Send Back My Honeyman

Louis A. Mitchell (1885-1957)

Par Olivier Douville

Louis A. Mitchell (1885-1957) - Send Back My Honeyman - 78t - Paris, 1922-10-00, Pathé

Orchestre : Louis Mitchell's Jazz Kings : Louis A. Mitchell (batterie et leader) ; Cricket Smith (trompette) ; Frank D. Whiters (trombone et saxophone alto) ; présence possible de Sidney Bechet (saxophone soprano) , Shrimp Jones et non identifié (violon) ; Walter Kindare (banjo) ; Joe Meyers (piano)

Louis Mitchell commence sa carrière artistique en étant un jeune comédien qui fait partie d’une troupe de « Ministrels ». Qui sont les "Ministrels" ? Ces spetacles qui, lors des années d’apprentissage de Mitchell, sont devenus un art de rue n'étaient, avant la guerre de Sécession, qu'une vulgaire exhibition jouée par des blancs grimés en noirs ruissellent de la prétention de tourner en ridicule les supposés travers et infantilismes des afro-américains. Par un effet de retournement assez fréquent, les artistes noirs, après l’Emancipation, récupèrent cette mascarade et en font un vrai spectacle, une sorte de théâtre musical à part entière, précurseur du "vaudeville noir" - genre si bien représenté par le duo "Butterbeans and Susie". En Europe, Claude Debussy écrit une pièce nommée « Ministrels ».

Mitchell laisse le théâtre et fonde, à l’âge de 17 ans, le "Southern Symphony Quartet" qui fait ses premières armes à New York avec Vance Lowry au banjo. Les voilà engagés au « Reisenweber » qui, trois ans plus tard, fera un accueil triomphal à l’O.D.J.B. Remarqué par un impresario, il bénéficie d’un contrat pour la Grande-Bretagne, pays dans lequel il débute à Piccadily avec les danseurs Louise Alexander et Jack Jarrett. Les journaux de Londres dépeignent Mitchell comme “la plus grande batterie du monde » (sic).

La guerre éclate, Mitchell qui retourne à New York est alors soliste au sein de l’orchestre du « Clef Club » fondé par Jim Europe ; il repart immédiatement en tournée, avec cet orchestre noir riche de soixante-quinze âmes, il joue peu de batterie et chante de sa bonne voix de ténor. Le groupe s’arrête à Philadelphie, Baltimore, Richmond, Washington, et Mitchell tient la vedette en qualité de ténor soliste.

Vient ensuite un second séjour en Angleterre où il rencontre un danseur qui, admiratif de son groupe raffole de pouvoir danser sur la musique de Mitchell : il s’agit de Rudolph Valentino. Après un bref passage parisien où ses « Seven Spades » débutent à « L’Alhambra », il retourne « at home » afin de recruter les musiciens qui vont former un orchestre qu’il va, de nouveau, amener avec lui en Europe, en réel ambassadeur de la musique syncopée. A Bruxelles l’écrivain Léon Goffin le remarque. A Paris, Leiris, Cocteau et Milhaud l’adulent. les Mitchell Jazz Kings ouent en 1919 au casino de Marigny avec Mistinguett et font l’objet d’un article de Jean Cocteau dans le Midi Libre.

Le plus souvent l'orchestre tient sa partie dans la fosse du "Casino de Paris" pour accompagner revues et chanteuses. Il a, dans la capitale française, gravé cinquante et une faces pour la marque Pathé, toutes apprécéies et correctement vendues

Ralph Tyler, journaliste américain, écrit : “La grande attraction actuellement au Casino de Paris, et disons plus, la grande attraction de tous les théâtres parisiens qui auraient assez d’argent pour s’offir pareille vedette, n’est autre que Louis A. Mitchell, un américain de couleur, qui a tracé son chemin jusqu’à Paris à coup de tambour et a ainsi bouleversé le cœur des Parisiens. Ici on le tient pour le ‘drummer éclair’ ou ‘le spécialiste du bruit’ qui a affolé la capitale”

La légende si bellement racontée par Robert Goffin veut que c’est en gagnant une véritable fortune lors d’une partie de dés que Mitchell peut se porter acquéreur du cabaret « Le Grand Duc », cabaret situé dans les sous-sols du "Casino de Paris", dont l’inauguration, le 26 mars 1921, restera longtemps gravé dans toutes les mémoires des noctambules. Goffin écrit : « On y vit défiler des fêtards en habit et des dames décolletées couvertes de bijoux. Il est intéressant de noter ce détail d’opposition : à la Nouvelle-Orléans et même à Chicago pendant cette période, le jazz était réservé aux éléments les plus populaires du public ; à Paris, il devient un triomphe aristocratique. »

Cette année-là Paris swingue et syncope à ne plus savoir où donner de la tête. La revue « Paris qui Jazz » se termine le 20 mars au Casino de Paris, après plus de 200 représentations. Le « Southern Syncopated Orchestra" donne une série de concerts au Théâtre des Champs Elysées, Buddie Gilmore avec sa batterie ragtime épate les curieux, la chanteuse Nina Payen fait courir les foules ; l’année suivante verra l’ouverture du cabaret « Le Bœuf sur le Toit » appelé à devenir un haut lieu du jazz parisien.

Mitchell se retire de la musique pour se consacrer aux affaires, en 1924. Le vétéran Cricket Smith prend la direction de l’orchestre.

"La musique de Mitchell représente une tentative originale et parfois aboutie de jouer du ragtime évolué en petite formation. C’est un batteur assez raide dont l'art réunit celui des trois principaux percussionnistes des "marching band", jouant donc binaire comme le font tant d'autres sinon presque tous avant Baby Dodds et ses musiciens empreints de la culture ragtime ne sont pas davantage portés à jouer ce qui alors était de l'avant-garde, soit le swing."

Mais les compositions sont charmantes et les petits arrangements toujours clairs.Deux autres bonnes faces de cet orchestre sont "Spooning" (janvier 1922) et "Blue" (13 avril 1923)

Sidney Bechet, déjà parisien d'adoption, a joué à plus d’une reprise avec cet orchestre au tout début des années 1920. Sa présence sur ce disque reste toutefois très hypothétique.

Olivier Douville