La Toison d'Or

Jean Cocteau (1889-1963)

Par Olivier Douville

78t - Paris, 1929-11-15, Columbia - Orchestre : Jean Cocteau (récitant) accompagné par l'orchestre de Dan Parrish : Crickett Smith (trompette) ; musiciens non identifiés trombone ert saxophones) ; Dan Parrish (piano) ; Vance Lowry (banjo et arrangeur) ; non identifié(tuba) ; Benny Payton (batterie)

1929, Jean Cocteau séjourne en clinique pour une cure de désintoxication, jusqu’en avril. Il y rencontre Raymond Roussel dessine et écrit : les premiers jets d’ « Opium », et « Les Enfants terribles », rédigés en dix-sept jours. En mars, il assiste à la lecture de la « Voix humaine » à la Comédie-Française.

L’alliance de la voix récitante et de l’orchestration le passionne. Touche-à-tout de génie, dilettante curieux, intelligent, Cocteau est un grand amateur de ces orchestres de jazz qu’il peut entendre à Paris. Il a écouté souvent l’orchestre du batteur Louis Mitchell, repris en 1924 par Cricket Smith.

Après avoir entendu Sidney Bechet joué , en 1928, "Chez Florence" avec l'"Interantional Five" il tente, cette année 1929, de tenir la batterie dans le cabaret « jazz » « Le Bœuf sur le toit ». Les musiciens américains, nullement impressionnés, le supportent avec indulgence dans cette fonction. Son ami Darius Milhaud l’accompagne souvent en ce lieu (cf. photo). Michel Leiris, qui chronique des disques de jazz pour la revue « Documents » est souvent de la partie aussi.

A la fin d’une séance pour Columbia, au cours de laquelle il récite des poèmes de son recueil « Opéra », il exprime le vœu d’être accompagné par un orchestre de jazz. Son ami Dan Parrish se met à sa disposition. Parmi les musiciens identifiés on retrouve Cricket Smith, ancien de Jim Europe et transfuge de l’orchestre de Louis Mitchell, qui prend un fort joli solo sur le thème choisi pour accompagner cette face : « Holidays ».

Cricket Smith avait un jeu raide, mais il était la mobilité même. En Europe, on le retrouve jouant avec Grover Compton, ce pianiste de ragtime, naguère familier de King Oliver et de Tomy Ladnier, qu' Ada Bricktop, un noire américaine aux cheveux de feu, amie d'Armstrong et reine de la nuit parisienne, fit venir pour remplacer son pianiste qu'assassina sa petite amie. Léon Abbey, le fondateur des Savoy Bearcats, une fois à Paris lui aussi le remarque et l'embarque pour une longue croisière. Fatigué des escales incessantes, Smith se laisse aller à la séduction" de l'Inde qui l'arrache d'un coup à de nombreuses étapes à venir. Il jouera en Inde, se laissant absorber graduellement par ce continent jusqu'à sa mort. Son corps, embaumé selon les rites locaux fera le voyage de retour jusqu’à la ville natale de ce trompettiste insolite et attachant, aux USA.

Si « La Toison d’Or » et l’autre face de ce 78 tour « Les voleurs d’enfants » ne sont pas du jazz à proprement parler, elle témoignent d’une expérience insolite qui nous en apprend long sur la réception du jazz en France dans les milieux intellectuels et artistiques. Cocteau scande d'une vois véhémente chacune des syllabes de ses vers, comme s'il voulait jazzer sa diction.

Hugues Panassié à fortement insisté auprès du poète Pierre Reverdy pour qu’il tente, à son, tour, ce lien entre jazz et poésie. Ce qui a donné, en 1937, « Fonds Secrets » avec le trompettiste Philippe Brun.

Olivier Douville