What is this thing called love ?

Leo Reisman

Par Olivier Douville

Leo (1897-1961) Riesman - What is this thing called love - 78t - New York, 1930-01-20, Victor talking Machine - Orchestre : Leo Reisman (violon et leader) ; Bubber Miley, Lew Sherwood, inconnu (trompettes) ; inconnu (trombone) ; Jessie Smith (clarinette) ; trois inconnus (saxophones divers) ; Adrian Rollini (saxophone basse) ; inconnu (orgue) ; Lew Conrad (violon et vocal) ; inconnu (violon) ; Eddie Duchin (piano et célesta), trois inconnus (banjo, tuba, batterie)

1929, après son séjour en France dans l’orchestre de Nobble Sissle, Bubber Miley rejoint au Lafayette Théater le groupe du batteur Zutty Singleton. Un mot sur ce théâtre. Ouvert à une audience mixte dès 1912, ce lieu surnommé « The Beautifull House » et qui est situé dans Harlem, à New York, est probablement la première salle de concert d’importance à ne pas pratiquer la ségrégation raciale.

A partir de 1930 Bubber retrouve ces salles de concert, de restaurant et de spectacles, ces endroits "convenables" et si nombreux où domine la ségrégation raciale. En effet, rejoignant l’orchestre – blanc- de danse de Leo Reisman, Bubber Miley doit jouer derrière le rideau où se limiter à des apparitions grotesques et pénibles en uniforme d’employé de théâtre.

Le chef n’aimait pas la musique de jazz, il se résignait à employer Bubber Miley ou Adrian Rollini pour rester dans l’air du temps.

Mais son truc, c’était plutôt des flots de guimauve poissant orchestre et danseurs, qui couleraient à gros bouillons rosâtres des bouches des cuivres, du souffle des vents, des gosiers des chanteurs-confiseurs.

Quittant l’odeur de jungle de la phalange de Duke, Miley se retrouve englué dans un parfum de sirop et dans un décor de carton-pâte.

Sans partenaires qui puisse l'écouter. Qu’importe il n’était pas là, ou si peu. Il était dans la grande tradition des exilés de cœur à entrer dans une maison qui n’était pas son genre, et dans cet abri de relégation pouvait-il encore inventer sa musique. Un beau soir, alors que tout se prête à la mollesse, la boursouflure et le mièvre, il apporte dans l’éclat de platine et d’orage de sa trompette « wa wa » une pêche miraculeuse. Un solo d’introduction, précis, tendu, inquiet et fabuleux. Et maintenant l ‘orchestre ne sait plus quoi en faire. Le vocaliste roucoule et ne nous assomme pas même. Miley est là pour des contrechants vifs comme des coups de couteaux. Il navigue sur un océan construit par son souffle lorsque le reste de la troupe semble faire joujou sur la plage avec des risettes de circonstance. Si l’orchestre de l’opportuniste Reisman continue à ânonner ses préciosités inutiles, il est trop tard . La nuit luminescente de la trompette éclipse les après-midis fades des thés dansants. Nous n’entendons plus que Bubber Miley, et ce sont les autres sur lesquels retombent, en les dissimulant, les plis empesés du rideau.

Olivier Douville