Down Hearted Blues E. Blake

"Eubie" Blake

Par Olivier Douville

Down Hearted Blues - James Hubert "Eubie" Blake - (1883-1983) - 78t - New York, 1923-05-24, Victor

Orchestre : Eubie Blake (piano) ; Noble Sissle (vocal)

On se souvient d’un festival de jazz, à Nice. Kermesse sympathique, un peu réserve de vieux de la vieille contents de jouer, de se retrouver, de se raconter sinon toujours de s’éprouver.

Max Roach était là, détendu au milieu d’autres anciens jeunes turcs du be-bop toujours vifs dans leur musique et leurs engagements esthétiques.

Au crépuscule un très vieil homme s’approche du piano. Il se courbe dessus ; on craindrait qu’il ne se fige ou ne se case. Mais la musique se tient plus haut et plus tranquille, plus haut et plus forte que les caprices des âges. Et comme sous perfusion de son jeu touffu, malicieux, généreux et parfumé, la silhouette du doyen oubliait les 88 années qu’elle avait traversées, ou, plus exactement elle les décantait et les sublimait en une mémoire aux doigts d’aède.

Alors Max Roach et les autres aussi de venir attentifs et heureux écouter Eubbie Blake recréer devant eux la naissance du piano jazz. Du piano de New-York. A cette époque où ce tite fut confié à la cire, et en cette ville de New York - quartier Harlem, , tous ceux qui approchaient un clavier baignaient dans le ragtime, et le sophistiquaient à loisir. Le ragtime se retrouva cristallisé et comme greffé d’un cœur nouveau. Plus ample, plus solide aussi que les élans mécaniques des syncopes, plus varié dans ses relances que ce qu’apportaient comme halte et silence préparatoire à une débauche virtuose les faux suspends, ce cœur va battre dans la musique de James P. Johnson et de Luckey Roberts, puis dans celle de Fats Waller, Willie « The Lion » Smith, Pat Flowers et Donald Lambert.

Mais c'est avec le vieil homme de Nice, Mister Eubie Blake, que ce cœur commence à se forger à la fin des années 1910.

Compositeur prolifique, chef d’orchestre heureux, abonné de toutes les revues new yorkaises des années 1920 qui auraient bien eu tort de se priver de ses talents et n’y songeaient guère, Blake, très sûr de lui dans ce « Down Hearted Blues » qui fit le triomphe de Bessie Smith y accompagne le chanteur Noble Sissle.

Lui aussi est un astre de la musique new yorkaise de l’époque ; il montera des orchestres où se sont illustrés Sidney Bechet qui y séjourna longtemps et Parker qui n’y resta guère. Il est chez lui, il chante les joies de cet Harlem musical, cette maison des musiciens.

Olivier Douville