Frank Wright - Kevin, My Dear Son

Par Olivier Douville

Frank Wright - (1935-1990)

New York, 1978-10-00 Sun Records - 33t - Orchestre : Frank Wright (saxophone ténor et clarinette basse) ; Kamal Abdul Alim (trompette) ; George Arvanitas (piano) ; Philly Joe Jones (batteire) ; Eddie Jefferson (vocal)

Wright grandit à Memphis, et fait ses classes comme nombre de ses confrères dit « free » dans des groupes de R’& Blues. Puis ce fut la rencontre avec la musique d’Albert Ayler. Un choc. Une fulgurance. Le voilà à New York, en compagnie du bassiste Henry Grimes et du trompettiste Jacques Coursil - ce dernier est auteur d’un très beau et récent « come-back » avec son disque "Clameurs". Il est ensuite aux côtés de Sunny Murray, et, brièvement de John Coltrane, à Paris, en 1969. Il forme avec le pianiste Bobby Few et la batteur spectaculairement brouillon, Muhamad Ali, un collectif.

Ce disque est une réussite aussi imprévisible que totale. L’héritage d’Albert Ayler est revendiqué et assumé par le Frank Wright qui n’a pas toujours, ailleurs, avant ou après, voulu, su ou pu dépasser le cri et le paroxysme de l’expression immédiate vers une articulation et un chant. Mais ici, et sans doute parce que des musiciens d’âge différents, tous heureux de se retrouver ensemble, le saxophoniste se dépasse. Il écoute ceux qui l’accompagnent et leur donne une marge de liberté peu commune tant le joie de jouer congédie l'indigence ou le goût des procédés et des gimmicks.

Ici, la rythmique est aux anges et elle propulse chacun des solistes vers une expression joyeuse et lumineuse ; rien d’étonnant à cela puisque qu’elle est composée d’un trio de vétérans qui se renvoient avec assurance et malice la balle, un ciel de rythme s’étend entre le pianiste qui a joué à Paris avec presque tous les musiciens américains de jazz de passage, un des batteurs phare du bop, et un des plus éminents héros de la révolution free, ce bassiste qui a su donner à Coltrane une assise pleine de rebonds, toujours revenant par des sinuosités captivantes à la note de référence, dans "Olé".

Wright apparaît, à qui entend toute sa profondeur de son, obstiné dans une façon d’excavation des grottes sonores les plus moites et les plus profondes du saxophone.

Enfin, le chanteur, cerise sur le gâteau, un des pionniers reconnus de ce style qui vocalise les solos instrumentaux, est déchaîné, irrésistible. Avec lui comme avec Slim Gaillard, Stuff Smith ou Rudy Williams, c’est la force d’un humour radical, surréaliste qui nous enchante par sa liberté et sa tendresse.

Un disque libre. Une fête rigoureusement réservée à ceux qui aiment le jazz de toutes les époques et qui n'éprouvent pas le besoin de jouer les censeurs devant ce qui peut leur sembler excesif.

Olivier Douville