Pour en finir avec le carcan du DSM

Initiative pour une clinique du sujet : Pour en finir avec le carcan du DSM, Toulouse Erès, 2012

Par Olivier Douville

Intitative, le mot tombe juste. Ce livre-programme présente de façon tranchée le manifeste dit « contre la pensée unique DSM ». L’on conçoit fort bien qu’il ne serait y avoir de pensée si elle se présente comme unique, aussi s’agit-il ici de poser un acte allant contre l’imposition de modèles contraignant à la non-pensée dans le domaine du diagnostic et du soin en psychiatrie. Ladite pensée unique DSM venant se fortifier de toutes les entreprises de marchandisation de la santé est bien ce contre quoi s’insurgent un bon nombre de praticiens de la psychiatrie qui furent à l’origine de la rédaction du manifeste que présente cet opus. Un premier collectif, parmi lesquels on rencontre T. Garcia Fons, D. Tourrès-Gobert, G. Dana, G. Pommier, A. Vanier, T. Jean, P. Landman, C. Hoffmann, J.-R. Freyman et M. Patris organisa en octobre 2010 une réunion inaugurale. Rapidement est venu s’adjoindre à eux un bon contingent d’une trentaine de praticiens de renom. Le mouvement depuis a fait tâche d’huile. L’opinion psychiatrique est alertée, d’autres professionnels dont quelques psychologues sont concernés. Aujourd’hui, Erès publie un premier état des lieux.

L’on ne peut manquer dès qu’il s’agit de prendre un adversaire au sérieux de situer les raisons du succès qu’il rencontre. Que le DSM se porte pour le moment comme un charme, nous le savons. Que l’imagination qu’il s’agisse là d’un outil scientifique se soit glisser dans trop d’esprits et fonctionne comme caution à trop de pratiques, voilà qui est aussi assez repéré. Qu’il se trame dans les coulisses de ce succès que tous ici espèrent temporaire autant d’imposture scientiste que de calculs marchands voilà bien ce qu’il fallait montrer.

Un premier constant s’impose alors, celui de l’imposition idéologique d’un prototype de santé mentale. A quoi donc renvoie la notion de « santé mentale » si en vogue, et telle que l’OMS la sanctionne de toute sa caution ? Cette notion se réfère de moins en moins à l’idée d’une absence de maladie qu’elle ne souscrit à la conception plate d’un individu capable de développer au mieux ses potentialités d’adaptabilité à une forme cotoneuse d’absence de souffrance psychique. On saisit bien ici le rabotage de la complexité anthropologique de la condition humaine au profit d’une définition machinale des besoins et des aspirations de tout un chacun.

Il ne s’agit plus de laisser place à l’épaisseur conflictuelle du symptôme, ce refuge du sujet, que de faire de chaque trouble ce qui permet de mettre en conformité chacun avec des identités prescrites et closes. Ces nouvelles identités : le bi-polaire, le phobique social, etc ; valent pour topos au sein de quoi chacun puisse à la fois se reconnaître et se laisser identifier et convoquer. De sorte que cette psychologisation de la psychiatrie, vaporisant de la sorte du trait identitaire compact, se joue beaucoup moins au service de l’accueil des subjectivités, qu’elle ne se fait un mode de régulation des rapports sociaux et des intimités. A Chacun sa fiche signalétique, l’accentuation de surface de l’identité dolente vaut ici pour une massification de chaque destinée au sein d’un groupe que définit en l’essentialisant un trouble. C’est le lien social réduit à un phalanstère hypochondriaque.

On situe alors nettement l’audace et la nécessité d’un tel manifeste. En effet, L’OMS a fait un choix univoque en considérant comme un canon décisif de la santé mentale le manuel de l’American Psychanalytique Association, soit le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). La dernière version du DSM est contemporaine des recommandations de traitements comportementalistes et des thérapies cognitivo-comportementales. Proscrivant d’autres références, le DSM est l’inévitable compagnon de route de ces formes de « thérapies », leur de main courante probatoire, il est, en outre, un véritable carcan pour l’exercice de soin et de la recherche dans la mesure où son usage est imposé aux praticiens dans le codage des diagnostics.

Examinons maintenant avec les auteurs de ce manifeste la valeur scientifique du DSM. Il appert d’emblée que le DSM contrevient à toute rigueur épistémique et méthodologique en cela que la possible rigueur scientifique d’une observation exige l’isolation des invariants latents, l’élucidation des déterminismes qui font axiomes et le dégagement de structures réduites. Négliger ces exigences minimales aboutit à indexer mécaniquement à une causalité organique tout un catalogue de troubles manifestes sans que soit pris en compte les circonstances subjectives de leur apparition et de leur dépliement. C’est l’inévitable effet d’une mise sous le boisseau de la causalité psychique, et c’est de plus une pensée régressive par rapport aux trouvailles et avancées des domaines de la neuroplasticité et de l’épigénèse qui montrent bien , quant à elles, la caducité de tout dualisme entre psychisme et organisme. Il est une seconde caractéristique antiscientifique de la méthode DSM qui provient de la nature des statistiques sur lesquelles elle s’appuie. Il ne s’agit pas d’une série d’observations cliniques, mais d’une récolte d’opinions venant d’un échantillon de psychiatre. Collecter des opinions, les soumettre à des votes est une mascarade d’allure « démocratique » mais en aucun cas une démarche de disputation et de construction d’un fait scientifiquement établi. On ne saurait isoler des entités ou même des faits cliniques pertinents par sondage ou « référendum ». C’est à peine que nous pourrions situer la valeur toute relative du DSM dans le périmètre de l’épidémiologie, en aucun cas dans le champ de la démarche diagnostique en vue de soin.

Il y a donc une imposture scientifique d’envergure. Elle se double soulignent les auteurs d’une absence plus que préoccupante de validité clinique du dispositif DSM. Qui aujourd’hui en médecine se limiterait encore à poser un diagnostic en se fiant aux seules apparences ? S’en tenir à une telle commodité conduit à mélanger des éléments d’ordre hétérogène (cliniques et moraux tout particulièrement). Le résultat d’une telle superficialité, si perméable aux préjugés de l’air du temps, est une inflation de troubles. En comparant le premier DSM qui date maintenant d’un une soixante d’année à celui en usage aujourd’hui on voit que nous sommes passés de 160 pathologies à plus de 400 « troubles » maintenant répertoriés. La prochaine version du DSM devrait en rassembler une vingtaine de catégories supplémentaire.

Suppression de l’hystérie, puis de la névrose. Paradoxe aussi ; cette même 1987, soit trente -cinq ans après la publication du dernier DSM, si l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie mentale, la sexualité, quand a elle n’y a plus aucun statut.

Sur fond de ces étranges disparitions pullulent des bizarreries (tels les « troubles d’hypersexualité ») et se profilent ces monstres que sont les valeurs prédictives des troubles futur. C’est l’American Way of Life revue par le Docteur Knock.

De cette double réfutation de la validité scientifique et de la validité clinique du dispositif DSM, se déduisent de façon claire les deux propositions suivantes :

- Le DSM nuit à la santé

- L’orientation infléchie par le DSM est coûteuse pour les Etats.

Si le manifeste s’en était tenu à cette dénonciation implacable, alors, tout aussi utile et réjouissant qu’il paraisse, nous n’aurions assister une fois de plus qu’à une politique de coups d’épée dans l’eau. Un pas, aujourd’hui, est franchi. Bien opportunément, les auteurs de ce manifeste proposent de mettre en œuvre les premiers jalons d’une classification qui, sur le modèle de la CFTMEA (Classification des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent), pourrait faire pièce à cette dissolution systématique de la part subjective de la souffrance psychique auquel le dispositif DSM concourt.

Olivier Douville