initial, éclatement de ses liens familiaux, amicaux, sociaux, parcours marqué par la discontinuité des lieux d’accueil et des personnes qui s’occupent de lui, destin dépendant aussi des procédures, des contraintes administratives, des préconisations judiciaires, des politiques financières… et aussi de l’usure de professionnels qui en sont souvent victimes autant qu’acteurs involontaires, soumis à une charge de travail et à une précarité économique qui s’accroissent.

Alors que les institutions de soin et d’éducation sont contraintes dans des exigences d’économie, d’agilité et d’efficacité croissantes, que faire du symptôme, des effets de ces symptômes sur le développement même de l’enfant, mais aussi sur les institutions, sur les professionnels eux-mêmes ? 

Qu’est-ce qui fait donc soin dans la vie des enfants placés ?

Trois dimensions du soin pourront être explorées : le soin dans sa dimension émotionnelle, le soin dans sa dimension objectale incluant la notion d’altérité, et enfin le soin, qui intègre, une asymétrie entre le soignant et le soigné. (Ce serait à expliciter un peu, non ?)

Le soin se loge aussi dans les interstices du quotidien, ces « petits riens », fondés sur l’alliance de la compétence et de l’engagement, de l’écoute et du tact, qui offre à l’enfant une attention humanisante.

Cette attitude envers autrui renvoie aussi à la notion de Care, que l’on peut traduire par « attention », « souci », « sollicitude » ou « soin ».

Soigner la relation souffrante entre l’enfant placé et son/ses parents, en apaiser les modalités les plus entravantes pour le développement de l’enfant, soutenir les possibilités d’amélioration et l’établissement de liens moins aliénants pour les uns et les autres, tels sont les objectifs affichés des professionnels de la protection de l’enfance.

Soigner l’enfant séparé, suppose aussi une clinique du lien familial, une considération pour la souffrance des parents, quels que soient leurs manquements ou leurs conduites. L’approche du lien enfant / parents ne peut être réduite au référentiel juridique ou judiciaire, à l’autorité parentale et à ses attributs, au droit des parents versus le droit des enfants. Un travail clinique respectueux de l’enfant et de son devenir suppose de le considérer dans ses liens aux autres, passées comme actuels, quotidien comme ponctuels, libres ou encadrés.

Enfin soigner prend du temps, soigner inscrit l’enfant dans une temporalité qui permet qu’un « à venir » s’ouvre pour lui. Comment les professionnels rencontrés - éducateur, assistant familial, psychologue, juge, directeur… vont-ils concourir au soin de l’enfant ? Quels que soient la discontinuité évènementielle, les traumas, les aléas, les errances, et les erreurs, comment chacun peut-il soutenir la construction du récit intérieur qui fonde la continuité psychique nécessaire à l’enfant pour se déplacer sans dommage majeur dans sa vie future ?