Jet Back Blues

Eddie Lang et Lonnie Johnson

Par Olivier Douville

Eddie Lang (1902-1933) - Jet Back Blues - 78t - New York, 1929-04-30, OKEH - Orchestre : Blind Willie Dunn's Gin Bottle Four : Eddie Lang, Lonnie Johnson (guitares) ; Joe "King" Oliver (cornet) ; J.C. Johnson (piano) ; Hoagy Carmichael (vocal et percussion)

Pourquoi Eddie Lang choisit-il le pseudonyme de "Blind Willie Dunn" lorsqu’il enregistra pour la marque Okeh des duos avec le guitariste de blues LonnieJohnson ? La réponse est incertaine.

Mais ce pseudo nous indique une piste. L’émancipation des banjos et des guitares est une histoire assez tardive dans le jazz. S’il n’est pas à décrier l’ampleur et la justesse du son des guitaristes et banjoïstes de « soutien » (les noirs Johns St Cyr et Budd Scott, le blanc Eddie Condon), la mise en avant du rôle soliste possible de ces instruments est d’abord venu du ragtime avec les solos de Fred Van Eps et Harry Reser. Peu audible au sein d’un orchestre qui se devait de jouer fort pour triompher des joutes musicales ou pour imposer sa présence dans des boîtes assez remuantes, la guitare fut et reste l’instrument reine des bluesmen.Souvent nourris d’une culture ragtime, les premiers chanteurs et guitaristes de blues (cf. Luke Jordan) s’illustraient dans un répertoire dans lequel les blues établis sur ses douze mesures (bien qu’on trouve des blues de treize mesures chez Blind Lemon Jefferson) voisinaient avec des chansons, des spirituals et des ragtimes. Nombre de ces artistes, troubadours du début du XX° siècle, allaient de ville en ville demander de quoi vivre. Et des hommes noirs aveugles se firent chanteurs ambulants pour gagner leur vie.On songe ici à Blind Blake, Blind Boy Fuller, Blind Willie Mc Tell, ou le plus tardif Blind Gary Davis.

Au point que le chanteur de blues noir et aveugle devint un stéréotype. Un modèle tout autant pour un Eddie Lang, cet italo-américain jazzy et curieux de blues. Nul doute qu’il trouvât dans la musique des premiers bluesmen de quoi alimenter son inspiration et son approche musicale de la guitare. On avait avec lui, dans ces années 1920, un musicien libre capable de jouer un jour avec les plus authentiques représentants du folklore noir (Texas Alexander) et le lendemain d’accompagner le crooner BingCrosby (cf photo n°3).

Ce jour là, Lonnie Johnson et Eddie Lang reçoivent un hôte de marque : Joe « King » Oliver, roi dont la couronne branle déjà un peu tant elle pâlit comparée à l’astre Louis Armstrong , est là.

Le cornettiste est ici au mieux de son art et délivre quelques éclatants témoignages d’esprit « bluesy » avec un sens très juste des modulations et des variations. Cet homme, à qui la destinée allait cruellement refuser toutes chances et toutes largesses, se plaît encore à orner de son mieux les harmonies toutes directes de ce thème en y plaçant un jour de notes serrées, drues et chacune d’entre elles frémissantes. Conviées, dans cet instant de grâce à la nécessité d’un dialogue inventif, on les entend ces cordes à la milanaise épouser la vigueur d’un art noir célébrant les racines qu’il invente et transborde au-delà de lui.

Olivier Douville