"Souffle sur tous ces morts et qu'ils vivent ! " - Nathalie Zajde
Paris Ed. La Pensée Sauvage.
Par Olivier Douville
Le livre de Nathalie Zajde est une transcription de sa thèse de psychologie .
L'auteure, psychologue de formation, a l'ambition de nous donner une approche,
Hassez systémique de la transmission du traumatisme de la Shoah chez les
descendants des victimes. On a souvent dit, et avec force, l'impact de l'horreur
Nen soulignant sa dimension d'irreprésentabilité. C'est souvent à la mesure de
cette dimension que l'on vit des remarques cliniques ou des oeuvres littéraires
parler des la transmission intergénérationnelle ( cf Richard, Roseman, Wendt et
Wilgowicz " C'est l 'ouragan et je suis innocent" in Perspectives Psychiatriques,
985 et C. Maillard : le partage de la mère morte ). Le deuil, en masse, livre à la
mélancolie. Les survivants et les descendants ont vécu souligne Nathalie Zajde
-un traumatisme "en masse et non en groupe".
De plus, la parution de ce livre est bienvenue, ne serait-ce que parce qu'elle
se situe dans un contexte actuel qui est marqué par le fléau qu'est la persistance
forte du révisionnisme, y compris au sein des universités françaises, et, quant au
milieu analytique on le vit fort mal à l'aise avec l'engouement pour la
psycho-histoire, piètre méthode appliquée sans vergogne à la biographie d'Hitler
pour rendre compte de la politique du troisième Reich.
On peut donc attendre beaucoup du livre de Nathalie Zadje, chercheur à
l'Université paris VIII, qui a créé le premier groupe de paroles, en France, pour
les descendants de survivants de la Shoah. Elle nous présente son étude comme
rigoureuse et autorisée au nom du fait qu'elle repose sur une quarantaine
d'entretiens, entretiens où la méthodologie qui les guide est à vrai dire assez
oscillante entre, un abord clinique et une démarche de psychologie
anthropologique à portée investigatrice.
La positivation du cadre ( le groupe de paroles ) , tout axé sur les concepts
d'identité et de spécificité, est la condition siné qua non pour référer les scènes de
l'observation et de la récolte d'informations aux dispositifs standards de certaines
consultations ethnopsychiatriques.
Toutefois, le malaise que l'on peut ressentir à lire cette recherche est du, au
fond , à ce qu' elle se présente trop comme une thèse sans thèse, tant la spécificité
culturelle, ici, est à la fois le fait à rechercher et le bien à prescrire. Trop
souvent, nous ne sortons pas de l'impasse d'une ethnopsychanalyse appliquée,
qui fait se correspondre toutes les thèses sur l'exil avec une thèse sur le trauma.
On retire parfois l'impression que les traumatisés des camps et leurs enfants sont
le paradigme même des traumatisés de l'exil ou de la maltraitance, ce qui
devient une " neurotica " tout à fait abracadabrante . Certes, la recherche,
originale et courageuse de N. Zajde rompt avec un trop lourd silence français sur
la spcificité des souffrances dont furent victimes les survivants de la Shoah,
encore que le précédant de peu, la magnifique ouverture du livre de M. Kohn "
Mot d'esprit, inconscient et évènement" et la récente contribution de J.P. Winter
au colloque du Collège de Psychanalystes " Variations cliniques sur les juifs, les
non-juifs et la violence " permettaient de sortir de la positivation de la
spécificité, positivation qui fait l'effort théorique et clinique de notre auteur
butter sur les mirages de la suggestion ou de la préscription des racines
"identitaires". L'hypothèse proposée par l'auteur veut que la Shoah dans sa tentative de
destruction de la personnalité des déportés a atteint réellement la personnalité
?des survivants. Les descendants héritent d'un vide d'identité.
Or, et c'est véritablement le point faible de ce document, jamais on n’y voit
une mise à l'épreuve par les concepts de la psychanalyse contemporaine
de la problématique de l'identité ( Lacan : pour la distinction du sujet et du moi,
Legendre ; pour la question de l'institutionnalisation de la division subjective ou
Kaës : pour la poly-topique des inconscients groupaux ) . A être définie comme
un bien, cette notion échappe à toute mise en examen critique de ses
constituants et de ses implications. C'est trop vite oublier que si l'on n'est pas
maître des signifiants qui sont transmis ou occultés par l'histoire parentale le
pari psychanalytique est de restaurer au sujet la possibilité de leur dire "oui" ou
"non".
Mais il y eut donc des résistances de la Psychanalyse française à l'étude du
"syndrome" des survivants et de leurs effets sur les descendants. Souvent, trop
souvent, les catégories de l'horreur, de l'impensable, de l'irreprésentable, furent
usées et comme hypothèse clinique et comme refus de lever des questions
cliniques neuves. Nathalie Zajde a mille fois raison de s'élever contre ce qui a
télescopé refus de savoir sur le trauma et description métapsychologique de la
difficulté du travail de la figuration quand il s'inscrit dans le temps psychique et
-générationel qui va du trauma au traumatisme.
L'auteure reprend quelques hypothèses sur la vigueur et la durée de
l'identification des descendants aux ascendants survivants ( Canetti puis
Kestemberg ) . Les parents investiraient les enfants d'une part de la fonction de
contenant . Cela opère-t-il , comme elle le pense, un renversement des
générations ? Mais il fallait mieux d'un point de vue psychanalytique et clinique
expliquer en quoi, il se fait là excès ! Car, autrement, qui a dit que pour la
clinique psychanalytique (qui n'est pas la clinique anthropologique, ni la
"clinique des fondements juridiques de l'affiliation") les enfants n'avaient pas
onction d'endosser, de réparer ou de rehausser les processus de symbolisation de
la mort et de la violence mis en oeuvre à la génération précédente ! Temps à
rencontrer et à traverser, mais non à conjurer à toute force. C'est là un constat
d'observation banal, pour qui prend au sérieux l'hypothèse de l'entre-deux et de
L'inconscient. On voit mal, au nom de quelle théorie du sujet, on aurait à
trouver celà à tout prix dommageable. Et si Nathalie Zajde s'en émeut à tort, c'est sans
doute parce que son très vif attachement à l'ethnopsychanalyse lui fait confondre
le plan de l'idéal et le registre de la subjectivation.
Enfin, si l'on peut être d'accord avec l'auteure lorsqu'elle exprime l'idée que
les cliniciens ont "cherché à faire entrer la problématique des enfants de
survivants dans des modèles théorico-cliniques qu'ils utilisent pour les autres,
pour les patients "standards" alors que les survivants et leurs enfants ont connu
et connaissent un vécu ... hors du commun", on peut aussi se demander si cela
existe vraiment : des "patients standards " ? N' y a-t-il pas dans cet artifice
rhétorique un mouvement stérile qui rend polémique le dialogue avec les
psychanalystes à défaut de pouvoir le problématiser ?
Oui, on peut saluer le courage de la démarche. Mais le sérieux scientifique
dont elle se réclame laisse à désirer. L'on y fait souvent la rencontre des
cliniques de la suggestion et obtenons nous, en fin de course, une remarquable
formation de compromis : un livre qui veut réhabiliter la spécificité et qui trop
souvent répète des théories et des faits cliniques très connus à propos de bien
d'autres traumas (maltraitance, exil, enfants des guerres d'ici ou d'ailleurs ).
Enfin, une meilleure connaissance de l'ouevre de Georges Devereux, fondateur
de l'ethnopsychanalyse, aurait permit à l'auteur de penser une réelle
métapsychologie de l'identité, ce que l'acuité du problème, le "contre-transfert du
chercheur" bien mal repéré, et la positivation pauvrement argumentée du cadre
et des concepts l'empêchent de mettre en oeuvre. En effet, pour Devereux,
l'identité culturelle contient aussi un aspect réactionnel et défensif. Et tout
individu entretient un rapport de distance, et parfois, heureusement de
polémique avec son identité. Le seul refuge dans l'univers ancestral ne peut, en
aucune façon se réclamer d'être un mouvement thérapeutique. La force d'une
éthique est une autre voie .
On formera le voeu que la passionnante clinique que nous donne à lire
avec honnêteté et humanité Natahlie Zajde puisse être appréhendée aussi en
tenant compte de la dimension de la promotion de l'identité au singulier. Et
appelons aussi que les mouvements de repli sur l'identté qui imprègnent les
jeunes de « seconde génération » sont transversaux à d'autres communautés ( J.
Galap a sur l'établir concernant les jeunes antillais). Ils brassent parfois des
thèmes inquiétants ( racismes latents et sociobiologie "populaire" comme
croyance type des groupes ), se retrouvent aussi dans les dérives intégristes des
autochtones et forment enfin un phénomène politique qui peut s'expliquer par
bien d'autres regards qu'un pur regard ethnopsychanalytique. D'où l'intérêt,
sans céder à la facilité du discours de l'universalité (qui est un discours de
pourvoir) de penser l' éthique des actes de subjectivation, actes à contre-courant
Sde l'aliénation ou de l'influence qui guérit le moi au prix de la mortification du
sujet.