Arkansas Blues - Lucille Hegamin

Arkansas Blues -Lucille Hegamin (1894-1970)

Par Olivier Douville

L’heure de gloire de Lucille Hegamin vient à la suite du succès inespéré du « Crazy Blues » de Mamie Smith. Seconde chanteuse à avoir enregistré un blues, Lucille Hegamin est présentée par la publicité comme « the South’s favorite cyclonic exponent of dark town melodies ».

Née Lucille Nelson, elle s’évade très jeune de la maison parentale, tentée par les voyages et les spectacles – cette bougeotte inspirée est une forme de socialisation des errances de bien des filles noires du sud, désireuses de s’affranchir des rudesses et des étroitesses de l’éducation qu’elles subissent. Elle rejoint la « Laurel Harper Minstrel Stock Company » avec laquelle elle se produit dans des spectacles, sous des chapiteaux montés à la hâte, dans le Sud profond du pays. Parvenue à l’âge de ses 15 ans avec déjà pas une bonne expérience de la scène, elle met ses pas dans ceux des nombreux noirs du sud qui cherchent une vie un peu moins dure et précaire dans les grandes villes du nord, dont, surtout, Chicago où elle se fixe au tournant des années 1910. Elle se produit en duo, dans le genre très prisé des tandems comiques qui jouent scènes de ménage sur scènes de ménage, avec son futur époux Bill Hegamin (ici au piano). Infatigable, Lucille joue et chante dans les cabarets et les clubs et il lui arrive d’être accompagnée par ces géants du piano "New-Orleans" que sont Tony Jackson ou Jelly Roll Morton.

L’appel de la route est encore fort, et c’est Los Angeles, puis, à l’opposé du pays, New-York qui accueillent et apprécient son talent, que ce soit dans les cabarets ou les revues.

L’année 1920 est placée sous le digne signe d’éros. Après son mariage, elle et son Bill d’époux constituent les « Blue Flame Syncopators » que nous entendons ici dans leur jeu un peu rude, bouillonnant et enthousiaste, et tout ce beau monde va, de tournées en tournées, visiter la Pensylvanie, la Virginie et L’Ohio.

"Arkansas Blues" est un des grands succès du disque de l’année 1921. Séduit, New York adopte définitivement Lucille. Pour des artistes de cette trempe, il n’existe qu’un seul cérémonial de réelle intronisation : briller dans les plus chics et les plus sophistiquées des revues afro-américaines, celles que fomentent, organisent et établissent le duo du chanteur Noble Sissle et du pianiste Eubie Blake.

Lucille s’illustre avec brio dans la comédie musicale « Shuffle Along » et décroche un contrat d’exclusivité avec la firme Caméo.

La carrière de cette chanteuse sera assez longue puisque qu’elle tentera avec succès un « come-back » dans les années 1960, à l’initiative de Victoria Spivey. Elle sera alors accompagnée par le vieux pianiste harlémite Willie Smith « The Lion » tout ragaillardi par de telles retrouvailles.

L’art de Lucille Hengamin est direct et gracieux, son énergie communicative ne nuit en rien à son sens du phrasé et à ses indéniables talents de comédienne.

Olivier Douville