Bing sings whilst Bregman swings

"Bing" Crosby jr. - Henrium Lillis (1903-1977)

Par Olivier Douville

33t - Hollywood, 1956-06-00, Verve - Orchestre : Bing Crosby (vocal) avec Buddy Bregman (arrangeur et leader) and Orchestra : Pete Candoli, Harry « Sweets » Edison, Maynard Ferguson, Conrad Gozzo (trompettes) ; Milt Bernhart, Francis Howard, Georrge Roberts, Frank Rosolino, Lloyd Ulyate (trombones) ; Herb Geller, Bud Shank (saxophones alto) ; Bob Cooper, Ted Nash (saxophones ténor) ; Chuck gentryy (saxophone baryton) ; Lew Roderman et inconnus (violons) ; Edagrd Lustgarden et inconnus (violoncelles) ; Paul Smith (piano) ; Barney Kessel (guitare) ; Joe Mondragon (contrebasse) ; Alvin Stoller (batterie).

Frère aîné du chef d’orchestre Bob Crosby, Bing est connu des amateurs de jazz pour sa participation au trio vocal de l’orchestre de Paul Whiteman, les « Rhythm Boys, avec Al Rinker et Harry Barris) ce qui lui vaut d’enregistrer avec Bix Beiderbecke à la fin des années 1920 ("From Monday on, 1928). De loin le meilleur des trois chanteurs, en raison de sa ductilité et de son sens de la mise en place, il devient le vocaliste vedette de l’orchestre.

Très vite sacré « Roi des crooners », il mène, durant une quarantaine d'année, une carrière partagée entre les récitals et les studios de cinéma et qui entretient des rapports assez relâchés avec le jazz -il a tourné avec son vieux copain Louis Armstrong dans deux bluettes : "Pennies From Heaven" (Mc Leod, 1936) et "High Society" (Walters, 1956).

Toutefois, il lui arrive d’enregistrer avec Duke Ellington, Lionel Hampton ou Louis Armstrong, et sa participation n’a rien d’une banale figuration de circonstance.

On lui retrouve alors tout son allant, sa diction, et sa superbe nonchalance.

Sa voix chaude de baryton, toujours légère, fait ici merveille dans un répertoire où abondent des thèmes standards orchestrés avec goût par le compositeur et arrangeur Buddy Bregman, très actif sur la côte ouest des U.S.A. durant la seconde partie des années 50. Quelques unes des personnalités « jazz » les plus notables qui travaillaient d’abondance dans les studios californiens se retrouvent autour du crooner qui est alors encore une des références majeures de Nat King Cole, comme il fut, en France, une valeur phare pour… Jean Sablon.

C’est sans doute sur « Cheek to Cheek », "Jeepers Creepers", et « Nice Work if You Can Get It » que Bing Crosby est ici au meilleur de son swing. Ce sont là des interprétations tendres, malicieuses, nuancées. L’orchestre est une machine superbement rodée. Une Cadillac que Bing aime piloter, avec laquelle il pousse des pointes de vitesse, quand, dans le confort du soutien qu’elle lui apporte, il ne revisite pas le vieux paysage de ces standards qu’il aime tant et chante si bien.

Le jazz investit ici dans le confort et le plaisir, mais se tient loin des ornières du mièvre. Tout ce disque repose sur un équilibre précis entre poivre et miel, entre éveil et somnolence feutrée, entre nostalgie et audace. Bing goûte chaque mélodie avec un soin de chef cuisinier. Il s'agit de ne pas en perdre une larme, de ne pas se laisser gaspiller une seule inflexion. Et, tout occupé à cet art de la diction, de la dissection, et de la dégustation, Bing semble dialoguer, au-dessus de la masse orchestrale, avec le rythmicien du navire, son vrai capitaine, Alvin Stoller.

Un habitué des studios d'enregistrement lui aussi, il est le batteur de Sinatra. S'il fait merveille en apportant son soutien rythmique et cette énergie contagieuse qu'on appelle le "drive" à un grand orchestre, Stoller fut aussi un des accompagnateurs les plus recherchés par les chanteuses et chanteurs (dont Anita O' Day et Billie Holiday)pour les séances en petite formation, en raison de sa délicatesse et de son sens du dialogue

Une contribution précieuse à l’art vocal jazz, qui exhale tout le parfum à la fois exigeant et insouciant des années californiennes du cool.

Olivier Douville