New Orleans Wiggle - Armand John Piron

Par Olivier Douville

New Orleans Wiggle - Armand John (1888-1943) Piron - 78t - New York, 1923-12-11, VocalionOrchestre : Armand J. Piron (violon et leader) ; Peter Bocage (trompette) ; Jo Lindsay (trombone) ; Louis Warnecke (saxophone alto) ; Steve Lewis (piano) ; Charles Bocage (banjo) ; Jose Yssaguires (tuba) ; Louis Cottrel Sr. (batterie)

La Nouvelle Orléans, un des berceaux du jazz avec New York et Kansas City, a donné naissance a plusieurs courants musicaux. Les repères topographiques divisent la cité en deux grandes zones de population distinctes. A l’ouest de Canal Street, la ville « haute » où résonnent les éclats des musiques les plus noires (Buddy Bolden, puis King Oliver), à l’est, la ville « basse » huppée et créole où les orchestres raffinés mais parfois melliflus des Armand Piron, Alphonse Picou ou John Robichaux font entendre leurs broderies raffinées, et plus syncopées que swinguantes.

Il faut, confie Jelly Roll Morton à Alan Lomax, imaginer une scène où ces deux styles se conjoignent, se courtisent, s’aiment et se fécondent. Les occasions de rencontre ne manquaient du reste pas et les grands pique-niques au bord de l’immense lac Pontchartrain ne se passaient jamais de musique. Les fêtes et les cérémonies (les fameux enterrements de la Nouvelle-Orléans) ne pouvaient se dérouler non plus sans le soutien d’un orchestre. King Olivier, Johnny Dodds et Sidney Bechet jouèrent avec Piron.

Et puis les magiciennes (Eulalie Pontoy et Marie Lavau) prodiguaient leurs services de part et d’autre du Canal. Quelques jolies filles à la sexualité mercenaire aussi… (cf le film La Petite de Louis Malle) Bref les mondes étaient loin de totalement s’ignorer, le sortilèges, les harmoniques et les plaisirs prenaient goût à la fugue.

Vint 1917, l’entrée en guerre et le rouleau compresseur de l’ordre moral. Il ne fallait pas que les boys qui embarquaient à la Nouvelle-Orléans pour combattre en France puisse être tentés de déserter dans les lieux de volupté innombrables en cette ville bénie.

Et de fait, ce que nous nommons musique Nouvelle-Orléans fut souvent une re-création due à des exilés, les meilleurs des musiciens le plus souvent et les plus aptes à faire évoluer le legs musical qu’ils avaient reçu de leurs pairs et de leurs aînés.

Pour autant les faces du violoniste Piron offrent encore à entendre de façon quasi anthologique la façon créole et blanche de jouer ce jazz à peine naissant.

Violoniste de formation, compositeur et éditeur de musique, Piron, lors de son séjour new-yorkais réunit autour de lui des musiciens de légende : Lorenzo Tio, prototype du clarinettiste créole néo-orléanais, à la technique impeccable dérivée du classique, et qui eut pour élève Jimmie Noone, Peter Bocage (photo 2 ci-dessous), au style posé et léger.

Ces deux-là, déjà des vétérans, sont des artistes accomplis qui portent à un point très probant de fragilité et de nostalgie retenue l’interprétation de ces airs créoles, fragiles et dansants.

Piron a enregistré d’autres belles cires avec ces mêmes musiciens dont trois versions de West Indies Blues. La chanteuse Esther Bigeou, cousine du batteur Paul Barbarin, à la voix très "antillaise", touche par sa grâce nonchalante dans la version de la firme OKEH du 14 décembre 1923.

Un orchestre dont l'œuvre enregistrée éclaire tout un pan de l’histoire du jazz primitif, par la grâce de petits bibelots sonores émouvants et bien ciselés.

Par Olivier Douville