Un mariage "pastout"

Au cœur du débat sur l’homoparentalité : dialogue avec Patrick Delaroche.

En réponse à la lettre ouverte « Des psychanalystes face à l’égalité des droits et au mariage pour tous » lancée fin Octobre 2012 par Olivier Douville et Laurence Croix et dont je suis signataire, Patrick Delaroche m’a fait parvenir le texte qui suit. A la lecture de ce texte, j’ai souhaité approfondir les questions soulevées.

Patrick Delaroche est psychiatre, psychanalyste, ancien attaché du Service de Pédopsychiatrie de la Salpêtrière, ancien membre de l’Ecole Freudienne, ses travaux portent sur l’adolescence[1], le psychodrame analytique individuel[2] et de nombreux de ses ouvrages s’adressent au grand public[3]

Dans ce texte, Patrick Delaroche traite du débat politique actuel sur l’homosexualité en réintroduisant les difficiles questions de l’homophobie et du désir d’enfant telles qu’elles sont traitées dans l’intime de la cure psychanalytique. Au nouage de l’intime de ce qui se traite du désir dans une cure analytique et des effets du travail de la culture sur les montages de l’identité et de la sexuation, on lit dans son texte toute l’insistance de l’homophobie, qu’elle concerne les hétérosexuels ou les homosexuels, et les difficiles coordonnées du désir d’enfant. Loin des prises de positions rapides des psychanalystes emmêlés dans l’exigence de se positionner comme « expert » devant trancher sur le « pour et le contre » du mariage homosexuel et de l’adoption, Patrick Delaroche interroge la manière dont ces revendications identitaires relèvent pleinement des effets de ce que Lacan appela la « copulation du discours de la science avec le discours capitaliste ».

Nos modernités marquées d’un égalitarisme aveugle, d’une toute puissance sur la mort et les conditions de la vie, œuvrent à l’abolition de ce qui autrefois pouvait faire butée de Réel, la procréation naturelle entre un homme et une femme et symbolique, le couple parental devant élever l’enfant composé de ce même homme et de cette même femme. Alors, faut-il entendre la demande de légalisation du mariage homosexuel et de l’adoption comme une avancée de l’humanité ou comme la réalisation morbide et l’aliénation des sujets aux idéaux néolibéraux d’abolition de la différence, de la singularité et, finalement, de la sexualité ? Pour se positionner dans ce débat, faut-il s’orienter avec une lucidité pragmatique sur les ravages du discours ambiant et de ses effets d’aliénation ou faire le pari de l’inédit et compter sur chacun pour faire d’une aliénation initiale une possibilité de réalisation du désir ?

Peut-être sommes-nous ici dans un renouvellement de ce que l’on appelle les « problèmes cruciaux de la psychanalyse » ? Comment le psychanalyste parvient-il à rester fidèle au tranchant de sa méthode et à la part créatrice inhérente à sa pratique ? Comment écrit-il cette fidélité à partir des modalités par lesquelles il entend la prise des sujets qu’il reçoit dans les discours qui font le lien social actuel ? En quoi peut-il, en tant que psychanalyste, individuellement, prendre part au débat politique ? Et, finalement, si un psychanalyste avait quelque chose à dire du lien social, le devrait-il ?

Lisons son texte :

Homophobie et désir d’enfant

Le débat sur la question du « mariage gay » me semble, jusqu’à présent et malgré de remarquables réflexions, faire défaut sur deux points certainement liés de façon complexe : l’homophobie d’une part, le désir d’enfant d’autre part car ce dernier me semble indissociable de la revendication du mariage.

Côté homophobie, cette réaction souvent inconsciente reste toujours aussi puissante, que l’on soit hétérosexuel ou même homosexuel. C’est un problème de déni de la différence, analogue au racisme, ancré chez tout individu. Et cela si profondément qu’on peut douter que des mesures sociétales, politiques ou légales comme le mariage en viennent à bout.

Quant au désir d’enfant, il n’est évident ni chez la femme, ni chez l’homme : il repose sur des éléments disparates, sociaux et psychologiques multiples, ces derniers faisant intervenir entre autres, par exemple, la dette par rapport aux parents du couple procréateur ou leur amour réciproque. Les méthodes modernes de procréation apportent aux couples stériles un autre accès que l’adoption pour réaliser ce désir complexe. En ce qui concerne le désir d’enfant chez les homosexuels, le discours dominant affirme que l’enfant doit naître d’un père et d’une mère d’une part, être élevé par les deux d’autre part. Si la seconde proposition est souvent inexacte, car les enfants peuvent être éduqués aussi bien par un couple homosexuel, la première en revanche est d’une évidence absolue quel que soit le moyen de conception utilisé.

C’est ici que les deux questions, homophobie et désir d’enfant, se rejoignent. Il est strictement impossible à un couple homosexuel de procréer. C’est une réalité. Pourquoi notre société moderne ne supporte-t-elle pas cette réalité ? Plus intimement : pourquoi un homosexuel ne supporterait-il pas ce « réel » ? Comme les méthodes modernes de procréation assistée, outre les possibilités illégales de mères porteuses, et bien sûr l’adoption, ont permis de dépasser cette réalité pour les couples stériles, les homosexuels peuvent se dire : pourquoi pas nous ? Si c’était possible, dans la logique mégalomaniaque de notre société, l’impossible deviendrait possible au-delà de toute réalité. La toute-puissance de la science viendrait au secours de la toute-puissance de l’imaginaire. L’égalitarisme forcené que nous subissons tous trouverait donc ici son triomphe absolu.

La question, fondamentale à mon sens, qui se cache derrière cette revendication est la suivante : en quoi le mimétisme hétérosexué diminuera-t-il l’homophobie ambiante ? Les homosexuels espèrent-ils ainsi changer leur nature profonde ? Est-ce qu’entériner leur union fera valider une « normalité » naissante ? Rien n’est moins sûr. Alors que les hétérosexuels qui procréent ont de moins en moins besoin de faire reconnaitre leur union, les homosexuels ont peu d’avantages, à mon avis, à se faire reconnaitre en singeant des rites qui ne les concernent pas.

Patrick Delaroche

DISCUSSION :

1. Jérémie Salvadero : Qu’est ce que l’homophobie chez les homosexuels ? Pouvez-vous préciser ses modes de manifestation dans le courant d’une cure analytique, son « origine » inconsciente et ses manifestations symptomatiques ? Concerne-t-elle une haine de l’homosexuel pour son propre choix d’objet au-delà de la simple ségrégation sociale ?

Patrick Delaroche : La clinique auprès d’adolescents m’a porté à faire ce constat, confirmé par les statistiques : le risque suicidaire est plus important chez les jeunes homosexuels qui ne savent pas encore qu’ils le sont. Nous pouvons certainement affirmer que le poids social de l’homophobie est extrêmement puissant à l’adolescence. Nous connaissons l’extrême sensibilité des adolescents au discours de la norme. La clinique auprès des adolescents exige que nous affirmions que le « conformisme social » n’est pas un vain mot et que ses incidences sur les individus peuvent être tout à fait féroces. C’est quelque chose que l’on peut lire déjà dans le cas de la jeune homosexuelle chez Freud.

Cela me pousse à donner une véritable importance au concept de « surmoi culturel » chez Freud et à distinguer d’une manière qui peut sembler tout à fait imprécise « le désir du Moi » et le « désir du sujet ». Un désir du Moi que l’on peut bien appeler « volonté » ou « revendication », mais qui, dans tous les cas, renvoie à cette exigence du Moi d’être reconnu.

Je ne sais si le concept de « surmoi culturel » possède une véritable pertinence à se nommer encore « surmoi », mais dans tous les cas, je vous rejoins pour redonner une véritable importance à ce que nous pouvons appeler « les contraintes sociales », « les enjeux identitaires » ou l’exigence de « l’autonomie-condition » telle que Pierre-Henri Castel la développe dans son ouvrage « La fin des coupables »[4]. Pour moi cette réflexion sur la, disons, demande de reconnaissance des couples homosexuels, entre pleinement dans son travail d’anthropologie sur la condition des individus. Nous voyons bien comment la thématique sociologique et philosophique de la « norme », que nous pouvons situer psychanalytiquement dans l’instance du « Moi » et de ses identifications, a des incidences très concrètes sur l’existence des sujets que nous recevons.

En effet, c’est tout à fait prégnant chez les adolescents homosexuels, mais également chez les jeunes adultes. Il y a une lutte entre le surmoi culturel et le désir. Cela s’entend dans le processus de la cure elle-même et conditionne la manière même dont un sujet peut reconnaître le désir homosexuel comme sien. Un analysant que j’ai reçu une dizaine d’année s’est obstiné à entretenir de multiples relations avec des partenaires féminines en rencontrant un systématique échec. Dans cette cure, ce que Freud appelle la « censure », ce processus qui ne relève pas du refoulement, mais de l’interdit préconscient imposé à soi-même était au centre du travail. Il était comme contraint par l’impératif contradictoire suivant : « je désire les hommes, je dois désirer les filles ». Il se disait qu’il aimait les filles, dans un dialogue avec lui-même, dans les mentismes que l’on connait bien chez l’obsessionnel et barrait ainsi la route à ce qui pourtant pour moi dans le transfert était une évidence : il désirait les hommes. Finalement, il consentira, comme dans un aveu fait à soi-même, à avoir une relation avec un homme et, nous pourrions nous exclamer « enfin ! », une relation sexuelle qui fut satisfaisante pour lui.

Quelque chose m’interroge tout de même ou plutôt reste en suspens dans votre réponse : ce surmoi serait un surmoi culturel, mais alors que fait-on de cet aspect du surmoi que l’on dit lié au Père ? La question du Père est constamment évoquée par les psychanalystes dans ce débat. Qu’en est-il du Père disons « moderne » dans la culture ?

Je pense que le père est dépassé par le surmoi. Dans de nombreux cas d’analysants homosexuels, c’est d’un père impuissant dont on me parle. D’un père amoureux de la mère mais qui ne peut rien lui interdire. Un père qui vit son garçon comme un rival. Je pense aux descriptions que Kohut fait de ces mères qui retrouvent dans leurs fils ce qu’elles ont perdu chez leur père, au prix donc d’une sorte d’annulation du père de l’enfant.

Finalement, nous serions pleinement dans ce que nous n’avons plus a appeler un « déclin du Père dans notre société » mais une société dans laquelle la figure du Père a décliné. Nous travaillons dans la clinique avec le paradigme du Père humilié[5] dont parle Lacan, ce père impuissant, de structure, à égaler le père symbolique. Il est intéressant de parler d’un père dépassé par le surmoi culturel, parce que si finalement on dit que le papa de la réalité n’est pas le père symbolique, on souligne bien comment lui aussi est pris dans la contrainte sociale et que sa voix ne se fait pas entendre. C’est à l’annulation de la valeur de la parole du père en tant que représentant de la paternité et de sa légitimité à édicter la norme sociale que nous avons affaire. Peut-être pouvons-nous dire qu’aujourd’hui la norme sociale n’est plus édictée par ce Père sévère du Patriarcat, il n’y a plus de coalescence entre le Père et la norme, ce qui, à mon avis, ne veut surtout pas dire qu’il n’y a plus de Loi ou plus de contraintes. Au contraire, il semble que le « surmoi culturel », qui peut tout autant se nommer « contrainte sociale imposée aux individus » sans que sa valence de cruauté soit entamée, est un père sans visage dont la voix – le surmoi a rapport à la voix, ce que montre bien votre exemple clinique – est portée par tous : la voix de l’égalitarisme par exemple. « Tous égaux », dans une égalité portée par tous, déclarativement ; ce débat sur l’homoparentalité le montre bien. Il rappelle justement que dès lors que les homosexuels demandent l’accomplissement du projet égalitaire jusqu’à demander le droit au mariage, à l’adoption et à la procréation médicalement assistée, le projet égalitaire trouve ses limites et réveille une homophobie très présente dont les adolescents dont vous parlez sont les principaux témoins. Encore une fois Winnicott avait raison, ils sont bien les « baromètres de la culture », eux qui ne sont pas dupes de la prégnance de l’hétéronormativité.

C’est en cela que l’on peut dire que si la demande de changer les lois est une tentative de changer le surmoi, elle est une tentative vaine. De la même manière que l’interdiction de l’antisémitisme ne l’a pas fait disparaître. Les haines profondes savent changer de visage et modifier leur langue pour faire passer leur message en contrebande. Tout se passe comme si les adolescents percevaient ce message sans le filtre qui le voile ou l’édulcorant qui fait passer la pilule. En cela, ils nous pointent l’envers du discours déclaratif, l’homophobie derrière l’égalitarisme affirmé, son échec donc. Un envers qui se retrouve à nu dès lors qu’une demande d’égalité empiète sur des dits « fondamentaux ».

2. La nature « impose » qu’un enfant naisse d’un homme et d’une femme, pourtant la science permet la réalisation du désir d’enfant, non en modifiant la nature, mais en se passant de l’acte sexuel lui-même par le biais de la procréation médicalement assistée et de l’adoption. Pour le dire très simplement : il n’y a plus besoin d’un acte sexuel entre un homme et une femme pour qu’un enfant naisse et soit obtenu par un couple dont les conditions biologiques barrent la réalisation du désir d’enfant. Vous soulignez très justement que les homosexuels se disent « pourquoi pas nous ? » et réclament les mêmes droits que les couples hétérosexuels. Notre société rendrait possible ce que la nature posait comme impossible, la culture prend le pas sur la nature. Vous sanctionnez cette possibilité en l’attribuant à l’avènement de la toute puissance de la science qui se couple à la toute puissance de l’imaginaire, on pourrait vous répondre que le travail de la culture prend le pas sur les données de la nature et que c’est le propre de l’humain que de transformer son destin ? Soit que tout cela relève du progrès de l’humanité, voire de la pleine réalisation des droits de l’homme…

Il me semble que la question du « pourquoi pas nous ? » adressée à une société qui prône l’égalité absolue de tous pousse cette société jusqu’aux limites de son propre projet en tant que société, de la même manière que les transsexuels en quelque sorte. Pourtant je considère que chez eux il y a un « forçing », on force la nature, le corps tel qu’on l’a, à se conformer au corps tel qu’on le veut. La nature ça n’existe pas, mais la culture qu’on lui oppose est une culture du bistouri, pas une culture de l’art ou de la sublimation. Il n’est pas question de transformer son rapport au corps ou de déplacer, dans la sublimation, les enjeux du conflit entre le corps que l’on a et le corps idéal, mais de transformer l’un en l’autre. Cela efface le conflit tel qu’il se présente psychiquement au psychanalyste. Un analysant adolescent de problématique transsexuelle mais pas encore opéré montrait dans un rêve de manière très précise que le conflit psychique se présentait non comme un « soit l’un soit l’autre » mais comme un impossible rapport : dans son rêve, un jury était à 50/100 pour qu’il devienne une femme et à 50/100 pour qu’il devienne un homme. Sa solution fut de choisir le travestisme. C’est une solution possible qui n’engage pas la chirurgie. Il y a quelque chose de particulier dans le transsexualisme qui concerne le rapport au phallus. C’est comme si, une fois le pénis enlevé il était partout, mais pas dans l’amalgame classique, quelque peu fétichisant de l’hétérosexualité virile, du phallus = pénis.

Seriez-vous d’accord pour dire que notre modernité néolibérale, loin de modifier le sujet comme on l’entend, consiste plutôt à alimenter les illusions toute puissantes du Moi, de sa maîtrise et de son contrôle, en relayant et glorifiant ses prétentions à l’autonomie et l’individualisme radical, au prix d’un déni de l’altérité et du conflit psychique. Ce serait en quelque sorte une alimentation par le discours ambiant de ce qui dans la constitution même du Moi refoule l’altérité en soi dans une impossibilité de se saisir comme Autre à soi-même ?

Absolument ! Le « mariage pour tous » reste une tentative de lutte contre l’homophobie, mais nous ne pouvons penser que quelque chose comme l’égalité existe.

« Tous égaux dans nos différences » dit le slogan social. On peut être parfaitement en accord avec cela, ça ne va pas très loin. Reste que dans l’inconscient, ça n’est pas de la différence dont il est question, mais d’altérité radicale, l’altérité radicale du sexe, inappropriable par aucun discours. Aucun discours ne résorbera le conflit psychique, c’est peut-être cela qu’un psychanalyste a non pas à dire à la culture, ça n’a aucun intérêt finalement, mais à continuer à traiter, tout simplement en faisant son boulot.

3. Vous demandez si « les homosexuels espèrent changer leur nature profonde ? ». Cette notion de « nature profonde » me dérange dans sa formulation même, qu’entendez-vous par là ? Qu’entendez-vous par « nature profonde » ?

J’ai voulu dire les choses simplement, mais je ne pense pas que quelque chose comme « la nature »[6] existe. Je dirais simplement qu’il y a quelque chose d’irréductible dans « ce qui les fait homosexuels » et je suis très freudien en disant cela. Il s’agit de ce que l’on peut appeler une « fixation pré-oedipienne » à la mère ou au père. Je renvoie à mon livre « Adolescence » dans la collection « 128 » pour plus de détails.

L’Œdipe masque les fixations, mais ne les modifie pas. Il y a une identification à la mère, puis secondairement au Père, on le voit bien dans les figures de l’homosexualité, les filles « camionneuses » par exemple, se comportant comme des hommes. Dans tous les cas, ces identifications secondaires ne changent pas la fixation pré-oedipienne, la première identification. Il y a quelque chose d’irréductible.

Je pense à quelque chose d’essentiel concernant la théorie du « Moi » que Freud avance dans « Inhibition, symptôme et angoisse ». Il dit je cite : « Dans le déroulement ultérieur le moi se comporte comme s’il était guidé par cette considération : le symptôme est bel et bien là et ne peut être éliminé ; maintenant il s’agit de se familiariser avec cette situation et d’en tirer le plus grand avantage possible. Une adaptation a lieu à ce morceau du monde intérieur qui est étranger au moi et qui est représenté par le symptôme, comme celle que d’ordinaire le moi mets en place normalement face au monde extérieur réel. L’existence du symptôme peut bien entrainer un certain empêchement de l’opération par laquelle on peut apaiser une exigence du sur-moi ou repousser une revendication du monde extérieur. Ainsi le symptôme se voit peu à peu confier la représentance d’importants intérêts, il reçoit une valeur pour l’auto-affirmation, s’entrelace de plus en plus intimement avec le moi, lui devient de plus en plus indispensable. »[7].

On peut étendre cette idée pour dire que l’organisation des identifications secondaires, la formation du Moi, se fait à partir de ce que le Moi lui-même ne peut résorber : la fixation pre-oedipienne.

On peut aller jusqu’à dire que le travail de la culture actuelle œuvre à ce que chacun puisse réaliser et affirmer la particularité de son identification pré-œdipienne.

4. Qu’est ce que le mimétisme hétérosexué ?

Le mimétisme, c’est le faux self de Winnicott, c’est le « faire comme ». Réclamer le mariage comme les autres par exemple. Cela n’empêche pas, il s’agit d’être clair, qu’il est nécessaire de protéger le parent homosexuel qui élève des enfants et en cela il y a beaucoup de choses hétérogènes dans cette demande de reconnaissance.

Vous dîtes que les homosexuels singent des rites qui ne les concernent pas. Comment entendez-vous le désir de reconnaissance de leur union par les homosexuels au moment, justement, où les hétérosexuels s’en passent de plus en plus ? Comment entendre et répondre à ce désir de reconnaissance ? Ce désir peut certainement être traité dans l’analyse, mais politiquement est-il possible de le, disons, « désavouer » en l’expliquant comme un avatar de notre modernité toute puissante ? Ironiquement, seriez-vous avec moi d’accord pour dire qu’il faudrait abolir le mariage plutôt que l’autoriser pour tous ?

Savez-vous que 70/100 des jeunes sont pour les mariages ? Savez-vous pourquoi ? Parce qu’ils peuvent divorcer ! C’est tout de même une manière de protéger le conjoint et de se protéger.

Dans le mariage il y a un désir de symboliser l’union.

Justement, il y a quelque chose qui m’interpelle profondément dans cette demande de légitimer : « le mariage ». C’est ma propre réflexion ici, mes propres associations, mais tout de même il semble que je ne parvienne pas à dissocier le « mariage » du « religieux ». Pour moi, lorsqu’on évoque le mariage, immédiatement, une connotation religieuse pointe son nez. Je suis allé jusqu’à me demander s’il n’y avait pas, au-delà de la demande de reconnaissance sociale, quelque chose d’une attente ou d’un espoir de la reconnaissance symbolique absolue, la reconnaissance divine. Je m’interroge beaucoup sur la question du religieux dans cet affaire précisément parce qu’elle me semble omniprésente, soit déclarativement dans la vigueur des réactions des instances religieuses, soit de manière discrète mais tout à fait organisatrice dans les discours pseudo-psychanalytiques promouvant une idée religieuse du Père.

Les homosexuels demandent la reconnaissance de l’état et du « social » et ils tombent sur des prêtres ! Comme si finalement, leur demande véritable avait été entendue : vous demandez la reconnaissance divine, voilà sa réponse, c’est « non » !!

Cela rejoint tout de même les réflexions que l’on peut avoir sur la garantie de reconnaissance et le statut du symbolique. Les cures montrent bien l’inconsistance du symbolique et la réponse imaginaire qui est donnée à cette inconsistance : l’appel à un Père « indiscutable », qui serait le dépositaire unique de la Loi, un Père qui ne trouverait personne crédité d’une parole légitime pour le « discuter ». Ce Père là n’est-il pas celui de la religion, Dieu lui-même ? « L’appel à Dieu le Père » par les homosexuels viendrait-il compenser l’impuissance des sociétés à se débarrasser de l’homophobie ?

5. Comment situez-vous la position d’un psychanalyste (des psychanalystes ? de vous en tant que psychanalyste ?) dans le débat politique et sociétal ? Qu’est ce qui, dans le savoir que peut établir la psychanalyse sur la subjectivité, nous permet ou pas de trancher sur la question du mariage ou de l’adoption des homosexuels ? Un psychanalyste n’a-t-il pas pour seule tâche d’accueillir celui qui s’adresse à lui et d’inventer une cure à partir des coordonnées subjectives du sujet, quelles qu’elles soient ? La psychanalyse peut-elle être prescriptive ? Les prises de positions « pour ou contre » ne sont-elles pas des résistances de l’analyste lui-même devant l’imprévisibilité de ce que « cela fera à l’analyste » d’être confronté à l’inconnu (l’inconnu des incidences des nouvelles formes de la famille, du couple, de la jouissance…) ?

Le psychanalyste n’a qu’à faire son métier. Je suis en accord avec Melman et Lebrun pour dire que le déclin du Père dans les familles est lié au déclin du Père dans la société. Il me semble que les lois vont dans ce sens en passant de l’autorité paternelle à l’autorité parentale. Si dans la loi, il semble que « père » et « mère » soient conservés, il semble que l’idée soit bien présente, notamment dans les travaux de sociologues, de psychologues et même de psychanalystes parlant désormais de « parentalité », rassemblant ainsi le « père » et la « mère » dans une figure parentale asexuée. Ce déni social de la différence des sexes ne me semble pas aider l’inscription de cette différence dans l’inconscient.

Pensez-vous que le déclin de l’autorité paternelle débouche, en réponse, sur un passage à « l’autoritarisme des pères » ? Comme s’ils tentaient, lorsqu’ils ne démissionnent pas complètement d’exercer tout de même cette autorité en redoublant de violence, leur simple parole ne suffisant plus.

Oui, rien ne se perd, tout se transforme ! Si en partie, un certain Père a décliné, une autre figure à pris du pouvoir, on le voit dans la vigueur des fondamentalismes religieux et des intégrismes.

Je pense à un livre d’Alexandre Kojève «De l’autorité ». Il distingue 4 formes :

- Le père autoritaire – Dieu

- La Mère toute puissante, qui correspondrait au rapport « maître esclave ».

- L’autorité platonicienne qui prône l’égalité.

- L’autorité de l’adulte, du maître-professeur passeur, celui du savoir et de la transmission.

Les adolescents montrent bien leur appétence pour les deux dernières formes.

J’ai pu faire à de nombreuses reprises le constat que dans le transfert, certains jeunes adultes notamment, me demandaient de jouer le rôle de celui qui a manqué dans leur éducation. Le rôle d’un père qui fait évoluer, qui apaise les débordements pulsionnels : « je voudrais vous faire jouer un rôle éducatif » me disait l’un d’entre eux et un autre : « si seulement vous pouviez me foutre une baffe ! ».

En effet, c’est quelque chose que j’ai pu constater dans ma propre clinique en Camsp. Que se soit du côté des enfants comme des parents. Un père dont le fils de 4 ans portait toujours des couches à la maison mais qui était propre à l’extérieur, me demandait comme dans un aveu : « en fait ma femme et moi nous attendons que vous nous disiez d’arrêter de lui en mettre, que maintenant ça suffit les conneries ! ». Il me semble que nous sommes pleinement dans ce que Freud décrit dans son texte sur « Le clivage » lorsqu’il décrit cette constitution du sujet pris entre une part en lui qui ne croit pas en la menace de castration et continue à se masturber et une autre part qui en prend acte : « Il poursuit sa masturbation comme si elle ne pouvait mettre son pénis en danger, mais en même temps il développe, en pleine contradiction avec son insouciance ou son courage apparent, un symptôme qui témoigne qu’il reconnaît malgré tout ce danger ».

Nous sommes dans le nerf de la guerre d’une analyse lorsque nous pouvons aborder ce conflit inhérent à la structure subjective : une part qui ne croit pas en la menace de castration, l’autre qui en prend acte, dans une sorte de conflit irrésoluble qui tenaille le sujet. « L’appel au Père » surgissant alors, celui-ci viendrait enfin imposer au sujet ce qu’il doit croire, le choix qu’il doit faire. Nous le voyons bien dans le cas du « petit Hans » et son espoir que son papa soit enfin le père castrateur. Dans sces questions, nous percevons comment Freud est tout à fait actuel, comment, lorsque les analystes annulent la dimension irréductible du « conflit psychique » et de la précarité de la menace de castration, ils ne peuvent que se précipiter, dans un sens ou dans un autre, dans les prises de positions politiques. Nous percevons bien à quel point il est absurde de soutenir « ès qualité » comme le disait Jacques Hassoun[8] , en tant que psychanalyste, une position ou l’autre. Evidemment cela renvoie à l’extrême précarité sociale des analystes : nous ne collons pas à l’étiquette « d’experts ».

Trouver une manière de prendre place dans le débat public qui nous permette à la fois de conserver le tranchant de notre savoir et de notre clinique tout en pouvant prétendre à une légitimité est, depuis Freud, un défi récurent.

[1] Adolescence. Enjeux cliniques et thérapeutiques, Nathan, Coll. 128, 2000. ;Psychanalyse de l’adolescent, Paris, Armand Colin, 2005. ;

[2] Quand des psychanalystes jouent ensemble (dir.), Strasbourg, Arcanes, 1995 ; Le

psychodrame psychanalytique individuel, Paris, Bibliothèque Scientifique Payot, 1996

[3] -Adolescence à problèmes, Albin Michel, 1992 ; Parents osez dire non, Albin Michel, 1996 (55 000 exemplaires vendus, paru en Livre de Poche) ; Doit-on céder aux adolescents?, Albin Michel, 1999 ; Psy ou pas psy ?, Albin Michel, 2004 ; Parents vos ados ont besoin de vous, Nathan, 2008 ; La peur de guérir Albin Michel, Psychanalyse du bonheur Albin Michel

[4] CASTEL, P-H. 2012. La fin des coupables. Ithaque éditions. Paris.

[5] “Il est clair que ce recouvrement du symbolique et du réel est absolument insaisissable, et qu’au moins dans une structure sociale telle que la nôtre le père est toujours, par quelque côté, un père discordant par rapport à sa fonction, un père carrent, un père humilié comme dirait monsieur Claudel, et il y a toujours une discordance extrêmement nette entre ce qui est perçu par le sujet sur le plan du réel et cette fonction symbolique. C’est dans cet écart que gît le quelque chose qui fait que le complexe d’Œdipe a sa valeur, non pas du tout normativante, mais le plus souvent pathogène. » LACAN, J « le mythe individuel du névrosé »

[6] SALHIN, M. La Nature humaine: une illusion occidentale. Reflexions sur l'histoire des concepts de hiérarchie, et d'égalité, sur la sublimation de l'anarchie en Occident, et essais de comparaison avec d'autres conceptions de la condition humaine, Editions de l’éclat, collection Terra Cognita, 2009.

[7] FREUD, S. 1926. Inhibition, symptôme et angoisse. PUF. Paris. 1993. P 14

[8] HASSOUN, J. 1999. Actualité d’un malaise. Erès. Toulouse.