Jung et la somnambule S. W., ou l’hystérie introuvable et son thérapeute

L’INSTITUTION SOIGNANTE

Psychologie Clinique 12

janvier 2002

Jung et la somnambule S. W., ou l’hystérie introuvable et son thérapeute

Par Christine Bergé[1]

Résumé : Dans sa thèse de psychiatrie, Jung prend pour objet d’étude sa propre cousine, une jeune médium ici désignée comme S. W. Au cours d'observations menées lors de séances spirites, il cherche à déterminer la nature des états de conscience que manifeste la somnambule. Guettant en particulier les signes de l'hystérie, il tente de diagnostiquer une pathologie dont les formes trop variables troublent son analyse. Puis il aborde le comportement du médium comme l'effet d’une dégénerescence qui conduirait la conscience de S. W. à se diviser en plusieurs personnalités. Or la jeune fille, se produisant ici comme un médium « à incorporation », fait parler des esprits d’outre-tombe que les participants identifient. Parmi ces esprits, celui du grand-père de Jung et de sa cousine en vient à dévoiler des secrets de famille. Fasciné par les capacités divinatoires de S. W., Jung nous la fait alors percevoir comme une étrange thérapeute mettant à jour les choses cachées. Mais le jeune médecin doit cacher à son tour une part de sa propre existence.

Mots clés : Jung ; hystérie ; somnambule ; psychothérapie ; secret.

En 1902, deux ans après le livre de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars : Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Jung publie sa thèse de médecine sous le titre À propos de certains phénomènes dits « occultes » : étude de psychologie et de pathologie[2], dans laquelle il se consacre à l’examen d'un cas de somnambulisme. Henri F.Ellenberger (1991) donne de nouveaux éclairages sur ces expériences réalisées par Jung avec la jeune spirite Hélène Prieswerk, laquelle fut le « sujet » de sa thèse. Dans son texte, le jeune Jung désigne Hélène, qui n’était autre que sa cousine, par les initiales S. W. Cette étude sur les « phénomènes occultes » ouvre le lecteur aux premières orientations de l’auteur (il avait alors vingt-sept ans), et contient en germe les intuitions du futur inventeur des archétypes. Mais on y voit apparaître les flottements épistémologiques qui témoignent de l’état des sciences psychiques naissantes, à une époque où se chevauchaient encore les voies qui par la suite furent divisées. Sous le vocable d’« hystérie introuvable », je désigne des phénomènes en quête de théorie : Jung s’efforce de placer sa réflexion dans celle d’une lignée de savants qui, comme Janet, Flournoy, Myers, et d’autres, s’attachèrent à déchiffrer les comportements des médiums. Ses contradictions relèvent non pas d’un manque de rigueur scientifique, mais d’une impossibilité à trancher. La pensée cherche un modèle, convoque un ensemble instable de références, et ne peut rien décider de l’objet. La médiumnité est-elle norme ou pathologie hystérique, créativité ou dégénérescence héréditaire, tricherie ou travail thérapeutique ? Quel nœud désoriente la pensée de Jung ? Quel genre de thérapeute désire-t-il être ? Nous verrons comment dans le texte de Jung s’imbriquent la construction d’un « cas », et une double quête de filiation : scientifique et généalogique. À cette quête du jeune psychiatre répond de façon surprenante le « roman familial » de la somnambule S. W. Il n’est pas moins surprenant d’apprendre la façon dont Jung reprit avec Sabina Spielrein (A. Carotenuto : 1982) les traces anciennes qui l’avaient conduit à étudier le cas de sa cousine. Cet article apportera, je l’espère, une touche supplémentaire au tableau de famille formé par les « couples » savants-sujets qui jalonnent l’histoire des découvertes du psychisme humain. Il y est toujours question de l’amour et de la relation, comme du savoir et de la méconnaissance. H. Ellenberger note dans son texte de 1991 : « Une fois encore ce récit est révélateur du rôle joué par certains patients dans l’histoire de la psychiatrie dynamique ». Ici, une « malade » se fait thérapeute à son insu, brise les résistances, dévoile les non-dits. Le texte de Jung illutre la façon dont un chercheur travaille toujours quelque nœud souterrain qui à la fois l’habite et le guide, aiguise son intelligence ou provoque des contre-courants, une question rivée à ses propres mondes affectifs, émotionnels. C'est ce couteau qui blesse la pensée de Jung, la rend erratique parfois, mais qui finira par ouvrir la voie d’une thérapie des profondeurs, dont l’inspiratrice ne fut autre que la somnambule S. W.

Ouverture d’un chantier : E. K. et les « états de conscience rares »

Jung commence sa thèse par le constat d’un désordre scientifique, il s’étonne de ces restes, ces inclassables qu’il veut étudier : « Dans la littérature qui traite de l’insuffisance psycho-pathique – vaste domaine où la science a pu distinguer et fixer les tableaux cliniques de l’épilepsie, de l’hystérie et de la neurasthénie – on rencontre, dispersées ça et là, de nombreuses observations isolées touchant des états de conscience rares, sur l’interprétation desquels les auteurs n’ont pu jusqu’ici se mettre d'accord. Nous voulons parler de ces observations […] qui ont trait à la narcolepsie, la léthargie, l’automatisme ambulatoire, l’amnésie périodique, la double conscience, le somnambulisme, les rêveries et les mensonges pathologiques, etc… » (Jung, 1939 :1). Ces états de conscience rares sont des éléments flottants qui empiètent sur les domaines voisins, et ne peuvent être délimités nettement de l’état normal, voire même, du génie. Jung les décrit tantôt comme des manifestations concomittantes de l’hystérie et de l’épilepsie, tantôt comme des entités pathologiques indépendantes (1939 : 2-3). Pour les aborder, il se rapporte à quelques cas puisés dans les travaux psychiatriques, et cite alors Bleuler, Richet, Charcot, Azam, W. James, Mesnet et Binet : il s’agit, dit-il, de « malades » présentant des états délirants, d’hystérie légère, d’amnésie, ou d'automa-tisme ambulatoire. Par ce parcours introductif, Jung cherche à fournir un cadre pour ses observations de Mademoiselle E. K. Qui était cette patiente ? Une femme de quarante ans, qui souffrait de troubles nerveux à la suite de malheurs de famille. La mort de son fiancé, le divorce de son frère, malade des nerfs, dont elle dut aussi soigner l’enfant atteint d'une grave maladie, tout cela s’ajoutait à la charge de son travail comme comptable dans un grand établissement. L’épuisement nerveux de E. K. débouche sur une scène morbide dans un cimetière, où elle gratte la terre autour des tombes comme pour les ouvrir. Des proches la conduisent alors à l’asile, ou elle est soignée par le psychiatre Eugen Bleuler[3] pendant deux mois. La malade voit des squelettes dans sa chambre, et entend la voix d’enfants morts qui l’appellent. Heureusement, quelques séances d’hypnose et du repos eurent raison de l’épuisement nerveux. Ainsi disparurent, conclut Jung, les « phénomènes hystériformes » (1939 : 14).

Dès les premières pages du texte, Jung désigne E. K. comme « la » malade, mais se l’approprie, et la nomme « notre » malade. Il replace le cas de cette patiente parmi d’autres cas de surmenage cités dans la littérature psychiatrique. L’appropriation de la patiente de Bleuler confine au mimétisme : Jung se rapproche du maître, comme pour avoir le même « sujet » que lui. N’est-ce pas aussi pour être protégé par l’aura du professeur ? Jung veut faire de E. K. un intermédiaire entre la série de la littérature, et le cas S. W. qu’il aborde par la suite. Cette quête d’une filiation savante appartient à ces conduites d’école, dont J. Carroy a analysé la technique : « Le sujet n’est jamais un quidam, un homme quelconque tiré au hasard des réserves, mais c 'est toujours plus ou moins un humain inventé, et un, humain qui s’invente par une création à deux » (Carroy, 1991 : 16). À deux, mais aussi à plusieurs, comme Sabina Spielrein entre Freud et Jung, et Hélène Smith entre Flournoy et Lemaître. Remarquons que pour créer ce montage collectif, une certaine durée est nécessaire : or, Mademoiselle E. K. n'est restée que deux mois à l'hôpital. Son histoire n’a pu subir la cristallisation qui aurait permis de la transformer en un « cas ». En effet, pour aborder les états de conscience rares, Jung choisira une « patiente » qui lui offre, en quelque sorte, une tranche de vie plus longue.

Dans ce domaine, le « cas » n’a de sens que dans une « série » de phénomènes semblables. Jung cherche celle-ci dans les textes. Ce qu’il observe de la patiente E. K. lui rappelle les états pathologiques décrits par Krafft-Ebing comme des « états prolongés de délire hystérique », provoqués par un épuisement temporaire, de fortes émotions, et qui s’accompagnent de visions funèbres (1939 : 7). Puis, à la suite de la lecture de Mesnet, il apparait à Jung que le cas de E. K. se rattache « à ces états de rêve somnambulique qui, dans ces derniers temps, ont fait l’objet d’études approfondies, notamment en France et en Angleterre » (1939 : 11). Enfin, ces manifestations doivent leur éclosion à un « accident » de type « épileptoïde » (Jung cite la description de C. Westphal) ou « neurasthéno-épileptoïde » (il cite celle de Möhrchen). Mais, note-t-il en passant, le somnambulisme « n’est pas nécessairement hystérique » (1939 : 13). Perplexe, il stigmatise ces restes hystéroïdes qui « présentent à la fois des symptômes de plusieurs maladies déterminées, sans qu’on puisse néanmoins les attribuer avec certitude à aucune d’entre elles » (1939 : 14).

L'hystérie en question

Au début de son récit, Jung souligne que la jeune fille ne présente « point de réflexe des tendons, point d’anesthésies ni d’analgésies ; point de paralysies », ce qui l’encourage à penser que la patiente n’est pas une vraie hystérique. Plus loin, quand il expose le cas de S. W., sa cousine, il note que n’étant pas son médecin, il n’a pu « procéder à un examen corporel de celle-ci, à la recherche des stigmates hystériques » (1939 : 15). On trouve chez Jung la même attitude envers les stigmates que chez Flournoy : de petites mentions, comme une sorte d’allégeance au célèbre psychiatre Charcot, mais sans plus[4]. Jung cite d’ailleurs abondamment l’ouvrage dans lequel Flournoy (1900) confessait avoir fait quelques expériences pour explorer chez la médium Hélène Smith, en état de transe, ces légers troubles de la sensibilité (1983 : 30-31).

Jung rencontre E. K. dans un milieu hospitalier. Mais pas sa cousine, qu’il aborde lors des séances spirites privées où elle joue le rôle d’une médium. Il assiste à ces séances entre 1899 et 1900[5]. L’essentiel de la thèse, désormais consacré à S. W., s’ouvre par un titre assez outrageant : "Cas de somnambulisme chez une dégénérée héréditaire (médium spirite)" (1939 : 15). Le jeune étudiant se présente comme un observateur qui fait le compte-rendu des séances et cherche à interpréter ces « sommeils »[6]. En futur médecin, il guette les manifestations qui lui permettraient de déchiffrer le type de pathologie. Freud avait publié avec Breuer en 1895 ses Études sur l’hystérie : Jung cite cet ouvrage dans sa bibliographie, et semble en accord avec le modèle freudien d’une cause psychique de l’hystérie. Il mentionne quelque trouble fonctionnel chez S. W. : « Un jour, au sortir d’une de ses extases, elle fut atteinte de cécité hystérique » (1939 : 21). Mais il observe, sans pouvoir classer, ce qui se produit au cours des séances, et qu’il nomme les « accès » de la somnambule : des phases cataleptiques, des altérations du regard, du teint, et de la voix ; des « attitudes passionnelles » (1939 : 18). Cette dernière mention, entre guillements dans le texte, donne à penser que Jung connaissait les poses caractéristiques des femmes hypnotisées à La Salpétrière, et dont Paul Régnard (1887) avait photographié les scènes de prière et d’extase. Aussi reconnaît-il à la jeune somnambule un remarquable talent d'actrice.

Mais la variabilité des phénomènes, d’un « accès » à l’autre, désoriente Jung. Il signale que les propos et les visions ne sont « précédés d’aucune suggestion » (1939 : 27). Nous ne disposons pas du détail des comptes-rendus, et nous ignorons la manière dont les questions, posées par les assistants au cours des séances, pouvaient offrir une forme de suggestion guidant les visions de S. W. Comment débutaient les « accès » ? Jung note que « l’état d’hémi-somnambulisme survenait spontanément, et cela presque toujours pendant les séances de tables tournantes » (1939 : 24). Mais il souligne que par la suite, S. W. en vint à les prédire puis à les provoquer. Au lieu de subir des accès hystériques, c’est en maître des visions que S. W. initie les phénomènes. Jung décrit alors ce théâtre vivant, dont il analyse les personnages invisibles par leur ordre d’entrée. Au cours de l'hiver 1899-1900, l’un de ces personnages devint de plus en plus bavard. On chercha à le faire taire, en vain. Les séances furent alors momentanément suspendues.

Dans les pages suivantes, Jung change de vocabulaire : il ne parle plus d’hystérie, ni d’accès, mais de « transe » et d’« extase » somnambuliques. C'est ici qu’il faut prendre en compte un événement que Jung a tenu dans l’ombre, mais qui éclaire sa démarche à plus d’un égard. Il note que S. W. « lut pour la première fois l’ouvrage de Justinus Kerner, La voyante de Prévorst ». Or, H. Ellenberger nous apprend que c’est Jung lui-même qui avait prêté le livre à sa cousine (1991 : 379). À quel moment ? Nous l’ignorons. Mais les séances en furent transformées : la somnambule possédait désormais un modèle à suivre, suggéré par l'entremise du livre. En effet, l’esprit-guide de S. W., qui par la bouche de la médium donnait depuis les premières séances l’essentiel des révélations, était son grand-père, le révérent Samuel Preiswerk. Un nouveau personnage entra alors en scène et prit le « contrôle » de S. W. : il s’agit d’Ivénès, esprit très versé, comme nous le verrons, dans l’art de construire des parentés imaginaires. Jung profite de la nouvelle structuration des phénomènes, et change d’objectif. Prenant modèle sur Flournoy, il interprète les personnages issus de la transe médiumnique comme autant de sous-personnalités du moi de S. W. en cours d’élaboration[7]. Il les aborde comme le fruit d’une « activité imaginative extrêmement riche et complexe » (1993 : 43). Lors, on croit lire un texte du psychiatre genevois. Jung note que l’« hémi-somnambulisme » finit par devenir 1’« état » essentiel du médium au cours des séances (1939 : 24). Or, dans la façon dont le nouveau modèle se met en place, Jung dénie y avoir été pour quelque chose, par cette phrase surprenante : « Le regard visionnaire de Mademoiselle X. […] si particulier dans l’état hémi-somnambulique, donna lieu de la part de quelques participants, à une comparaison avec la voyante de Prévorst. Il y avait là une suggestion qui ne demeura pas sans effet » (1939 : 38). Cette Mademoiselle X., c’est bien toujours la cousine de Jung. Mais ce dernier se garde d’avouer qu’il est l’auteur de la suggestion[8]. Le contenu des visions prend alors son essor, sous l’égide d’Ivénès.

Il est clair, cependant, que la fixation du modèle contribua à l’appauvrissement des séances. Le « sujet » de l’observation, contraint à se couler dans un moule, devint une copie progressivement inintéressante. La transe spirite avait-t-elle eu raison de l’hystérie latente ? Les séances fonctionnaient-elles comme un outil thérapeutique, une voie d’expression permise ? En tous cas, les extases de S. W. perdirent leur intensité après qu’Ivénès eut révélé son système de forces cosmiques. Jung cessa d’assister aux séances, S. W finit par rejoindre la vie ordinaire, et cessa de prendre part aux expériences de spiritisme. Était-elle guérie ? Il semble que, dès l’arrêt des séances, disparut aussi l’hystérie. Il nous faut alors reprendre cette première partie du texte de Jung, pour étudier le contexte dans lequel Jung aborde la généalogie de S. W. sur le modèle d’Augustin Morel.

Une « dégénérée héréditaire » : l'arbre malade et le spiritisme

L’examen du cas de S. W. commence par son arbre généalogique. Rappelons que Jung, étant le cousin de la somnambule, partageait avec elle une bonne part de cet arbre (Zumstein-Preiswerk, 1975 ; Jung, 1966 ; Ellenberger, 1964). En effet, Jung et sa cousine Hélène Preiswerk ont en commun un grand-père maternel, Samuel Preiswerk, lequel était pasteur et théologien. Or, ce pasteur croyait aux esprits. On lui attribue non seulement des visions, mais des conversations régulières avec l’esprit de sa première femme, tôt disparue. Sa deuxième femme lui donna de nombreux enfants, dont Emilie, la mère de Jung. La branche maternelle de la famille de Jung est ainsi liée avec celle de sa cousine : le père d’Hélène, Rudolf Preiswerk, était le frère de la mère de Jung (Émilie).

La pratique du spiritisme a réuni plusieurs membre de cette branche maternelle : participaient aux séances Jung, sa mère (Émilie) et trois de ses cousines (filles de Rudolf) dont Hélène et Louise (Ellenberger, 1991 : 378-79). Le récent éclairage donné par H. Ellenberger permet de combler les lacunes biographiques de Jung. En effet, certaines choses que ce dernier a volontairement occultées se montrent bien plus importantes que ce qu’il confesse lui-même au début de l’exposé : « Par discrétion envers Mademoiselle S. W. et sa famille, j’ai été amené à changer certaines dates sans importance et à supprimer dans 1’analyse de ses fictions, différents détails roulant en partie sur des faits d’ordre très intime » (1939 :15). Jung ne se gêne pas pour brosser à larges traits le tableau critique qui stigmatise une famille de malades ou « toqués » (sic), visionnaires et « étranges », « psychotiques » ou hystériques, sujets aux accès de léthargie ou de somnambulisme (1939 : 15-16). Ces fragments de l’arbre généalogique de sa cousine sont les branches « malades ». Pourtant, ces êtres toqués sont respectivement son propre grand-père maternel (le révérent Samuel Preswerk, père de Rudolf et d’Émilie), sa grand-mère maternelle (mère de Rudolf et d’Émilie, la deuxième femme de Samuel Presweirk), son oncle maternel (Rudof) et d’autres oncles maternels, puis la femme de Rudolf (mère de Hélène), sa propre cousine (certainement Louise, la sœur d’Hélène, avec laquelle Jung avait fait ses séances de spiritisme). L’arbre malade est donc la partie maternelle de l’arbre généalogique de Jung, mais dont Émilie (qui participait aux séances de spiritisme) est étrangement absente. Tous les gens qui appartiennent à l’arbre malade sont donc ceux qui croyaient aux esprits. Ellenberger nous apprend (1964 : 107) l’origine maternelle des pratiques spirites de Jung. Tout commence avec une histoire de lourde table en noyer ancien, qui chez sa mère, s’était fendue sur plus de la moitié de son diamètre. Sur quelle impulsion ? À cette époque, la cousine Hélène se livrait à des expériences de spiritisme : dans son autobiographie (1966) Jung dit s’être joint alors au petit groupe qui se rassemblait autour d’elle, et avoir tenu le compte-rendu des séances. Au contraire, S. Zumstein-Preiswerk (1975) dit que Jung fut l’initiateur des séances dès 1895, au château de Klein-Huningen dont le père de Jung était le pasteur (Ellenberger, 1991 : 379).

En se séparant de la part maternelle de l’arbre, Jung s’écarte donc à la fois de la croyance aux esprits, et d’un héritage qu’il juge maladif. Pourquoi veut-il s’en écarter, et comment le fait-il ? Le diagnostic d’Hélène comme « dégénérée héréditaire » stigmatise la part maternelle de l’arbre. Or, à ce moment de son existence, Jung se destine à une carrière de médecine : il est en cela fidèle au côté paternel de son arbre. En effet, son grand-père paternel (dont il porte le même nom : Carl Gustav Jung) était « fils d’un médecin allemand » et médecin lui-même (Ellenberger, 1964). Il devint le recteur de l'Université de Bâle. Le père de Jung junior (Paul), avec lequel Jung ne s’entendait pas, était un pasteur ordinaire. En revanche, Jung vénérait la haute figure de son grand-père paternel, mort en 1864, et qu’il ne connut pas de son vivant. Une légende attribue la naissance de Jung senior à une liaison illicite de sa mère avec Gœthe, auquel la thèse de Jung fait d’ailleurs de nombreuses mentions (Ellenberger, 1964). Il semble donc que Jung, désignant l’arbre maternel comme malade, cherche non seulement à occulter son propre attrait pour le spiritisme, mais à se donner une filiation médicale paternelle, ou plutôt il veut s’affirmer comme petit-fils de soignant, et non pas fils de la maladie. Mais pour se démarquer de l’arbre malade, Jung utilise (sans le citer) l’ouvrage que Morel a publié en 1857 (le Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales) ainsi que d’autres théories de son époque : en 1895, date à laquelle il commence ses pratiques de spiritisme tout en menant ses études de médecine, la psychiatrie européenne stigmatise les basses origines sociales comme des lieux de vice et de contagiosité morale. Avec Charcot (1888-9), les criminologues italiens (Florian & Cavaglieri, 1895) et Tissier (1887), sont associées la tendance au vagabondage, la contagiosité de la syphilis, de la tuberculose, mais aussi celle des tendances hystériques et neurasthéniques. Au début de son texte, Jung mentionne ces errants ou fugueurs, atteints d’intenses céphalées, frappés d’amnésie, « cas » qu’il rapporte de ses lectures psychiatriques, et qu’il compare avec S. W. : livrée à elle-même, flânant et rôdant avec ses camarades, elle a des « absences », des hallucinations. Elle joint à une intelligence médiocre un tempéramment émotif-nerveux, et des prédispositions physiques : rachitisme et teint pâle. Son hérédité sociale va de pair avec ces tares : Jung lui attribue une origine ouvrière et commerçante[9], une mère brutale et inculte. Partage-t-il la peur de son époque envers la masse des prolétaires ? On se souvient de cette phrase de Charcot : « Où l’hystérie va-t-elle se nicher ? (...) dans la classe ouvrière, chez les artisans manuels, sous les haillons, les déclassés, les mendiants, les vagabonds » (1888-9 : 393). Jung épouse cette rhétorique. Dans ce tableau de psychiatrie, l’épithète de « dégénérée héréditaire » attribuée à S. W. en ferait presque un idéal-type qui combine la maladie à une origine sociale douteuse.

Pourtant, reprenons. Les épisodes somnambuliques de la cousine ont pour cadre les séances spirites familiales, ils ne se développent pas au cours d’une crise. Jung note que S. W. avait déjà eu ses premières visions au moment où elle commençait à s’endormir (1939 : 21). Que cherche-t-il alors, en écartant la « dégénérée » ? Son autobiographie (1966) nous apprend que dans son enfance il fut renversé par un camarade, et perdit connaissance en tombant sur le trottoir. Les pertes de connaissance ont dû se multiplier à tel point que le père de Jung convoqua les médecins. Ceux-ci établirent l’inquiétant diagnostic d’épilepsie. Ce n’est, écrit-il, qu’en luttant contre les « accès » dès qu’ils commençaient, que (enfant) il put avoir raison de la maladie. L’épilepsie, mal des dénégérés, figure dans le tableau de S. W., et appartient aux maux hystériformes dressés par les médecins de son époque. Comment ne pas être pris dans le propre piège de ses taxinomies ? Une part de Jung n’était-elle pas malade ? L’enfant qu’il fut, sujet aux rêveries, aux « absences », n’est pas étranger aux évolutions ultérieures. Mais Jung en usera alors comme de potentiels créateurs, d’une façon méthodique. S’il souligne sans cesse dans son texte le partage de ces états frontières de la conscience entre les fous et les gens de génie, c’est que cette question devait le préoccuper, comme elle se posait aussi à Morel, qui dans son Traité de 1856 associe le génie au déséquilibre.

La thèse de médecine de Jung nous livre donc les éléments d’une quête d’identification aux prises avec l’idée de la maladie. Dans cette recherche d’une filiation, il faut nettoyer toute origine douteuse. L’aspect laborieux, sinueux, de l’appareil théorique cache mal la fonction profonde de ce travail, qui nous semble être une plongée auto-thérapeutique. Pour devenir médecin, il fallait guérir d’un arbre malade. Le nœud de cette guérison fut le sacrifice de la cousine, qui en réalité, comme nous allons le voir, fit office de symptôme familial, puis se révéla thérapeute des secrets pathogènes de l’arbre en question.

Le théâtre de I'au-delà, ou les secrets de famille

Hélène Preiswerk voyage en « séance » vers le pays des esprits selon une tradition qui, on l’a dit, remonte à la fin du XVIII¡ siècle. Comme le note Jung, être médium représentait pour S. W. sa vocation. Par ce rôle, elle recueillait toute la considération de son entourage. Mais Jung se révèle assez troublé : une fois en transe, la somnambule parvenait à imiter divers parents ou amis défunts, jusqu’à leurs moindres particularités, ce qui impressionnait fortement les participants. Ces défunts, comme il le souligne, s’avéraient bien reconnaissables dans le « jeu » de S. W.[10] Il faut alors rappeler ici le contenu des toutes premières séances, celles de 1895, justement occultées par Jung (Zumstein-Preiswerk, 1975 ; Ellenberger, 1991). Lors de la première séance, l’esprit du révérent Samuel Preiswerk se manifesta. Il demanda aux participants de prier pour l’esprit de Bertha, sœur d’Hélène, qui avait émigré au Brésil et avait épousé un mulâtre dont elle avait eu un enfant « négroïde ». Il souhaitait que tous lui accordent leur pardon. En août 1895, une nouvelle séance fit intervenir l’esprit de Célestine, autre sœur d’Hélène, qui avait accouché d’un enfant anormal, mort à la naissance. Plus tard on découvrit que la jeune sœur décédée était atteinte de syphilis. Samuel, le grand-père, venait plaider pour ces âmes souffrantes et maudites, comme il est d’usage dans les séances spirites où la question du pardon et de la reconnaissance reste fondamentale. Le rôle de médium joué par S. W. reste conforme à celui que j’ai rencontré dans mes enquêtes auprès des groupes de médiums contemporains : une parole tue ou interdite, prononcée comme émanant d’un auteur d’outre-tombe, reçoit une forme d’autorité par laquelle elle permet de lever des tabous familiaux. Il s’agit alors de guérir l’arbre familial malade d’un secret ou d’une parole oubliée. Jung a d’ailleurs, instruit par le talent de sa cousine, placé par la suite la question du secret et de sa confession au centre de son travail psychothérapeutique[11]. Ellenberger rapelle que la confession du secret, sorte de méthode cathartique originellement pratiquée sous le nom de « cure d’âme » par les pasteurs protestants, a été systématisée vers 1889 par Moriz Benedikt[12]. Hélène se trouvait donc elle-même au carrefour de plusieurs modèles thérapeutiques, et nous voyons émerger un intéressant conflit entre les trois modèles possibles : celui du pasteur, du médium, et du psychiatre.

Après les premières séances de 1895, les expériences de spiritisme furent interdites pendant deux ans, par le pasteur Samuel Gottlob Preiswerk, fils que Samuel Preiswerk avait eu avec sa première femme. Les séances reprirent en 1899, date que Jung donne alors officiellement dans son texte. À ce moment-là, deux personnages ont disparu : le père de Jung est mort (en 1896), ainsi que le père d’Hélène. Jung rapporte alors qu’au cours de ces premières séances de 1899, S. W. « avait vu son grand-père en compagnie du mien, tous deux bras-dessus bras-dessous, et qu’ensuite ils étaient passés tout à coup devant elle en voiture découverte, assis côte à côte » (1939 : 27). Si l’on considère la rivalité entre les deux grandes familles bâloises, les Jung et les Preiswerk, on ne peut manquer de voir la connivence des deux grands-pères comme une réconciliation accomplie post-mortem. La somnambule se faisait ainsi le porte-parole du grand pardon, offert au cours des séances. Mais encore, à sa façon, S. W. dessine des motifs de fidélité et des systèmes d’alliance. Nous prendrons pour exemple le thème juif, introduit dans les séances dès 1899, par l’intermédiaire d’Ivénès, un esprit qui semble avoir toute connivence avec celui du grand-père Samuel. Jung la désigne, à la façon de Flournoy, comme le « moi somnambulique du médium » (1939 : 35). S. W. décrit Ivénès : c’est une femme au type juif très prononcé. Pour Jung, ce personnage au caractère sérieux et savant n’est autre que la personnalité adulte de S. W. en train de s’élaborer dans les limbes de l’inconscient. Cette remarque appartient déjà aux réflexions qu’il développera plus tard, dans sa théorie de l’individuation. Or Ivénès fait aussi pendant à une part de l’histoire familiale, elle-même incluse dans l’histoire du judaïsme. Le grand-père maternel de Jung et d’Hélène, Samuel Preiswerk, était un théologien, hébraïste réputé, et précurseur du sionisme. L’affaire Dreyfus avait débuté en 1894, et le premier congrès sioniste s’était tenu à Bâle en 1897, deux ans après les premières séances spirites familiales. Ivénès n’est donc pas un personnage né du hasard, elle cristallise au contraire une fidélité au grand-père qui, lors des séances, disait d’ailleurs aimer sa petite-fille plus que tout[13]. Ainsi, Hélène et Jung nous apparaissent comme des représentants rivaux de deux lignées, dans un contexte qui à lui seul mériterait un travail approfondi.

Consolatrice des esprits affligés, Ivénès est en outre « chargée d’instruire et de convertir les esprits "noirs" bannis en certains lieux » (I939 : 35). D’une certaine façon, elle prend en charge le destin de l’enfant « négroïde » de Bertha. Ivénès, dans le système de parentés antérieures dont elle apparait comme la mère universelle, sert manifestement de support au douloureux rappel de souvenirs familiaux. Elle fut en effet, entre autres incarnations dans une vie antérieure, la maîtresse de Gœthe. À travers ce que Jung nomme « l’Himalaya de parentés », Ivénès introduit des histoires où figurent pêle-mêle des naissances d’enfants illégitimes accouchés en secret, et des décès dus à la tuberculose (1939 : 40). Cette maladie, qui emportera aussi Hélène, faisait déjà trace dans la mémoire familiale. Virginie, la première femme du grand-père paternel de Jung (Carl) lui avait donné quatre enfants, dont trois étaient morts de la tuberculose. On peut rappeler ici la coïncidence entre le premier cas qu’il étudie, celui de E. K., laquelle cherchait à délivrer de leur tombeau les enfants morts, et la deuxième femme du grand-père de Jung, Elisabeth Catharina Reventhaler, qui avait effectivement perdu trois enfants de la tuberculose…

Au cours des séances, note Jung, « on s’enquérait particulièrement des "esprits tutélaires". Les personnes qui répondaient à ces appels se présentaient tantôt sous les noms de défunts connus, tantôt sous des noms inconnus » (1939 : 31). Hormis le nom du grand-père Samuel, Jung ne donne pas les noms des autres défunts connus. Mais il note que la médium, lors des séances, « allait rendre visite aux descendants des membres de sa famille ». Jung rapporte alors que parfois, elle laissa échapper « de fâcheuses indiscrétions » (1939 : 19), lesquelles étaient suivis par des accès de chagrin, et de tentatives pour éloigner ces esprits troublants. Relever ces indiscrétions, et faire le lien avec l’histoire de la famille de Jung n’aurait pas d’intérêt, s’il s’agissait seulement ici de plonger dans des petits secrets qui nous semblent un peu dérisoires. Mais il faut les rattacher d’une part à l’intensité dramatique dont ils pouvaient être chargés, à une époque où tout ce qui touchait à la sexualité et aux liens illégitimes pouvait porter la honte sur une famille ; et d’autre part à l’hypothèse féconde, du point de vue thérapeutique, que Jung en retira. Cette hypothèse, donnée in extremis à la fin de son texte, nous apparaitra alors sous un autre jour.

Dans le texte de Jung, les éléments occultés sont en effet liés à son hypothèse fondamentale concernant la « transmission » de la pensée. La cousine est en réalité douée, comme le dit Jung, d’« hyper-fonctions inconscientes » : cela provoque sa peur et son admiration. Au cours des séances, S. W. levait des paroles interdites, sous la protection de l’esprit de son grand-père. Or, certains évŽnements révélés durent bouleverser les assistants par leur exactitude. Ce furent des confessions violentes, une expulsion brutale de secrets pathogènes. Comment pouvait-elle avoir su ? Cette question rémanente perce le texte à maintes reprises. Jung finit par formuler l’hypothèse d’une forme « d’activité intellectuelle considérable de l’inconscient » (1939 : 87), au cours de laquelle penser et sentir ne feraient qu’un. Pour lui, ce savoir proviendrait d’une forme de lecture dans l’inconscient des participants. Ou bien s’agirait-il de la « cryptomnésie » qu’avait déjà développé Flournoy dans son approche de la somnambule Hélène Smith[14] ? En abordant sa conclusion, Jung désigne ce phénomène comme « une performance intellectuelle transcendante » (1939 : 88), une sensibilité particulière dont feraient preuve les somnambules, lorsqu’ils sont plongés dans l’état semi-hypnotique propre aux séances spirites.

Trois modèles pour une somnambule

Le lecteur du « cas » S. W. rencontre trois paysages interprétatifs dont les chevauchements incessants donnent une allure confuse au texte de 1902. Le premier est celui de l’hystérie, sur laquelle Jung revient dans la seconde partie de son travail. Le deuxième est celui de la « cryptomnésie » : la somnambule, lors de son état de sommeil, aurait accès à ses souvenirs anciens qui lui reviendraient sous une forme en apparence étrangère à elle-même. Le troisième est celui de « l’hyper-fonction », qui ferait de S. W. une créature douée à la fois de la capacité de saisir inconsciemment chez autrui des pensées ou souvenirs latents, et d’une activité qui consisterait à traduire cette saisie sous une forme verbale et imagée. C’est cette fonction qui, pour nous, fait apparaître S. W. comme une thérapeute des secrets.

Dans la deuxième partie du texte, en effet, Jung reprend brutalement le diagnostic d’hystérie (1939 : 47), pour l’accoler à l’ensemble des phénomènes. Il tente de se prononcer sur la « léthargie hystérique » dans laquelle s’enfonce la médium au cours des séances (1939 : 74). Cette disposition léthargique serait le fruit « d’une transmission héréditaire ». Il cherche à expliquer les « hallucinations » de sa cousine par l’hystéro-hypnose, « une hypnose qui se complique d’un accès hystérique » (1939 : 76). Ce qu’il veut décrire comme des « automatismes » d’origine hystérique, est en réalité le produit de techniques spirites déjà bien rôdées depuis les années 1850. Jung s’aperçoit qu’il ne parvient pas à inscrire la complexité des comportements médiumniques dans une seule pathologie. Déjà Flournoy, avec Hélène Smith, s’était démarqué de ce type d’approche. Il avait pris soin de noter : « Il est loin d’être démontré que la médiumnité soit un phénomène pathologique » (1983 : 59). Le genevois soulignait, en outre, que les anglais et les américains ne faisaient pas de la médiumnité un cas particulier de l’hystérie, mais qu’au contraire ils y voyaient « une faculté supérieure, avantageuse, saine, dont l’hystérie serait une forme de dégénérescence, une contrefaçon pathologique, une caricature morbide » (ibid.). Au cours du texte, Jung sent qu’il échoue : le nœud de l’hystérie reste introuvable, et cette « malade » s’avère être un troublant devin du passé. Il reprend alors l’objet de sa préoccupation intime, liée à la levée des secrets. Car ce qu’il occulte le hante comme un fantôme : son propre double (le Jung spirite), et le lien secret avec sa cousine. Même si, pour les besoins de sa thèse, il cherche à se dégager des aspects subjectifs de l’enquête, la deuxième partie de son texte garde la marque de son échec. Jung trahit son implication dans le « drame » spirite par son impuissance théorique, d’une part : il tente de faire correspondre son analyse avec celle de Flournoy, mais il est aux prises avec un objet retors, auquel il plaque des éléments de description empruntés à la littérature psychiatrique. D’autre part, même s’il affirme vouloir travailler selon la méthode des sciences naturelles, il reste curieusement attentif aux effets pervers d’une « production » des phénomènes dans les milieux d’observation, puisqu’il note à propos de la Félida d’Azam et de la Léonie de Janet : « ce sont plutôt là des produits artificiels de la thérapeutique » (1939 : 66). Mais il s’exclue de cette remarque, puisqu’il occulte les effets de sa propre présence sur la conduite des phénomènes. Si Flournoy, auquel il se réfère souvent, a reconnu qu’il n’était pas étranger au déroulement des séances, Jung dénie être le support susceptible d’orienter le comportement de sa cousine, sauf dans une rapide note, un peu énigmatique : « Il est probable que tout ce qui pouvait subsister en elle de souvenirs concernant ma personne et ma famille s’était groupé autour de cet élément affectif d’attente anxieuse » (1939 : 59).

Dans le dernier chapitre de la thèse, Jung s’oriente alors résolument vers les « hyper-fonctions inconscientes », en évoquant l’hypothèse d’une « réceptivité primaire de l’inconscient bien supérieure à la réceptivité de la conscience » (1939 : 82), qui permettrait à S. W. de percevoir les petites vibrations émises par les participants lorsqu’ils posent leurs mains sur la table. L’idée, qu’il reprend à Binet, est la suivante : les médiums sont des amplificateurs, qui traduisent ces infimes mouvements en des figures lisibles sous la forme de « messages » tapés par la table. Ce don de l’esprit humain, Jung suppose qu’il doit être latent même chez les gens normaux, mais que les somnambules en sont les virtuoses, jusqu’à être « capables de deviner par les vibrations, de longues chaînes de pensée » (1939 : 87). Cette divination inconsciente est, pour Jung, une forme rudimentaire d’un autre phénomène bien plus rare et incomparable qu’on observe, dit-il, chez certains somnambules, et qu’il nomme « connaissance intuitive de la pensée d’autrui » (ibid.). Cette forme de connaissance s’expliquerait par la finesse des perceptions inconscientes, par une grande suggestibilité, mais aussi par « cette faculté totale d’abandon particulière aux hystériques » (ibid.) par laquelle ceux-ci s’identifient à la personne du médecin ou de l’observateur. « Abandon » : c’est ici que Jung aborde, brièvement, le problème que Flournoy (comme d’autres observateurs) avait déjà soulevé (1983 : 326). Flournoy cherchait à comprendre la manière dont certaines personnes soutirent, par l’intermédiaire du guéridon, les secrets subliminaux des personnes qui viennent les consulter (1983 : 333). S’il eut un lien priviégié avec sa cousine, Jung en garde le secret. Nous savons aujourd’hui que sa cousine était amoureuse de lui. Jung se borne à noter que le lien d’identification entre Kerner et sa voyante a dû être de même nature, et il regrette que Richet n’en ait pas davantage tenu compte dans ses expériences de transmission de la pensée…

Le texte de 1902 s’achève sur la mention admirative de cette hyper-fonction somnambulique, « d’une inconcevable finesse de sensibilité » (1939 : 87). Ce dernier modèle d’interprétation, qui s’aventure plus loin que celui de la cryptomnésie, ouvre à la question bien actuelle à cette époque, du « paranormal ». Jung cite à cet égard les conclusions de Max Dessoir, et affirme partager le scepticisme du monde savant (1939 : 81). Flournoy, lui, ne voulait pas fermer ce dossier, qu’il comparait avec celui du magnétisme animal à la fin du XVIII° siècle. Cependant, plutôt que d’imaginer une origine para-normale des phénomènes qu’il observait, il étudia la relation entre sujets et observateurs. Il considérait aussi les médiums comme des sortes d’appareils amplificateurs qui entrent en contact avec la mémoire subliminale des participants, leur faculté de télépathie s’originant dans une forte empathie. S’appuyant sur « un ensemble de raisons » et sur « des données d'expériences », Flournoy affirma ne pas douter de ce « réseau de vibrations intercérébrales dans lequel nous sommes plongés » (1983 : 318). Face aux considérations finales de Jung sur la communication inter-individuelle, le lecteur restera sur sa faim. Les fragments d’hystérie, disséminés à travers toute l’étude, ne forment aucun tableau cohérent. Jung le reconnaît lui-même. Au contraire de Flournoy, cherchait-il dans ce vocable un appui théorique ? Les « expériences » aboutissent à une énigme, qui en tant que telle dût continuer de hanter le jeune médecin.

Des artistes, des devins et des observateurs

Les somnambules nous apparaissent à la fois comme des artistes, acteurs doués, poètes subliminaux ; et comme des devins un peu diaboliques dont le mode de captation des pensées humaines pose problème. Flournoy avoue qu’il préfère, plutôt que de croire à l’existence des esprits, voir dans les productions d’Hélène Smith « un beau poème subliminal » (1983 : 115). J.Carroy nous rappelle (1991 : 76) la façon dont les praticiens, qui expérimentaient sur les hypnotisées, participaient à l’élaboration de scènes qu’elle baptise les « folies-cliniques ». Bourneville et Régnard (1879) avaient remarqué la passion de ces femmes pour les romans. La cousine de Jung n’échappe pas à cette passion. Elle lisait les romans pour jeunes filles qu’écrivait Ottilie Weildermuth, lointaine parente des Preiswerk, dont certains personnages lui auraient servi de support (Ellenberger, 1991 : 383). Les « romans subliminaux » que Flournoy et Jung étudient émergent d’une production rêveuse : « la vie subconsciente se condense » en un personnage qui possède son caractère propre, et s’élabore dans le cadre des séances spirites (1983 : 95). On peut aussi entendre cette « condensation » dans un sens freudien : sorte de rêve éveillé, l’art médiumnique cristalliserait en figures de scène les images qui occupent l’inconscient. Voilà peut-être pourquoi, en partie, Flournoy ne nomme pas Hélène « ma malade ». Il se montre attentif aux conditions de production du phénomène : « Sans le spiritisme et l’auto-hypnotisation des séances, Léopold ne se fut vraisemblablement jamais personnalisé, mais serait resté à l’état nébuleux, disséminé, incohérent, de vagues rêveries subliminales et de phénomènes automatiques égrenés » (1983 : 96). Pourtant, au-delà des talents, le « jeu » s’avère troublant, parce qu’il met en acte les pensées intimes ou inconscientes, mais réelles, des participants. Les somnambules se font les devins d’autres romans, vrais cette fois-ci. Ce sont les romans familiaux, dont les personnages font partie à la fois de la scène et de l’observation. Jung veut méconnaître cela : lui qui prend en note les sommeils de S. W. est son cousin ; le spectateur en direct du roman subliminal est aussi impliqué dans le roman familial. Ainsi, de la communication entre S. W. et les autres membres de sa famille qui participent aux séances, émergent d’anciennes histoires sous le projecteur allumé par la somnambule. Comme une loupe qui agrandit un détail méconnu, le théâtre médiumnique mène l’enquête et dit le secret. Par tâtonnements, pressions insensibles, approches feutrées, puis énonciations de plus en plus claires, tout cela sous le couvert de la transe, la cousine de Jung remet au jour les blessures. La « suggestion » opérée par les questions des participants n’est peut-être autre chose, au fond, qu’un désir de se délivrer, par l’entremise d’une jeune fille dont on pourra toujours dire qu’elle est « malade », si les choses dites sont trop blessantes. Sacrifiée, elle dit ce qu’il fallait à la fois dire et ne pas dire. Il semble alors, mais Jung ne l’écrit pas, que le groupe se guérit par l’entremise d’une malade-thérapeute. Comme interface entre les deux mondes, celui du secret et celui du public, elle fait passer les paroles et s’en excuse parfois, en prétendant vouloir chasser ces esprits importuns (1939 : 19).

Comme artiste et comme devin, la somnambule S. W. a pourtant servi de modèle à Jung, par la suite. En effet, notre observateur, à la fin de l’année 1913, entreprit d’appliquer sur lui-même une démarche qui ressemble au rêve éveillé que vivait sa cousine. Sa nouvelle méthode d’exploration de l’inconscient consistait d’une part à écrire et dessiner ses rêves tous les matins, et d’autre part à se raconter des histoires, en laissant se dérouler le plus loin possible le fil de l’imagination. Le matériel issu de cette plongée intérieure était alors interprété à l’aide de la mythologie comparée (Ellenberger, 1964 :116 ; Jung, 1962). Ainsi, l’immersion dans le courant des grands « archétypes », noyau des futures élaborations jungiennes, offre-t-il quelque parenté avec le monde intérieur de S. W. Mais Jung apporta au processus quelques modifications : en particulier, la poursuite du « rêve » devait suivre des règles rigoureuses, dont la plus importante était celle du travail interprétatif. Comme une sorte d’auto-analyse, la méthode consistait en une observation de soi-même. Dans ce parcours, Jung se faisait ainsi à la fois artiste, devin et observateur. L’invention de cette méthode doit beaucoup au monde des visions. En effet, lors d’un voyage en chemin de fer, Jung vit toute l'Europe submergée par les flots, puis ceux-ci devinrent une mer de sang, qui gagnait la Russie mais épargnait la Suisse. Était-ce l’intuition de la première guerre mondiale ? La vision, involontaire, avait fait irruption dans la vie de Jung comme une force un peu sauvage. Pour lui, ce fut une sorte de choc salutaire, un ébranlement fécond, le premier mouvement de sa « maladie créatrice ». De 1913 à 1920, il s’investit dans l’exploration de ce réservoir inconscient, cette généreuse matrice capable d’engendrer des mondes que la conscience ignore. Il renouait ainsi avec la source de l’inspiration, celle des poètes et des inventeurs. La conduite raisonnée de cette plongée vers l’état originel de la création lui permit de ramener à la surface le matériau qu’il developpa dans son œuvre.

L’évolution ultérieure de Jung nous enseigne ainsi quelque chose sur la nécessaire conduite des visions. Comme médium-thérapeute, Hélène Preiswerk ne bénéficiait pas de l’ordre ritualisé dans lequel les spirites maîtrisent les visions et sensations issus de l’état de transe, sous l’égide d’un conducteur capable de discernement. Cette rationalisation des pratiques, opérée par Allan Kardec[15], avait pour but non seulement d’éviter les dérapages, mais encore de fournir aux médiums un chemin d’accomplissement. Nous pouvons alors penser qu’Hélène pratiquait en quelque sorte un spiritisme « sauvage ». Comment savoir ce qu’elle lisait, et quelles bribes d’apprentissage elle dût recueillir, pour soutenir quelque temps l’attention de son petit aéropage ? Finalement prise elle-même entre deux modèles, celui de la « voyante » de Prévorst, suggéré par Jung, et celui du médium spirite, elle n’en suivit peut-être aucun. Ou, pire, déjà vouée à n’être qu’une pâle copie de la prestigieuse Frédérique Hauffe, elle se battait toute seule avec la poussée de sa personalité future. Il est dès lors vraiment regrettable que Jung, pour l’avoir transformée en une caricature pathologique, s’en soit servi d’objet de savoir pour devenir lui-même un thérapeute. Le malheur de sa cousine, morte si précocement[16], doit beaucoup au jugement méprisant dont Jung fait preuve dans son texte de 1902. Nous pouvons voir, dans cette méconnaissance, un refus mêlé d’attrait envers la fécondité de ces êtres que nous appellerions peut-être aujourd'hui des border line. Ce qu’il partageait avec sa cousine, il le découvrit plus tard, lorsque son assise sociale lui permit d’explorer les chemins détournés. Jung thérapeute et créateur pouvait alors se réconcilier avec l’anima qu’il portait en lui, et poursuivre le chemin entrouvert par la médium-thérapeute S. W.

Références

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[1] CNRS. UMR 5612, Université Lyon 11., 5 Av. Pierre Mendès France, 69676 Bron case 11 Cedex. Je remercie la Fondation Singer-Polignac pour la bourse de recherche qu’elle m’a accordée.

[2] La thèse fut publiée à Leipzig en 1902, sous le titre Zur Psychologie und Pathologie sogennanter okkulter Phänomene, Oswald Mutze (ed.). La traduction française sur laquelle j’ai travaillé a été publiée sous le titre « À propos de certains phénomènes dits « occultes » : Étude de psychologie et de pathologie », in Phénomènes occultes (trad. de l’allemand par Ed. Godet et Yves Le Lay), Paris, Aubier, 1939.

[3] (Après avoir fait ses études de médecine à Bâle, de 1895 à 1900, Jung obtint un poste à l’hôpital psychiatrique universitaire de Zurich, le Burghôlzli, qu'Eugen Bleuler dirigeait à l'époque (Ellenberger, 1964 : 110).

[4] Il semble que les observations de Charcot étaient déjà remises en cause dans les années 1890 (Carroy, 1991).

[5] Voir plus loin : Jung occulte le fait que les séances avaient commencé dès 1895.

[6] Le modèle d’observation des « sommeils » avait été inauguré à la fin du XVIII¡ siècle, par les magnétiseurs qui prenaient en note ceux de leur somnambule (N.Edelman, 1995 ; Bergé, 1995, 1997).

[7] Cette idée d’élaboration de la personnalité contient déjà en germe la théorie jungienne de l’individuation. Flournoy avait émis une idée semblable, et pensait que l’« étude des faits de médiumnité contribuera à nous fournir un jour quelque vue juste et féconde sur la psychogénèse normale » (1983 : 361). Le lecteur consultera aussi avec intérêt l’article de S. Shamdasani "From Geneva to Zürich : Jung and French Switzerland" (1998). Je remercie J.Carroy de m’avoir fait découvrir ce texte.

[8] Le texte prête à confusion, puisque Jung parle aussi d’une Madame X, qui semble cette fois désigner la sœur de S. W. (1939 : 23).

[9] Il faudrait pouvoir vérifier ces dires. On peut rappeler que le père d’Hélène, Rudolf, était propriétaire d’une quincaillerie (Ellenberger, 1991 : 383).

[10] La problématique de la reconnaissance réitère celle des signatures lors des apparitions de défunts à l’époque médiévale (Schmitt, 1994). Flournoy note qu’il « reconnut » ainsi sa mère, dont Hélène Smith imitait la position des doigts arthritiques (1983 : 350). J’ai observé le même phénomène dans les incorporations médiumniques contemporaines (Bergé, 2000).

[11] Le grand-père de Jung avait développé cette idée du secret pathogène (Ellenberger, 1991 : 384).

[12] cf les articles de Ellenberger sur M.Benedikt et le secret pathogène, 1966 et 1973, in Les médecines de l’âme, 1995.

[13] Ivénès hantait-elle Jung ? En 1904, au Burghôzli, il projeta sur sa patiente, la jeune juive Sabina Spielrein, devenue par la suite sa maîtresse, l’image d’une Hélène vêtue de blanc et confondue avec la juive Ivénès (Ellenberger, 1991 : 388).

[14] Jung ne s’attarde pas autant que Flournoy sur la « cryptomnésie », mémoire subliminale dont un détail peut ressurgir avec beaucoup d’à propos et semble alors inconnu du sujet.

[15] cf Le livre des médiums, Kardec (1986).

[16] Hélène Preiswerk mourut dans sa trentième année, saine d’esprit mais, selon S. Zumstein-Preiswerk, le « cœur brisé » par la conduite de son cousin à son égard (cf 1975).