La présentation chronologique des grandes dates de la diffusion de la psychanalyse dans le monde du temps de la vie de Freud s’appuie sur des références aux contextes de l’histoire (guerres, révolutions, mouvements d’indépendance) durant laquelle elle vit le jour et se développa.

La psychanalyse s’est rapidement diffusée dans les mondes européens et extra-européens : sur les continents nord et sud-américains et aussi en Asie - c’est-à-dire, dans certains cas, dans des pays marqués par la domination coloniale. Quel accueil reçut-elle ? Comment fut-elle entendue, interprétée ?

Cette chronologie permet d’appréhender son influence sur les sciences affines – médecine, psychologie, anthropologie et esthétique –, grâce notamment aux rudes controverses qu’elle suscita et qui purent la féconder en retour.

La psychanalyse existe par un ensemble de textes :  des écrits théoriques majeurs, mais aussi des correspondances volumineuses où l’on assiste à la naissance de questions de doctrines et de méthodes, où le jeu des transferts vers Freud et de Freud vers ses élèves proches et ses amis écrivains se lit de la plus vivante des façons. Ils constituent une source importante pour cette chronologie.

Cette mise en ordre des faits réserve une large place aux dynamiques institutionnelles souvent conflictuelles propres aux mouvements freudiens et aux débats fréquemment inaboutis, parfois virulents mais toujours actuels concernant la formation des psychanalystes.


Olivier Douville

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Olivier Douville | La psychanalyse dans le monde du temps de Freud - Chronologie

Entretien d’Olivier Douville avec Maurice Villard

(Texte paru dans le Journal des Psychologues. 409)

Si nombre d’ouvrages se sont déjà attachés à retracer la vie de Freud, peu d’entre eux ont abordé la question de l’expansion de la pensée freudienne dans une perspective internationale. C’est ce que nous présente ici Olivier Douville à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage. Dans cet entretien mené par Maurice Villard, on y découvre notamment combien fut vivante et productive cette pensée et combien la plupart des questions débattues jusqu’à nos jours étaient déjà présentes à cette époque.

Maurice Villard Dans votre dernier ouvrage, La Psychanalyse dans le monde du temps de Freud. Chronologie, vous nous présentez ce que, pour faire court, l’on pourrait appeler la « pensée freudienne », quasiment année après année, de sa naissance à son extension mondiale. Vous vous êtes attaché à prendre en compte les contextes historiques, politiques et culturels. Ainsi, on parcourt, tout au long de l’ouvrage, les relations entre la psychanalyse et un nombre considérable de personnalités – des médecins, des artistes, des politiques, des économistes, etc. – des années 1880 à l’avant-Seconde Guerre mondiale. C’est un travail colossal et qui a été de longue haleine puisque vous l’avez commencé, comme vous le précisez dans l’avant-propos, lorsque vous enseigniez l’histoire de la psychanalyse à l’université Rennes-ii dans les années 1990.

Olivier Douville En effet. Cette version, que je tiens pour définitive, n’a plus grand-chose de commun avec sa première édition, parue en 2009, et qui est introuvable aujourd’hui. D’une part, elle est deux fois plus volumineuse – atteignant plus de 480 pages – et j’ai pu y corriger de rares erreurs en ayant accès à des sources bien plus larges, ici ou ailleurs (Brésil, États-Unis, Chine, Équateur, Afrique du Sud, Iran, Japon, Inde…). D’autre part, son organisation d’ensemble, à visée pédagogique, est différente et plus fouillée, puisque, à la demande de l’éditeur, j’ai procédé à une périodisation à travers une division en chapitres.

1Après un avant-propos dans lequel j’explique le projet de ce livre, où j’indique mes sources et remercie ceux qui, dans de nombreux pays étrangers d’Amérique et d’Asie, m’ont informé de leurs travaux et m’ont indiqué des documents peu connus, douze chapitres se succèdent, de  la formation de Freud (1856-1883) jusqu’à son exil à Londres, ses dernières années et ses derniers textes (1938-1939).

2Un index des noms propres et un index des pays viennent compléter le tout, toujours dans un souci pédagogique. Ainsi l’on peut suivre les conditions de diffusion, de réception et, parfois, de réinvention des thèses freudiennes, dans les pays d’Europe, en Asie, dans les Amériques, au Moyen-Orient. De même, nous pouvons voir l’évolution du parcours de recherche de bien des acteurs des premiers cercles freudiens, mais aussi de personnes qui eurent une importance éphèmère, qu’il s’agisse de médecins, de psychologues, d’anthropologues, d’acteurs politiques, de journalistes ou d’artistes. Les surprises peuvent être nombreuses, puisqu’en dehors des principaux protagonistes de la naissance et de l’essor de la psychanalyse (Karl Abraham, Sándor Ferenczi, Géza Ròheim, Lou Andreas-Salomé, Melanie Klein, Theodor Reik, Otto Rank, Anna Freud, Marie Bonaparte…) se pressent des ensembles divers d’écrivains, de musiciens, de cinéastes, d’anthropologues, de philosophes, de psychologues, etc. Certains de ces grandes figures artistiques furent passagèrement psychanalystes, tels Alfred Louis Kroeber ou Jean Piaget par exemple.

3Et il y a Vienne, évidemment, où on a le sentiment que tout s’invente, en peinture avec Gustav Klimt ou Egon Schiele, en musique avec le dodécaphonisme et Arnold Schoenberg, et dans les flamboyances des opéras de Richard Strauss… Vienne, encore, où le journalisme fut trépidant autour de Karl Krauss et de son journal Die Fackel.

4Avant de rentrer dans quelques explicitations quant au contenu de cette chronologie, j’aimerais préciser les contraintes d’écriture qu’impose une chronologie. Il convient d’être précis, sobre et concis. Se tenir le plus loin possible de ce qui serait un jugement moral rétrospectif. Le style impose également des contraintes, car le rédacteur d’une chronologie se situe dans une voie médiane entre l’œuvre de l’historien (ce que je ne suis pas) et la besogne du compilateur. Il m’a fallu, bien évidemment, mettre en avant et renseigner sur l’histoire du mouvement psychanalytique et ses modes d’organisation, sur les jeux d’influence, les conflits, les scissions, insister sur le pas de côté par rapport aux œuvres canoniques et essentielles que représente la lecture des correspondances et des minutes de sociétés psychanalytiques. Cela ne suffisant pas, j’ai parfois procédé comme un auteur de collage qui, à côté du saillant de l’établi et du connu, aime à pulvériser certaines légendes [1][1]On pense ici notamment à celle de Sigmund Freud disant avoir…. J’ai aussi tenu à faire revivre les parfums ou les miasmes de l’époque ; je mentionne ainsi ces écrivains allemands bien assis qui s’insurgent que Freud, un juif, puisse recevoir le Nobel pour des thèses qui ne peuvent que souiller la candeur de l’âme du peuple allemand (sic.)

5Je pense que certains détails cocasses, comme ladite « saison Freud » à Paris, les commentaires souvent à côté de la plaque des journalistes dont Freud n’appréciait guère les visites au point qu’il a malheureusement refusé de recevoir Billy Wilder, les emprunts frénétiques à des rudiments mal compris des thèses freudiennes par des médecins enthousiastes, ont contribué à éclairer les conditions de la réception des textes freudiens. Si je dois, dans cet entretien, les relater avec concision, certains lecteurs et critiques n’ont pas manqué de souligner que, sous le sérieux de l’entreprise, je me suis laissé aller dans l’ouvrage à quelques traits d’humour.

M. V. Dès 1893, un intérêt pour les travaux de Freud apparaît en Belgique, en Espagne, en France et, par la suite, aux États-Unis, en Russie et au Brésil. Et cet intérêt ne cessera de s’étendre en Amérique latine, en Australie, en Afrique du sud, au Canada, en Chine, en Inde, au Japon, en Palestine… à travers des articles, des traductions, des avis positifs ou négatifs ou encore la création de sociétés analytiques.

O. D. Le repérage chronologique a comme effet de situer une discipline dans un contexte vaste, au sein des révolutions scientifiques et techniques, de l’évolution des disciplines (comme le passage d’une anthropologie faite de loin, chez soi en analysant des récits de voyageurs et d’explorateurs, à une anthropologie de terrain dont les héros sont Franz Boas et Bronislaw Malinowski), des convulsions de la politique, des moments de haute culture des grandes villes (dont Vienne, Londres, Berlin, New York, Paris), de la force intellectuelle des milieux juifs de la Mittle Europa, mais aussi des ravages de l’antisémitisme, de l’importante onde de choc qu’emporta la Grande Guerre, du nazisme.

6La naissance de la psychanalyse avec les enfants et les adolescents est un fil rouge important, en France, comme ailleurs, de même que les grands débats qui se jouent autour de la féminité, de la technique analytique, de l’interprétation des rêves – et de la place de la symbolique du rêve surestimée par Carl G. Jung, écornée par Freud –, de la formation des psychanalystes.

7La psychanalyse s’est diffusée dans des contextes extra-européens qui n’étaient pas tous des contextes coloniaux (le Japon, par exemple). Et elle connut de vastes réinterprétations et appropriations qui sont des pans entiers de son histoire encore insuffisamment explorés. Bien évidemment, ce n’est pas toujours la psychanalyse comme dispositif de traitement (i.e. la cure) qui s’est répandue comme une traînée de poudre, loin s’en faut. Et qui s’en étonnerait ? Les thèses de Freud ont pu compter pour les chinois Zhang Shizhao, figure majeure de la révolution Xinhai en 1911, et Zhang Dongsun, autre philosophe qui accompagna Bertrand Russel en Chine aux débuts des années 1920 pour faire une série de conférences sur l’inconscient. Déployons le regard. La Harlem Renaissance, par le biais de Zora Neale Hurston, une disciple géniale de Franz Boas, s’est aussi mise à lire Freud. La psychanalyse passe alors par de nombreux canaux : philosophiques, médicaux, anthropologiques. En Inde, loin des sympathiques fadaises à propos de divinités hindoues tentées par quelques psychanalystes colons, c’est Girindrasekhar Bose qui, en pionnier, solidaire des mouvements d’émancipation qui éclosent et se cristalisent au Bengale, a été, au début du xxe siècle, le premier médecin, psychologue et psychanalyste indien et le premier président de la Société indienne de psychanalyse. Il ne se satisfait pas des ritournelles culturalistes occidentales sur le complexe d’Œdipe et donne au père un rôle d’éveil de la sensualité vis-à-vis de son fils. De même, des psychanalystes japonais inventent une autre forme de complexe familial, le complexe d’Asaje, centré sur le meurtre des parents entre eux, puis sur le matricide. La psychanalyse des auteurs japonais renverse le socle sophocléen du mythe freudien. En Afrique du Sud, le psychanalyste et anthropologue Wulf Sachs écoute John Chavafambira, un guérisseur exilé à Johannesburg et souffrant de mélancolie grave. Il explicitera le lien entre humiliation sociale et mélancolisation en utilisant le tragique d’Hamlet plus que la référence œdipienne conventionnelle.  Un livre en surgira, comme un cri, Black Hamlet, repris quelques années plus tard sous le nom de Black Angerlors de sa seconde édition à Harlem, alors en pleine révolution culturelle afro-américaine (la Harlem Renaissance comme évoqué plus haut).

8J’insiste aussi sur la relative indifférence du milieu psychanalytique viennois et européen quant à ce que pouvaient représenter de tels apports. Le souci dominant était que la psychanalyse se diffuse, mais pas de faire une vraie place à ce que la façon dont elle était reprise pouvait avoir force d’interrogation de la doxa. Il suffit ici de plonger dans l’index, pays par pays, pour se rendre compte de ce double mouvement d’extension rapide et de relative solitude des pionniers extra-européens.

9Un mot sur aujourd’hui : avons-nous tant changé ? « Pas d’évangélisation psychanalytique ! » Nous serions tous d’accord sur ce slogan. Mais encore faut-il en tirer les justes conséquences, qui sont d’accepter au moins ce en quoi, par exemple, l’expérience d’un psychanalyste chinois, pratiquant en Chine, nous donne de grain à moudre pour repenser la psychanalyse comme doxa et aussi comme méthode. Avec ce que Jacques Lacan nous a légué (de sa topologie) et la lecture de Freud dépsychologisée qui s’en déduit, sans doute pouvons-nous, aujourd’hui, tenir un discours moins étroitement occidentalisé, moralisé, œdipianisé sur la psychanalyse. Mais il ne suffit pas de dire cela. Encore faut-il tenter de construire (et comment, sinon dans une mise à l’épreuve de la Lettre et de la Langue de l’autre) une sorte de dérangement réciproque, au-delà des essais de présentation d’apport possible dans nos divers comptoirs coloniaux (ce qui ne contrevient que trop faiblement à la logique du marché, soit celle de l’offre et de la demande).

M. V. Deux points ont retenu mon attention quant au progressisme de Freud : son insistance à dire que l’homosexualité n’est pas une maladie, et sa défense, à l’encontre de bien d’autres, de l’entrée des femmes dans les cercles analytiques.

O. D. Je ne peux que vous donner raison. Freud a contribué à dépathologiser l’homosexualité. Il n’était pas le seul. Souvenons-nous de Magnus Hirschfeld, fondateur, à Berlin, du Comité scientifique humanitaire qui eut pour objectif, parmi d’autres, de dépénaliser l’homosexualité et d’abroger l’article 175 du code pénal allemand, qui visait à priver de leurs droits civiques les personnes homosexuelles. La pétition pour l’abrogation de ce paragraphe rassembla plus de cinq mille noms, dont ceux de Sigmund Freud, Albert Einstein, Hermann Hesse, etc.

10La thèse de Freud sur la bisexualité psychique fait qu’il ne réserve pas sa théorie de la perversion à tel ou tel type de choix d’objet. Il serait sans doute des plus hostiles aux actuelles thérapies dites de « conversion ». Ernest Jones, qui écrivit des atrocités sur les luttes d’émancipation des Irlandais, était, lui, farouchement hostile à ce que des homosexuels puissent devenir psychanalystes ; l’Association internationale de psychanalyse (Ipa) a longtemps façonné et rigidifié ses dispositions ségrégatives et répressives à l’égard de l’accès des homosexuels à la psychanalyse didactique.

11Pour illustrer la seconde partie de votre question, je peux rappeler que l’entrée, en 1910, de la première femme dans la Société de psychanalyse, Margareth Hilferding, présentée par Paul Federn, suscita la désaprobation mysogine d’un Isidor Sadger et, à peine plus tempérée, d’un Alfred Adler. Freud trancha et soutint qu’« il y aurait une inconséquence grave à exclure les femmes, par principe » ; il ferrailla également contre l’agressivité méprisante de Fritz Wittels envers les femmes. Graduellement, il considérera que les femmes sont tout autant que les hommes aptes à la sublimation et écoutera avec admiration des femmes d’une haute audace théorique, telle Sabina Spielrein, et d’une culture et d’une intelligence peu communes, telle Lou Andreas-Salomé.

M. V. Freud semble avoir été longtemps déçu de la réception de ses travaux en France. Il n’y sera d’ailleurs traduit qu’à partir de 1920. Vous soulignez que Jean Piaget fut l’un des premiers à présenter de façon très juste les thèses freudiennes.

O. D. Les travaux neurologiques de Freud furent très tôt connus en France. Dès 1893, Pierre Janet fait mention des travaux de Freud et de Josef Breuer sur l’hystérie, ce qui réjouit Freud. L’article de Freud sur l’étiologie des névroses est présenté de façon très critique par Paul Hartenberg, en 1898. Plus tard, le premier livre traitant en langue française et in extenso de la psychanalyse paraît en 1913 ; il est signé par Emmanuel Régis et Angelo Hesnard. C’est donc une bévue que de dire que c’est grâce à l’intérêt des surréalistes pour Freud (au reste marqué de part et d’autre par de l’incompréhension et de l’ambivalence) que la psychanalyse fut connue en France. Mais, évidemment, on doit aux surréalistes d’avoir voulu transposer  ce qu’ils ont cru saisir de l’inconscient freudien et des techniques psychanalytiques dans leur propre démarche ; cela participa à donner une réputation à la psychanalyse dans les milieux intellectuels et littéraires. Toutefois, les méthodes dont faisaient usage André Breton et ses proches étaient largement empruntées à Pierre Janet.

12En lisant la correspondance de Freud avec Marie Bonaparte, on voit bien à quel point l’amité et la confiance qu’il témoignait à la princesse allait de pair avec la mission qui lui incombait de structurer le mouvement psychanalytique et de doter la France de traductions supérieures à ce qui existait déjà. Nous savons tous que la revue L’Évolution psychiatrique et la Société française de psychanalyse ont été pratiquement fondées en même temps. Certains étaient d’ailleurs membres des deux Sociétés.

M. V. On constate, dans votre chronologie, combien les problèmes d’institutionnalisation de la psychanalyse ont existé dès cette époque héroïque et que certains ont fait preuve de lucidité, tel Sándor Ferenczi qui, bien qu’initiateur de l’Association internationale de psychanalyse, en 1921, évoquait la pathologie des associations, ou encore Victor Tausk qui mettait en garde « contre le caractère de religion scientifique ».

O. D. Oui, l’histoire est trop longue pour être rapportée en détail dans le cadre de cet entretien. Ma chronologie, cela va de soi, expose les moments de controverse qui étaient au cœur de chacun des grands congrès annuels de psychanalyse. Le lecteur pourra ainsi voir combien fut à la fois longue et passionnée la mise en place d’une doctrine tenue pour canonique sur la formation des psychanalystes, les techniques et les modalités de supervision, la nécessité ou l’opportunité de ne pas se limiter, pour qui se veut psychanalyste, à une seule tranche d’analyse, etc.

M. V. Totem et Tabou fut, dites-vous, au fondement de l’anthropologie psychanalytique ; cependant, vous précisez que les anthropologues Alfred Louis Kroeber et Marcel Mauss avaient été critiques vis-à-vis de l’ouvrage. Étant donné vos compétences en la matière, pourriez-vous donner un aperçu de l’évolution ultérieure de l’anthropologie psychanalytique ?

O. D. C’est surtout Franz Boas qui refusa énergiquement Totem et Tabou, qui lui semblait être un manifeste évolutionniste, car traitant les cultures et les peuples extra-européens à la fois comme des ancêtres et des enfants, soit des ancêtres qui n’auraient pas connu le développement. Ce préjugé, que l’on peut trouver sous la plume de Freud, a radicalement été broyé par Claude Lévi-Strauss dans Structures élémentaires de la parenté. Alfred Louis Kroeber était plus nuancé et créditait Freud d’avoir apporté à l’anthropologie le domaine de l’étude du sentiment. Marcel Mauss, critique à son tour, a vu dans Totem et Tabou un essai sur les « psychoses sociales », soit les « soubassements inconscients de la vie sociale »[2][2]Toutes ces critiques, parfois matinées de louanges, sont….

13Force est aussi de constater que L’Afrique fantôme de Michel Leiris, texte littéraire, certes, mais tant novateur en anthropologie, a été fort mal reçu par les leaders du milieu psychanalytique français : il fut copieusement étrillé et fort injustement par Marie Bonaparte et Charles Odier.

14Aujourd’hui, Georges Devereux et surtout ses héritiers, très divers selon les pays, ont tenté d’user de l’anthropologie pour soigner, ce qui n’allait pas sans fascination pour les dispositifs sorciers et les rituels thérapeutiques coutumiers, parfois singés de façon assez approximative dans les groupes qui se réclamaient d’un Georges Devereux, à dire vrai indifférent sinon hostile à quelques usages faits de son enseignement.L’Association française des anthropologues héberge le séminaire « Anthroplogie et psychanalyse » que Monique Sélim et moi-même animons en compagnie de quelques chercheurs en anthropologie et de Marie-Laure Dimon qui fut la grande ordonnatrice du Collège international de psychanalyse et anthropologie, dont je suis membre d’honneur. La question des nouvelles formes de subjectivation, des effets des globalisations du marché sur les économies subjectives, de l’anthropologie urbaine, y sont au premier plan.

M. V. Je fus surpris d’apprendre que l’économiste John Maynard Keynes avait lu Freud attentivement et qu’il s’était appuyé sur la psychanalyse pour parler de la monnaie et de l’argent.

O. D. John Maynard Keynes fréquentait le groupe dit de « Bloomsbury », à Londres. Ce groupe connut deux épisodes entrecoupés par la Première Guerre mondiale. S’y rassemblaient des romanciers, dont Virginia Woolf et Edward Morgan Forster, des peintres, des biographes, dont Lytton Strachey, James Strachey, le meilleur traducteur de Freud, et John Maynard Keynes qui fut présent dès les années 1910 et sut trouver dans le Malaise dans le civilisation une source d’inspiration quant à sa théorie du fétichisme de l’or[3][3]Je détaille ce groupe et ses liens avec le freudisme dans le….

M. V. Les résistances à l’égard de la psychanalyse avaient surtout rapport avec l’importance attribuée à la sexualité, le reproche de pansexualisme ayant été récurent. Terme pourtant que Freud n’aimait pas. Au demeurant, vous écrivez qu’il avait répondu à Robert de Traz, directeur de La Revue de Genève, que sa doctrine n’était pas une obsession sexuelle et que ce qu’il désignait sous le terme « libido » renvoyait en fait au désir en général, à l’Eros de Platon, qu’il s’agissait d’un « principe d’attraction ». Il y a de nombreux autres points dans votre ouvrage qui ont été largement débattus par la suite dans l’histoire de la psychanalyse et le sont encore à des degrés divers : l’analyse pratiquée par des médecins ou des non-médecins ; la crainte de Freud que la psychanalyse se réduise à une profession de santé ; les pratiques de conditionnement ; la question de l’universalité de l’Œdipe ; l’opposition ou non du masculin et du féminin, l’anatomie n’étant pas, selon lui, un critère suffisant de différenciation ; la question d’un possible État juif en Palestine, qu’il jugeait peu raisonnable en raison de l’opposition probable des chrétiens et des musulmans, suggérant un « sol moins chargé historiquement ».…

O. D. Oui, mais ce fut souvent une constante ; on acceptait dans les milieux universitaires et médicaux la psychanalyse à la condition de la délester de ce scandale qu’est la « sexualité infantile ». Bien évidemment, personne n’ignorait que les enfants retiraient un plaisir d’excitation oral ou anal ; la masturbation fit tant l’objet de répressions rééducatives que cela prouve bien que nul ne contestait l’excitabilité sexuelle de l’enfant ! Mais l’excitation enfantine, ce n’est pas la sexualité infantile. Le grand scandale de la thèse de la sexualité infantile est bien ce qui s’ensuit : la sexualité adulte est marquée par la sexualité infantile. C’est sur ce point qu’opère la clinique psychanalytique.

15Un mot encore concernant cette lettre, datée du 26 février 1930, que Freud a adressée à Chaim Koffler, membre de la Fondation pour la réinstallation des juifs en Palestine (Keren Ha Yesod). Freud, qui avait soutenu la Déclaration de Lord Balfour (1917)[4][4]Du nom du ministre anglais des affaires étrangères qui, dans…, y exprimait le plus net scepticisme quant à l’opportunité de créer un état juif en Palestine. Aux membres du B’nai B’rith, association proche de la franc-maçonnerie et dont il fut membre actif, y exposant parfois les lignes les plus avancées de ses travaux, il fait part de sa crainte de voir le sionisme répéter les exaltations nationalistes des autres États nations (« Chaque fois que j’ai éprouvé des sentiments d’exaltation nationale, je me suis efforcé de les repousser comme étant funestes et injustes, averti et effrayé par l’exemple des peuples parmi lesquels nous vivons, nous autres juifs. »). Freud n’en professait pas moins une sympathie pour un sionisme laïc, mais son sionisme appartenait pour lui à la sphère privée, s’étant toujours refusé à engager la psychanalyse dans une cause politique. Il est évidemment fantaisiste de réduire la position de Freud sur le sionisme à cette seule lettre de février 1930, et abusif d’en tirer les moindres présages sur ce qu’il dirait de nos jours, après la Shoah et la naissance de l’État d’Israël, sur les violences qui ensanglantent le Moyen-Orient, la Palestine et Israël[5][5]Je renvoie les lecteurs aux onze occurrences du mot….

M. V. Quelles réflexions vous viennent en essayant de comparer la psychanalyse du temps de Freud  à celle d’aujourd’hui, si tant est que l’on puisse en parler au singulier.

O. D. On ne peut en parler au singulier. L’écho de la psychanalyse semble aujourd’hui s’estomper. Dans le champ thérapeutique, d’autres techniques ont davantage le vent en poupe et je regrette l’hostilité de nombreux psychanalystes pour les diverses formes de psychothérapie. Certes, des applications bornées des thérapies comportementales et cognitives (tcc) et le commerce florissant de tout ce qui se revendique du « développement personnel » sont des prédateurs inquiétants de la psychanalyse. Mais faut-il pour autant ignorer les techniques psychothérapeutiques pouvant entrer en dialogue avec la psychanalyse ? Je ne le pense pas et ne le souhaite guère. Par ailleurs, les psychiatres se réfèrent peu à la psychopathologie freudienne et encore moins aux contributions de Freud ou de Lacan à une psychopathologie fondamentale. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Dsm), nous le savons tous, pour critiquable qu’il soit, règne en maître au point qu’on peut se demander si la bataille des classifications n’est actuellement pas terminée. Aujourd’hui, le paysage des psychologues s’orientant vers des pratiques psychothérapeutiques est assez peu cernable.

16Le recul de la psychanalyse est net à l’université, et, trop souvent, un dogmatisme des écoles psychanalytiques a pris le pas sur la nécessité pédagogique d’enseigner tous les courants principaux de la psychanalyse ; de même, l’enseignement de l’histoire de la psychanalyse reste plus que négligé, ce qui n’aide pas à l’éveil de l’esprit critique. Tout cela a pu ouvrir un boulevard aux adversaires de la psychanalyse. Bref, ce tableau semble sombre, mais la tendance confortable au pessimisme ne peut que s’accroître à mesure que notre rapport à l’actualité de notre discipline est gouverné par la nostalgie d’une ère révolue imaginée comme l’âge d’or de la psychanalyse dont les anciens acteurs, pour la plupart aujourd’hui décédés, auraient été les héros.

17Déclin, certes. Non que les psychanalystes n’aient rien à proposer d’innovant, ils le font, les colloques nombreux et les publications presque innombrables en témoignent. Des avancées se produisent, et elles sont notables dans la clinique de l’autisme et de la psychose, dans les recherches sur l’adolescence et au sein de cette sympathique nébuleuse qu’est l’« interculturel ». Enfin, de nombreux jeunes médecins ou psychologues continuent à s’intéresser à la psychanalyse, à suivre des cures. Et bien des collègues, y compris parmi les gens d’une quarantaine d’années, voient leur cabinet plein comme un œuf.

18À trop souvent parler de « la » psychanalyse ou « du » mouvement analytique, on oublie que ce monde des psychanalystes est profondément divisé par la façon dont il traite les bouleversements sociétaux et anthropologiques. La réputation de la psychanalyse, son parfum parfois « has been », provient aussi de prises de positions encore favorables aux dogmatismes patriarcaux, hostiles, par exemple, au mariage entre personnes de même sexe, puis aux réactions effarouchées devant les théories queers et les mouvements « trans », ce qui fait que des psychanalystes, par dogmatisme réactionnaire, jouent, à leur insu peut-être, un rôle dans cette situation préoccupante que connaît la psychanalyse française.

Notes

[1] On pense ici notamment à celle de Sigmund Freud disant avoir apporté la peste aux États-Unis. On chercherait encore en vain la preuve exacte de cette mention. De même, on pense à celle de Jacques Lacan, qui aurait été coupé violemment par Ernest Jones lors de son intervention sur le miroir au Congrès de Marienbad, en 1936. En réalité, il fut interrompu au terme du temps fixé pour chaque intervenant par le président de séance, Clarence P. Obendorf, et non par Ernest Jones.

[2] Toutes ces critiques, parfois matinées de louanges, sont exposées en détail dans le chapitre 6 de mon livre.

[3] Je détaille ce groupe et ses liens avec le freudisme dans le chapitre 8 de mon ouvrage.

[4] Du nom du ministre anglais des affaires étrangères qui, dans une lettre adressée à Lord Rothschild, exprime la sympathie du gouvernement de Sa Majesté « pour les aspirations sionistes des Juifs », ajoutant que « le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine, ainsi qu’aux droits et au statut politique dont les Juifs pourraient jouir dans tout autre pays. Je vous serai reconnaissant de porter cette Déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste ».

[5] Je renvoie les lecteurs aux onze occurrences du mot « Palestine » indiquées dans l’index de mon livre.

Olivier Douville | La psychanalyse dans le monde du temps de Freud - Chronologie

Freud en mondovision 

par Arnaud Viviant

« Mort du père de Freud (23 octobre 1896) et début de la passion de ce dernier pour les antiquités. Le deuil l’amène à tenter sur lui-même le travail d’investigation qu’il conduit sur ses patients, c’est le début de “l’auto-analyse”. » Il y a ainsi, de nombreuses fois, dans la somme monumentale et inédite que vient de produire le psychanalyste Olivier Douville, certaines phrases qui peuvent vous faire rêvasser aussi longtemps que certaines Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon. Avec ce même art du sens qui gît dans la béance produite par la synchronicité (comme chez Fénéon ou dans l’analyse). Par cette mémoire stratifiée phrase après phrase dans le temps qu’est un texte (comme chez Fénéon ou dans l’analyse).

En coagulant ou en synchronisant deux informations presque sous la forme d’un télégramme ou d’un télex, Olivier Douville laisse entendre qu’elles pourraient être inconsciemment liées comme si la mort de son père engendrait chez Freud un fétichisme de la mémoire. La chasse aux souvenirs est donc ouverte et le père de la psychanalyse va se lancer dans une opération finalement moins périlleuse qu’il n’y paraît : une « auto-analyse ».

Sans trop de risque de se tromper, on peut en effet admettre que toute analyse n’est au fond qu’une auto-analyse que produit l’analysant sous la direction éditoriale de son analyste. « Il ne faut pas écouter l’analysant, mais le lire », disait Lacan. Sans trop de risque de se tromper non plus, on peut néanmoins affirmer que cette cascade dissociative est réservée aux professionnels de la profession en notant que, parmi eux, les écrivains se sont particulièrement distingués : Sartre en premier lieu avec Les mots dont il a toujours dit qu’il s’agissait là de l’analyse qu’il n’avait pas faite et qu’il a parfaitement accomplie dans une écriture resserrée qui l’avait complètement abandonné depuis La nausée ; André Gorz, suivant l’exemple de son maître Sartre avec Le traître ; avant cela sans doute, tout le groupe surréaliste dont l’écriture automatique est contemporaine de l’association libre ; et bien sûr Michel Leiris dans toute son œuvre jusqu’à ce texte admirable de vieillesse auto-analysée qu’est Le ruban au cou d’Olympia. C’est-à-dire le ruban, aussi, de sa machine à écrire : une Olympia.

Avec La psychanalyse dans le monde du temps de Freud, ce projet de raconter de façon chronologique (il faudra quand même revenir sur ce terme), Olivier Douville a inventé une machine à écrire la psychanalyse qui serait tout autant une machine à la décomposer comme un cheval au galop chez Eadweard Muybridge. Son livre, écrit-il, s’adresse « aux jeunes psychanalystes » qui pourront ainsi voir naître puis grandir la psychanalyse comme un organisme ainsi que dans ces films en accéléré où pousse une fleur, éclot une renoncule ; mais aussi la voir progresser dans le monde entier, y compris en Asie, à la manière d’une onde de choc dont l’épicentre est Vienne. Une onde de choc et non un virus. Selon Douville en effet, et c’est important, « contrairement à une mention faite par Lacan d’une confidence de Freud à Jung, et souvent reprise telle quelle sans précautions, il est très douteux que Freud, alors que le paquebot arrivait le 29 août (1909) au port de New York, ait dit qu’il apportait la peste aux Américains ».

Si la psychanalyse part de Vienne, ce n’est pas seulement parce que Freud y vit, mais aussi parce qu’il y a alors dans la capitale autrichienne, résume Douville, tout un biotope de cercles intellectuels masculins et organisés autour d’un homme, dont le mouvement Sécession qui tourne autour du peintre Gustav Klimt (1862-1918), celui s’intéressant à la composition musicale dodécaphonique avec Arnold Schoenberg (1874-1951), ou encore l’assemblage de talents autour de Karl Kraus (1874-1936) et de son journal Die Fackel. Des cercles qui intéressent peut-être plus la psychanalyse que les cercles scientifiques qui regardent au microscope éclore la renoncule avec suspicion.

D’une chronologie, on suppose qu’elle ne va retenir que les grandes dates, les faits saillants. Mais Douville sait tout à fait prendre le temps de l’anecdote s’il la juge éclairante ou savoureuse. On pourrait rêver d’écrire un roman ou de faire un beau film avec l’information suivante : « Lors de ses vacances en Hollande, malgré son habitude de n’accepter aucun rendez-vous professionnel, Freud répond à un appel du compositeur Gustav Mahler (1860-1911) qui souffre de troubles sexuels. Il le « psychanalyse » pendant quatre heures, le 26 août (1910), lors d’un après-midi de promenade à travers la ville de Leyde. C’est Alma Mahler qui a persuadé Gustav de consulter. Le processus créateur chez le musicien est analysé ainsi que ses liens avec le symptôme sexuel. » Que demander de mieux à un livre sur la psychanalyse que de nous faire rêver ?

D’une chronologie, on peut aussi s’attendre à ce qu’elle soit… chronologique. Toutefois, ce serait une conception assez plate du temps, en tout cas très peu analytique. Si Douville construit son livre année par année depuis la naissance de Freud, cela ne l’empêche pas d’injecter du passé et du futur dans les veines de son marbre. Comme Gustav Mahler, Yoshibide Kubo ne fait qu’une seule et brève apparition dans ce récit, en 1915. La voici : « Yoshibide Kubo, après un séjour à la Clark University où il fut introduit aux thèses psychanalytiques par S. Hall, publie une série de textes sur le rêve. Il tentera par la suite d’adapter le test d’intelligence de Binet et Simon à la population japonaise ». Là encore, ce sentiment de roman comprimé, de short short stories à la Fredric Brown dans cette économie de moyens (ainsi, qu’il est beau et fielleux, ce : « il tentera »). En deux phrases, Douville montre d’une part comment, dès 1915, la psychanalyse se diffusait à l’autre bout du monde, le parlêtre se déjouant immédiatement des langues et des alphabets : en Chine, au Japon ou en Russie, même si Lénine n’y était guère favorable. D’autre part, avec cette histoire de test d’intelligence, il pointe comment la psychanalyse a dû se débattre, depuis son origine jusqu’à aujourd’hui, contre une inféodation par ce qu’il appelle les « sciences affines » : la psychologie, la psychiatrie, la médecine (cette bataille permanente et acharnée depuis Freud pour qu’on puisse être psychanalyste sans être médecin), les sciences sociales, la philosophie, voire l’anthropologie (même si, anthropologue de formation, Douville ménage peut-être plus cette dernière dans ses désirs d’annexion) pour devenir, comme dira l’Autre nécessaire de Freud et de la psychanalyse, « un discours qui ne soit pas du semblant ».

Plus qu’à un livre, La psychanalyse dans le monde du temps de Freud fait donc penser à un film réalisé et monté par Olivier Douville, s’attardant à la focale sur tel ou tel personnage traversant cette histoire en silhouette incarnée défiant le temps, et où le droit d’antéposer de façon signifiante une séquence n’est pas interdit, bien au contraire. C’est ainsi que les deux phrases impliquant la mort du père de Sigmund Freud, citées au début de cet article, sont précédées dans le livre par un événement qui se passe en réalité six semaines après. Le 6 décembre 1896 (alors que son père est mort le 23 octobre) « dans une lettre à Fliess, Freud décrit un appareil psychique avec ses trois plans, inconscient, préconscient, conscient. Et il situe la différence entre sa théorie et celle des autres auteurs et praticiens se référant à l’idée d’un inconscient par la démarcation suivante : la mémoire se développe par un processus de stratification, « la mémoire est présente non pas une seule mais plusieurs fois ». Freud découvre une dimension supplémentaire dans le transfert qui ne le réduit pas un phénomène intersubjectif. Ce qui oriente le transfert est « cet autre inoubliable que nul n’arrivera à égaler sur la scène de la réalité ».  

Pourquoi Olivier Douville a-t-il décidé de nous parler de cette lettre où Freud donne une définition inoubliable de la mémoire et plus encore du transfert sur lequel tout le monde ira ensuite s’arracher les cheveux, avant d’annoncer brutalement que le Père du Père de ce qui deviendra une horde mondiale de psychanalystes était mort depuis déjà six semaines ? Voilà qui donnera aux jeunes analystes de quoi rêvasser pour quelque temps encore, du moins l’espère-t-on.

Arnaud Viviant


Editions Erès - EAN : 9782749273297 - 14x22, 472 pages - 39€ - Entre les lignes - Thème : Psychanalyse 

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Olivier Douville | La psychanalyse dans le monde du temps de Freud - Chronologie

par Pierrick Brient

sur le site Œdipe le Salon

Ce livre nous propose une présentation des grandes dates de diffusion de la psychanalyse à l’époque où vécut Freud, présentation mise en regard avec les contextes historiques (guerres, révolutions, mouvements d’indépendance) durant laquelle elle vit le jour et se développa. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un travail d’historien mais plutôt d’une mise en perspective visant à faire transmission. Transmission des contextes de réception et de développement de la psychanalyse mais aussi des impasses et des enjeux de son institutionnalisation. Cet ouvrage vient soutenir des réponses au pourquoi la psychanalyse dans un monde contemporain en mutation et compte tenu du pari qu’elle doit toujours renouveler quant à sa portée subjective dans le champ de la vérité. Bien vivante par sa pratique, peut-être plus que jamais, la théorie psychanalytique a aujourd’hui affaire à des détracteurs souvent mal informés qui, sous couvert d’une soi-disant obsolescence, protestent énergiquement contre la subversion que la rencontre de la psychanalyse nécessite d’accepter. Car il s’agit aussi, pour Olivier Douville, dans le fil des travaux qu’il poursuit depuis quelques décennies, de soutenir la richesse anthropologique de cette science du particulier, c’est-à-dire « l’incroyable influence et pouvoir de fécondation de la psychanalyse sur les sciences affines dont la médecine, la psychologie, l’anthropologie et l’esthétique, en dépit ou grâce peut-être aux débats et aux rudes controverses qu’elle suscita ».


Particulièrement précieux par la masse d’informations précises qu’il apporte, cet ouvrage décrit les cycles événementiels groupaux ou singuliers qui ont ponctué l’histoire de la psychanalyse depuis 1856, année de la naissance de Freud, jusqu’à sa mort en 1939. Les questionnements, les réinterprétations, les relectures, les oppositions qu’elle provoqua en Europe et dans l’univers extra-européen sont commentées et discutées. L’auteur revient sur le temps de la formation de Freud, celui de la découverte des lois de l’inconscient, du pouvoir de la parole et de la naissance de la psychanalyse avec l’hystérie, puis, plus tard, sur la façon dont elle commença à s’égrener, à voyager, en psychiatrie notamment, avec enthousiasmes ou polémiques, voire refus catégoriques, dans tous les cas ne laissant personne indifférent. L’extension de la psychanalyse fait corps avec les avancées et publications de Freud mais aussi avec ses modes d’institutionnalisation. Les années 20 sont marquées par la question de la formation des psychanalystes, par le lien à l’éducation et les problèmes posés par l’application de la technique psychanalytique aux enfants ou bien l’exploration de la sexualité féminine et les débats qu’elle suscite. Les années 30 se caractérisent notamment par les effets de la montée du nazisme qui aboutiront à l’exil de Freud à Londres. Si la psychanalyse, à cette époque de la première moitié du XXème siècle, fût présente dans la grande histoire à travers les événements majeurs qu’elle traversa,  quelque chose frappe le lecteur dans son histoire interne : la dimension de la répétition. Nous retrouvons souvent, en effet, les mêmes querelles, les mêmes préjugés, les mêmes méconnaissances, les mêmes ostracismes, comme le souligne Douville, « les mêmes débats inaboutis et virulents concernant la formation de qui se prétend psychanalyste ».

Ce livre, qui nous surprend souvent, fait preuve à l’occasion d’humour et se révèle foisonnant, nous apporte une documentation précise sur la psychanalyse et son histoire. La portée de l’ouvrage de Douville tient au fait qu’il reprend les évènements dans le détail, nous montrant comment un réseau de relations s’est tissé avec le temps, par exemple entre échanges épistolaires et avancées théoriques, entre personnalités et influence réciproque avec les sciences affines, ou encore entre traductions et diffusions d’un pays à l’autre… On découvre aussi comment  le jeu des transferts vers Freud et de Freud vers ses élèves proches et ses amis écrivains a participé au développement vivant de la psychanalyse. Le bouillonnement qu’elle provoqua introduisit une renversement épistémologique qui bouscula les milieux littéraires, philosophiques, sociologiques, scientifiques, jusqu’aux Amériques et en Chine, et qui perdure depuis Lacan. Soutenant la scientificité de la psychanalyse, Freud inventa – c’est l’une des idées force soutenues par Olivier Douville – une théorie inédite de la Culture.

Pierrick Brient.
Psychanalyse, membre de l’Ecole Freudienne.

Editions Erès - EAN : 9782749273297 - 14x22, 472 pages - 39€ - Entre les lignes - Thème : Psychanalyse 

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Olivier Douville | La psychanalyse dans le monde du temps de Freud - Chronologie

par Robert Maggiori

dans Libération

On reproche parfois à une méthodologie privilégiant la chronologie d’être «aplatissante», de mettre un peu trop d’ordre linéaire là où progressions et régressions – corsi et ricorsi selon Giambattista Vico – se font en désordre, en spirale, en cycles longs ou courts, par voie souterraine… Le choix fait par Olivier Douville – psychanalyste, maître de conférences de psychologie clinique – montre au ­contraire combien cette méthode, appliquée à l’histoire de la psychanalyse, est féconde, si l’on est capable de jouer sur la contemporanéité et la simultanéité, autrement dit d’entourer un fait qui se déroule à un instant – par exemple 1906, année de la rupture de Freud avec Wilhelm Fliess ou le début de sa correspondance avec Jung – par une myriade d’événements qui, de près ou de loin, dans d’autres pays, sont déterminés par ce fait, ou au contraire le déterminent. Du coup, l’ouvrage se pose d’emblée comme une référence, qui ne semble pas devoir être uniquement destiné « aux étudiants et aux psychanalystes débutants » mais bien à un large public. En effet, le «projet de retracer une présentation des grandes dates de la diffusion de la psychanalyse dans le monde du temps de la vie de Freud», exposé selon cette méthode chronologique, permet d’«inclure des références précises aux contextes», historiques, politiques, sociaux, scientifiques, sinon de faire revivre controverses, «enthousiasmes», méfiances, adulations que le développement des théories freudiennes a suscités chez les philosophes, les écrivains, les psychiatres, les anthropologues, les historiens de l’art… C’est tout un «monde» que reconstruit Olivier Douville. Par exemple, en 1918, année où Anna Freud commence à 22 ans une analyse avec son père, quels faits, connectés à la science de l’inconscient, se déroulaient en Inde (traduction de l’Interprétation des rêves), en France (Lacan, 17 ans, rencontre Joyce), en Suisse, en Ukraine, au ­Brésil… ? 

Robert Maggiori

in LIBERATION, 23 IX 2023

Editions Erès - EAN : 9782749273297 - 14x22, 472 pages - 39€ - Entre les lignes - Thème : Psychanalyse 

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Olivier Douville | La psychanalyse dans le monde du temps de Freud - Chronologie

Cette chronologie présente les contextes enthousiastes ou polémiques de la réception de la psychanalyse à son origine. L’auteur décrit et analyse les principales étapes de développement des théories psychanalytiques, des confrontations qui en résultèrent dans des contextes culturels, scientifiques et militants dans le monde.

La présentation chronologique des grandes dates de la diffusion de la psychanalyse dans le monde du temps de la vie de Freud s’appuie sur des références aux contextes de l’histoire (guerres, révolutions, mouvements d’indépendance) durant laquelle elle vit le jour et se développa.

La psychanalyse s’est rapidement diffusée dans les mondes européens et extra-européens : sur les continents nord et sud-américains et aussi en Asie – c’est-à-dire, dans certains cas, dans des pays marqués par la domination coloniale. Quel accueil reçut-elle ? Comment fut-elle entendue, interprétée ?

Cette chronologie permet d’appréhender son influence sur les sciences affines – médecine, psychologie, anthropologie et esthétique –, grâce notamment aux rudes controverses qu’elle suscita et qui purent la féconder en retour.

La psychanalyse existe par un ensemble de textes : des écrits théoriques majeurs, mais aussi des correspondances volumineuses où l’on assiste à la naissance de questions de doctrines et de méthodes, où le jeu des transferts vers Freud et de Freud vers ses élèves proches et ses amis écrivains se lit de la plus vivante des façons. Ils constituent une source importante pour cette chronologie.

Cette mise en ordre des faits réserve une large place aux dynamiques institutionnelles souvent conflictuelles propres aux mouvements freudiens et aux débats fréquemment inaboutis, parfois virulents mais toujours actuels concernant la formation des psychanalystes.

Editions Erès - EAN : 9782749273297 - 14x22, 472 pages - 39€ - Entre les lignes - Thème : Psychanalyse 

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