Jimmie Noone, I Know That You Know

Par Olivier Douville

Jimmie Noone (1895-1944) - I Know That You Know - 78t - Chicago, 1928-05-16, VocalionOrchestre: Jimmie Noone (clarinette), Joe "Doc" Poston (saxophone alto et clarinette) ; Earl Hines (piano) ; Bud Scott (banjo et guitare) ; Johnny Wells (batterie)

Pour Jimmie Noone, il se fait des controverses dès la première réception de ses cires les plus marquantes, celles qu’il grave en 1928 au Nest de Chicago qui se nomme alors l’Apex Club et va fermer dans l’année. Certains tiennent ce clarinettiste pour un des plus grands musiciens de l’histoire du jazz primitif.Noone est, pour ces thuriféraires, un improvisateur prodigieux, un virtuose incomparable, as du contre point ou du contre-chant. D’autres, tout en reconnaissant qu’il est un des parangons de la finesse et de la virtuosité créole, déplore le ton parfois melliflu employé par le musicien qui, bien qu’agréable, ne passe pas, à leurs yeux, pour un pratiquant de la hardiesse.

Ce n’est pas tant que la vérité se situe dans une position médiane, c’est aussi que la production de Jimmie Noone est très irrégulière et qu’il peut lui arriver , sur deux séances presque consécutives, d’être génial, puis insignifiant. Qui dispose du moindre sens de l’équité dans la critique doit toutefois admettre que passionnant ou légèrement soporifique, Noone se montre sans rival pour le sens du jeu d’ensemble et l’art du contrepoint. Toute sa clarinette est alors chantante et Noone possède avec l’attitude qui impose, le savoir-faire qui charme, l’intransigeance d’une mise en place stupéfiante.

Jimmie Noone naît dans les alentours de la Nouvelle-Orléans. Il grandit dans un entourage familial et social où la musique coule de toutes parts. Lorsqu’il a eut atteint ses quinze printemps, il tâte de la guitare et de la clarinette et hésite entre les deux. L’installation familiale à la Nouvelle-Orléans l’aide à choisir un professeur de musique qui, en la personne de Sidney Bechet, lui apprendra, avec bonhomie et rigueur, la clarinette . En 1913 le voilà bien affranchi et apte à partager l’affiche avec Freddie Keppard, puis, un an après, Buddy Petit. Lui aussi, en 1917, suit le long chemin qu’empruntent pour aller vers le nord, les musiciens privés d’emploi et de distraction en raison de la fermeture du quartier des musiques et des plaisirs de la cité louisianaise pour cause de morale des troupes fraîchement emrôles pour combattre en Europe. A Chicago,Noone retrouve de vieilles connaissances, Keppard avec qui il joue au « Logan Square Theater », puis King Oliver et Doc Cook avec lesquels il enregistre. C’est en 1928 qu’il dirige ce petit groupe. L’alto de Poston lui donne la réplique ou expose avec précision un thème le dessinant comme le tronc d’un arbre autour duquel volette la clarinette de Noone. Ce n’est pas tant que Noone ne fasse que broder, on dirait que même lorsque Poston et au premier plan il ne devient pas premier soliste qu’il continue de se plier à la logique des infinies variations et enjolivures que tisse avec un sens sûr de sonorités aigues ce furet de Jimmie Noone. Les deux souffleurs s’entendent à merveille et varient l’intensité de leur jeu et sa puissance avec une facilité déconcertante. La rythmique associé au battement d’un coeur orléanais que Bud Scott pulse sur son banjo ou sur sa guitare, le piano moderne de Hines. Ce dernier n’est pas un accompagnateur au sens strict mais une troisième voix tant il improvise à la main droote. De sorte qu’avec le renversement du premier et du second plan que cause le dialogue Noone/Poston, cette propension de Hines à dialoguer avec les clarinettes fait de ces faces gravées par ce petit combo de l’ « Apex Club », un des groupes à l’inventivité polyphonique la plus tendue et la plus novatrice qui soit.« I Know That You Know » impressionne par sa liberté et son intelligence. Lionel Hampton s’en souviendra ultérieurement faisant à la fin des années 1930 rejouer le duo Noone/Poston par Johnny Hodges et Buster Bailey. Noone étincelle. On comprend à l’écoute d’un tel disque tout ce qu’il a pu apporter à la naissance de l’art de musiciens de taille dont Benny Goodman Joe Marsala ou Omer Siméon.

Olivier Douville