Galien, Ne pas se chagriner

Texte établi et traduit du grec par Véronique Boudon-Millot et Jacques Jouarna - Les Belles Lettres, 2010

Par Olivier Douville

Indispensables présentation et établissement de ce texte nouvellement découvert de la médecine et de la philosophie, d’autant qu’est méconnue la place nécessaire d’un enseignement de nos humanités en psychologie et en psychiatrie. Cette édition, des plus soigneusement faite, rend honneur à un texte retrouvé, en 2005, au monastère orthodoxe des Vladates (Thessalonique).

Ce qui pourrait n’apparaître que comme un écrit de circonstance, apparaît bien pour un manifeste humaniste des plus sincères et des plus touchants qui soit. Œuvre de maturité et cicatrisation d’un traumatisme là où Galien voit une partie de ses biens et des œuvres dévoré par l’incendie qui embrase Rome en 192. Nous sommes alors sous le règne despotique de Commode. Ce César, fils de Marc-Aurèle, qui fut soigné dans son jeune âge par Galien, se révèle, dès son accès au pouvoir un tyran cruel et incohérent. Il périt assassiné, étranglé dans le tiédeur de son bain par un esclave, et ce texte est sans doute écrit peu après cet événement qui ne chagrine pas de trop l’Empire Romain. Galien âgé de 64 ans, vient donc de perdre une partie de son travail sur quoi reposait une existence toute de rigueur et de méticulosité- et aussi des inestimables copies de Théophraste, le plus brillant des élèves d’Aristote. Le médecin, dressant l’inventaire des ces pertes cruelles, établit ainsi un catalogue précis de ses travaux, valant inventaire aussi et surtout pour les siècles qui suivront la rédaction de ce manuscrit.

Cet essai sur la perte est un éloge de la puissance de l’imagination, comprise moins comme pourvoyeuse de chimère, mais comme ce qui peut réaliser, par délégation aux pouvoirs de l’esprit, une expérience de satisfaction par remémoration. Visite et organisation des traces de ce qui n’est plus, ce Ne pas se chagriner a un avant-goût métapsychologique. L’œuvre perdue, dans la mémoire vit et s’épure, elle devient un partenaire pour Galien, qui, serein, heureux presque, de ce qu’il a rédigé et collectionné d’œuvres, et entrepris enfin, s’empare de ce bilan pour fustiger les violences et les mensonges dont pullule la vie politique de son temps. Nul masochisme stoïque en cela, le malheur n’est pas recherché comme une condition ou un biais pour s’exercer à la sagesse que le stoïque oriente et exalte en puissance de détachement. Un humanisme plus souriant s’exprime en ses pages élégantes et amicales au lecteur.

Indispensable, oui.

Olivier Douville