De la créolophonie : réalités et perspectives

ANTHROPOLOGIE ET CLINIQUE - RECHERCHES ANTILLAISES

Psychologie Clinique 15

juillet 2003

De la créolophonie : réalités et perspectives

Par Daniel Boukman[1]

Résumé : L’histoire du créole est liée à celle de la colonisation française qui débute, vers 1625, dans la Caraïbe et qui va s’étendre jusqu’aux bords de l’Océan indien. À l’origine, créé par les différentes composantes de la société coloniale naissante, suite aux transformations socioéconomiques radicales de celle-ci, le créole sera successivement renié, créolophobie qui, en Martinique par exemple, a aujourd’hui encore des adeptes. Dans le même temps, à contre-courant de la déculturation ambiante, la défense et illustration du créole connaît de réelles avancées permettant de légitimement espérer des temps propices à une consécration de la créolophonie.

Mots clés : Créole ; déculturation ; langue maternelle ; société coloniale.

Le créole est sans doute l’une des plus jeunes langues du monde. En toute hypothèse, c’est au cours du premier quart du XVII° siècle que, dans une île de la Caraïbe, il va au fil du temps essaimer en variétés dialectales dans divers territoires de la Caraïbe, du continent américain, de l’Océan indien, tous, à cette époque, sous occupation coloniale française[2]. De nos jours, en Haïti, en Guadeloupe, en Dominique, en Martinique, à Sainte-Lucie, en Guyane et à la Réunion, à Maurice, aux Seychelles, plus de dix millions d’hommes, de femmes pratiquent le créole[3]. Mais la considération dont cette langue bénéficie, diffère selon qu’il s’agisse, par exemple, des Seychelles ou de Haïti, pays indépendants, où le créole bénéficie du statut de langue nationale, ou de la Martinique, département français d’outre-mer où certes le créole n’est frappé d’aucun interdit officiel, mais n’est pas non plus, sur le plan institutionnel, reconnu en tant que langue à part entière. Et qui pis est, en Martinique par exemple, nombreux sont les créolophones méprisant cette langue qui leur est pourtant maternelle. Mais avant d’exposer quelques-unes de ces réactions parfois à la limite du pathologique, rappelons dans quelles circonstances, il y a environ trois siècles, le créole vit le jour.

Naissance et évolution

Vers 1625, dans l’île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts) débute, dans la Caraïbe, la mainmise coloniale française. À partir de cette base occupée pendant une cinquantaine d’années, les L’Olive, Duparquet, Belain d’Esnambuc et autres soudards vont se lancer à la conquête d’autres terres insulaires. C’est ainsi qu’en 1635, avec quelques Africains réduits en esclavage, ces individus débarquent dans une île qu’ils baptisent du nom de Martinique. Cette colonisation va, au commencement, se dérouler dans une relative cohabitation pacifique avec les habitants de cette île, les Caraïbes (ils s’appelaient, eux, Kalinagos) qui ravitaillent volontiers les nouveaux venus en fruits, légumes en échange de pacotille, d’objets divers, d’outils en métal. Ce commerce sommaire, en l’absence d’un moyen de communication commun, va engendrer la nécessité d’inventer un parler (rudimentaire) alimenté en mots par l’une et l’autre partie.

Une population en rupture de ban

Mais qui sont donc ces colons ? Des cadets de noblesse en quête de fortune, des flibustiers, des boucaniers, d’anciens prisonniers, des prostituées, des persécutés religieux, toute une population en rupture de ban, venue en particulier de France. Originaires de diverses régions (Normandie, Bretagne, Poitou-Charente, Vendée), souvent illettrés, ces individus ne parlent pas une même langue, mais des variétés patoisantes ou dialectales. Pour communiquer, il y aura pour eux obligation de fabriquer un instrument linguistique inédit, distinct du français correct qui d’ailleurs, dans le royaume de France, n’a pas encore établi sa suprématie[4]. Quant aux premiers Africains déportés et asservis, non seulement, eux non plus, n’ont pas l’usage d’une langue commune, mais de plus, parce qu’ alors minoritaires et parce qu’ils ne sont pas les maîtres du jeu social, ils seront contraints de se soumettre à l’ordre sociolinguistique dominant. Et c’est dans ce contexte particulier d’une société dans laquelle les rapports sociaux ne sont pas encore véritablement antagonistes qu’un embryon de langue constitué d’éléments hétéroclites va s’enraciner, se développer et donner ce qu’aux jours d’aujourd’hui, on appelle le créole. Mais quand, après 1680, la colonisation deviendra de peuplement, lorsque l’appropriation des terres et leur défrichement déboucheront sur la culture intensive de la canne à sucre (l’or blanc de l’époque) – avec comme corollaire la mise en place du commerce triangulaire, l’amplification de la Traite négrière, l’extermination des Caraïbes – la violence ayant atteint son paroxysme, la société va se structurer en ethno-classes avec tout au bas de la pyramide les esclaves (noirs), au sommet, le gouverneur, ses auxiliaires, la milice, le clergé, les planteurs, les négociants (blancs). Bref c’est au sein d’une société bien différente de celle des premiers moments de la colonisation, qu’intervint le premier reniement du créole.

Les reniements du créole

Alors qu’au début de la colonisation ces colons d’origine bretonne, normande, poitevine, avaient participé à l’élaboration du créole, leurs descendants, les békés, proclament qu’il s’agit là d’un baragouin de nègres qui leur est étranger, même si – chassez le naturel il revient au galop ! – ils continuent en privé à parler ce créole auquel, en leurs temps d’enfance, ils furent par leurs nourrices (noires) initiés. Cependant, pour les esclaves, l’utilisation du créole demeure exclusive. L’usage qu’ils en font dans diverses circonstances de leur vie, élargit le champ de son application : c’est ce par quoi ils expriment leurs souffrances, leurs révoltes, leurs espérances, leurs mythes, autant de besoins d’expression qui fertilisent le créole et donnent forme aux productions (orales) de leur imaginaire. Un deuxième reniement va accompagner l’ascension d’une nouvelle catégorie sociale, celle des affranchis, classe intermédiaire entre les groupes d’origine européenne et les masses esclaves. Ce reniement a pour cause les mêmes raisons que celles qui animent les classes hégémoniques, à savoir s’approprier la langue française, la langue du pouvoir, la clé qui ouvre les portes de la promotion sociale.

Aux lendemains de la fin du système esclavagiste, après 1848, avec les lois républicaines de l’enseignement laïque et obligatoire de Jules Ferry, l’École, vecteur officiel de la diffusion du français, frappe d’opprobre l’usage du créole, mépris que des descendants d’esclaves devenant petits-bourgeois des villes vont progressivement intégrer et reproduire. Avec la loi dite de départementalisation de 1946 et la politique d’assimilation qui s’ensuivit, ce reniement du créole va étendre ses effets relayés en français par les media, l’extension de la scolarisation et toute une panoplie de facteurs promoteurs d’une efficace acculturation.

De la créolophobie

Voici un échantillon de ce rejet : “ Comme nos arrière-grands-parents doivent trembler dans leurs tombes ! Ce n’étaient pas de grands pédagogues mais ils avaient les pieds sur terre. Beaucoup n’avaient jamais été à l’école parce que trop pauvres, ne parlaient que le créole et signaient d’une croix. Ils sentaient confusément que pour arracher leurs enfants à la misère impitoyable des champs de canne, il fallait les pousser le plus loin possible dans leurs études afin qu’ils parlent le français aussi bien que les Français et même mieux si possible, il leur fallait apprendre l’anglais, l’espagnol parlés par des centaines de millions d’hommes ; ils savaient que pour progresser dans une langue qu’il faut la pratiquer, donc le créole que les enfants parlent déjà partout et toujours doit être banni surtout à l’école d’autant plus qu’il vole rarement au-dessus de la ceinture ! ”[5]. Autre cas d’autodénigrement : “ Je vis en France mais je suis Guadeloupéenne de naissance et fière de l’être. On ne m’a jamais appris le créole mais je le parle couramment comme tout Guadeloupéen. Le créole est un patois sans règles, ni syntaxe, sans structures grammaticales ”. Toujours de la même personne (qui pourrait être martiniquaise), la même autodérision teintée, cette fois, de maternalisme, cette forme suprême du mépris : “ Je considère que le créole est un parler charmant mais que c’est une erreur que de vouloir l’institutionnaliser ”[6]. Paroles d’un enseignant martiniquais interviewé : “ Depuis dix huit ans, pour moi, le créole, c’est de la saloperie, depuis dix huit ans, le créole, c’est "ti-nègre", depuis dix huit ans on m’a inculqué – mais pas de façon consciente, ce sont des représentations… et des représentations qui émergent, que j’essaie de… des représentations toujours dévalorisantes… tu vois ? Ce qui fait que pour me débarrasser de mes propres représentations, j’ai déjà un travail permanent à faire sur moi-même, à revaloriser en permanence. Et ça, bon ben, c’est difficile ”[7]. Déclaration d’une mère d’origine populaire qui interdit l’usage du créole à son enfant : “ Ah oui, je défends ça ! Je veux pas de ça chez moi… Je veux pas ça […] Mais ça fait pas bien. Tu peux parler en dehors de la maison, avec ton patron, mais non pour à l’intérieur, hein… Je veux plus ça chez moi… Je veux pas qu’elle parle patois. Mais ça me fait du bien que tu parles le français mieux que moi [elle se réfère à sa fille]. Si tu veux, je peux t’apprendre parler le créole. Mais c’est mieux de parler le français […] Je vois que ça fait bien quand l’enfant parle le français. Mais à chaque fois que je vois que l’enfant parle créole… Je sens que eh, je me sens gênée quand l’enfant parle le créole. Je me sens mieux quand l’enfant parle le français ”[8]. Les adversaires d’une officialisation du créole peuvent user d’arguments plus subtils, dire par exemple qu’il est inutile de l’enseigner dans les écoles pour qu’on l’y apprenne puisque naturellement on le parle déjà… D’autres se font les vigilants gardiens de la pureté originelle du créole, consubstantielle selon eux à son oralité, donc incompatible avec toute mise en écriture.

La quête identitaire

Les années 1960-70 verront l’accentuation des contradictions au sein de la société martiniquaise : faillite de la monoculture de la canne, fermeture progressive de la quasi-totalité des usines à sucre, mise en chômage des ouvriers agricoles qui vont grossir, dans la capitale, les rangs des très nombreux sans emploi ; c’est parallèlement la montée des revendications syndicales, politiques (pour l’autonomie), la répression des forces de l’ordre colonial. De plus, ces événements internes à la Martinique se déroulent dans un contexte international caractérisé par les luttes de libération nationale et anti-impérialistes, autant de ferments favorables à l’éclosion d’une conscience nationale martiniquaise. Les conditions sont donc réunies pour la quête, c’est alors que le créole va occuper une place emblématique. Et s’il est vrai que ce mouvement de défense et d’illustration de la langue créole n’a pas eu la force ni l’étendue d’une déferlante, il n’en demeure pas moins que des actions militantes significatives, importantes vont s’imposer. Le créole si souvent renié va connaître une véritable renaissance tant en Martinique qu’au sein de l’émigration antillaise en France[9]. À preuve : en 1973, en Martinique, un cours de linguistique créole est institué au Centre Universitaire des Antilles et de la Guyan. Les trois années suivantes s’ajoute à cette innovation la création d’une licence, d’une maîtrise et d’un doctorat et, sur la base du volontariat, dans des collèges et lycées, des élèves s’inscrivent aux cours de créole nouvellement mis en place. En 1975, création du Groupe d'Études et de Recherches en Espace Créolophone (GEREC). Son objectif premier est de fournir à cet enseignement une assise culturelle et une réelle dynamique sociale.1976 : publication du premier numéro de Espace créole, revue du GEREC dont l’éditorial stipule, entre autres : “ Il est question d’interroger dans tous ses aspects la Créolophonie vivante ; de l’étudier en tant que système de préservation, processus historique de développement de la conscience sociale ; d’évaluer enfin le rôle qu’elle peut jouer implicitement et explicitement, comme pôle de créativité et instrument de progrès. Face à une telle tâche à accomplir, quel peut être le rôle de l’Université ? Ou bien cette dernière sera une académie et traitera le monde comme une abstraction, ou bien, fidèle à sa vocation d’ouverture sur tous et sur tout, elle pénétrera les masses rurales et urbanisées dépositaires de la tradition orale. Dans ce cas, la pénétration devra être réciproque, sous peine d’aboutir à un pillage anthropologique au service de finalités individuelles ”.

En 1982, la Charte culturelle créole (éditée par le GEREC), dans un chapitre intitulé "Toute langue a vocation à être écrite", aborde la question de la graphie du créole : “ Un rappel s’impose : le créole est une langue à tradition orale (majolay). Malgré l’existence d’un certain nombre d’écrits, il est donc resté très longtemps (et est encore largement) à l’écart des stratégies de pouvoir portées par toute écriture. C’est la langue française qui a donc monopolisé tous les pouvoirs (y compris celui de la science). L’intervention du créole dans la modernité implique qu’il fasse l’objet d’un certain équipement. Corrélativement à l’équipement descriptif (grammaires, dictionnaires), institutionnel (groupes de recherches, académies, jeux floraux, associations de défense et d’illustration). L’équipement graphique d’une langue est une opération qui s’impose. Rompant d’avec l’empirisme tâtonnant et individualiste, l’érection d’un système orthographique cohérent est de nature à favoriser l’émergence d’une littérature plus consciente d’elle-même, et donc plus capable d’exprimer de manière authentique le rapport d’un peuple au monde et à l’histoire ”.

Vingt cinq années et plus de revendications et autres plaidoyers pour le créole aboutiront à une reconnaissance officielle : en 2001, un CAPES de créole est institué. Mais cette série de conquêtes ne signifie pas, loin de là, que la langue créole bénéficie, partout,, en Martinique, du juste respect qu’elle mérite. Aujourd’hui encore, le refus du créole s’exprime souvent de façon irrationnelle ; nous en avons présenté ci-dessus un échantillonnage : langue de la vulgarité à interdire aux écoliers ; patois sans règles ni structures ; langue innée qu’il est donc inutile d’étudier ; langue orale à exclure de tout code écrit[10]. Voici un autre spécimen de réaction créolophobique[11] : “ C’est aux Martiniquais de réagir pour éviter que l’on impose demain à l’intellect fragile de nos jeunes cerveaux, tant sollicités pour des études plus sérieuses, ce créole non porteur. Par souci de santé publique… ”[12]. Autre angle de tir visant à discréditer les acteurs de la promotion du créole : “ Il faudrait que ceux qui luttent pour codifier le créole nous disent clairement leur objectif. Si c’est pour que les Martiniquais créolophones soient bien dans leur basket, bien dans leur tête, dans leur peau, sans complexe, parfaitement épanouis et que leurs droits de citoyen soient respectés, on ne peut qu’applaudir ”. Et après le miel, le jet de venin : “ Par contre, si toute cette énergie, tout cet argent dépensé a un objectif de conquête du pouvoir à une fin qui ne répond pas à l’aspiration de la majorité des Martiniquais, il faut démasquer ceux qui se cachent derrière des chaises ou des chaires et les inviter à rejoindre les tréteaux ”[13]. Ces positionnements sont quelque part représentatifs de la situation d’aliénation globale que, depuis des décennies, le système sécrète. Aujourd’hui, les appareils idéologiques à son service sont d’une efficacité d’autant plus redoutable que la société martiniquaise qu’ils travaillent est, étant donné la fragilité inhérente à sa jeunesse, un terrain propice. Une éducation scolaire extravertie, l’action déliquescente des media, la chloroformisation des consciences, la pavlovisation des comportements, le chant des sirènes de l’hyper consommation, agissent comme les métastases d’un impitoyable cancer socioculturel.

Une déculturation programmée

La Martinique ressemble à un paradis, mais derrière les paravents il y a un pays en pleine crise où le chômage endémique, des jeunes en particulier entretient le désespoir et son cortège de violences, où l’assistanat érigé en politique paralyse l’initiative collective, où la délinquance et la drogue prolifèrent et c’est dans cet environnement mortifère que le phénomène de déculturation s’épanouit. Le plus souvent, ceux qui exècrent le créole et dans le même temps idolâtrent le français, ceux qui tolèrent le créole mais encagé dans une situation de langue jugulée, ces gens-là sont les produits et parfois même les agents de l’action dévastatrice de cette déculturation programmée. Un autre danger met en péril l’existence du créole et cette menace vient de l’usage inconsidéré que certains en font. Il ne s’agit pas, ce disant, d’ignorer que, comme pour toute autre langue, il existe, quant aux respect des règles, des niveaux de langue en fonction des circonstances et des lieux d’où l’on s’exprime. Mais, de journalistes qui parlent le créole sur les ondes d’une radio ou d’une télévision, on est en droit d’attendre un respect grammatical et syntaxique maximal sinon, involontairement, sont semés à tous vents solécismes et autres barbarismes que leurs auditeurs, reproduisent à tout venant. Et les voilà, ces journalistes, souvent à leur corps défendant, participant au dynamitage de la langue dont, paradoxalement, ils sont de sincères partisans.

Défendre et illustrer la langue créole

Comme les civilisations, les langues sont sans doute mortelles, mais n’est-il pas du devoir de ceux dont les mots sont l’argile premier, de retarder sinon d'enrayer ces possibles disparitions ? La littérature s’enrichit de la langue qu’en retour elle contribue à enrichir, et si la langue française a cette rayonnante beauté c’est en grande partie grâce aux pierres précieuses dont des générations d’hommes et de femmes de lettres l’ont sertie. En ce qui concerne la production littéraire martiniquaise, il ne s’agit pas de dicter à quiconque en quelle langue il doit écrire, mais comme il pèse lourd le silence de nos écrivains de haute renommée, eux qui ne disent rien (même en français) pour, au moins, défendre cette langue créole menacée de mort insidieuse ! Mais s’il est vrai que les détracteurs du créole poursuivent leur travail de sape, que souvent encore leurs argumentations sophistiques ne tombent pas dans les oreilles de sourds, par contre, les défenseurs et illustrateurs de la langue créole se font de plus en plus nombreux. Dans la mouvance du GEREC, diverses productions en créole ou à propos du créole sont édités : grammaires, dictionnaires, ouvrages pédagogiques, monographies, autant d’ouvrages au service de l’équipement descriptif du créole. Des recueils de poèmes, de nouvelles, des pièces de théâtre, les premiers romans sont disponibles ainsi que des traductions[14]. La présence active de l’enseignement du créole au sein de l’université, la création du CAPES, la formation d’enseignants ouvrent des perspectives prometteuses dans les lycées et collèges en attendant que le primaire et la maternelle soient concernés. L’entrée du créole dans la publicité, dans la documentation administrative (quoique encore timidement) sont le signalement de conquêtes dont il convient de consolider et populariser les acquis. Pour cela, il faut élargir le cercle des créolophiles, rassurer ceux à qui l’on tente de faire croire qu’il s’agit de remplacer l’usage du français par celui du créole. Il s’agit aussi, par le biais de campagnes d’alphabétisation, de démultiplier le nombre des lecteurs, de donner aux futurs enseignants une formation et des moyens pédagogiques performants, d’amplifier quantitativement, mais surtout qualitativement, la production littéraire et journalistique en créole.

Le créole durablement restauré

S’il est vrai qu’une restauration performante et durable de la langue créole s’avère être un combat éminemment culturel, il convient que ces actions soient en symbiose avec d’autres actions de nature politique : le système qui bloque les projets de transformation fondamentale de la société, c’est lui qu’il faut fondamentalement transformer. Alors – faisons un rêve ! – l’esprit libéré des chaînes de ses aliénations, le Martiniquais ayant brisé les murs de sa “ schizophonie ”, voyagera, sans complexe, du parler-écrire français à l’écrire-parler créole. Dans le chœur polyglotte de la zone caraïbe, il entendra, enfin serein, chanter cette langue sienne conçue dans le giron de douleurs ancestrales. Et puis, entre créoles haïtien, réunionnais, guadeloupéen, mauricien, dominicais, seychellois, martiniquais, saint-Lucien, guyanais, par le canal de la littérature en particulier, s’accomplissent de vivifiantes transfusions linguistiques car voici venant le temps du grand rassemblement, celui d’une créolophonie égalitaire et fraternelle, bel arbre qui plonge ses racines au plus profond d’une ancienne histoire commune.

[1] Écrivain.

[2] D’où l’appellation de créole dit à base lexicale française.

[3] À inclure dans cet ensemble de populations créolophones, ceux qui ont émigré aux États-Unis, au Canada, en France, en Grande-Bretagne, sans oublier ces milliers de Cubains d’origine haïtienne qui, aujourd’hui à Cuba, pratiquent le créole de leurs aïeux. Par contre à Trinidad, en Louisiane, anciennes colonies françaises, le créole ne survit que sous forme d’isolats.

[4] En 1635, sous la houlette de Richelieu, l’Académie française est créée.

[5] Extrait du courrier des lecteurs du journal France-Antilles en date du 20 mai 2000.

[6] Extrait d’une lettre adressée en 2000 au Ministre de l’Éducation nationale français.

[7] In Le discours des mères martiniquaises. Diglossie et créolité : un point de vue sociolinguistique de Frédéric March, L’Harmattan, 1996.

[8] idem.

[9] La Ligue d’Union Antillaise (LUA) qui, au cours des années 6O-70, rassembla de nombreux émigrés Antillais de la région parisienne, mena des activités culturelles militantes (dont la publication d’un journal en créole) qui eurent une grande résonance au sein de cette diaspora dont les membres, en grande partie, étaient arrivés en France suite à la politique du Bureau d’Émigration Outre-Mer (BUMIDOM) mise en place en réponse à la grave crise socio-économique qui sévissait dans les quatre départements d’outre-mer.

[10] Surtout quand ce code graphique ne se conformait pas aux règles orthographiques françaises.

[11] Au début des années 1950, le Martiniquais Frantz Fanon écrivait Peau noire, masques blancs où il analysait la honte voire la haine de soi que certains Martiniquais éprouvaient. Aujourd’hui, il conviendrait sans doute d’écrire un ouvrage du même genre, mais concernant, cette fois-ci, la relation de certains créolophones avec la langue créole.

[12] In courrier des lecteurs du journal France-Antilles.

[13] Cf. courrier des lecteurs de F.A en date du 29 octobre 2002.

[14] La Bible, des nouvelles de Guy de Maupassant, une de Gustave Flaubert, toute une série d’articles scientifiques dans le Courrier de l’UNESCO (sous le nom de Kourilet ), En attendant Godot, Fin de partie de Samuel Beckett, des textes administratifs émanant des assemblées locales, autant de traductions en créole.