Sara Martin

Par Olivier Douville

Sara Martin qui commença sa carrière en 1915 dans l’Illinois comme vedette de « music-hall » fut une vedette d’exception, dans les premières années du succès fulgurant des disques de blues urbain, propulsée par le très avisé Clarence Williams dès 1922, elle bénéficia l’année suivante d’une vingtaine de sessions d’enregistrements. La crise ( « Dépression économique « ) survenant six ans plus tard, elle disparut à peu près totalement des studios d’enregistrement gravant ces derniers 78 tous à la fin de l’année 1928. Le mélange des rags, des songs et des blues avait fait adopter à la plupart des chanteuses issues de la scène la méthode et l’élégance des comédiennes et des conteuses. Peu disposée au tragique, jamais portée vers une expression sombre ou tourmentée, Sara avait pour elle l’atout incomparable d’une vois puissance, grave et chantante, d’un sens rare du détaché des mots et des phrases. De sorte que si les compagnie de Race records ne voulaient pas prendre de risque et réduisaient de façon drastique le nombre de cires qu’ils gravaient et commercialisaient, Sara eut pour elle de bénéficier de la reconnaissance du public new-yorkais et de l’amitié de certains de ses camarades musiciens qui se risquaient encore à faire vivre des orchestres étoffé ou à monter des « revues ». Ainsi l’exubérant et sensible Fess Williams l’afficha-t-il en haut des feux de la rampe comme vedette invitée au Lincoln Theater de New York. Les feuilles d’un des premiers journaux dévolus à la cause afro-américaine, le « Chicago Defender » signalèrent les derniers enregistrement de Sara Martin et ses prestations au « Grand Theater » de Chicago, les couvrant d’éloges avertis et circonstanciés.

On ne peut pas comprendre l’art de Sara Martin si on omet d’écouter ses deux dernières sessions. Avant, elle est plaisante, un peu rigide, sympathiquement datée, tenant des propos badins et charmeurs mais qui ne rappellent en rien la cruauté et la crudité du blues, son esprit audacieux et qui colle au corps. On n’a assurément rien entendu qui vienne du plus profond d’elle avant 1928. Là, on dirait que, sentant prochaine la fin de son règne et de son succès, comme l’océan qui se resserre autour de ses majestueux éléments elle laisse percer le sublime sous l’élégant, le tragique sous le spleen de circonstance. Un musicien a compris cet enjeu. Il s’est porté à ce rendez-vous, il a mis ce kaïros dans sa musique. King Oliver, bien sûr, mû lui aussi par de terribles pressentiments. Se battant encore pour son amour-propre, bientôt pour sa survie, il ne pouvait pas badiner avec un blues qui parle de la mort et de la fatalité. Plus admirable que le ciselage qu’il donne à chacune des mesures de ce blues, est l’ambiance qu’il lui confère à l’ensemble de ce morceau et qui est un tissu qui brille et bruisse d’un mélange de nostalgie, d’ironie et de vraie profondeur humaine. Rarement la beauté aura autant été la demeure de la tendresse. Comme souvent, heureusement, ce duo entre une chanteuse et un musicien crée une entité musicale qui unit de dépasse la simple addition de deux personnalités musicales, il est vrai hors du commun. (on pense ici à Monette Moore et Bubber Miley, Bessie Msith, et Clara Smith ou « Ma » Rainey avec Louis Armstrong ou Joe Smith).

Un Blues pas sans le Jazz, un Jazz pas sans le Blues, un témoignage irremplaçable de la Great Afro-Amercian music des années 1920.

Olivier Douville