Rapport de Roland Gori à Jean-Marc Fabre concernant la mission définie par la lettre du 15 Janvier 2003 en date du 14 Avril 2003

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POURQUOI LA PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE ?

Psychologie Clinique 20

janvier 2006

Rapport de Roland Gori à Jean-Marc Fabre concernant la mission définie par la lettre du 15 Janvier 2003 en date du 14 Avril 2003

Par Roland Gori [1]

Résumé

L’auteur présente à la revue les résusultats d’une mission d’étude auprès de la Faculté de médecine d’Aix-Marseille. Il en ressort des propositions pour la création d’école de spécilaités en psychopathologie

Mots-clés

Psychopathologie ; formation ; université.

Présentation de ce rapport

Au début de l’année 2003, le 15 janvier, notre collègue et ami, Jean-Marc Fabre, Professeur de Psychologie cognitive, Président du Centre d’Aix, Vice-Président de l’Université d’Aix-Marseille I, me confiait une mission d’étude et de programmation auprès de la Faculté de Médecine d’Aix-Marseille II. Cette mission faisait suite à une demande du Doyen Yvon Berland de trouver des solutions aux problèmes posés par la baisse annoncée de la démographie médicale, en particulier en psychiatrie. Le rapport Berland[2] devait aboutir ultérieurement à des propositions de transfert de compétences de certains actes techniques médicaux à des paramédicaux. Ainsi ont rapidement vu le jour des projets satisfaisant les deux parties : transfert de certains actes techniques d’ophtalmologues vers les orthoptistes, transfert de certains actes d’ORL vers les orthophonistes, etc. et créations de nouvelles professions (pour l’exemple, conseillers en génétique et en médecine préventive) aptes à prendre la relève de certains actes spécialisés jusque-là réalisés par les médecins. En conséquence, il convient de replacer cette demande du Doyen Berland à l’adresse des psychologues dans le cadre plus large des conclusions de son rapport sur la démographie médicale (2002). Face à la carence annoncée de médecins – en particulier dans certaines spécialités comme la psychiatrie – il convenait de trouver rapidement des solutions à même de maintenir la « responsabilité médicale » et son tutorat technico-administratif, tout en faisant des économies dans le domaine de la santé en épargnant aux spécialistes du temps « perdu » dans des actes qui ne requièrent pas nécessairement leurs lourdes compétences et tout en appâtant certains para-médicaux en leur offrant une plus-value socio-professionnelle et promotionnelle déduite d’un complément de formation. Les projets de ces nouveaux métiers de la santé devaient respecter un certain nombre de règles, de conditions, du cadrage programmatique fort de la volonté politique qui les portait. Pour ce faire les exemples anglosaxons constituaient, une nouvelle fois, le paradigme primordial dont nous étions censés nous inspirer. Si on prend l’exemple des formations en conseil génétique et en médecine préventive –dans un champ moins conflictuel que le nôtre et vierge d’une tradition déterminant – on constate que ce projet s’inspire des bonnes pratiques en usage dans les pays anglo-saxons (Genetic Counselors). Pour l’exemple, aux USA il existe 1500 conseillers en génétique pour 300 millions d’habitants exerçant dans les services spécialisés de génétique auxquels il convient d’ajouter 700 conseillers exerçant dans des services non-spécialisés. Le rapport concluait à la nécessité de créer deux à trois diplômes de ce type en France pour répondre aux besoins définis par une simple péréquation statistique. De telles formations, en même temps qu’elles participeraient à résorber le chômage dans certaines professions (psychologues essentiellement) ou assureraient une promotion sociale à d’autres (infirmiers, assistants de recherche clinique etc.), conduiraient à alléger les médecins spécialistes d’actes techniques inutilement confiés à leurs consultations chargées tout en maintenant leur magister, tout en assurant une maîtrise des coûts et tout en promettant une nette amélioration dans l’accès aux soins dans des domaines où il commençait à être compromis et dont les médias parlaient déjà.

On ne saurait prendre la mesure et la portée des projets et des débats actuels si nous ne nous efforçons pas d’en restituer l’historique et la généalogie politico-épistémologique dont ils se déduisent. Disons tout de suite que, nonobstant la réticence de certains spécialistes, la délégation d’actes médicaux à des professions paramédicales paraissait avoir « toutes les chances de s’inscrire rapidement dans les pratiques » et ne restait alors qu’« à démontrer qu’il profitera aux uns autant qu’aux autres. »[3] Les réserves paraissaient davantage porter sur la rudesse de certaines formulations (l’Ordre des Médecins préfère l’expression « collaboration ou partage des savoirs dans le respect mutuel » à celui de « transfert de compétences ») que sur les principes fondateurs des solutions proposées par le Doyen Yvon Berland pour pallier aux graves problèmes posés par la pénurie de médecins qui s’annonce dans le cadre de la mission dont l’avait chargé le Ministre Mattei. C’est dans ce contexte que nous nous sommes réunis en groupe de réflexion dans le bureau du doyen Berland entre janvier et juin 2003. Donc plus de six mois avant le vote à l’Assemblée Nationale de l’Amendement Accoyer (8 octobre 2003) et les débats qu’il provoqua dans les mois qui suivirent. Nous sommes ici bien loin des supputations un peu hasardeuses de ceux qui me prêtèrent l’intention de profiter de cet amendement Accoyer pour « médicaliser la psychologie » et prétendre à « la formation des psychanalystes à l’Université »… La « naïve fraîcheur » qu’un Pierre-Henri Castel me prêta quelques mois plus tard n’est qu’un vulgaire anachronisme déduit d’une pensée doctrinale où l’impatience des résultats prévaut sur la rigueur de la méthode qui y conduit ! Le groupe de réflexion était constitué outre du Doyen Berland et du Vice-Président Fabre, des Professeurs Lançon (psychiatrie cognitiviste), Naudin (psychiatrie éclectique), Rufo (pédopsychiatrie) et moi-même.

D’entrée de jeu un malentendu s’est révélé : je souhaitais proposer une formation de praticiens du soin psychique pouvant exercer dans les services médico-chirurgicaux sanctionnée par une sorte de Doctorat (inspiré de ce que notre amie Danièle Brun a impulsé à Paris VII) et le Doyen Berland voulait une formation au niveau Master comparable aux autres projets qu’il venait d’établir pour les paramédicaux. Je n’avais pas pris tout de suite la mesure de cette volonté politique de rapatrier après-coup les psychologues cliniciens dans le champ professionnel des para-médicaux ! Quant aux psychiatres – à l’exception de Marcel Rufo – ils voulaient purement et simplement former des auxiliaires de psychiatrie habilités sous leur contrôle à prescrire des médicaments et à réaliser des actes psychothérapiques pour des souffrances ordinaires, qu’eux-mêmes n’auraient pas le temps de prendre en charge. Bref, comme je refusais de m’engager dans la formation de ces nouveaux officiers de santé mentale (exerçant naguère dans les Colonies) le Doyen Berland me fit part de sa stupéfaction : « Vos psychologues sont au chômage, vous n’existez pas dans le Code de la santé, je vous offre une reconnaissance qui permettrait le remboursement de vos actes et vous refusez ! Nous avons pourtant réussi à passer un accord avec les orthophonistes… ». Ce fut douloureux et sans le soutien amical de Jean-Marc Fabre et la complicité ludique de Marcel Rufo je crois bien que j’aurais pu me montrer encore plus ironique et cruel à l’endroit de ces professeurs de médecine qui paraissaient ne pas comprendre qu’il m’était quelque peu difficile de laisser, sans réagir, rapatrier les psychologues cliniciens dans le champ des paramédicaux d’un seul coup de plume bureaucratique… Bien sûr, les professeurs Lançon et Naudin, qui n’avaient pas encore pu lire le rapport Inserm, je le dis pour éviter à P. H. Castel un nouvel anachronisme, exigeaient des formations aux trois méthodes psychothérapiques : TCC, systémique et psychodynamique. Autre chose, ce nouvel institut trouvait tout naturellement sa place à l’intérieur de la Faculté de Médecine et aurait été co-dirigé par un Professeur de Psychiatrie et un Professeur de Psychologie. Ne souhaitant ni me démettre, ni me soumettre, j’ai produit dans l’urgence, en Mars 2003, un rapport de mission adressé à J. M. Fabre et à Y. Berland dont le lecteur trouvera ci-après le projet qui s’en déduit. On constatera que j’ai, autant que faire se peut, essayé :

- D’éviter la subordination des psychologues à une tutelle médicale,

- De maintenir l’exigence d’une formation de haut niveau (Bac + 8) à même de concilier les spécificités d’un ancrage dans l’humus de la clinique et les exigences universitaires. Toute concession qui conduisait à ramener cette formation au niveau Master nous alignait de facto sur les autres compléments de formation proposés aux paramédicaux. Il ne fallait pas oublier que le Ministre Mattei avait laissé au choix du Doyen Berland la possibilité d’offrir à des infirmiers ou à des psychologues ce complément de formation conduisant à la création de ce « nouveau métier de la santé » supposé suppléer à la pénurie annoncée de psychiatres.

- D’essayer de valoriser la transmission du savoir issu de la psychopathologie clinique dans ses références psychanalytiques et phénoménologiques.

Rappelons une fois encore que ce rapport est antérieur de plusieurs mois aux débats suscités par l’Amendement Accoyer. De leur côté les professeurs de psychiatrie avaient adressé au Doyen Berland et au Vice-Président Fabre un rapport conduisant à la création au sein de la Faculté de Médecine d’un Institut de Psychologie Médicale chargé de délivrer (trois ans après le DESS !) un Mastère d’Accompagnement et de Soins psychiques permettant à de nouveaux praticiens (après avoir été résidents en psychologie médicale) « de donner sur prescription médicale des soins remboursables dans le cadre général du système de santé. » Passons sur les détails mais proposer à un étudiant en psychologie d’être sélectionné à Bac + 5 pour entrer dans une nouvelle formation de trois ans qui le conduirait à Bac + 8 à… un Mastère ouvrant à une profession subordonnée à la tutelle médicale, me paraissait un peu grotesque ! Et il faut bien le dire, dangereux pour les psychologues qui, de facto, se seraient trouvés indirectement placés par la même occasion sous la tutelle médicale. Peut-être, le lecteur comprendra-t-il plus aisément certaines de mes réactions ultérieures dans la presse au moment de la publication du rapport Inserm par exemple. J’avais eu quelques mois auparavant l’occasion d’expérimenter la détermination de la psychiatrie universitaire à déséquilibrer nos formations de psychologie clinique au profit de ces nouveaux cliniciens génétiquement modifiés auxquels on avait inoculé le gène des protocoles anglo-saxons (TCC…). J’ai pris depuis la mesure que ce que ni la philosophie, ni la médecine, ni la politique n’avait réussi à faire – détruire la psychanalyse et son influence sur le soin et dans la culture – la bureaucratie des systèmes d’évaluation du soin, de la formation et de la recherche pouvait parvenir à l’accomplir sans peine. C’est le vrai danger de notre civilisation : nous peaufinons patiemment des stratégies délicates et subtiles pour contrer nos adversaires et gagner la partie là où ils se contentent de renverser la table de jeu (cf. le récent Livre noir) ou d’annoncer sans preuve et sans vergogne que les atouts ne ont plus les mêmes et qu’il leur appartient de les annoncer..

Nous avons donc continué jusqu’en novembre 2003 à réfléchir et à négocier des solutions de compromis. Malgré le soutien indéfectible de Jean-Marc Fabre, le départ de Marcel Rufo à Paris et l’écho des turbulences en provenance de nos débats nationaux autour de l’amendement Accoyer-Mattei ont compromis la poursuite du projet. Nous avons beaucoup travaillé et discuté. J’ai beaucoup appris et pu ainsi mesurer les changements d’époque qui conduisaient la psychiatrie universitaire française à tous les jours davantage s’aligner sur le modèle anglo-saxon. Ces changements ne feront que s’aggraver tant il est vrai que les étudiants d’aujourd’hui des nouveaux professeurs de psychiatrie actuels – recrutés sur les critères que nous connaissons bien – seront les praticiens de demain. Ces changements dans la psychiatrie heurtent de plein fouet les référentiels majeurs des pratiques des psychologues dont l’excellent rapport d’Anne Golse (MIRE, 2002) donne une cartographie saisissante. À moins d’une invasion barbare si massive et rapide qu’elle puisse bouleverser et recomposer le paysage de la psychopathologie en quelques années – à quoi prétendent sans nul doute les co-éditeurs du tout récent Livre noir de la psychanalyse avec leur arrogante garde du sanitairement correct – le heurt entre les paradigmes auxquels se réfèrent les pratiques des psychologues cliniciens et les prescriptions des décideurs, dont les nouveaux psychiatres seront les relais, risque de s’accroître toujours davantage. J’ai pensé utile de verser ma modeste contribution au champ de ce débat auquel la nouvelle génération va se trouver confrontée plus que jamais tant je suis convaincu avec Hölderlin que

Là où croît le danger

Naît aussi ce qui sauve

Préambule

Les prévisions des pouvoirs publics en charge de la santé prédisent une pénurie des médecins qualifiés en psychiatrie. De plus, la formation actuelle de ces spécialistes, par exemple dans le champ critique des psychothérapies, ne semble pas toujours répondre aux demandes de prise en charge des souffrances ordinaires et existentielles pour lesquelles ils sont consultés. La question se pose alors de savoir si d’autres professionnels de la santé ne pourraient pas les suppléer dans certaines actions conduites auprès des patients et de leurs familles. Les psychologues, au premier rang desquels se situent « les psychologues de santé » (circulaire Simone Veil, 1975, adressée à la Direction des Impôts), pourraient se voir transférer une partie de la compétence technologique des psychiatres à condition d’adjoindre à leur formation initiale un complément de formation spécialisée. Promus ainsi supplétifs des psychiatres, en quelque sorte officiers de santé mentale, de tels psychologues pourraient assurer des soins psychiques aux souffrances ordinaires, voire prescrire des psychotropes sous contrôle médical. Une telle redistribution des rôles et fonctions dans les dispositifs des pratiques de la santé offrirait à ces psychologues une reconnaissance pouvant être inscrite dans le livre IV du Code de la Santé dont ils sont actuellement absents. Un tel dispositif consacrerait ce nouveau corps professionnel des psychologues spécialisés dans la liste des professions médicales définies par le livre IV du Code de la Santé dans une position analogue aux dentistes et aux sages-femmes. Une solide formation aux psychothérapies permettrait à ces psychologues spécialisés de répondre au moins en partie aux préoccupations des services publics de devoir définir et garantir l’acte psychothérapique par « une formation publique, théorique et pratique sanctionnée par un diplôme national » (JO de l’Assemblée Nationale du 17 février 2003). Le remboursement des actes de ce nouveau corps de psychologues pourrait logiquement se déduire, tôt ou tard, de ces nouvelles dispositions dans le système des pratiques de santé. Dans un secteur professionnel, celui de la psychologie, où le chômage et la précarité de l’emploi font des ravages sociaux considérables, la tentation est grande de répondre favorablement et sans délai à une telle proposition. Il conviendrait cependant d’examiner préalablement la situation sociale et culturelle dont une telle proposition procède pour pouvoir la traiter par une logique de formation et de recherche à la pratique la plus à même de répondre aux demandes et aux besoins des usagers des services de santé en partenariat avec les autres praticiens des réseaux de soins.

Argument et problématique

Les effets du numerus clausus en médecine ont produit une pénurie de psychiatres nécessitant, comme dans d’autres spécialités médicales, un transfert des compétences technologiques dans le champ des pratiques de santé et la nécessité de redéfinir les prestations offertes par les professionnels et les acteurs des soins. Ce transfert des compétences technologiques en matière de santé s’avère d’autant plus urgent, nécessaire et critique que l’extension des prestations médicales et paramédicales, comme la dilatation de nouveaux besoins et de nouvelles demandes sociales conduisent à devoir innover dans la prise en charge des populations placées sous protection médicale du prénatal à la fin de la vie. Cette dilatation a été soulignée à plusieurs reprises tant par les philosophes et les sociologues de la santé (Canguilhem, Foucault, Gadamer, Fukuyama, Memmi, Yacub…) que par les médecins eux-mêmes (Skrabanek, Zarifian, Sicard…). Dès lors que depuis 1946 la définition de la santé de l’OMS passe du « silence des organes » à une santé définie comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », l’extension du domaine médical produit un changement de régime épistémologique et éthique considérable dans les pratiques et les idéologies de la santé. Ce changement de régime dans la politique des soins n’a pas d’ailleurs manqué de provoquer des résistances de la part des praticiens eux-mêmes et de leur instance ordinale. Cette irrésistible dilatation du médical a été particulièrement sensible au moment où les médecins se sont trouvé engagés dans de nouvelles pratiques sociales à l’extrême de leur champ de compétence, comme par exemple dans la vérification de la validité des demandes de contraception, d’IVG ou d’aide médicale à la procréation ou encore sur la question de l’euthanasie. Cet accroissement du magister médical dans le gouvernement des conduites par la vérification des « conformités biographiques » des demandes (D. Memmi) a suscité de nombreux débats dont les lois de bioéthique (1994), comme le code de déontologie médicale de 1995, portent encore la trace. Cette constitution d’un « bio-pouvoir » (Michel Foucault) impliquant les disciplines médicales dans la gestion des populations redistribue les missions traditionnelles des praticiens essentiellement consacrées à la prise en charge des pathologies individuelles. Cette extension du domaine médical amplifie les effets de pénurie du numerus clausus. L’évidence des faits ne mérite pas qu’on les néglige.

Le développement de la médecine de santé publique, comme celui de l’épidémiologie, ou encore celui de la médecine préventive, ou encore celui de la médecine sociale (scolaire et du travail), s’avère inséparable de cette dilatation du magister médical invité à surveiller et à protéger les populations, la santé morale des groupes (lois anti-sectes) et l’hygiène des individus. On ne saurait comprendre la demande actuelle de devoir inventer de nouveaux dispositifs de prise en charge des soins psychiques par de nouveaux professionnels de santé autres que les psychiatres sans rappeler le paysage social, culturel et praxéologique dans lequel cette demande s’inscrit. Sauf à devoir bricoler une solution à court terme, inconsciente des effets qu’elle pourrait produire, la prise en compte de cette demande nécessite selon moi une mise en perspective. En effet, l’extension des besoins et des demandes de santé a paradoxalement produit une démédicalisation des prestations et des services médicaux, du moins au sens traditionnel de ces termes. Et ce d’autant plus qu’en devenant technoscientifique, la médecine s’est éloignée de son site clinique au profit des sites technologiques, pharmaceutiques et industriels. Cette dilatation de la pratique médicale étirée entre son bord social et son bord technologique participe de la demande actuelle de redistribution des corps professionnels de santé. Nul doute que la psychiatrie en tant que ventre mou de la médecine et des sciences du vivant allait simultanément assister à l’accroissement des demandes sociales et culturelles à l’adresse de ses praticiens (de la bébologie aux soins palliatifs, en passant par la psychiatrie sociale des conduites délictueuses sans oublier la dépression ordinaire, l’angoisse et la culpabilité générées par la prise en charge des maladies à pronostic péjoratif…, mais tout en conservant sa mission primordiale de devoir garantir la norme mentale et gérer la folie) et voir voler en éclat sa consistance épistémologique dès lors que son unité pratique ne cesse de se trouver menacée par son écartèlement entre les sciences du vivant (psychiatrie biologique) et les sciences humaines et sociales (psychothérapies diverses). Dans ce contexte là les différentes réformes de l’internat comme celles des formations des psychiatres ont accru la nécessité d’un transfert des compétences technologiques vers de nouveaux corps professionnels de santé, au premier chef desquels figure à l’évidence celui des psychologues, et plus particulièrement, celui des psychologues cliniciens[4]. Ce transfert s’impose d’autant plus que la promotion idéologique des classifications internationales (DSM, CM) dans les pratiques et les recherches psychiatriques conduit à favoriser un accouplement entre les nouveaux psychotropes et ce qu’ils représentent socialement (les lobbies pharmaceutiques et industriels) et les recherches dites objectives et scientifiques des comportements et du gouvernement des conduites (Zarifian, Memmi, Fukuyama, etc.). Dès lors la question des psychothérapies et de leur législation perd la valeur d’enjeux corporatistes et critiques qu’elle avait acquise au cours des décennies précédentes. La question désormais est moins de savoir si la psychothérapie doit demeurer le monopole des médecins et des psychiatres qui n’y sont pas formés que de définir dans un champ protéiforme et fortement sensible socialement les critères de formation et de prestation protégeant le public et les usagers d’influences néfastes, peu scrupuleuses, voire intéressées et moralement dangereuses. N’oublions pas que la question récurrente des psychothérapies est venue récemment au devant de la scène avec la loi anti-secte. Le psychiatre, à l’exception peut-être de certains pédopsychiatres, ayant désormais en majorité plus et mieux à faire qu’à consacrer son temps aux psychothérapies sans pour autant devoir y renoncer, on peut supposer qu’à court et moyen termes, l’acte psychothérapique (le soin psychique) se verra déléguer, au moins en partie, à d’autres professions de santé, soit en intégrant la dimension psychothérapique de l’acte médical des autres médecins (généralistes, dermatologues, oncologues, algologues, etc.) soit le plus probable majoritairement confiée à d’autres soignants au rang desquels figurent au premier chef les psychologues cliniciens. Mais précisons que ce scénario suppose un certain nombre de remarques :

ÿ L’extension du domaine psychiatrique, au-delà des limites de la pathologie mentale, participe non seulement de la dilatation des demandes de santé, mais se déduit plus spécifiquement de nos pratiques culturelles et de l’organisation techno scientifique de la médecine et de la santé des civilisations occidentales. Dans la prochaine décennie en médecine – mais aussi dans d’autres secteurs des situations sociales extrêmes – les progrès techniques vont contraindre à la prise en considération de la souffrance psychique de la maladie et du soin. Le marché universitaire, praxéologique et médiatique est d’autant plus considérable que les psychiatres sont de moins en moins nombreux à occuper ce champ et de moins en moins formés à cette mission. L’obligation légale de prendre en compte les aspects psychologiques du patient à l’hôpital est récente, elle date de 1991. Cette loi – n° 91-748 du 31 juillet 1991 – portant réforme hospitalière oblige l’institution hospitalière dans son ensemble à prendre en compte les aspects psychologiques du patient : « Les établissements de santé publics et privés, assurent les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques du patient. » Dans le contexte de cette nouvelle mission hospitalière, le psychologue clinicien occupe une place originale par la prise en considération de la souffrance du malade, mais aussi de sa famille et des soignants. Dans cette écoute de « la maladie du malade » (Canguilhem), le psychologue assure de facto une fonction psychothérapeutique bien au-delà de la simple humanisation de la médecine scientifique, du supplément d’âme que peuvent apporter les soignants, les religieux ou les bénévoles. L’intervention du psychologue est souvent brève, liée à la durée de l’hospitalisation. Les demandes des services médicaux et chirurgicaux vont s’accroître d’autant plus que les protocoles de soin vont exiger des décisions éthiques à conséquences juridico-financières et humaines considérables. À moins de créer des postes de bio-éthiciens, cette mission incombera aux psychologues. À condition que pour un bon nombre d’entre eux la clinique ne soit pas seulement le terrain sur lequel se trouvent prélevées des données (psychologie de la santé et psychologie clinique quantitative) mais le lieu d’un acte de soin. Cela suppose que soient totalement repensées non seulement la formation du psychologue, ses missions, ses fonctions mais aussi son insertion permanente dans des protocoles d’enseignement et de recherches. Il faut mettre un terme à l’isolement du psychologue, il faut favoriser les regroupements et inciter à une véritable recherche-action-enseignement en lien avec les équipes universitaires. Peut-être faudrait-il penser à un statut hospitalo-universitaire de certains enseignants-chercheurs de psychologie ? Ce qui est vrai à l’hôpital est vrai mais différemment en ville. L’attrait des différentes formations et des colloques offerts aux pédiatres, aux gynécologues, aux dermatologues, aux généralistes, aux oncologues, … attestent des besoins des médecins et des soignants confrontés à devoir traiter une souffrance psychique chevillée au corps du malade alors que leurs formations ne les ont préparé qu’à traiter la maladie. Cette demande s’avère d’autant plus forte chez les soignants de patients atteints de cancers. On retrouve des problèmes psychologiques et sociaux analogues énormes en cardiologie et dans tous les services de greffes. Sans parler des demandes des services de génétique ou de PMA ou de stérilisation contraceptive (2001) ou encore des services confrontés à des demandes d’euthanasie et qui sont submergés par les conséquences éthiques et psychologiques de leurs actes (cf. A. Munnich et rapport Mattei de 1994). Dans tous ces services où l’obligation de Counselling prescrit au praticien de devoir informer ses patients pour obtenir leur consentement loyal et éclairé ou encore les inciter à une réflexion auto-régulatrice, peu de choses sont réalisées pour les conduire à écouter les demandes et les plaintes des patients. Prescrire l’information n’oblige en rien à l’écoute (cf les travaux de Didier Sicard, Président du CCNE).

Donc il ne s’agit pas seulement de créer des postes de psychologues, cela est nécessaire mais insuffisant, mais plus encore de réorganiser leurs formations et leurs missions dans ces nouvelles structures. Et ces nouvelles structures ne concernent pas seulement l’hôpital, mais davantage encore les réseaux de santé créés par la loi Kouchner du 4 Mars 2002. Cela suppose aussi que les praticiens s’adossent davantage aux équipes universitaires de recherches et d’enseignement. Dès lors le défi à relever dans les décennies à venir concerne notre capacité d’inventer de nouveaux dispositifs de soins et de formation pour prendre en charge la souffrance psychique, résidu à même de garantir l’humain dans nos activités quotidiennes. En particulier la désacralisation de la maladie et du soin accroît impérativement les exigences éthiques des usagers des services de santé et risque de produire une judiciarisation de la relation médicale faute de prendre en charge socialement, culturellement et psychologiquement cette souffrance. Tout ce qui relie (religions, associations, réseaux de soin, etc.) apparaît comme dispositif de médiation et de pacification des conflits éthiques nés non seulement d’intérêts sociaux et culturels contradictoires mais encore, et souvent, comme un conflit interne aux protocoles de soins eux-mêmes étirés entre le traitement du malade et celui de la maladie. Faute de quoi l’implosion judiciaire de la médecine entr’aperçue dans certains pays occidentaux (comme les USA) ne fera que croître. Nous ne devrions pas oublier cela au moment même où nous aurons à définir la structure et la configuration des formations et des services de ce nouveau corps professionnel de santé qui pourrait se trouver doté d’une nouvelle mission : la psychopathologie de la souffrance psychique au quotidien. Bref, au fil de glissements successifs dans ses fondements conceptuels et ses logiques organisationnelles d’intervention, la psychiatrie publique a fini par perdre, plus ou moins, son objet, la maladie mentale, au profit d’un nouvel objet consensuel, la souffrance psychique (Lantéri-Laura, 1984, 1988 ; A. Golse, 2002). D’où pour la psychiatrie, la nécessité de devoir drainer la souffrance psychique et de la traiter dans le champ même où elle s’exprime : outre le champ traditionnel du secteur psychiatrique, « la psychiatrie pénitentiaire, les services des urgences, la psychiatrie de liaison avec les services somaticiens et le travail social » (Jaeger, 2000). Cette crise conceptuelle et praxéologique renforce l’exigence de devoir reconnaître « une clinique de la subjectivité » (site internet de la conférence des présidents de CME de CHS) d’autant plus indispensable qu’elle se trouve corrélée à la logique technoscientifique de la médecine actuelle et de son contrôle juridique, voire judiciaire.

Cette extension du champ des pratiques psychiatriques dans les secteurs sociaux, médicaux, pénitentiaires, de prévention et d’exclusion, contraint les psychiatres à toujours davantage consacrer leur temps à des charges administratives, au management des équipes et des soins, aux prescriptions de psychotropes, aux dépens du soin psychique de la souffrance. Au point que certains d’entre eux ont éprouvé le besoin de confirmer « la nécessité du maintien de leur fonction soignante » et ont refusé ces places d’intervention en deuxième ligne dans la lutte contre le mal-être et la souffrance psychique auxquelles les convoque la logique organisationnelle actuelle. Quoi qu’il en soit ces transformations successives des pratiques de santé mentale redoublent les effets de la pénurie des psychiatres et contraint à devoir toujours davantage reconnaître la place des psychologues dans le traitement direct des demandes des patients, sans prescription médicale préalable et obligatoire. Cette transformation des pratiques se trouve confortée par le rapport du Dr Monnier adopté lors de la session du Conseil National de l’Ordre des médecins de juillet 2001 sur le suivi des patients, dans lequel il est écrit : « Les psychologues prennent de plus en plus de place dans le monde de la psychiatrie relayant ou même remplaçant les psychiatres dont le nombre va en diminuant très sérieusement. » (cf rapport A. Golse, MIRE 2002, souligné par moi). Dès lors, on ne saurait accepter l’intitulé de psychologie médicale pour la qualification de ces nouveaux praticiens. Comme l’ont souligné les différentes enquêtes et travaux de recherche, la majorité des psychologues cliniciens refusent actuellement de voir confondu l’objet de leurs interventions avec celui de la psychiatrie traité dans une logique normative, objectivante ou épidémiologique. De même la profession a manifesté à plusieurs reprises et de manière insistante son attachement à une autonomie méthodologique consacrée pour les psychologues hospitaliers par le décret de 1991. Ces éléments s’avèrent insécables de l’émergence d’un paradigme psychologique fondé sur une psychopathologie référée à la psychanalyse qui considère que la relation ne saurait se prescrire. Il importe de ne pas oublier cette culture de métier des psychologues lorsque nous définirons un programme de formation des praticiens de la psychopathologie clinique et que nous aurons assumé le cadrage institutionnel de ces praticiens.

ÿ L’évolution de la psychologie dans son cadre universitaire a été considérable au cours de ces dernières années au point que certains collègues (cf. Beauvois…) préfèrent à l’évidence parler des psychologies plutôt que de la psychologie pour désigner une discipline rhapsodique qui rassemble sous son propre chef un ensemble de spécialités si disparates (des neurosciences à la psychanalyse en passant par la psychologie sociale et l’ergonomie) à même de produire des paradigmes concurrentiels et complémentaires susceptibles d’encadrer des pratiques généralistes de psychologues (à formation Bac + 5). Cette formation généraliste et minimaliste à Bac + 5 offre une solide garantie universitaire (théorique et pratique) à même de protéger un titre commun de psychologue (loi du 25 juillet 1985). Ce titre en même temps qu’il garantit au public une formation universitaire de haut niveau de celui qui y prétend ne propose aucun statut spécifique et aucun acte qui en découlerait. C’est là où le bât blesse dès lors que les psychologues se trouvent requis à de nouvelles fonctions, à de nouvelles prestations dans les services de santé ou dans les domaines socio-professionnels les plus divers. À ne devoir ici prendre en compte que le domaine spécifique de la santé les praticiens de la psychologie œuvrant dans les institutions de soins (qui vont de l’hôpital psychiatrique aux services de pédiatrie, de cancérologie, d’hémato-oncologie pédiatrique, en passant par les CMPP et les services de gynécologie obstétrique sans oublier les services de génétique et ceux d’ORL etc.) ou dans le secteur socio-éducatif (AMEO, services pénitentiaires, Point Ecoute adolescents, etc.) ou encore dans le secteur libéral (essentiellement comme psychothérapeutes souvent à temps partiel) ont complété leurs formations à leur propre initiative selon deux voies : soit en participant à des activités d’associations privées diverses par des formations plus ou moins longues (de quelques semaines à plusieurs années) et plus ou moins distendues par rapport à un cursus de psychanalyste, soit en s’inscrivant dans des formations universitaires qui vont des DU à des doctorats. L’évaluation des besoins de compléments de formations demeure en grande majorité, pour ne pas dire en totalité, une affaire de conscience professionnelle privée et individuelle laissée à l’initiative de chacun et plus ou moins soutenue par la logistique du tiers temps (pour les psychologues du secteur public I) et de la formation continue. Aucune reconnaissance sociale n’accompagne ces compléments de formation qui conduisent certains praticiens à une formation très pointue de psychothérapeute ou de psychanalyste internationalement reconnue (bien au-delà d’une formation médicale de psychiatre) ou encore à un doctorat de psychologie ou de psychopathologie et psychanalyse (Bac + 8). Il va de soi que pour ces praticiens du soin psychique, longuement formés, l’homogénéisation de la profession sous le seul empan de la protection du titre constitue une normalisation professionnelle au plus petit dénominateur commun. Demeure inévitablement la question des critères de reconnaissance dès lors que ces formation s’avèrent parfois aussi disparates que la formation généraliste qui les précède et surtout que les sites de transmission qui les mettent en œuvre et n’offrent aucune communauté de garanties, se déployant entre les associations privées de psychanalystes, les services universitaires et les échoppes les plus diverses de psychothérapies des plus sérieuses aux plus contestables, voire sectaires etc.

À la diversité des paradigmes théoriques auxquels elles se réfèrent ces formations ajoutent le morcellement des sites institutionnels où elles se mettent en œuvre. Ainsi les moyens dont se dotent ces formations complémentaires se privent des garanties de reconnaissance sociale qu’elles pourraient se donner. Les choses sont d’autant plus dommageables au moment où la validation des acquis professionnels et la formation continue tout au long de la vie pourraient éviter ce gaspillage humain et social. Mais cela suppose bien évidemment un courage politique et une audace dans l’innovation en créant les conditions d’une législation et d’une clarification dans la gestion de ces compléments de formation. Cela suppose également une coordination des efforts entre les sites universitaires, les sites hospitaliers et les réseaux associatifs à même de permettre une évaluation et une validation sociale de ces formations hétérogènes. Cette compétence socialement reconnue et universitairement validée pourrait être placée sous le signe d’une spécialisation psychopathologie clinique sanctionnant des formations au soin psychique mise en œuvre dans la prise en charge de la souffrance psychique que celle-ci se donne dans les manifestations symptomatiques de patients psychiatriques ou qu’elle se présente à l’occasion de crises existentielles ordinaires dans les différents moments de la vie quotidienne (périnatalité, période scolaire, adolescence, milieu de la vie, gérontologie, maladies somatiques et fins de vie) ou dans les situations sociales de l’extrême (terrorisme, chômage, délinquance, réinsertions sociales, retraites professionnelles, etc.).

ÿ Cette évolution des pratiques de soins psychiques en psychologie clinique et en psychopathologie s’est accompagnée au cours des dernières années de l’émergence d’autres référentiels que le modèle psychothérapique psychanalytique ou psychodynamique. Ces autres référentiels se déduisent tout uniment des modèles cognitivo-comportementalistes (thérapies cognitivo-comportementales, neuropsychologie et bilan cognitif des handicaps, etc.) et/ou de l’application des modèles de la psychologie sociale ou de la psychologie différentielle au champ de la santé (psychologie de la santé). De telles pratiques non-relationnelles, relevant davantage du diagnostic que de la diagnose, pouvant présenter un complément avantageux à certaines étapes du diagnostic, du soin et de son efficacité dans les prises en charge spécifiquement médicales des maladies mentales ou des troubles du comportement. Certaines de ces approches peuvent même fournir un complément indispensable à certaines recherches épidémiologiques et participer à la définition et au suivi de la médecine préventive, de la médecine de santé publique et des problèmes hygiénistes. Nul doute qu’à titre expérimental certains pôles universitaires (Bordeaux, Metz, Nancy, Tours, etc.) pourraient participer à la création d’une formation spécialisée en psychologie de la santé et du handicap. Mais pour l’auteur du présent rapport il considère que pour intéressante que soient ces formations spécialisées en psychologie de la santé et du handicap, elles relèvent d’une autre logique que celle du soin psychique centrée sur l’axe de la relation et de la prise en charge de la souffrance au quotidien de la psychopathologie de la vie ordinaire. Il s’agit d’une autre épistémologie et d’une autre éthique et si on ne veut pas reporter en aval, dans les formations spécialisées, les contradictions et les errances de la formation généraliste des psychologues, il convient de les différencier. Nul inconvénient, par contre, à favoriser au niveau national, à partir d’une carte universitaire des équipes de recherches, la concurrence de pôles hospitalo-universitaires forts (recherche-formation-pratique) relevant de logiques opposées. Cette diversification épistémologique des formations spécialisées (à Bac + 7 ou plutôt Bac + 8) pourrait s’adosser aux équipes régionales de recherches habilitées en psychopathologie et aux sites hospitaliers et des réseaux de santé (Loi Kouchner, mars 2002) avec lesquels elles travaillent. Il convient seulement de ne pas laisser aux seuls services de psychiatrie la charge de cette collaboration, alors même que le nombre de psychiatres à même d’assurer l’encadrement des étudiants diminue et que la dilatation et l’extension du domaine de la psychopathologie à tous les services et réseaux de santé ne cesse d’augmenter bien au-delà de la psychiatrie traditionnelle. Les psychiatres se trouvent dans l’impossibilité d’assurer ces missions auprès de leurs autres collègues médecins des services de santé et cette pénurie participe de l’extension hyperbolique de la judiciarisation des problèmes conflictuels en matière de santé. En conséquence il conviendrait d’associer plus largement qu’aux seuls services de psychiatrie les services hospitaliers, hospitalo-universitaires et les réseaux de santé les sites théorico-cliniques à même de participer à ce complément de formation des psychopathologues et aux activités de recherches et d’enseignement qui l’encadrerait. Une liste professionnelle des psychopathologues, titre proposé pour ce nouveau corps de professionnels de la santé, serait placée sous l’autorité des Directions de la Recherche et des Études Statistiques du Ministère de la Santé de chaque département.

ÿ Deux expériences européennes ont retenu mon attention pour cette mission préalable à même de répondre au problème posé par la pénurie prévisible de psychiatres dans l’avenir et à la question évoquée d’une dilatation des demandes et besoins en matière de santé :

ß Les programmes belges de formation à la psychothérapie dispensés par le Centre Chapelle-aux-champs co-géré par une commission d’enseignement bi-facultataire (psychologie et médecine) délivrant un diplôme d’études spécialisées en psychothérapie (3 ans) de 3e cycle « destinée aux praticiens psychologues cliniciens ou (candidats) psychiatres qui souhaitent approfondir leur formation en psychothérapie et accompagner leur pratique d’une réflexion continue ». Ce diplôme est accessible, notamment, aux psychologues déjà confrontés à la pratique qui peuvent attester d’une expérience clinique équivalente à 1800 heures au moins (y compris les stages de la formation initiale) dont 600 heures de travail supervisé dans un service de psychiatrie. La formation repose sur un trépied : l’Université Catholique de Louvain (UCL), des centres de pratiques reconnus et des centres de formation agréés. Les étudiants ont à choisir l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur formation (dispensée sous forme de modules de cours et de séminaires regroupés en sessions, de stages pratiques et de stages cliniques) parmi quatre possibilités méthodologiques (psychothérapie analytique enfant, psychothérapie analytique adulte, psychothérapie systémique et psychothérapie cognitivo-comportementale). Le programme consiste en un cycle de trois années dans ce qui procède principalement d’un choix à la carte. Pour prendre un exemple (celui du Centre de Formation aux cliniques psychanalytiques avec les adultes dirigé par le Prof. P. de Neuter) la formation comprend :

- La pratique clinique de 1200 heures à répartir sur trois ans avec un minimum de 300 heures par an.

- Les séminaires, conférences et groupes cliniques de supervision (110 heures par an) auxquels s’ajoutent les travaux en sous-groupes et supervisions individuelles.

- Un travail préparant à un rapport de stage, sorte de mémoire soutenu en fin de cycle au terme de la formation à même d’attester une bonne intégration de la pratique et de la théorie.

Cette formation qui s’étend sur trois ans peut être répartie sur un plus grand nombre d’années.

Remarque : les équipes de psychologie clinique de l’Université Catholique de Louvain sont très solides du point de vue de la recherche et de l’enseignement dans les quatre orientations mentionnées. L’exigence préalable à l’inscription à ce diplôme d’une thérapie personnelle poserait des problèmes considérables à l’heure actuelle dans nos universités. Les centres des pratiques cliniques sont historiquement et structurellement articulés avec les formations universitaires de l’UCL.

ß Les écoles de spécialisation italiennes en psychologie clinique

L’école de spécialisation (Scuola di Specializzazione) en Psychologie Clinique est une école supèrieure à laquelle on accède après un diplôme universitaire à Bac + 5 pour les psychologues (la Laurea) ou Bac + 6 pour les médecins. Il y a une quinzaine d’écoles de spécialisation en psychologie clinique en Italie. Je prendrai pour modèle l’École de Florence avec laquelle je travaille. L’École de spécialité en psychologie clinique propose une formation spécialisée d’une durée de quatre ans sanctionnant un titre de spécialiste en psychologie clinique ouvert aux psychologues et aux médecins. Ce diplôme, reconnu par l’État, permet l’inscription sur une liste de psychothérapeutes déposée auprès de l’Ordre des Médecins comme auprès de l’Ordre des Psychologues. Cette formation se fait donc à Bac + 9 pour les psychologues et Bac+ 10 pour les médecins. La plupart de ces Écoles de Spécialité sont gérées par les Facultés de Médecine (environ 70 à 80 %) ou par celles de Psychologie. Des projets pour les années à venir prévoient un regroupement des études pour les psychiatres, les neurologues, les psychologues cliniciens et les neuropsychiatres infantiles avec un tronc commun d’une année et une spécialisation de deux ou trois ans. L’École de spécialité recrute par sélection sur la base d’un concours écrit et d’un entretien individuel. Le numerus clausus est fixé chaque année par le Ministère de l’Éducation qui établit un nombre de places différent pour les psychologues et les psychiatres (deux listes séparées). Les débouchés sont dans le service sanitaire national et les pratiques en libéral. Les enseignements sont organisés en modules avec des thématiques assez proches de ce qui se pratique chez nous (psychodiagnostic, psychosomatique, psychologie clinique, techniques de l’entretien, psychiatrie, méthodologie de la recherche en clinique, psychologie dynamique, etc.) avec des enseignements plus spécifiques selon les années et les options (psychobiologie, neuropsychologie, psychopharmacologie, médecine légale, psychologie de l’éducation, psychologie sociale de la déviance, etc.). La quatrième année est davantage axée sur les techniques de la psychothérapie. Tout au long de la formation les étudiants ont un stage en responsabilité clinique comme internes ou résidents en psychiatrie et en psychologie clinique. Le travail de supervision se fait en petits groupes et le niveau de formation à la prise en charge de la souffrance psychique m’a toujours paru excellent.

Remarque : Le principe d’École de Spécialité me paraît excellent, de même l’implication dans la pratique clinique mais la durée me semble trop longue à mi-distance entre la formation des psychiatres et celle des psychologues.

Conclusion provisoire

Ces deux exemples – pour localisés et spécifiques qu’ils soient – nous donnent un aperçu sur les dispositifs possibles des compléments de formation envisagés pour les psychopathologues promus à pallier la pénurie des psychiatres et à répondre aux besoins des nouvelles politiques de santé. On retiendra :

ß L’importance d’une formation clinique pratique indispensable dans tous les cas (internat ou résidanat) constituant à la fois le pré-requis de l’admission (une expérience pratique minimale) et le socle de la formation (avec une liste d’agrément des lieux de stages et des sites en responsabilités).

ß La nécessité d’un suivi par supervision régulier, en petits groupes et/ou en individuels de la pratique des étudiants-praticiens.

ß Une solide formation théorique dispensée principalement en séminaires spécialisés et optionnels auxquels sont adjoints des regroupements de la promotion des étudiants sous forme de cours généraux et de journées thématiques (scientifiques et professionnelles).

ß La soutenance d’un mémoire sanctionnant la formation et validant l’articulation théorico-clinique et rendant inutile la multiplication des contrôles de connaissance.

ß L’existence d’un numerus clausus défini lors de chaque plan quadriennal par le Ministère et/ou la Faculté en fonction des possibilités d’encadrement et de débouchés professionnels.

Il convient d’ajouter qu’en ce qui concerne les politiques françaises de la Direction de l’Enseignement Supérieur, ces dernières années, les équipes de recherches universitaires constituent les seules instances à même de garantir un haut niveau de formation universitaire, à charge d’inventer par ailleurs des dispositifs innovants en matière de stages en responsabilité clinique dans le domaine des réseaux de Santé et des sites hospitaliers et/ou associatifs. Ce qui suppose d’impliquer bien au-delà des services de psychiatrie les partenaires médicaux de ce complément de formation (oncologie, soins palliatifs, dermatologie, gynéco-obstétrique, centres de PMA, services de génétique, néphrologie, pédiatrie, ORL, stomatologie, etc.).

PROPOSITIONS

I-A Propositions générales

Il conviendrait à titre expérimental de créer des Écoles de spécialité en Psychopathologie prenant appui sur d’une part des structures de recherches (Équipe d’Accueil) et d’autre part sur des réseaux de santé agréés à recevoir des étudiants en stage de responsabilité clinique.

Dans le paysage actuel des formations universitaires en psychopathologie une structure de recherche ajustée aux exigences de ce complément de formation pourrait se constituer conjointement avec au moins trois des équipes reconnues en France en Psychopathologie œuvrant dans le champ médical :

ß L’EA 3278 – Laboratoire de recherche en psychopathologie clinique – de l’Université de Provence d’Aix-Marseille I que je dirige actuellement et qui a proposé pour le prochain plan quadriennal (Direction J.-J. Rassial) un programme thématique sur les cliniques des discours de souffrance (en co-direction avec M. J. Del Volgo, MCU-PH à Aix-Marseille II).

ß L’EA du centre de recherches Psychanalyse et Médecine dirigée par Danièle Brun à l’Université de Paris 7 et le DEA qui lui est affilié dirigé par Alain Vanier et B. Golse.

ß Le laboratoire d’atteintes somatiques et identitaires (LASI) dirigé par Dominique Cupa et André Sirota. Ce laboratoire est étroitement articulé avec l’unité de psychonéphrologie de l’AURA (Association pour l’Utilisation du Rein Artificiel en partenariat avec les hôpitaux de Paris) dirigée par Dominique Cupa.

Ces trois laboratoires de recherche sont étroitement associés (conventions signées ou en cours) dans l’organisation de formations, de colloques ou de Journées scientifiques. Ils sont associés déjà à un certain nombre de services hospitalo-universitaires de psychiatrie, de pédo-psychiatrie et de médecine (dermatologie, oncologie, IPC, etc.) ou encore à d’autres sites de soins (cliniques de soins palliatifs par exemple) ou de formations (Société Française de Psychooncologie, Antenne 13, par exemple). Les professeurs de médecine (dont les psychiatres) pourraient jouer un rôle décisif dans la constitution et l’agrément des sites pratiques de ce complément de formation comme dans la définition et la validation de ces stages cliniques.

I-B Propositions régionales

I-B-a Statut d’une École Méditerranéenne de Spécialité en Psychopathologie clinique.

Il est créé une EMSP en application de l’article 33 de la loi d’orientation universitaire. Cet établissement est co-géré par les Universités d’Aix-Marseille I et d’Aix-Marseille II et se trouve co-dirigé par un Professeur de Médecine et un Professeur de Psychologie nommés par les Présidents des deux universités et choisis d’un commun accord. L’école est gérée par un Conseil de Gestion Scientifique et Pédagogique. Ce conseil comprend au moins, outre les deux présidents des universités ou leurs représentants :

- Les deux directeurs de l’école.

- Le ou les directeurs des laboratoires de recherche sur lesquels s’adosse cette formation.

- Trois professeurs de psychiatrie nommés par le doyen de la faculté de médecine.

- Trois professeurs de psychopathologie nommés par le Président de l’Université d’Aix-Marseille I.

- Trois professeurs de médecine dont les services sont étroitement associés à la formation.

- Deux personnalités reconnues pour leurs compétences particulières en matière d’éthique dont un non-médecin.

- Deux représentants des réseaux de santé ou d’association prenant en charge les patients ou leurs familles.

- Deux représentants du milieu professionnel des psychologues en exercice dans des services de santé.

- Deux représentants des usagers de l’École.

Le Conseil élit en son sein cinq membres constituant un Bureau chargé d’administrer autour du (ou des) directeur(s) de l’École les formations et le diplôme de spécialité.

IBb-Objectifs de la formation

L’École forme des praticiens de la psychopathologie exerçant en Institution ou en libéral dans la prise en charge et le soin de la souffrance psychique en partenariat avec les médecins (en particulier des psychiatres) des hôpitaux, des réseaux de santé ou des libéraux. Ces praticiens pourraient relever du livre IV du Code de la santé et se trouver reconnus comme professions médicales autonomes dans leurs méthodes à l’instar des dentistes ou des sages-femmes.

IBc-Conditions d’admission

- Un numerus clausus est conjointement fixé par le Ministère de la Santé et le Ministère de l’Éducation nationale sur proposition de la Direction de l’Enseignement Supérieur eu égard aux équipes de recherche habilitées, aux places disponibles pour les stages cliniques et en fonction des débouchés professionnels prévisibles dans le cadre de chaque plan quadriennal.

NB : Une première promotion pourrait commencer à la rentrée 2004 avec 15 ou 20 places par exemple.

- La sélection se ferait en deux temps

1) Un dossier justifiant d’au moins un DESS ou un Master (option psychopathologie) Pro ou recherche (Bac + 5) ou tout titre dont l’équivalence serait à définir à chaque nouveau plan quadriennal et d’au moins 1800 heures de stages ou d’activités dans le secteur santé (incluant les stages des Masters).

2) Un entretien avec un jury (pouvant fonctionner en sous-commissions d’au moins quatre membres) nommés par les Présidents du Conseil de Gestion sur proposition du (ou des) directeur(s) de l’École. Les jurys soumettent chaque année leurs décisions à l’approbation du Conseil de Gestion tant en ce qui concerne les admissions qu’en ce qui concerne la validation de la formation (fin d’études).

IBd- Durée de la formation

La formation dure trois ans (Bac + 8) et est sanctionnée par un doctorat d’exercice validé par la soutenance d’une thèse théorico-clinique et un récapitulatif des acquis des enseignements, séminaires et stages cliniques. Le jury – proposé par le Directeur de la thèse – est constitué selon les procédures traditionnelles des co-tutelles de thèses (ici Aix-Marseille I et Aix-Marseille II) mais inclut nécessairement un praticien de médecine ou de psychopathologie.

II-Quelques grands principes de la formation

1) Les stages correspondent à un volume de 1200 heures déployées sur les trois ans avec un agencement particulier les rendant compatibles avec les exigences de la formation et la préparation d’une thèse.

- 350 heures la première année permettant une initiation aux différents dispositifs de santé et constituant un préalable à une orientation plus spécialisée dans les grands secteurs du soin psychique.

- 250 heures la deuxième année au cours de laquelle se confirme l’option choisie (enfant, adolescent, personne âgée, malades somatiques, etc.) et se trouvent concentrés les séminaires théoriques et les supervisions cliniques.

- 600 heures la troisième année correspondant à un internat (ou résidanat) dans un des réseaux de soins dont la liste est dressée à chaque plan quadriennal par le Conseil de Gestion et approuvée par les Ministères de tutelle à chaque habilitation. Cette formation est complétée par une supervision clinique (réalisée sur le lieu de soins et/ou lors de regroupements à l’Université) et une préparartion à la rédaction de la thèse. Par exemple outre les activités pratiques au sein des équipes dans lesquelles ils exercent les résidents participeraient à des sessions bi-mestrielles de regroupement de deux ou trois jours au cours desquelles s’effectueraient la régulation des stages, l’évaluation des situations cliniques critiques et la préparation de la thèse. Par ailleurs, les résidents seraient autorisés à suivre un des séminaires de la formation doctorale de leur choix dès lors qu’ils peuvent en fournir la justification (de préférence au début de la troisième année) à leurs directeurs de thèse et au jury de tutelle des stages.

2) Un jury de tutelle des stages constitue un dispositif innovant tant au plan de la formation qu’à celui de la recherche et des pratiques à venir. Ce ou ces jurys se trouvent nommés par le Conseil de Gestion sur proposition du Bureau. Il comprend des praticiens de la psychiatrie, de la médecine, de la psychologie et du monde professionnel de la santé (soignants et autres). Il a vocation de gérer l’ensemble des stages de la spécialité (découpés en grands secteurs du soin, conseille, oriente les étudiants et assure le suivi de leur formation pratique. À terme nous postulons qu’un tel jury pourrait s’appuyer, voire participer à la fondation, d’une véritable unité mobile de praticiens du soin psychique (il faudrait aller vers un statut de PH) mise à la disposition des réseaux de santé et des services hospitaliers (cf. l’unité de psychonéphrologie dirigée par le Pr Dominique Cupa ou l’unité de Psycho-oncologie dirigée le Dr Patrick Ben Soussan). Cette unité de Psychopathologie au sein des réseaux de santé pourrait constituer le prototype des sites et prestations à venir pour ces spécialistes du soin psychique appelés à travailler en partenariat avec les équipes médicales et soignantes. Dans certains cas cette unité de soin psychique pourrait en partenariat avec d’autres services (psychiatrie, pédopsychiatrie, DPN, PMA, dermatologie, oncologie, etc.) offrir des prestations de services sous forme de consultations publiques ou privées. Les résidents de troisième année perçoivent une rémunération minimale correspondant à xxx ou leur traitement habituel lorsque la formation est prise en charge au titre de la formation continue.

NB : Un stage d’au moins 150 heures dans une unité d’urgences psychiatriques dépendante des services des urgences médicales des CHU et des CHG s’avère obligatoire au cours de la formation. Le constat d’une augmentation importante d’urgences psychiatriques dans les services hospitaliers, le décret du 30 mai 1997 mettant l’accent sur la nécessité de la présence d’un psychiatre ou d’un infirmier psychiatrique dans de tels services, le caractère particulièrement formateur de cette expérience nous semble justifier l’obligation d’un tel stage aux urgences de l’hôpital général (CHU ou CHG).

III-Schéma provisoire de la formation

1ère année

- 350 heures de stages diversifiés dans les sites hospitaliers et les réseaux de soins. Ces stages peuvent se trouver modulés et ajustés par la validation des acquis professionnels pour définir les besoins de formation de chaque candidat (cf. jury de tutelle des stages).

- 150 heures d’enseignement théorico-clinique

- dont 60% d’enseignement théorico-clinique obligatoire (90 heures) à définir ultérieurement au fur et à mesure de l’avancée du projet. (psychopathologie générale, psychanalyse, psychopharmacologie, histoire et épistémologie des pratiques de santé, éthique et droit de la santé, théories et critiques des modèles psychosomatiques, psycho-oncologie, le travail psychothérapique en médecine, etc.). Un enseignement complémentaire à l’approche psychopathologique concernera l’étude des grands thèmes transversaux de la médecine (les processus qui perturbent l’individu (malformations, cancer, infections…) de sa conception jusqu’à sa fin de vie

- dont 40% d’enseignements théorico-cliniques optionnels (60 heures) à définir selon les grands secteurs des pratiques et les orientations méthodologiques.

- 60 heures de supervisions des situations cliniques et analyses de cas.

- 30 heures de participation à des Journées scientifiques et professionnelles de l’École – ou des laboratoires de recherche avec lesquelles elle a une convention – qui rassemblent l’ensemble des élèves sur des thèmes pointus concernant les pratiques de santé, les sciences du vivant, les paradigmes de la psychopathologie, les problèmes éthiques et législatifs de la santé, les problèmes économiques etc. ou en fonction d’événements scientifiques ou médiatiques, concernant les pratiques et les sciences de la santé.

Au total :

- 350 heures de stage

- 150 heures d’enseignements fondamentaux

- 60 heures de supervisions cliniques

- 30 heures de Journées scientifiques

2ème Année

- 250 heures de stages orientés par les grands secteurs d’activités des pratiques du soin psychique mais en laissant encore une possibilité de ré-orientation des étudiants.

- 200 heures d’enseignements théorico-cliniques dont :

- 40% d’enseignements communs sous forme de modules indispensables pour l’ensemble des élèves.

- 60% d’enseignements optionnels (120 heures) à définir davantage selon les grands secteurs des pratiques et les orientations méthodologiques.

- 40 heures de supervisions des situations cliniques.

- 30 heures de participation à des journées scientifiques et professionnelles sur le même principe qu’en première année.

- 50 heures de préparation à la thèse, initiation à la recherche.

- Au total

250 heures de stages

200 heures d’enseignements fondamentaux

40 heures de supervisions cliniques

30 heures de journées scientifiques

50 heures de préparation à la thèse

3eme Année

- 600 heures de stage

- 90 heures de supervisions cliniques

- 60 heures de préparation de la thèse

- 30 heures de journées scientifiques

Les stages en responsabilité clinique sont nettement sectorisés en fonction des choix des résidents, des possibilités d’accueil et des décisions du jury de tutelle. Les supervisions cliniques accompagnent le soin psychique mis en œuvre dans la pratique des stages. La préparation de la thèse constitue l’autre volet de la formation de cette 3eme année.

NB : Les volumes horaires sont indicatifs et doivent être révisés en fonction des avancées de ce projet au cours de l’année 2003-2004 par la mise en place d’un Conseil Provisoire de Gestion Scientifique et Pédagogique de l’École appelé à rendre ce projet opérationnel.

Dès à présent, pour des raisons à la fois pédagogiques et économiques, il pourrait être envisagé que 30% des modules d’enseignements fondamentaux de 2e année et 20% en 1e année pourraient être ouverts sur des activités ou des modules universitaires validant d’autres formations (enseignements de psychopathologie de certains DU existants ou à venir, d’éthique médicale, des séminaires associatifs ou de formation continue etc.) dont la liste serait arrêtée chaque année par le Conseil de Gestion sur proposition du Bureau.

NB : Précisions sur les enseignements fondamentaux au cours des trois années :

- 150 h en 1ère année (dont 90 h d’enseignement en commun)

- 200 h en 2E année (dont 80 h d’enseignement en commun)

Il faudrait prévoir une organisation en modules de 30, 40 ou 45 heures ?) dont les intitulés se trouveraient référés à des secteurs, des sites ou des méthodes d’intervention de ces praticiens de la psychopathologie clinique. L’objet unificateur de cette formation demeurant la prise en charge de la souffrance psychique là où elle s’exprime. Une partie des modules communs de première année et une partie des modules optionnels de deuxième année pourraient être consacrés à des enseignements plus spécialisés (histoire, épisémologie, éthique et droit de la santé ; psychanalyse ; psychopathologie des traumatismes et des catastrophes ; psychopharmacologie, etc.). Par exemple, un premier schéma se présenterait ainsi :

1° Année

Modules obligatoires (90h)

- Les principales pathologies médicales (30h)

- Les paradigmes psychopathologiques et psychanalytiques (20h)

- Évolution historique, éthique, épistémologique et juridique des pratiques de santé mentale (20h)

- Les paradigmes neurolinguistiques, cognitifs et psychopharmacologies (20h)

Modules optionnels (60h)

Deux modules de 30h chacun sont à choisir parmi une liste de grands secteurs de pratiques de traitement de la souffrance psychique.

Exemples :

- M1 : Actes psychopathologiques dans les secteurs de la psychiatrie adulte

- M2 : Actes psychopathologiques dans les secteurs de la pédo-psychiatrie

- M3 : Actes psychopathologiques dans les secteurs de la psychiatrie de liaison avec les services somatiques (urgences, psycho-oncologie, soins palliatifs, dermatologie, greffes et chirurgie, etc.)

- M4 : Psychiatrie pénitentiaire et expertises psychiatriques

- M5 : Bilans neurophysiologiques, accompagnement psycho-éducatif des cérébro-lésés

- M6 : Psychiatrie des catastrophes, des traumatismes et de prévention en santé publique

- M7 : Périnatalité et aide psychologique à la parentalité

- M8 : Gérontologie, évaluation de l’autonomie et aide psychologique au maintien à domicile

- M9 : Précarité, exclusion et détresse sociales

2E année :

80 heures d’enseignements communs :

- 40 heures Éthique, droit et responsabilité

- 40 heures Épistémologie des théories des pratiques psychopathologiques

120 heures d’enseignements optionnels

Trois modules de 40 heures chacun sont à choisir parmi une liste de modules définis par les grands secteurs d’intervention probables et pouvant constituer un approfondissement du secteur déjà choisi en première année :

- M1 : Psychiatrie de secteur adultes et urgences

- M2 : Psychiatrie enfants et adolescents

- M3 : Périnatalité et aide psychologique à la parentalité

- M4 : Cancérologie et psycho-oncologie (module à part pour souligner le plan cancer)

- M5 : Prise en charge psychopathologique des patients somatiques (autre que cancéreux)

- M6 : Psychiatrie pénitentiaire et expertises psychiatriques

- M7 : Gérontologie, etc.

- M8 : Psychiatrie des traumatismes et catastrophes…

- M9 : Bilans neuropsychologiques…

- M10 : Enjeux, problèmes et aides aux décisions éthiques dans certains services et prestations cliniques (DPN en génétique ; FIV, fins de vie, etc.)

- M11 : Psychopharmacologie

- M12 : Psychopathologie des actes à composante « maniaque » : addictions (toxicomanie), troubles du comportement alimentaire (boulimie, anorexie), tentatives de suicide

- M13 : Précarité et détresse sociales

En conclusion

La protection du titre du psychologue depuis 1985 a constitué une avancée sociale certaine pour la reconnaissance d’une formation universitaire minimale pour les praticiens de la psychologie. Une telle reconnaissance sociale du titre garantit aux usagers un niveau consistant d’études supérieures du praticien auquel ils s’adressent. Cette loi a renforcé l’identification sociale d’une discipline universitaire ouverte depuis ses origines à de multiples divisions qui l’étirent entre les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales. Le découpage envisagé pour les masters pro en secteurs professionnels (santé, travail, éducation) tout en reconnaissant l’existence de pratiques distinctes dans lesquelles œuvrent les psychologues s’avère davantage idéologique que méthodologique. On peut regretter qu’un tel découpage fasse l’impasse sur les spécificités méthodologiques des pratiques et leur reconnaissance sociale au profit d’un consensus idéologique mou. Mais dans tous les cas, à devoir passer de la protection d’un titre généraliste commun à la reconnaissance sociale de compétences et de qualifications professionnelles spécialisées, il conviendrait de prendre le risque d’aller plus loin. La redistribution du paysage biomédical actuel pourrait en fournir l’occasion dès lors que l’exigence accrue, éthique et juridique, de devoir prendre en compte la souffrance psychique ordinaire (au sens de normale et quotidienne) s’impose sous la pression sociale et culturelle des patients, de leurs familles et de leurs associations. Cette exigence, tout en s’inscrivant toujours davantage dans les lois sur la responsabilité médicale construisant la santé dans une logique consumériste et contractuelle (cf les travaux de Dominique Thouvenin), ne trouve pas de répondants en nombre suffisant à même de la prendre en charge, dans une logique moins conflictuelle. Cette insuffisance du nombre de répondants se déduit en partie du fait de la formation médicale traditionnelle et va se trouver amplifiée par la pénurie de psychiatres. Le patient de ne pas se trouver traité comme sujet dans un colloque médical, pris dans la nécessaire logique technoscientifique de la médecine actuelle réclamera d’autant plus ses droits de citoyen et d’individu social. Ces droits sociaux des patients s’avèrent indispensables et complémentaires à la prise en charge de leur souffrance psychique mais ils ne sauraient la suppléer entièrement. Faute de devoir prendre en compte cet impératif éthique et social de cette souffrance ordinaire, la judiciarisation de l’acte médical aura encore de beaux jours devant elle. Quant à la formation minimaliste des masters pros en psychologie saurait-elle prétendre à la formation des psychothérapeutes ou des praticiens du soin psychique ? Si tel était le cas, il faudrait s’empresser de le faire reconnaître dans l’usage professionnel et dans la loi. Alors peut-être est-il temps d’aller plus loin, d’aller vers la reconnaissance de qualifications et de spécialisations en psychologie, comme l’ont fait parfois certains pays européens. Ce qui suppose alors d’une part que l’acte des psychologues tant généralistes que spécialistes soit revalorisé socialement et économiquement, et d’autre part que par le jeu de validation des acquis professionnels les psychologues qui exercent de facto des missions de spécialistes soient reconnus de jure dans leurs actions. À ces conditions la profession ne serait pas menacée. En effet et par analogie, qui oserait encore aujourd’hui au nom de son titre de médecin pouvoir prétendre dans sa pratique exercer toutes les compétences médicales et les actes qui les définissent ? Quant aux instances universitaires qui s’engageraient dans un tel dispositif d’innovation sociale en matière de santé, encore conviendrait-il de les informer qu’elles auront à faire preuve d’audace face aux conformismes idéologiques qui ne manqueront pas de surgir d’un bord comme de l’autre. Mais la politique de santé, n’est-ce pas d’abord l’affaire de l’usager et de ceux qui la représentent ?


[1] Roland Gori est Professeur de Psychopathologie clinique à l’Université d’Aix-Marseille I, Psychanalyste Président du Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse. Son dernier ouvrage publié chez Denoël avec MJ Del Volgo s’intitule La Santé totalitaire Essai sur la médicalisation de l’existence (Paris, 2005).

[2] Rapport Berland, 2003, Mission "Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences". Site internet : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/berland/sommaire.htm

[3] Le Bulletin de l’Ordre des Médecins, n° 2, Février 2004.

[4] Précisons sur la base du rapport d’Anne Golse (MIRE, 2002) que « par psychologues, nous entendons parler ici des psychologues cliniciens ou spécialisés en psychopathologie et non l’ensemble des psychologues et de la psychologie dont la fameuse « unité » promue en 1949 par D. Lagache ne semble avoir été qu’une utopie. » (p. 29 du rapport Transformation de la psychiatrie et pratiques des psychologues). Cette remarque n’exclue ni la possibilité de constituer d’autres types de formations spécialisées de psychologues adossées à des équipes de recherche pointues mais différentes, ni l’existence d’interfaces permettant le dialogue entre ces psychologies (comme la question de l’éthique et de l’épistémologie, soit principalement des objets méta-théoriques).