De l’acte « jazz » : improviser/interpréter


Par Olivier Douville

1. Psychanalyse, musique et jazz

Le psychanalyste serait-il devant l’inconscient comme le musicien devant la musique ? Aux prises avec une réalité immense, qui le dépasse, et qui requiert de lui l’invention d’un phrasé.

Il n’y a pas de musique psychanalytique, mais certaines musiques semblent entretenir des liens sinon avec l’inconscient – affirmer cela revient à énoncer une banalité inféconde- du moins avec les processus psychiques que Freud a théorisé : conservation d’une mémoire du sexuel, formation de compromis aidant au retour de refoulé. Il en est ainsi de ce que nous nommons blues, gospel et jazz, soit le socle de la musique afro-américaine, qui servit aussi de lien social, de miroir et d’exutoire au peuple noir des Etats-Unis d’Amérique.

2. Jazz et filiation

La musique dite « jazz » est à la fois en constante évolution, du moins jusqu’à ces vingt dernières années, c’est une houle en une reptation dansante et spiralée qui va exhumer et absorber ses premières traces avec l’autorité du rythme. Irrésistible appel au corps . C’est cela l’œuvre jazz, qu’on ne peut réduire au relevé des partitions, des arrangements et des chorus improvisés : une alliance entre forme et son, un risque où se réverbère une lumière enivrée de son propre surgissement. Une contemporanéité en avance sur toute formule . Une mémoire qui où, dans certaines évidences des héritages et des formules, et, en dépit de telles évidences, la mémoire se fait activation des formes, anamorphose des souvenirs, ignifugation des traces, torsion. Don de l’intemporel à l’histoire, de l’histoire à la mémoire, de la mémoire au corps, du corps à la sidérante condition de paria et de spolié radical qui fut celle de l’esclave. Le jazz est acte et il est œuvre. Chant de filiation jamais figé en des commémorations mortifères, la pulsion jazz, reconnaît ses dettes là où elle impose la reprise, la relance, l’invention, la transmission, enfin. Le son de chaque musicien –sa manière de chanter ou de retenir chaque note, sa façon mate et obstinée d’avancer le souffle ou le doigté, ou au contraire son impatience de feu – est une composante essentielle de l’oeuvre jouée et enregistrée et cela est court vrai du chant des aédes U.S. du fleuve aux plus actuelles sonorités et inflexions rythmiques de ses héros ; de Skip James à Steve Coleman, par exemple.

S’il est un alliage propre à ce que nous désignons comme musique de jazz, il est bien le résultat d’une contamination surdéterminante entre les ferments africains (importance de l’interprète et de son accentuation, de son attaque des notes) et européens (importance de l’harmonique et de la composition). Là on se perd en hypothèses. En effet des alliages entre l’Afrique et l’Occident, des forçages et des détours, des créations de contrebande il s’en fit ailleurs, ailleurs d’autres creusets donnèrent naissance à des arts authentiquement afro-américains, ou afro- caraibéens, afro-latino-méricains, mais de notes bleues aux Etats-Unis seulement.

3. Jazz : avènement et évènement

Le jazz a non seulement une histoire, mais il est, de plus une catégorie et un événement qui a effet, et peut-être fonction, d’historiser l’histoire sous les habits du mythe et les prétextes du divertissement. Rien d’une lecture linéaire ne convient à la situer, et sur son incessant travail de reprise du passé, son énergie de mémoire active, son incessant surgissement, la moindre thèse du « progrès dans l’art » se casse irrémédiablement les dents. Un des voyageurs des plus véhéments et des plus déchirants du « free-jazz », Albert Ayler (qui bouleversa lors de son exil à Copenhagen, un des grands de l’orchestre de Basie, le généreux Don Byas), lui-même se revendiquait, et à très juste titre, d’une filiation directe avec les premiers improvisateurs du jazz. Ce télescopage éclairant et bruissant de générosités et de risques emphatiques entre la musique des héros du free et celle des patriarches préclassiques, correspondance que n’importe quelle oreille ne peut que ressentir confusément, semble toujours l’une des plus justes occasions de compréhension et de ressenti de mouvements spiralés dans les formes du jazz. Cette musique, en effet, est à la fois en constante évolution, du moins jusqu’à ces vingt dernières années, et toujours absorbant les premières traces, ingérant l’ancien, le vénérant, l’improvisant et le réécrivant, non seulement pour y commémorer une scénographie première mais comme un passé réminiscent, actif et fondateur, un ferment. Le jazz est une musique de jaillissement d’un présent impérial. Cela n’a rien à voir avec une vaine et puérile entreprise de redite ou de répétition. Ces enfants actuels de King Oliver sont bien davantage free-jazzmen que tous les sympathiques français ou australiens qui voulurent copier, note après note, comme le vain et habile Claude Luter les vénérables enregistrements Okeh ou Gennet qui – au dire des meilleurs spécialistes de jazz, critiques et musiciens – marquent les début en 1923 du jazz orchestral enregistré. C’est cela l’œuvre jazz, qu’on ne peut réduire au relevé des partitions, des arrangements et des chorus improvisés : une alliance entre forme et son, un respir et un supens. Un risque où se réverbère une lumière enivrée de son propre surgissement. Le son de chaque musicien – sa flamme, sa manière de chanter ou de retenir chaque note, sa façon mate et obstinée d’avancer le souffle ou le doigté, ou au contraire son impatience de feu – est une composante essentielle de l’œuvre jouée et enregistrée. Aucun musicien ne saurait être exemplaire à force d’anonymat. Il se fait une alchimie féconde et un art de la rencontre dans chacun des disques qui ont fait l’histoire du jazz orchestral. Et certains musiciens ne se penseraient pas sans la compagnie de quelques autres ou de l’orchestre qui fut, pour un temps plus ou moins long, sa maison et son écrin. Billie Holiday a rencontré en Lester Young son alter ego. Hormis quelques faces enregistrées avec Django Reinhardt, Rex Stewart et même Barney Bigard ne furent rien ou si peu sans l’orchestre de Duke Ellington. Dizzy ouvrit à Parker le monde des musiques afro-cubaines…

Aussi le simple projet qu’on pourrait transformer un disque enregistré en partition actualisée capable d’être jouée par des instrumentistes meilleurs techniciens, enregistrée dans de meilleurs conditions techniques, etc., est-il un total contre-sens. Effectivement, il faut à la critique, sous peine de niaiseries sentimentales et de fadaises amphigouriques, se pencher sur les transcriptions des choses enregistrées. Qui sont bien évidemment dignes d’études et peuvent à leur tour servir de formules harmoniques et rythmiques à bien des œuvres de jazz ou d’autres musique, dont celle qu’on nomme par facilité classique.

Plutôt que de verser dans la célébration de l’improvisation contre l’écrit ou contre le projet musical, nous faudrait-il concevoir pleinement que certains des plus beaux moments enregistrés du jazz furent comme voulus et préparés par des prodiges d’écriture orchestrale qui leur servaient à la fois d’abri et de révélateur. Et se prononce et s’édifier l’art délicat de l’arrangement, en à peine quelques années qui vont des conventions collectives de l’improvisation nouvelle-orléanaise (quelques melliflues plages de Kid Ory en 1922 et les quelques trente cires du Créole Jazz Band d’Oliver en 1923 avec Armstrong comme second cornettiste) jusqu’au début des premières grandes phalanges de jazz (le même King Oliver avec ses Syncopators de 1926 à 1928, les débuts du Duke Ellington Orchestra, en 1926, les orchestres de Charlie Johnson de 1927 à 1929 et des frères Llyod et Cécil Scott, en 1927, et, surtout, l’orchestre pionnier de Fletcher Henderson qui dès 1924 propose des arrangements inventifs et clairs qui servirent la grâce d’Howard Scott et le génie naissant de Louis Armstrong).

Ici, j’ai le vif sentiment pourtant d’être à côté et de me trouver dans la gêne la plus extrême à faire saisir au lecteur ce qui est actif au cœur de la musique « jazz », musique qu’il est toujours réducteur et négateur de réduire à une simple tension esthétique. Est-il besoin de redire ici que la musique du peuple noir des Etats-Unis célèbre tout d’abord des histoires de corps et de mémoire, de malheurs et de résistances des corps, des histoires de morts et de sexualités, des puissances de la mort et du sexuel, autant de flèches du réel qui sont ordinairement refoulées et qui objectent, salutairement, à toute conception mortifiante et surannée de la création en tant stratégie de refus du sexuel et du corps réel.

4. Un enregistrement phare

Marquons ici une première halte. Nous sommes en 1950. Ecoutons comment, en sa maturité, Louis Armstrong, entouré de ses amis Barney Bigard, Jack teagarden et Cozy Cole, évoque un enterrement à la Nouvelle-Orleans, le plus foisonnant et fébrile des berceaux de cette musique. Aventuriers de toute condition et de tout étage, esclaves noirs que la fin de la guerre de Sécession laissent étourdis devant une liberté encore brumeuse, marins. Il s’y fait de la musique partout des églises aux bordels, des cimetières aux bals, des docks à l’Opéra. De la magie aussi. Penchée sur des cœurs de tortues flottant dans l’eau herbée d’une bassine, la tante du futur pianiste Jelly Roll Morton, lit l’avenir aux voisins sur fond de piano mécanique. L’oncle de Sidney Bechet est convoqué pour hypnotiser au son d’un saxophone les infortunés patients du regrettable dentiste local. Dans cette cité, lors des enterrements, les musiciens briquent leurs cuivres et accordent leurs vents, tendent au mieux les peaux de leurs tambours. Leurs épouses de carrière ou d’occasion époussettent leurs habits de parade, c’est que, dès qu’il faut mettre en terre un membre important de ces innombrables sociétés, congrégations, associations ou clubs plus ou moins occultes qui poussent comme champignons en Louisiane, chacun d’eux sait qu’il lui faut être de la partie. Les funérailles débutent. La trompette sculpte un thème recueilli, qui voue à l’envol l’âme du défunt comparée à un oiseau enfin libéré de la cage du corps, assolant l’éther, le trombone bruisse de longs glapissements funèbres alors que la clarinette joue à l’unisson ou une tierce au-dessus de la partie de trompette. On enterre le mort. Le sourcil de chacun se fronce, les larmes coulent. Le cercueil est avalé par le sol. Bénédictions. Accolades. Chargé jusqu'alors du soin de ponctuer sur sa grosse-caisse le pas très lent et très pesant du cortège funéraire, le joueur de tambour tient fermement une séquence rythmique pleine d’allant et qui, entraînante, réveille la trompette toute encore éperdue de la mélancolie rêveuse de l’air qu’elle a joué et rejoué tout au long de la marche vers le cimetière. La sonorité claire du tambour, qui contraste avec la matité sourde du jeu de grosse caisse, évoque la légèreté de l'âme s'en allant au paradis. Les escortes musicales d'un convoi funéraire comptent au moins deux batteurs. L'un, qui joue de la grosse claire, est placé à la gauche d’un autre tout occupé à faire chanter la caisse claire.. Ici, dans cet enregistrement, après la séquence jouée par Cozy Cole, et soufflant presque aussi fort que l’Ange Gabriel du Jugement dernier, voilà Louis Armstrong qui entame, rudement, rapidement presque un air de marche. Trombones vigoureux et clarinettes et saxophones piaillants et pétillants suivent le pas. Et tous rentrent à la maison du défunt pour faire bombance et licence aussi, parfois. De tels rites sont des survivances africaines qui ont pris le sens de la durée dans la dissimulation au sein des Églises « spirituelles », Spiritual Church, toutes originaires de la Nouvelle-Orléans, et qui ont été largement étudiées par les chercheurs américains sur le plan sociologique et anthropologique (Baer & Singer, 1992 ; Jacobs & Kaslow, 1991). Leur spiritualité est perfusée de ce magico-religieux africain inspiré du « hoodoo » (version louisianaise du « vaudou ») sans pour autant que ces institutions veuillent le reconnaître et encore moins le revendiquer de manière protestataire. Cette synthèse originale d'africanité initiatique, de rites catholiques et de spiritualité baptiste et pentecôtiste est vécue par les participants comme une totalité idéologique et pratique non-conflictuelle. Et certains observateurs ont pu noter que le balancement du corps lors du premier temps de la procession avant qu’il ne soit inhumé donc était en exacte similitude avec la gestualité de vieux cultes « Fons » et « Ewés » encore pratiquées, mais de façon résiduelle au Nigéria ou au Bénin et même au Togo, là où le culte des morts reste un devoir collectif. Une précision supplémentaire et qui plaide en faveur de la thèse qui voit dans le rythme jazz une synthèse réussie de ce qui a pu survivre de divers traditions percussives africaines et compte-tenu du fait que les guerriers et les sorciers Ashanti ont été aussi des esclaves prisés par les louisianais esclavagiste indique qu’il n'est pas impossible que l'after beat du jazz soit issu des traditions musicales ashanties tandis que la ternarisation du swing semble, quant à elle provenir de l'influence « yoruba » et « congo », du moins « bantoue ». Le pianisits Emmanuel Massrotir me confaiit il y a peut qu’écoutant, avec recueillement et admiration, un disque de Louis Armstrong dans lequel "Baby" Dodds joue sa batterie entendait dans les 43 des mesures de ce solo sont un authentique phrasé de tambour congo Un mot encore sur cette seconde partie du disque, celle où la fanfare avec une joie sérieuse appelle tous les participants à s’éloigner de la demeure du mort, sa tombe, pour venir s’attabler au banquet des vivants. Le thème qui est une marche a pour nom « Didn’t He Ramble », ce qu’on pourrait traduire approximativement comme « n’a t-t-il pas voyagé ici sur terre ». En voici les paroles:

« Didn't he ramble.... he rambled / Rambled all around.... in and out of tow

Didn't he ramble....didn't he ramble / He rambled till the butcher cut him down

His feet was in the market place...his head was in the street / Lady pass him by, said...look at the market meat

He grabbed her pocket book...and said I wish you well / She pulled out a forty-five...said I'm head of personnel

….

You know he rambled...till the butcher...cut him down / I said he rambled...lord...'till the butcher shot him down »

Qu’est ici la mort, ce « boucher » (là aussi un personnage mythique de la Nouvelle-Orléans) qui tôt ou tard va vous abattre ? Une résurgence sans doute de thèmes sacrificiels. Dans l’effluence maniaque du repas funéraire, les musiciens sont là pour mettre une ambiance qui impose la danse, le mouvement, impose à la monochromie de la mort, le bariolage des corps qui vivent, mangent, pleurent, rient et peuvent s’aimer malgré tout, en dépit du départ irréversible d’un ou d’une autre, parce qu’à La Nouvelle-Orléans comme ailleurs on aime à penser que le défunt nous a pardonné et que bonne âme il se réjouit de voir celles et ceux qu’il a laissés derrière lui sur cette bonne vieille planète absorber la vie à pleine dent avec, au centre du festin, le grand cœur de la musique qui continue à battre et qui dit que le temps ne s’est pas arrêté net. Et l’on se souviendra encore que les chants funèbres ashantis et yoroubas sont dans leur grande majorité des mélopées scandées lors des grands rituels de circoncision. Il fait peu de doute que pour d’authentiques musiciens de la Louisiane, jouer et enregistrer ce thème dépassait la simple performance esthétique ou scénique ; il y vivait un peu encore d’un sacré. Et rien ne saurait nous interdire de penser que Jelly Roll Morton enregistrant ce thème en 1938 et en 1939, Kid Ory, en 1945, et Louis Armstrong enfin en 1950, se souvenaient de la part active qu’ils prirent dans certains rituels funéraires.

On comprendra alors que ce disque, est, au delà de sa valeur musicale superlative, un document de première main qui enseigne sur la vie spirituelle de la Nouvelle-Orléans, sur la façon dont les filles et fils d’esclaves étaient passeurs d’africanité, quand bien même, consciemment ils disaient ne rien en savoir, ou si peu, quand bien même, efninf, c’est dans le but d’élargir leur palette thématique que certains grands créateurs y puisèrent, dont Duke Ellington, alors que la sophistication de la culture musicale noire de Harlem, proche d’un ragtime surélaboré n’incluait pas le blues comme centre de gravité de son corpus (ce qui n’était nullement le cas de ce qui vivait encore de musique à La Nouvelle Orléans, où s’y déployait à Chicago ou à Kansas-City).

5. Du jazz comme histoire de corps et de résistance

Le jazz est d’abord une histoire, une histoire de corps qui vivent, résistent, se saluent, se défient devant leur qualité de « vivant malgré tout » et se balladent entre désappropriation et rage de vivre. Il renvoie à l’art de la lutte, du combat, il appelle sa mythologie qu’il expose et contemple. Le fantaisiste Perry Bradford, enregistrant un des premiers sinon le premier disque de "protest-song dédié à la stature du boxeur Harry Wills, qui fut volé de son incontestable victoire, rend du même coup, hommage à ce corps qui résiste et l’emporte÷…… clandestinement [1]. C’est du corps que cette musique retrouve et recrée en brassant par cette désinvolture que seule permet la nécessité collective, song, jazz et blues. Corps de l’esclave, corps du baptisé que secoue la transe religieuse, corps que captent les anciennes magies, ces sortilèges qui se rendent maîtres des puissances et des jouissances de la mort, mais corps aussi du spectacle. Et pourquoi le jazz aurait-il honte du sexuel et de l’excès d’improvisation et de style, lui qui est une musique de survivants, née dans les bouges, les tripots ou les bordels à la mode de la Nouvelle-Orléans, de Kansas City ou de New York ? Il y a un rapport net entre le jazz et les puissances de l’Éros qui fit de cette art l’écran projectif le plus somptueux que l’Occident ait jamais pu s’offrir en matière d’esthétisme.

Cette grande musique noire américaine est un acte de mémoire et de résistance. Une création assise sur les chants religieux par lesquels les esclaves s’identifiaient aux Hébreux captifs de Pharaon et libérés par Moïse, sur les chants de travail où survivent des traces des polyphonies africaines, nourrie du blues et de son effet de condensation et de contamination de gammes, du ragtime aussi, ce mouvement où Noirs et Blancs syncopèrent des thèmes proches de la musique classique (au reste l’un des plus grands créateurs de ragtime, Scott Joplin, a composé un opéra Treemonisha dont le livret raconte la lutte spirituelle d’une jeune Noire pour se délivrer des sortilèges de la magie destructrice !)

Le jazz a accompli un prodigieux un saut de côté par rapport au ragtime – mouvement qui s’est épuisé de lui-même – en revenant aussi à la nature vocale de cette musique noire, nature soulignée par l’emploi de sonorités étranglées, craintes ou pleurantes que faisaient entendre les sourdines des cornets et des trompettes de King Oliver, Tommy Ladnier ou Bubber Miley. Quant à la chanteuse de blues Clara Smith, elle était présentée dans une publicité phonographique de 1924 comme «the Queen of the Moaners» (la reine des gémisseuses ), ce qui fait brèche aussi dans la présentation conventionnelle d’une musique sans grain, propre sur elle, lisse et bien polie.

Cet aspect-là du jazz a souvent été mal reçu par les industriels du show bizness américain qui préfèrent promouvoir l’ersatz, la copie diluée dans le flon-flon ou le faux sérieux, à l’original. Dans le même temps, de nombreux fils des immigrations européennes, riches de traditions musicales européennes, se tournèrent sincèrement vers le jazz et furent, pour certains d’entre eux (Eddie Lang, Don Murray, Bix Beiderbecke, Joe Venuti, Benny Goodman, Ziggy Elman), des «passeurs» entre le jazz noir et d’autres traditions, européennes savantes, italiennes populaires et musique Kletzmer.

6. Blue note

Il semble donc qu’une analyse purement métapsychologique ou musicologique de la chose écrite et/ou jouée interdit de penser l’acte jazz comme affirmation d’un peuple qui ne se laisse plus déposséder de son corps, en son rapport au beau, au vivant et à la mort. Un des faits majeurs qui rend compte de la persistance de l’esthétique africaine est l’existence, dès les formes les plus primitives du blues, de la Blue note, c’est-à-dire l'élévation d'un demi ton du 3ème degré de la gamme pentatonique mineure, qui est supposée résulter de la superposition de deux modalités de gamme, gamme diatonique (occidentale classique) et non diatonique (africaine). Le blues est fondamentalement constitué d’accords de septième. Cette modulation était certes connue aussi des musiciens classiques, elle est fréquente chez Frédéric Chopin. Ce qui advient de neuf en musique avec et autour de la note bleue est une instabilité chromatique constitutive des liens étroits, bien que non essentiels, entre blues et jazz. En effet, le blues canonique comporte trois accords de base : tonique septième, – sous-dominante septième-tonique septième, – septième de dominante-tonique septième. La septième de dominante appelle bien l’accord de tonique parfait mais c’est pour le rabaisser d’un ton, de sorte que cette tonique là ne se trouve plus au mitan de la construction, ni à sa fin. Une succession de septièmes produit toujours un chromatisme indispensable à la « couleur» jazz. Du moins d’avant le be- bop qui détrône la septième de d o m i n a n t e.

7. Controverses sur l’improvisation

Les premiers improvisateurs jouaient davantage de l’ornementation et de la paraphrase (Oliver, Célestin, Rena, Baquet, Picou, Piron, Dodds, Noone, Siméon). Le passage du musicien prenant un solo au soliste de jazz à part entière fut décisivement accompli par Louis Armstrong, puis par Bix Beiderbecke et Red Allen, tous trois trompettistes. C’est bien Louis Armstrong qui a ouvert la voie au jazz soliste dès 1926, dans ses enregistrements du Hot five (orchestre du studio) et qui lui a donné avec West end Blues et Thight like this une direction et une ampleur sans précédent, deux années après (son groupe avait alors pour nom Hot Seven).

Du moment où nous parlons de « jazz», les clichés s’accumulent. Et celui de l’improvisateur inspiré, nécessairement inspiré, marchant à l’aveuglette dans une semi-transe, devient plus qu’un cliché : une essentialisation idéologique de la musique de jazz. L’accent mis sur l’improvisation fait miroiter une scène primitive où surgissement du son et surgissement du monde se jettent, d’un même jet et d’un même souffle, au-dessus du vide. Libre, vraiment l’improvisateur ? Le jazz n’est pas un art sans contraintes. Et la mystification de l’improvisation réduite à une marque de fabrique et à quelconque label d’ « authenticité » sonne faux. Combien de réunions anthologiques de musiciens, poussés sur la scène de trop de festivals par les écuries discographiques dont ols sont les poulains ou les chevaux fourbus, se sont révélées de véritables désastres, sans sève, sans tendresse, sans lumière! Mais encore Clark Terry nous explique comment le rêve des racines en jazz reste bien éloigné de toute pétrification muséographique : « Chez Ellington, il y avait les individualités les plus dissemblables, mais il savait les utiliser en groupe aussi bien qu’en soliste. Il avait le talent de faire jouer les gens comme il le souhaitait, par exemple pour A drum is a woman [2]. Il me dit “eh sweetie [3], je voudrais que tu fasses le portrait de Buddy Bolden [4]. Tu es Buddy Bolden. Ce gars aimait les belles femmes, les beaux vêtements. Il avait une sonorité tellement puissante que lorsqu’il s’accordait on pouvait l’entendre depuis l’autre rive du fleuve. Il savait jouer de belles inflexions, travailler la note, il aimait les altérations”. Alors j’ai joué Buddy Bolden et le Duke m’a dit : “C’est tout à fait ça !” » (Jazz Hot, n° 335, p. 17).

La naissance puis l’épopée du jazz c’est aussi et encore celle de la collectivité qui assume et marque les formes, les valeurs et les rythmes. En ce sens le jazz célèbre une survivance et un surgissement, celui d’une conscience qui surmonte ce qui avait effet de l’anéantir, de la retirer sans rémission de la scène de l’histoire. Il célèbre par les ruses de l’improvisation un écart, un autre chant, un clair obscur. De sorte qu’il n’est pas de jazz sans rapport à la remise en jeu d’un originaire, d’un noyau originaire qui serait parlé par le jazz.

Alors l’improvisation, ce maître mot qui fige les débats, qu’en dire encore ? Qu’on m’autorise un parallèle avec ce que le surréalisme a su capter de la psychanalyse. Le jazz, parce qu’il y a improvisation, trouvailles et déplacements de traces, renvoie à une traversée de l’épaisseur des mémoires et des rêves. Un réel mémorial y insiste dans la célébration immémoriale du surgissement du cri, de la fêlure, du rythme et du son. L'improvisation – qui est essentielle au jazz – a peu à peu évolué d'un jeu basé sur les harmonies d'un thème à l'intérieur d'un cadre rigoureux vers une liberté absolue qui peut l'identifier à une forme d’écriture automatique avec évidemment les risques de panne, de bavardage, de ressassement que contient ce genre d’exercice. Les premiers improvisateurs jouaient davantage de l’ornementation et de la paraphrase (Oliver, Célestin, Rena, Dodds, Noone, Siméon). Le passage du musicien prenant un solo au soliste de jazz à part entière fut décisivement accompli par Louis Armstrong, puis par Bix Beiderbecke et Red Allen, tous trois trompettistes. C’est bien Louis Armstrong qui a ouvert la voie au jazz soliste dès 1926, dans ses enregistrements du Hot five (orchestre du studio) et qui lui a donné avec West end Blues et Thight like this une direction et une ampleur sans précédent, deux années après.

8. Liberté libertaire sans du passé faire table rase

Là encore les termes nous piègent. Il n’est pas jusqu’à la liberté du free jazz qui n’aille sans un souci affirmé et le plus souvent abouti de théories et de recherches La culture musicale de Cécil Taylor, la rigueur théorique et la fertilité des expérimentations du saxophoniste Anthony Braxton ne sont plus à souligner. Le lâcher-prise du free-jazz casse des codes esthétiques contraignants, il n’invite pas au n’importe quoi. L’initiateur de ce courant fort important au plan de la déclaration esthétique et politique des communautés afro-américaines, Ornette Coleman, a écrit une symphonie Skies of America pour grand orchestre avec sa théorie qu’il baptisa harmolodique et qui vise à étendreau plus les polyrythmies et les polytonalités. Il est clair que l’improvisation sans culture n’a jamais donné de résultats satisfaisants ni rien qui ait pu faire école et transmission au sein du continent jazz. que seuls des amas de préjugés peuvent réduire à des happenings primitifs et spontanés. Aussi pourrions nous repérer des épisodes de l’improvisation en jazz qui feraient intervenir plusieurs paramètres dont les plus décisifs seraient :

a) Le rapport aux théories musicales et à la culture musicale rythmique et harmonique de l’improvisateur.

b) Le lien entre l’improvisation et l’écriture (encore une fois il faut insister sur le fait que les musiciens les plus inventifs peuvent être davantage inspirés en étant soutenus par une partition soignée, parfois taillée à leur intention, comme c’est le cas pour Duke Ellington ou Gil Evans, qu’en défiant pour la énième fois les mêmes collègues sur des standards éculés ou sur la gamme canonique du blues).

c) La valeur subjective de l’acte d’improviser, ce grand duel avec la partie la plus libre de soi-même. Coltrane jouant My favorite thing, cette valse sympathique et éculée, en fit l’un de ses espaces sonores les plus intimes auquel il fut des plus fidèles, allant du chantant des premières versions à la véhémence explosée des ultimes moutures.

Le saxophoniste J. L. Chautemps écrit : « Je vois la musique comme une exploration de l'inconscient, une sorte de psychanalyse. Il faut couler toujours plus loin dans l'épaisseur du rêve ». (Jazz Hot, n°187, p. 18). Aussi bien voit-on que les créateurs de jazz ne font pas assumer à cette musique la fonction de genre « anti-genres » spécifique de l’idéologie postmoderne du métissage généralisé, de l’absence de hiérarchisation des valeurs esthétiques ou artistiques, elle n’illustre pas une sorte de logique de l’instant contre le poids de l’héritage et de la tradition. Si leur combat a eu un sens c’est bien dans celui de rendre vivante une tradition en la faisant périodiquement émerger de dessous les travestissements commerciaux où elle se reléguait au prix de ne se grimer que trop.

9. De l’inactuelle urgence, actuellement nécessaire ou bref hommage aux « passeurs »

Aussi bien voit-on que les créateurs de jazz ne font pas assumer à cette musique la fonction triste d’un genre «anti-genres» spécifique de l’idéologie postmoderne du métissage généralisé, de l’absence de hiérarchisation des valeurs esthétiques ou artistiques, l’improvisation en jazz n’illustre pas une sorte de logique de l’instant contre le trésor de l’héritage et de la tradition. Si leur combat a eu un sens c’est bien dans celui de rendre vivante une tradition en la faisant périodiquement émerger de dessous les travestissements commerciaux où elle se reléguait au prix de ne se grimer que trop.

Et les passeurs, s’ils ne sont pas légion, traversent pour certains toute l’histoire du jazz qu’ils portent sur leur dos et évoquent dans leur souffle. Tel un Atlas noir, Coleman Hawkins porte la planète jazz de Fletcher Hendersons à Sonny Rollins, en passant par Miles, Monk, Bud Powel ou Fats Navarro. Mais déjà King Oliver ce n’est plus tout à fait cette Nouvelle-Orléans que l’on entend encore en 1927 chez Papa Célestin ou Louis Dumaine. En fondant le jazz enregistré il rend crépusculaires les fanfares louisianaises et s’envole pour un solo serré, véhément, dans son Dippermouth Blues, solo qui ne trouve à la même époque d’équivalent que dans l’inquiétude lyrique d’un Tommy Ladnier sculptant ses phrases, lui aussi à la trompette bouchée, dans un Play that thing de légende. Le pianiste, compositeur et chef d’orchestre, Jelly Roll Morton réinvente la Louisiane et fait danser en elle le poivre de l’Espagne et rougir le sucre de la culture créole. Bix Beiderbecke, cet enfant de l’immigration allemande (le jazz a toujours été accueillant aux exilés), pleure de joie, d’émotion et de ferveur devant Bessie Smith et Armstrong, et se passionne également pour Debussy, Ravel et Grofé. Il invente ce qui sera plus tard le jazz cool, celui du second Miles et de Chet Baker – et nous ne sommes pas encore en 1930.

Le jazzman est un producteur d’innovations, d’où la réalité de cette musique trop souvent réduite à la mécanique de son supposé pré-carré (improvisation et ancrage sur le blues), mais de fait musique de musiciens pour musiciens toujours à la tâche de repenser la tradition et d’inscrire cette création continuée dans un dialogue avec les autres bouleversements musicaux que connaissent les musiques de la planète.

Cette aventure du jazz en dialogue date depuis près de quatre-vingt ans. La nouveauté profonde du Sacre de Stravinsky et les quasi émeutes qui suivirent la première présentation de cette œuvre à Paris, en 1913, aidèrent sans doute à l’acceptation et à la compréhension du jazz en France. Darius Milhaud, que son amie Yvonne Georg emmène à Harlem, y achète là les disques de la première compagnie phonographique d’importance destinée au public noir, les Black Swann (on y trouvait les enregistrements du père des grands orchestres de jazz, Fletcher Henderson et ceux de la chanteuse Ethel Waters). On connaît la suite.

Je pense que ce dont le jazz a le plus besoin est cette confrontation renouvelée avec les expérimentations musicales les plus actuelles. Il s’étiolerait à se fondre dans une world music où, réduit à ses stéréotypes, il se figerait dans une actualité de mode sans épaisseur, sans mémoire et sans enjeu.

L’aspect bien pensant de cette dérive qui a toutes les faveurs d’un public amnésique ou inaverti permet au moins de poser une problématique essentielle. On supposera que chaque époque a pu donner naissance à des expressions abouties, des synthèses admirables de ce qui était antécédent ou épars dans la contemporanéité où elle se sont produites, ce pourrait être le « cas » de Bach en classique ou de Fats Waller, ce pianiste de jazz qui a produit la synthèse la plus riche du blues, du ragtime, du « stride »[5] et du swing., mais aussi à des créateurs qui, explorateurs de l’intermédiaire et de l’encore indécis, sont des passeurs vers un autre monde esthétique. Là me vient à l’esprit l’œuvre d’une Barbara Strozzi ou d’un Orlando Gibbons, et en jazz, la musique jungle de Duke Ellington, l’itinéraire d’un Eric Dolphy ou d’un Ornette Coleman, et l’œuvre entière de John Coltrane. Ce qui est mortel en musique est la réduction d’une création à des recettes et des formules qui sont ressassées jusqu’à l’usure sans le moindre souci de dépassement. Le jazz souffre beaucoup de sa réduction à des procédés et à des clichés. Combien de sous-Miles Davis ! combien de copiste besogneux sans souffles et sans élans ! Et là oui il y a une hiérarchie à faire entre la création et la redite. Penser l’actualité du jazz c’est aussi ne rien vouloir distendre du lien exigeant et amoureux entre expérimentation et improvisation, entre ombre et lumière, entre écriture et événement. Certaines créations sont-elles encore promises à la longue durée ? Je compterai pour ma part encore beaucoup sur les effets en musique des théoriciens comme Ornette Coleman et Anthony Braxton, je l’ai assez dit. Il me semble aussi que la grande leçon du risque improvisé en promesse déjà chez King Oliver, portée à son incandescence chez Ayler peut se continuer chez le saxophoniste David S. Ware.

10. Repères

Henry « Red » Allen (1908-1967)

Fils d’un fameux leader d’orchestre de parade de la Nouvelle-Orléans, ce trompettiste, repéré par King Oliver, s’affirme dès la fin des années 1920, comme un novateur de premier plan, jouant sur des sonorités contrastée, des stridences aux murmures, et usant de rythmes asymétriques. Il fut aussi un chanteur expressif. (Patrol Wagon Blues, 1930, I cover the Waterfront, 1957, Tuxedo Junction – avec Kid Ory, 1959). A redécouvrir d’urgence.

Louis « Satchmo » Armstrong (1901-1971)

La jeunesse agitée de ce trompettiste lui doit d’avoir été éduqué aux subtilités des arts de parade par un instrumentiste émérite et professeur dans un Institut de rééducation de jeunes délinquants ; il a ensuite été formé par King Oliver aux fondamentaux du Jazz Nouvelle-Orléans. Louis Armstrong a fondé la dimension de l’improvisation en jazz. Il apparaît d’emblée comme extrêmement en avance sur son temps dès ses rares solos enregistrés au sein du Créole Jazz Band de son maître Oliver (Chimes, Riverside Blues, 1923). Il enrichit son langage rythmique et harmonique chez Fletcher Henderson, en 1924, comme le firent aussi Coleman Hwakins pour le saxophone et Jimmie,Harrison pour le trombone. Magnifique accompagnateur de chanteuses de blues (Saint Louis Blues avec Bessie Smith, 1925), il prend le risque de mettre en places deux petits ensembles de studios les Hot Five, puis les Hot Seven, de 1925 à 1927 (Cornet Chop Suey, 1926, West end Blues et Thight like this, 1928) dans les cadres desquels il s’invente comme soliste de jazz. Passera ensuite par de longs séjours dans des grands orchestres dont celui de Luis Russel avant de recomposer en 1947 un petit combo, ses All-Stars où brillent des individualités qu’on ne saurait cantonner dans le seul registre du jazz classique de la Nouvelle-Orléans (Earl Hines, Barney Bigard, Trummy Youg, ou Big Sid Cattlet, ce dernier est le parangon du batteur swing) et au sein duquel il grave quelques concerts d’anthologie (Boston, 1947). Il fut un des chanteurs les plus émouvants de toute l’histoire de la musique afro-américaine (Back O’ Town Blues, 1946). Un des vrais fondateurs du jazz.

Albert Ayler (1936-1970)

Amplement nourri des traditions blues et rythm’and blues, ce saxophoniste météorite, salué à ses débuts par un des plus classiques instrumentistes qui soit : Don Byas, est le souffle même du jazz free. En son jeu coagulent et renaissent la musique des églises noires, des orchestres de parade, des premières improvisations Nouvelle-Orléans. Poignant, créatif et sincère, son art récapitule sans emphase encyclopédique toute l’histoire et la préhistoire du jazz, emportant avec lui cet héritage vivant dans des risques où jamais la spiritualité et l’élan vital ne se trouvent mis en arrière-plan. Sans doute un des musiciens le plus nécessaire pour entendre les musiques qui ont fait le jazz et pour pressntir ce que pourrait être un futur possible pour cette musique Tout chez lui est à écouter, on pourra commencer à faire connaissance avec sa sonorité formidable en entendant Bells (1965). A en la personne du français Daunik Lazro un disciple de premier ordre, intransigeant et lyrique.

Leon Bismark « Bix » Beiderbecke (1903-1931)

Issu de l’immigration allemande et né dans une famille de musicien, ce pianiste précoce s’invente à 15 ans une technique de cornet à piston peu orthodoxe. Vite saisi par le virus du jazz nouvelle-orléans,, à l’écoute des musiques jouées sur les bateaux à aubes qui remontent le Mississippi, il fera ses classes musicales à l’Académie militaire de Lake Forrest. Dès ses premiers enregistrements au cornet à piston avec un groupe d’étudiants Les Wolverines, il fait valoir ses principales qualités et caractéristiques : jeu doux, vibrant, sensible (Jazz me blues, Tiger rag, 1924). Auditeur passionné des grands jazzmen noirs du Chicago, il aurait participé à une improvisation collective de légende avec Louis Armstrong. Son grand commensal et partenaire musical est le saxophoniste Frank Trumbaueur. A eux deux, dès 1926, ils préfigurent le jazz « cool » (Singin’ the blues, 1927) qui fut plus tard revendiqué par Lester Young. Il a souvent enregistré, excellemment entouré de musiciens blancs qui, tous, ont contribué à d’essentielles évolutions stylistiques et techniques de leurs instrument, Eddie Lang, pour la guitare, Joe Venuti pour le violon, Don Murray pour la clarinette, Bill Rank pour le trombone, Lennie Hayotn pour le piano et les arrangements, Jimmy Dorsey pour la clarinette (Sorry, 1927, Bessie couldn’t help it, 1930). Sera engagé dans l’orchestre de jazz symphonique que dirige Paul Whitheman, figure chaleureuse et humaniste d’un jazz ampoulé et accommodé dans toutes les séductions syncrétiques et commerciales possibles, mais accouchant de rares réalisations belles et rigoureuse où l’écriture de l’arrangeur Bill Challis brille dans d’opportunes miniatures pour trompette et grand orchestre qui permettent à Bix de livrer le meilleur de lui-même (Lonely melody, 1928). Passionné des harmoniques qu’apportent les musiques européennes de son temps (Debussy), il a enregistré, pour le piano, un manifeste esthétique d’avant-garde (In a Mist, 1927).

Leon Albany Barney Bigard (1906-1980)

Clarinettiste. Après des débuts vaseux chez King Oliver se révèle chez Duke Ellington dès 1927. Grave en 1929 des trios de légende avec le pianiste Jelly Roll Morton (dont Turtlle Twist). Flexibilité, émotion, jeu bluesy, swing… , Bigard est sans doute avec Bechet et Dodds un des meilleurs clarinettistes de jazz dont tout le talent a été mis en valeur par de mini concertos arrangés par le génie d’Ellington (Clarinet Lament, 1936). Ce qu’il a enregistré après avoir quitté la phalange ellingtonienne est très inégal, mis à part son premier passage rayonnant chez Louis Armstrong, de1947 à 1955 (Do you Know what it means to miss New-Orleans, 1947).

Anthony Braxton

Ce compositeur et musicologue, jouant de tous les saxophones est né en 1945. Avec Cécil Taylor il représente la pointe extrême et nécessaire du dialogue entre jazz et musique occidentale d’avant-garde, au point que devant une telle exigence les étiquettes chutent d’elles-mêmes. Une haute idée de l’improvisation servie par une culture musicale colossale. Loin des modes et des esbroufes, son art est une exploration rigoureuse des combinatoires des espaces sonores, des interlocutions de timbres et d’harmoniques. (Composition n° 147, 1898)

Ornette Coleman

Ce compositeur, saxophoniste et violoniste est né en 1930. Lyrique et animée d’une énergie irrésistible, son art généreux faits de petits airs qui s’enchevêtrent dans des tapisseries musicales audacieuses, révèle une passion pour la liberté impatiente qui fulgurait déjà chez Charlie Parker. Amateur et promoteur de nombreuses rencontres musicales, avec des musiciens traditionnels, des stars du Rock, etc. il a en 1960 tenté une expérience fort probante d’enregistrer deux quartets se répondant entre eux, chacun formé d’un saxo, d’une trompette,d’une basse et d’une batterie. C’est Free-Jazz, paru chez Atlantic. Indispensable.

William John Coltrane (1926-1976)

Ancien sideman de Johnny Hodges et Miles Davis, ce saxophiniste et chef d’orchestre s’impose comme le plus important musicien de l’après-bop. Par de grandes improvisations tonales et modales il bouleverse le langage du jazz. Adepte d’une communication avec d’autres musiques dont, surtout la musique indienne, il est le musicien de la quête et de l’absolu. (My favorite things, versions de 1960 et de 1967 – the Olatunji concert, Ascencsion, 1965, Expression, 1967)

Dewey Miles Davis (1926-1991)

Ce trompettiste qui débuta aux côtés de Charlie Parker (Donna Lee, 1947) reste une star, son jeu, pourtant, est encore mal connu. Prestidigitateur pudique ou grandiloquent, maître des silences, des dérapages et des fulgurances, cet artiste a tenté de nombreuses expériences musicales en échappant à toute réduction taxonimique. Avec cela qu’il ressemble un peu à ces trains de théâtre qui donnent l’illusion du mouvement du moment que bouge, derrière eux, le décor. Il lui arrivait d'utiliser les modes grecs pour composer.. Il préférait, par exemple, aux gammes mineures (mélodique et harmonique) le mode Dorien élaboré à partir du 2ème degré de la gamme majeure. Sa sonorité feutrée et séduisante sera durcie par la réverbération qu’apportent les électrisations. Véritable créateur du jazz-rock et seul, avec le batteur Tony Williams, a donné quelque élan à ce courant vite épuisé, Miles a passé son temps à se chercher et à nous séduire… sans que son retour, dans les années 1980, au-devant d’une scène conquise d’avance n’ait apporté quoi que ce soit de décisif. Son parcours avec Gil Evans est de toute subtilité et de toute séduction, mais c’est dans les albums Britches Brew (1969) et Agharta (1975), qu’on le sent le plus concerné, le plus indispensable et le plus libre.

Johnny Dodds (1892-1940)

Clarinettiste. Débute ses classes en 1920 avec King Oliver. Est de toutes les formations majeures du jazz Nouvelle-Orléans recomposé et mûri à Chicago : King Oliver Creole Jazz Band, King Oliver Syncopators, Jelly Roll Morton Red Hot Peppers, Louis Armstorng Hot Five et Hot Seven. Son jeu se caractérise par un profond sens du blues, un lyrisme pudique et fier, une attaque décisive dans les aigus et une sonorité profonde dans les graves. Indépassable dans l’art du contrepoint lors des improvisations collectives. (à écouter Perdido Street blues, 1926, Wild man Blues avec le trompettiste Charlie Shavers, 1938)

Edward Kennedy « Duke » Ellington (1899-1974),

Pianiste et chef d’orchestre, Compositeur. Créateur de l’esthétique du grand orchestre de jazz, pianiste influencé par l’école de Harlem des années 1920 (James P. Johnson, Fats Waller, Willie Smith « the Lion ») et évoluant vers un style plus sobre et plus incisif, davantage audacieux harmoniquement. On se reportera aux morceaux cités, témoignages de sa première période, dite « jungle » caractérisée par un alliage entre la raucité des cuivres que vocalise l’usage omniprésent de sourdines en caoutchouc et la douceur des saxophones. Une période plus tardive (1939-1941) est considérée comme l’apogée de l’art de Duke Ellington, période marquée par une plus grande flexibilité( Ko-Ko, Jack the Bear, Bleu Serge). Dès le milieu des années 1950, le Duke revient sur sa carrière et met à jour son répertoire. Il a su appeler près de lui des figures d’avant-garde (A. Shepp ou E. Jones) ou enregistrer avec d’autres dont John Coltrane.

Ian Elmore Gil Evans (1912-1988)

Ce pianiste arrangeur et chef d’orchestre , autodidacte a émancipé la traditionnelle et efficace organisation par sections de cuivres et d’anches du grand orchestre de jazz due à Fletcher Henderson et Don Redman. Il a de plus inventé des alliages sonores en mettant en valeur des instruments jusqu’à lui inusité en jazz : cor hautbois, tuba. Ses toiles sonores, hautement intelligentes et sophistiquées, sont des écrins quiaident les improvisateurs à aller de plus en plus loin dans la prise de risque et le dialogue avec la masse orchestrale, tout autant. A longtemps prêté main forte à Miles Davis (albums « Miles ahead », 1957, « Sketches of Spain », 1959). Très beau travail avec Steve Lacy à la toute fin de sa vie (Reincarnation of a love bird 1987)

Coleman « Bean » Hawkins (1904-1969)

Saxophoniste. Muni d’un très bon bagage musical, fait partie de l’orchestre de son collège. Membre régulier de l’orchestre de Fletcher Henderson de 1922 à 1934. Divers séjours en Europe où il rencontre Django Reinhardt et enregistre avec lui (Honeysuckle Rose, 1937). De retour aux USA bouleverse tous les jazzman par son interprétation de Body and Soul (1939) où sa sonorité achève de devenir pulpeuse au service d’un lyrisme impérieux. Il saura entendre la révolution bop et l’accompagner, en enregistrant, par exemple, un duo avec Sony Rollins, en 1963 (dont Just Friends et Summertime)

Fletcher Henderson ( (1897-1952)

Le père incontesté de tous les grands orchestre de jazz. Ce pianiste discret, subtil accompagnateur des grandes chanteuses de jazz et de blues de son époque (E. Waters, C. Smith, B. Smith), a formé son premier grand orchestre au début des années 24. La plupart des grands solistes des années 20 et 30 fréquentèrent ses phalanges : Louis Armstrong après avoir quitté King Oliver, Rex Stewart, Red Allen Roy Eldridge, Tommy Ladnier, Joe Smith, mais aussi et encore Benny Carter, Don Redman et Coleman Hawkins, jusqu’au bopper Art Blakey. Sa phalange était un lieu d’expérimentation au sein de laquelle les instrumentistes, stimulés par le fait de jouer en sections importantes, eurent à cœur de faire évoluer leur technique instrumentale et le rôle même de leur instrument, que ce soit les saxophonistes Coleman Hawkins et Benny Carter, le tromboniste Jimmie Harrison, les trompettistes Louis Armstrong et Rex Stewart ou le batteur Kaiser Marshall. A côté de Duke Ellington, et un peu avant lui, Henderson a inventé, avec ses sidemen Don Redman et Benny Carter les arguments classiques de l’arrangement jazz : jeu en section, préparation des solos par un tissus orchestral ad hoc. (Copenhagen en 1924 montre comment le langage orchestral proposé permet à Louis Armstrong de faire évoluer rapidement son bagage rythmique), les chefs d’œuvre abondent au sein desquels nous indiquerons Figety Feet (1926), Queer notions (1933), Christopher Colombus (1934). Une foule immense suivit son cercueil, à Harlem (New York City)

Paul Gonsalves (1920-1974)

En 1956, lors du festival de jazz de Newport, le saxophoniste ténor Paul Gonsalves qui jouait avec l’orchestre de Duke Ellington donnant pleine extension à son rapport au temps détaché et fluide, semblant parfois pressentir ce qui pourra se dérouler un paquet de mesures à l’avance, a confié à la cire une des improvisations les plus libres, les plus fluides et les plus lunaires de toute l’histoire du jazz (The diminuendo and the Crescendo in Blues) . L’oreille attentive pourra entendre, dans le lointain de cet enregistrement, les grommellements approbateurs puis enthousiastes du Duke lui-même. Cité par le saxophoniste de free jazz David Murray comme une de ses influences majeures.

Fred Guy (1897-1971)

Ce banjoïste a vécu toute sa carrière dans l’orchestre du « Duke ». A contribué par son tempo solide et plein d’allant a la réussite des premiers climats jungle de l’orchestre.

Eleonora Billie Holiday (1915-1959)

Chanteuse, de loin la plus envoûtante de toutes les conteuses jazz. Sensualité, fragilité, expressivité souveraine font de son art l’exemple même de la force émotionnelle en jazz. Billie qui était plus le blues qu’elle ne l’a chanté a trouvé dans le saxophoniste Lester Young son plus digne chevalier servant, à hauteur d’inspiration l’un de l’autre. Bien qu’elle ne l’ait pas créée, elle a su s’approprier une composition d’un réalisme poignant à propos du lynchage public de noirs aux USA par les racistes blancs du Sud du pays (Strange fruit, 1939, thème qui sera bien repris aussi par S. Bechet accompagné du pianiste Willie Smith « The Lion », deux ans plus tard).

Thomas « Tommy » Ladnier (1900-1939)

Avant de confirmer sa classe dans l’orchetre de Fletcher Henderson de 1926 à 1928, ce trompettitte joue avec Olie Powers, Fate Marable et King Olivier. A voyagé à la toute fin des années 1920 et au début des années 1930 en Europe, notamment à Moscou, Londres et Paris. Redécouvert au tout début du mouvement « revival » du jazz Nouvelle-Orléans, Ladnier a laissé l’empreinte d’un jeu dépouillé, nourri de blues, où le poids de chaque note compte. (Play that Thing, 1923, Dyin’ by the Hour –avec Bessie Smith, 1928, Really the Blues, 1938)

James Bubber Miley (1903-1932)

Ce trompettiste accompagne dès l’âge de 18 ans la chanteuse Mamie Smith. L’écoute du King Oliver Creole Jazz Band lui procure une révélation. Il se passionne pour les sourdines et enregistre en solo (accompagne par un orgue) en 1924. Sera par la suite engagé par Duke Ellington de 1924 à 1929, avec qui il grave les plus impressionnants morceaux de style jungle (The Mooche, Black and Tan Fantasy, Creole love call, Blues I love to sing). Sa grande imprégnation du style et du tempo des musiciens de la Nouvelle-Orléans se conjugue à un style droit issu du voicing des prédicateurs noirs du Sud des U.S.A. Après son départ de l’orchestre du « Duke » est engagé dans diverses formations dont celle de Léo Riesmann, où, pour des raisons de ségrégation, il est astreint à jouer derrière le rideau, lors que tous jouent sous le plein soleil des projecteurs ; il n’en gravera pas moins un ultime chef d’œuvre What is this thing called love ? avec cet orchestre en janvier 1930.

Charles Jr. « Charlie » Mingus (1922-1979)

Ce pianistes délicat et contrebassiste puissant, admirateur de Jelly Roll Morton et de Duke Ellington, dans l’orchestre duquel il a brièvement joué, a eu comme plus proches partenaires Eric Dolphy et Fats Navarro. Homme noir en colère contre les injustices qui oppriment son peuple, Charles Mingus est un musicien engagé. C’est un formidable catalyseur d’énergie, et un accompagnateur extrêmement stimulant, sensible, audacieux. Nul n’a fait comme lui « parler » la contrebasse. (Blues and roots, 1959, Goodbye Porkpye Hat, 1977).

Ferdinand Joseph « Jelly Roll » Morton (1885-1941)

Pianiste issu du ragtime et créole attentif à toutes les musiques de sa ville de Nouvelle-Orléans, Jelly Rol, personnage de légende, autant inventé par le jazz qu’il ne l’a inventé a comme principal fait d’armes et titre de gloire d’avoir complètement repensé et orchestré le jazz de la Nouvelel Orléans dans ses enregistrements des 1926 et 1927. (cf article). Le pianiste a du charme, une main gauche encore pataude mais des talents infinis pour border et ciseler à la main droite. (Fat Frances, 1929). Le musicologue Alan Lomax le sort d’un anonymat injurieux en 1938 et lui laisse évoquer, pour le Bibliothèque du Congrès, seul devant son piano, sa façon de se souvenir du jazz naissant et de sa ville natale. Ce document irremplaçable est depuis peu soigneusement repiqué sur CD.

Joseph Irish « Joe Tricky Sam » Nanton (1904-1946)

Ce tromboniste restera fidèle au Duke de 1926 jusqu’à sa mort. Il fut l’un des plus grands créateurs et stylistes du style jungle, usant d’une sourdine en caoutchouc, il tire de son instrument des sons proches de la voix humaine. Très grand sens de la construction des solos, à partir de formules mélodiques simples issues droites du blues. A marqué de son style les deux époques les plus décisives de la musique de Duke Ellington : la période jungle (1916-1931) et le grand classicisme de l’année 1940 (Ko-Ko, Jack the Bear)

Joseph « King » Oliver (1885-1938)

Le grand ancêtre de tous les trompettistes de jazz. Il a su, unifier toutes les composantes diverses des musiques de la Nouvelle-Orléans en en proposant dans ses enregistremetns du Creole jazz Band, en 1923, secondé par son cadet et respectueux disciple Louis Armstrong, une synthèse nostalgique qui a ouvert le jazz à l’âge des improvisations et des improvisateurs. Trompettiste et cornettiste sensible et lyrique (Dippermouth Blues, 1923), il fut un remarquable meneur d’improvisations collectives. Très juste accompagnateur des chanteurs et chanteuses de blues (dont Sarah Martin et Texas Alexander) Soliste de belle envergure il a confié à la cire des improvisations pudiques et sensibles (dont Aunt Haggar’s Blues 1928, Bozo, 1928). Un des pionniers aussi du grand orchestre jazz (Nelson Stomp, 1930). Délaissé puis ignoré ce fondateur admirable est mort dans la misère la plus cruelle.

Charles Christopher « Charlie » Parker (1920-1955)

Se reporter à l’article. Avec Armstrong et Coltrane un des plus grands improvisateurs (sinon le pus grand) en jazz. Co-fondateur avec Dizzy Gillespie du be-bop, mouvement révolutionnaire en musique que ce soit au plan des rythmes que des harmoniques.(Hot House, 1945, Lover Man, 1946, Scrapple from the Apple, 1947, Leap Frog, 1950)

Jean-Baptiste « Django » Reinhardt (1910-1953)

Sans nul doute avec Charlie Christian et Wess Montgomery, un des trois meilleurs guitaristes de jazz. L’originalité du manouche Django est d’avoir réussi la fusion entre la musique afro-américaine et les traditions tziganes, sans folklorisme de circonstance. Archétype du musicien jouant d’oreille sans se repérer dans l’écriture (figure de ces musiciens d’instinct qui ne furent pas légion) sa mémoire musicale et sa culture harmonique sont confondantes. Improvisateur intarissable il s’est plutôt émancipé des ritournelles du jazz manouche qu’il ne les accompagnées ou escortées. Très apprécié des musiciens noirs américains, grand rythmicien, accompagnateur infaillible, il a enregistré des faces de toute beauté avec Coleman Hawkins, Benny carter ou Eddie South. Le grand « découvreur » de la guitare jazz. (Minor Swing, 1937, I’ll see you in my dreams, 1939, Blues for Ike, 1953)

William « Rex » Stewart (1907-1967)

Cornettiste. S’il a joué d’abondance avant et après son passage chez Duke Ellington, c’est bien dans cet orchestre qu’il a jeté le meilleur de ses feux et a contrôlé sa virtuosité bavarde. Ses solos où il joue de notes mates et étranglées sont de toute logique et de toute beauté (Boy meets Horn, 1938 et plusieurs versions de concert de ce même thème).

Clark Terry

Ce trompettiste, né en 1920, a fait ses classes chez le vibraphoniste Lionel Hampton, puis chez Count Basie (Katy, 1949) avant d’être engagé par Duke Ellington (A drum is a Woman, 1956, Lady Mac, 1957). A su conseiller Miles Davis qui lui vouait, en retour, une admiration sans failles. Beaucoup de swing, d’invention et de musicalité, Clark Terry a su plus que quiconque allier tradition et modernisme. Son album « Color Changes » (1960) le montre tout à son avantage : pudique, inventif, exigeant et prodigieux bâtisseur d’ambiances.

Lennie Tristano (1919-1978)

Ce pianiste d’une agilité contrapunctique hors du commun et compositeur novateur a été un immense enseignant. Il a donné au jazz cool quelques unes de ses plus fortes exigences de rigueur et d’invention rythmique et harmonique (Requiem –for Charlie Parker, 1955). Il y a une école Tristano où brille notamment le saxophoniste Warne Marsh.

Lester Willie Young (1909-1959)

Saxophonitse et aussi clarinettiste. Ce natif de la Nouvelle-Orléans fut engagé dès 1936 par Count Basie où il bénéficie d’un environnement favorable en raison de la qualité des solistes et de la fluide solidité de la section rythmique. Se liant d’amitié avec Teddy Wilson puis Billie Holiday, il enregistre avec cette dernière (Travlin’ all alone- 1937) dont il est l’accompagnateur le plus attentif et le plus stimulant. Son jeu, élaboré lors de son passage dans le grand orchestre de Count Basie (1936-1940 puis 1943) puis dans celui de Dizzy Gillespie (1943) est libre, cool, effaçant les différences entre temps fort et temps faible, et s’affranchissant, dans ses improvisations, de la graduation programmée des accords. Cet artiste a eu une grand influence sur le ajzz des années 1950, dit « jazz-cool ». Son enregistrement de These Foolish Things (1945) est un des plus remarquables exemples d’improvisation en jazz, le musicien prend appui sur les harmoniques mais s’éloigne très rapidement de la pourtant très jolie mélodie retenue.

Olivier Douville

[1] Harry Wills, boxeur noir de très haut niveau actif dans les années 1910 et 1920 doit combattre Jack Dempsey pour le championnat des poids lourds, mais le match fut annulé, de crainte qu'après Jack Johnson on consacre à nouveau un boxeur afro-américain. Les préjugés de race étaient aussi très présents dans le monde sportif. On se souviendra que la victoire de Jack Johnson sur Burns fut marquée par des agressions de meutes racistes blanches contre les noirs, et que ce formidable champion, qui commit le "crime" d'avoir épousé une femme blanche dut,pour éviter de faire de la prison pour cela, fuir au Canada, puis en France.

[2] Un album (avec donc de grandes parties écrites).

[3] Surnom de Clark Terry, surnom d’autres trompettistes également dont Harry Sweets Edison chez Count Basie, puis Franck Sinatra

[4] Considéré comme l’un des premiers improvisateurs de jazz, né en 1877, ce trompettiste n’a pas laissé de traces enregistrées d’une musique sans doute intermédiaire entre le ragtime et le jazz Nouvelle-Orléans, il était réputé pour sa puissance sonore, son sens du blues, son inspiration. Il est mort « fou » et a passé les vingt-quatre dernières années de sa vie dans l’asile psychiatrique de la Nouvelle Orléans. À quoi pensait le grand trompettiste Red Allen lorsqu’il lui rendit visite, et à quoi pensait aussi Louis Armstrong lorsqu’il retrouva un bref moment, à la fin des années trente, un King Oliver ruiné et les dents tellement déchaussées qu’il ne pouvait plus jouer de trompette ? Les débuts du jazz sont traversés par la mort et la folie, la ruine. Rien de la sinistre rigolade de fanfare que de misérables analphabètes aiment à produire en se croyant new-orléanais dans l’âme.

[5] Art pianistique propre à Harlem où la main gauche joue les fondamentaux de la base sur les temps pairs et un accord avec beaucoup de brisures et de variétés harmoniques (en dixième) sur les temps pairs. La main droite jouissant d’une liberté virtuose