Santé mentale et sécurisation psychique

Par Olivier Douville

Ouverture

La proposition inaugurale de cette note est : « La sécurisation psychique est à l’ordre du jour », et tâchons de lui donner consistance. Variante acceptable : la santé est aussi une marchandise, ou, du moins, un marché. La « médicalisation de l’existence » est conséquence de cela (R. Gori et M.-J. Del Volgo, 2004).

Une convergence d’indices peut révéler et inquiéter :

- le « passage à l’acte » que représente la rédaction de la synthèse du dernier rapport INSERM sur les psychothérapies, appelant à une réglementation des pratiques et des enseignements favorables aux thérapies comportementales et cognitives, qui abrasent les contraintes du transfert et sa dissymétrie,

- le statut de la psychanalyse, aux yeux du législateur, par rapport aux autres formes de psychothérapies au sein desquelles il fut question de la diluer,

- le démantèlement de la psychiatrie au profit de la santé mentale, de la psychopathologie au profit de la psychologie de la santé,

- la dilution de toute psychopathologie digne de ce nom, au profit d’une généralisation terminologique de troubles centrés autour de l’angoisse et de la dépression, avec aussi comme conséquence la réduction de la folie à un handicap (comme cela a déjà été le cas pour l’autisme),

- l’annonce de politiques de préventions très précoces, y compris avec des fantasmes de prévenir dès l’école maternelle les futurs risques de suicide [1], au détriment de la mise en place ou du maintien d’éducateurs spécialisés ou de psychologues sérieusement formés dans des enseignements d’éducation.

Et soulignons qu’il n’y a que deux pratiques : les prises en charge référées à la psychanalyse et l’approche phénoménologique pour permettre éventuellement de résister en maintenant dans le champ médical une fonction d’élaboration psychique qui ne stigmatise pas le dit « handicap » ou la dite « folie », mais fait travailler la dimension subjective y compris lorsque nous sommes confrontés à la psychose, à l’autisme, ou même la débilité.

De la santé mentale et de l’anthropos

Alors qu’il est souvent question de rencontres entre les psychanalystes et les anthropologues et qu’elles sont promues par les uns et les autres sur des bases épistémologiques qui restent le plus souvent à définir, il pourrait être indiqué que l’actualité de telles confrontations, loin de positiver l’étude des mythes par celle des fantasmes, tourniquet tautologique sans risque et sans probant, serait bien plus de situer comment la psychanalyse et l’anthropologie ont quelque chose à dire du bouleversement éthique de notre culture contemporaine qui promeut un homme moderne, débarrassé de sa division, de ses conflits et de ses angoisses. Un homme défini par une batterie de comportements souhaitée. La contrepartie de cet éloge de la suradaptation au milieu ambiant, soit celui du marché, étant la promotion de nouvelles maladies dites d’époque et qui engagent dans une relation narcissique sans précédent les relations de la personne à son corps. Ainsi l’apparition de terminologies nouvelles qui réunissent des catégories aussi inconsistantes que « sujets limite », « personnalités borderlines », « troubles psychosomatiques », etc., dans le vocabulaire ambiant d’une psychopathologie renouvelée à grands bruits, et qui peuvent, le cas échéant, se justifier d’emprunts mal fichus à la théorie freudienne ou kleinienne, n’est pas seulement le signe d’une perte de culture et de référentiel clinique en psychopathologie, mais plus encore le signe que cette novlangue en vogue dépeint, en même temps qu’elle la surdétermine, une réalité subjective nouvelle centrée autour des mises en jeu et en risque des corps. Le corps s’avérant le lieu par excellence où se vérifie, dans notre modernité hypochondriaque, la structuration de la subjectivation, et la vérification d’un état de bien-être adaptatif. La globalisation des modèles de la santé s’accompagne alors d’un souci accru de surveillance du corps et de ses performances.

Non que cette globalisation tende, manifestement, à l’uniformisation. L’autre exotique y conserve un droit de cité, et ce, au prix de son exotisme même. Les nouvelles classifications en psychiatrie peuvent être plus ou moins spécifiées en fonction de critères culturalistes décoratifs, centrés –qui s’en étonnerait ?- sur l’expression dite « culturelle » de l’angoisse ou de la dépression. Ces classifications internationales admettent des additifs concernant telle ou telle prétendue ou supposée minorité, laquelle dans un mouvement de lobbying peut être friande de s’approprier ce genre de traits identitaires surcodés et identifiants. Rien ne pouvant se dire, ni même s’entrevoir du collectif au singulier. L’argument ethnographique fonctionne encore, et de plus en plus vite ; pour les rédacteurs de la quatrième édition du DSM, l’ethnographie sert de parade et de caution (A.P.A., 1997). Ils estiment que le DSM doit maintenant héberger un inventaire des diagnostics susceptibles d’être le plus en lien avec des facteurs ethniques.

Ce mouvement est préoccupant pour l’exercice de la psychiatrie en tant que pratique et en tant qu’épistémè. S’il donne le feu vert à la psychiatrie pour prendre sous sa coupe des catégories de populations issues du champ social, il est clair que cet abus de pouvoir se paye d’une inconsistance de la tenue philosophique et épistémologique de la discipline. En effet, si les catégories des populations déviantes deviennent des catégories de populations souffrantes, alors elles risqueront de trouver leur correspondance dans ces classifications qui s’ouvrent à tous les vents du sociologisme et du culturalisme, tout en gardant un décorum scientiste de vitrine. Quelle ne fut pas ma stupéfaction d’entendre proposer, lors d’une session de formation destinée au médecins, psychologues et travailleurs sociaux, la notion de « syndrome de Cotard social » ! Rappelons brièvement que le vieux syndrome de Cotard se signalait en psychiatrie par :

- des manifestations d'anxiété quasi-constantes,

- des idées de damnation et de possession,

- une propension au suicide et aux mutilations volontaires,

- l'analgésie,

- des idées hypochondriaques d'inexistence et de destruction des orifices, des organes, des membres,

- une néantisation physique et métaphysique s'exprimant par un vécu tétanisant d'immortalité et aussi, parfois, par des thèmes de non-existence ou de destruction « cadavérisante ».

Ce terme étonnant de « Cotard social » fut donc admis comme un fait clinique observable et objectivable, comme un trait nosographique. Réduit à un trouble de la présentation du corps et du langage, réifié comme la forme la plus désenchantée de cette présentation, il permettrait alors d’évoquer et même d’observer scientifiquement ces corps à la dérive qui se laissent glisser vers une mort progressive. En posant de tels diagnostics, en faisant à ce point une clinique détachée du contexte de la rencontre et de l’épreuve du contact avec l’autre, ne risque–t-on pas de rabattre le social à du « faisant fonction de clinique » là où dominerait la nécessité d’une vision politique collective, engagée dans sa responsabilité, sur les conséquences produites sur les hommes d’un traitement social excluant de plus en plus d’hommes justement de liens de contrat social au profit d’assistanats répétitifs ?

Les choix doivent être précis. Ce n’est pas une seule et simple question de terminologie. Saluons au passage l’audace de l’oxymore « Cotard social » car s’il y a bien une spécificité du syndrome de Cotard c’est que la négation de soi qui y est au premier plan découle de l’anéantissement progressif de toute altérité voisine ou transcendante. On voit mal quelle liaison peut se faire entre Cotard et social, dans la mesure où l’on se trouve bien en peine de situer ce qui peut subsister du moindre rapport social à autrui dans un tel syndrome s’il est pleinement réalisé - à ne le considérer, bien entendu, et comme dans un raisonnement par l’absurde qu’au strict plan nosographique (Quesemand-Zucca, Douville, 2004).

Généralisons. La norme psychologique doit-elle devenir à ce point dépendante de la norme sociale et des opérations de stigmatisation de plus en plus en acte ? Ce serait tôt ou tard la ruine de toute psychopathologie digne de ce nom ; et c’est à cette ruine que nous risquons d’assister.

Venons-en à l’idéologie culturaliste en vogue.

On ne peut trop longtemps s’étonner de l’alliance scientiste en psychiatrie et du renouveau d’attention et d’estime porté à la thèse du constructivisme qui fit le bonheur et la limite des néo-ethnopsychiatres hexagonaux. Si elle possède la vertu de nous rendre attentifs aux codes par lesquels il est loisible, ou même légitime, de montrer publiquement ses émotions, il n’empêche que ce bénéfice est maigre pour l’épistémologue, tout comme pour le clinicien. Le code considéré (qui favorise ou réprime l’expression de la colère ou des pleurs, etc.) est toutefois loin de pouvoir informer le sujet souffrant du bien-fondé de ce qu’il éprouve et s’en tenir à sa seule description ne fonde en rien la démarche clinique. Le sujet s’exprime dans un dialecte expressif et corporel de l’émotion mais est-il toujours une « première personne » non divisée par ce qu’elle ressent, éprouve et communique ? Aussi le clinicien qui réfèrerait toute manifestation ou toute non-manifestation d’émotion chez tel ou tel de ses patients à la supposée origine culturelle se fermerait hermétiquement à la saisie de la variation singulière que charrie l’expression subjective dans la parole. Car les émotions ne sont jamais un fait brut, élémentaire, elles ne sont pas réductible à cette variation de l’humeur qui, spécifiée en un style, révèlerait dit-on d’un peuple son âme. L’émotion s’inscrit toujours dans un rapport social et qui peut être un rapport de force. En ce sens l’impassibilité du « mikado » soulignée par Frazer (Le rameau d’or)et reprise par Freud (Totem et tabou), ne nous renseigne en rien sur la vie affective au Japon du XVI° siècle, mais nous informe bien des rapports de force et de pouvoir politiques qui, à cette époque, font du corps du mikado un signifiant vivant, soit le lieu de la souveraineté la plus impérieuse.

Allons plus loin et soulignons que, de bout en bout, ce culturalisme décoratif repose sur une erreur épistémologique considérable.

En effet si on se trouve en accord avec cette idée (presque un truisme) que l’émotion est sociale, ce ne peut être seulement parce qu’elle est une expression soumise à des idéaux sociaux. Elle est le signe que nous affectons autrui et que par autrui nous sommes affectés ; et c’est en cela qu’elle est opaque, elle est le signe d’un élément refoulé dans le lien à autrui. Toute émotion est donc intimement sociale en ce qu’elle renvoie à la relation du sujet à l’autre et aux identifications corrélatives, lesquelles ne peuvent se laisser définir comme des gammes de conduites par le biais d’une démarche d’ethnologie comparative. Le sujet ne se constitue pas uniquement dans le discours ambiant, une ethnopsychanalyse digne de ce nom si elle tenait à se donner les moyens de sa consistance théorique devrait différencier la question de l’Umwelt de celle du champ de l’Autre où le sujet va se constituer et qui n’est pas une donnée identique chez tous les membres d’une supposée même culture.

En ce sens cet apport culturaliste apposé sur les classifications internationales des désordres psychiques ne se donne aucunement les moyens de combattre ce qu’il fait mine de terrasser : soit la définition « narcissique » de la dépression occidentale comme état intime, « asocial ». Ontologisant cultures et contextes sociaux, le présupposé culturaliste finit par enfermer des groupes considérés dans le huis clos obscur de leur vie émotionnelle « intime ». Or, l’opacité ou le côté pauvrement parlable de l’émotion est un fait de structure et non le signe d’un désordre au sein la communication entre un occidental et un supposé « non-occidental ».

De plus, ce n’est pas seulement l’émotion comme affect lié à des rapports à l’autre refoulés, mais aussi l’émotion comme franchissement, comme adresse à une altérité à venir, comme appel à un accueil nouveau et à une interprétation nouvelle qui est logiquement exclue du champ notionnel du culturalisme ici considéré.

« La sommation des différences aboutirait-elle à un savoir cumulatif international et non plus universel ? c’est, souligne R. Rechtman, toute la question ». Le savoir cumulatif est bel et bien là. Il égare .

Généralisons une fois encore. La doxa surplombant toute exigence de théorisation, ces nouveaux troubles supposés objectivables et mesurables subsument aussi bien les grandes entités cliniques d’antan dont le repérage devient incertain et de moins en moins doctrinalement établi et les plus inconstants des troubles de l’humeur et des « bleus de l’âme ». Le modèle du trouble est celui du désordre, bien plus que celui de la structure ou du discours. À ce titre ce qui fait retour dans la nouvelle psychopathologie, si fière de débusquer des nouvelles maladies contemporaines (dont la phobie sociale ou les troubles anxieux), est l’ancien modèle de la mécanique de l’action et de la réaction. On recense, dès l’école, par le biais d’échelles d’évaluation ou d’auto-évaluation dont la naïveté laisse pantois, les agités et les prostrés, bref une collection d’indisciplinés « à risques » qu’on baptise « hyperagités » ou « phobiques sociaux », comme si le mouvement d’expansion et celui de repli avaient la moindre valeur de signe pour une clinique digne de ce nom. La langue sémiologique n’a plus rien de strict et de fiable, notait C. Alberti.

Un exemple de novlangue : les phobies sociales

La catégorie, propre au DSM IV, des troubles anxieux est remarquable par l’ampleur des symptômes ou des syndromes qu’elle tente de regrouper. Pierre Janet est souvent tenu pour l’autorité de référence, le père de la phobie sociale, en quelque sorte, son génial découvreur. C’est oublier un peu vite que Janet a travaillé sur ces phénomènes d’angoisse du sujet dans le lien à partir du modèle de la catatonie et de la défense maniaque, puis avec celui de la psychasthénie. Nous sommes bien loin de ce que nos modernes nosologies rangent sous ce même terme. C’est omettre tout à fait que la reprise théorique de la notion de phobie par la psychanalyse freudienne, fait bien de la phobie une des premières organisations de traits symptomatiques par le biais de laquelle le sujet rentre dans le jeu et le lien social, le propre de l’angoisse phobique névrotique est d’être affecté par le social en tant que lieu où se projette et se vérifie l’angoisse de castration. Or, de même que la construction psychanalytique de la névrose phobique est effacée, de même la notion d’anxiété remplace le concept de l’angoisse. Il y a là non une contradiction, mais déjà une aporie. Quant on regarde les traits les plus saillants de ces supposées « phobies sociales », la pauvreté de la notion d’anxiété saute aux yeux, sa valeur causale s’évanouit presque aussitôt. L’anxiété est une tension, invalidante, non une mise en lien avec ce que l’autre a d’énigmatique, alors que le plus souvent ce qui reste de cliniquement intéressant dans la description des phobies sociale concerne plus précisément le rapport du sujet à la honte où à l’angoisse de dépersonnalisation devant les expressions indéchiffrables du visage d’autrui. Nous ne pouvons que déplorer un écart entre la trivialité du socle théorique promu et la complexité des situations cliniques repérées et censées donner du crédit à cette notion de « phobie sociale ».

Il est vrai que nos modernes théoriciens ne se surchargent pas de précautions épistémiques. Leur chemin est simple. En amont, on se réclame de l’autorité de quelques grands ancêtres, dont Janet, éblouissant clinicien, certes, mais dont les thèses ne sont pas discutées dans leur rapport aux débats d’idées au sein desquelles elles ont pris corps. Ensuite on suppose un modèle causaliste clos pour lequel les notions de terrain plus ou moins fragile au trauma, avec tout ce que ceci a de tautologique, valent comme étoile polaire du système. Enfin la substitution de l’anxiété au concept de l’angoisse permet de mieux remédicaliser la phobie sociale, de considérer qu’elle se traitera par une forme d’éducation sanitaire du sujet convenablement médiqué. Ce que cache et révèle l’objet phobique, ce que cache et révèle aussi le lien de compagnie avec l’objet contra phobique, tout ceci est évacué au profit d’une lecture interprétative immédiate et sans profondeur de champ de l’anxiété, dont nous ne doutons pas qu’elle puise être mise en sommeil artificiel par la grâce de quelques potions médicamenteuses.

Nous n’aurions pas à redouter que de nouveaux concepts soient promus en clinique, que d’autres soient discutés. Notre fidélité aux notions freudiennes doit être argumentée et discutée. Que l’anxiété remplace l’angoisse nous n’y verrions pas malice si cette substitution permettait de mieux observer, de mieux comprendre, de mieux théoriser, de soigner plus efficacement, enfin. Mais ce n’est pas du tout ce à quoi nous assistons. Nous ne dépassons aps le temps freudien. Avec la phobie sociale nous régressons vers des temps pré-freudiens. Et toute une théorie, une pensée de la vie psychique dans la névrose s’en trouve dilapidée puis escamotée. La compréhension de la phobie n’est pas simple. Que serait cette phobie du social, soit non d’un objet mais du lieu qui contient les objets ? Le dit phobique est comme vous et moi un sujet qui entretient des relations compliquées à son corps parlant. La scène sociale introduit une coupure chez le sujet. Là où il appelé à venir sur la scène du monde, à mobiliser socialement sa libido, il souffre du regard des autres, occupant la place d’une anomalie, excentré de toute communauté d’appartenance. Le sujet occupe la place d’un objet qui ne cadre pas avec l’image qu’il a de lui, et la place qu’il occupe dans le regard des autres lui est autant insupportable qu’énigmatique. En cela, la clinique de la phobie est bien celle de l’émergence, puis de la cristallisation de l’angoisse et de la façon dont le sujet tient à son angoisse. On chercherait péniblement l’objet dans la phobie sociale. Pour ce que j’ai pu lire et, surtout, entendre de la part de nombreux patients, découragés de la persistance de leurs troubles et déçus de leurs précédentes thérapies, sur consommateurs de médicaments (même des neuroleptiques !) prescrits, nous avons affaire à une clinique de la honte et de l’effroi.

L’objet y est distribué en deux aspects :

-les « habits du sujet » , je désigne par là ce qui vêt le corps, et de façon plus large ce qui l’habille lorsqu’il est « dehors » et qui serait stigmatisé, avec de façon très invalidante, la crainte d’être vu au moment de la traduction corporelle et comportementale de l’attaque d’angoisse, d’être alors mis à nu sous le regard d’autrui.

- le visage d’autrui. Il est redouté que les différents visages se coalisent en une face identique, une figure menaçante, fixant le sujet, le réduisant à un morceau de Réel, privé de son image sociale, de sa réciprocité, insistant comme un reste potentiellement obscène.

Ainsi la phobie dite sociale, assez homogène aux effets de précarisation et de dispersion du lien social, est-elle porteuse d’une question grave et insistante. Celle du lieu où le sujet trouverait une communauté de refoulements où il serait enfin en paix avec son adresse à l’autre, dans son rapport au sexuel. On voit ici que l’objet : l’entour du corps, la face de l’autre valent ici comme signifiants qui font signe et pointent le sujet. Ils valent comme signes avant-coureurs du théâtre de la subjectivité. Le sujet s’y indexe, s’y indique, mais il se tient en-dessous. Ne pas en tenir compte mène à liquider la compréhension de la névrose, c’est-à-dire du sujet en prise avec sa jouissance inconsciente, au profit d’une psychologisation de l’adaptation qui ne peut s’allier qu’avec une médicalisation accrue de l’existence. A cet égard, la lutte de certains psychologues pour devenir à leur tour des prescripteurs, au moment où se délitent la psychiatrie humaniste, n’a rien de rassurant.

Loin de situer la phobie sociale comme une forme contemporaine de phobie, cette modalité de la souffrance psychique sociale est réifiée en tant que syndrome à part. Nous savons, grâce au dialogue constant que nouèrent des psychanalystes et des anthropologues, que le don et la dette sociale se symptomatisent pour certains au point même que c’est par le symptôme que se sujet se campe dans le social. Dans les nouvelles cliniques, rien de tel. La socialisation n’est plus perçue dans son rapport au travail de la névrose, et l’adaptation redevient le maître mot – ce qui signale au passage, à quel point nous vivons dans un univers de relégation et de ségrégation. La cause si elle est recherchée le sera alors dans les profondeurs de l’appareil cérébral.

Comment contempler un tel tableau d’aphasie conceptuelle, de « pseudo-science» ? Avec irritation ou inquiétude certes, car nous augurons mal du devenir de nos patients dont la parole risque d’être étouffée sous l’objectivation sommaire des tropismes de leur conduite, et qu’il est à redouter que le modèle du soin devienne celui d’un désordre à réduire, ce qui fait de l’acte soignant une pesante mise au pas. Mais, écrivant dans les colonnes d’une revue lue par des anthropologues et des sociologues il me faut ici rajouter que ce qui a fait irruption dans la scène du diagnostic et du soin est révélateur d’une façon de surdité à la moderne inquiétude et « nervosité » de notre époque. En effet, si est mis au premier plan le sujet « cérébral » (Ehrenberg, 2004), le cerveau vaut ici comme totalisation fonctionnelle mais aussi comme site de l’esprit, de sorte que lorsque des biologistes prétendent que tout vient de ce site interne (jusque y compris le fonctionnement dans le social et le fonctionnement du social) ils substituent à un objet de connaissance précis, celui cerné par la biologie et les neuro-sciences, une entité métaphysique déguisée où reprend des couleurs la bonne vieille notion d’âme. À cela près que reprenant des couleurs, elle perd de sa consistance morale puisque tout ce scientisme ne peut concourir qu’à la mise hors cause de la personne, en rien sujet de sa « maladie », en rien problématisée par elle. D’où la substitution si fréquente du terme de handicap à celui de construction mentale d’une pathologie.

Vraies et fausses interdisciplinarités

Ainsi la National Association for the Mentally III ( NAMI), qui est la plus importante association de « malades mentaux » aux U.S.A défend-elle une conception de la maladie mentale (quelle qu’elle soit) comme la simple et immédiate expression d’un trouble ou d’une pathologie du cerveau ; c’est, au-delà, d’une simple péripétie de l’actualité des liens entre psychiatrie, association d’usagers et… compagnie d’assurance (une vraie maladie à cause reconnue comme organique étant bien mieux remboursée) un indice révélateur d’un tournant anthropologique considérable. Il s’agit, ni plus, ni moins, que de déloger la folie, la culpabilité, l’angoisse et le désinvestissement de l’échange social courant de la scène anthropologique, par le biais de la marchandisation de la santé et de la santé mentale et de la neurologisation à outrance de la psychiatrie. Alors que ces sentiments peuvent jouer un rôle crucial dans la façon dont un individu et un collectif vivent leur rapport au corps, au langage, à l’histoire, et à la production contemporaine des identités prescrites et des altérités honnies.

Il ne s’agit pas ici de déplorer l’avancée des recherches en neurosciences. Bien menées elles offrent un potentiel de questionnement à la psychanalyse (A. Bazan, 2004). Par exemple, Alain Prochiantz qui dirige le laboratoire de développement et évolution du système nerveux (CNRS) a découvert un gène de développement ce qui permet de faire le pont entre la génétique et le développement. Il montre que sans rapport de parole à l’autre quelque chose ne peut opérer dans le développement du cerveau. Cette découverte qui conforte les intuitions des psychanalystes semble de première importance. La psychanalyse n’a pas à se refuser,-sauf à cautionner un credo néo-empiriste- aux échanges avec les autres scientifiques. Mais elle le fera en réaménageant le rapport des sciences humaines au matérialisme et au darwinisme, établissant que la cause manquante dans la libido ce n’est pas une atrophie de tel ou tel support matériel mais bien le signifiant et le manque à être, indiquant qu’une fois que l’humain a construit la culture, il est un effet de langage. Il s’agit, en revanche, de refuser l’éradication de la densité humaine, anthropologique et psychologique, des expressions du psychisme, y compris la folie. L’acte clinique et thérapeutique ici plus qu’ailleurs se doit de dépasser de beaucoup le simple plan de l’action médicale. Penser la clinique est ce qui permet une subversion de la logique sociale des assignations normatives.

Nous en venons donc alors à la question des institutions de soin et de leur situation actuelle, dans le domaine du soin psychique. L’incise des discours phénoménologiques et psychanalytiques dans des dispositifs et des institutions de soin a été, rappelons-le, la conséquence de choix politiques plus généraux de la part des praticiens, individuellement et collectivement. Il ne conviendrait pas d’oublier tout ce que la psychothérapie institutionnelle doit à l’engagement politique (à gauche et, pour certains, au Parti communiste Français) de psychiatres qui ont œuvré à désenfermer la psychose des murs de l’asile, tout en reconnaissant les forces d’un pouvoir dire propre aux délires et aux transferts psychotiques. En d’autres termes, j’augure mal du clinicien, psychologue ou psychiatre, qui travaillant dans n’importe quel lieu de soin, ne se sent pas concerné par les mouvement politiques généraux et par ce qu’ils préconisent d’idéaux de sécurité. Notre capacité à être troublé par l’énonciation subjective nous met aussi en phase avec le collectif au singulier. En conséquence, et comme en effet retour, la brutalité ou la violence du collectif fait retour dans les élaborations de la psychose d’autant que ces dernières ne sont pas conditionnées par les refoulements communs et donc moins d’eux solidaires aussi.

De la psychanalyse et des pratiques de soins

Comment ne pas voir qu’aujourd’hui l’ensemble des pratiques de soin s’inscrit à rebours, dans des modèles et dans des types de relations patients/soignants très proches des modèles mis en œuvre dans les entreprises. L’hôpital est désormais sous management, et les pratiques de soins sont modélisées sur le mode d’une thérapie qui réduit tout savoir théorique et soupçonne tout acte. Les choses vont vite et les deux terrains les plus sensibles sont, comme de juste, l’université où l’on forme et l’hôpital où l’on soigne. Faute d’un raisonnement politique clair, le risque était de réduire cette accélération du management du soin à une seule attaque en règle contre la psychanalyse, même s’il reste tout à fait nécessaire de défendre la spécificité de la psychanalyse au regard de la nébuleuse des psychothérapies, comme je le montrerai.

Les tentatives de légiférer sur le statut du psychanalyste auraient-elles, pour le moment, fait long feu ?

Faisons donc un bref rappel sur cette affaire de la législation. Permettez moi d’en débuter la narration par une citation : « Quoi qu’il en soit, nous sommes probablement entrés dans un nouvel âge de la psychanalyse. Mais pour y soutenir que l’homogénéisation ne convient pas. Parce qu’il n’existe aucun moyen d’évacuer la singularité, dès lors qu’il n’y a de loi que par le langage et qu’il n’y a pas de langue sans parole. La psychanalyse produit du sujet et de la parole en passant par le langage. C’est-à-dire, par des lieux où il fait défaut mais où il peut être retrouvé dans le mise en acte transférentielle. Le psychanalyste se fait un devoir de répondre à cet hétérogène, il sait que l’imprévisible est sa seule chance d’y pourvoir. Au politique qui lui demande : que fais-tu ? il ne peut répondre qu’en murmurant : le politique non plus n’est pas un rapport » [2]

Remontons dans le temps. En 1999 diverses fédérations de psychothérapeutes ont réclamé un statut de psychothérapeute ; l’argument sensible pour les psychanalystes vint vite au premier plan : la psychanalyse inclut-elle ou pas la psychothérapie analytique ?

Dès le début 2000 : Bernard Kouchner mit en place un projet d’évaluation des psychothérapies par l’ANAES (Agence Nationale d’accréditation et d’évaluation en Santé) Jean Cournut, Jacques Sédat et Jean-Michel Thurin participèrent à un groupe de recherche du ministère de la Santé sur ce problème de l’évaluation des psychothérapies. Il faut ici souligner que, dès sa prise de fonction au ministère de la Santé, B. Kouchner déclara faire de la prise en charge de la douleur un des pivots de son action. Cette nouvelle perspective eut vite comme conséquence de sortir la malade de son statut de consommateur passif des pratiques de soin, mais d’en faire aussi un usager, c’est-à-dire un citoyen ayant un droit de regard sur les soins qu’on lui propose. Loin d’être la simple résultante d’une culture consumériste cette nouvelle mise en avant de l’usager va, initialement, dans le sens humaniste et progressif d’une liberté de choix et de droit de regard du patient sur les soins qui lui sont appliqués. Mais la fonction de l’usager ne se laisse pas réduire à celle d’un sujet demandant,comme de juste, de plus en plus d’informations sur les soins qu’il va recevoir. Cette fonction est aussi politique. Une nouvelle souveraineté se fait jour qui n’est pas simplement celle des malades. Elle désigne un mode de contrôle des corps qui est bien davantage dans les mains de l’État que dans celles des seuls usagers. L’État se doit de lutter contre la douleur, de lutter contre tout ce qui pourrait abuser l’usager. C’est souvent au nom d’une médicalisation et d’une assistance aux victimes que l’État fait valoir son souci du corps social, identifié à un corps souffrant. Le droit des usagers, qui est aussi, répétons-le, une avancée, a pu conforter la mise en avant d’un État thérapeute qui soigne les souffrances liées aux inégalités, bien davantage qu’il ne se soucie de réduire ces inégalités. Or c’est aussi dans ce contexte, celui de la protection du « souffrant psychique » contre de supposés charlatans que s’est mis en place tout ce ruissellement législatif autour des psychothérapies.

En 2001 le projet de loi Accoyer (Accoyer, Marchand, Blisko, Kouchner) porte sur un statut réclamé depuis dix ans par les associations de psychothérapeutes. Ses articles définissent les conditions de formation donnant accès à ce statut, tout statut donnant lieu à des droits et à des obligations professionnels.

L’amendement Accoyer, voté dans la nuit du 8 octobre 2003, encadre les pratiques en réglementant le titre de psychothérapeute réservé aux psychiatres, médecins et psychologues. Inséré dans le projet de loi sur la politique de santé publique il est devenu l’article 18 quater ; cette séquence législative va se poursuivre sous le feu des organes de presse. Des décrets, prévus dans le texte devaient fixer qui pouvait prétendre au titre de psychothérapeute, en raison de ses qualifications professionnelles, ce, sur la base d’une évaluation par l’ANAES des pratiques psychothérapeutiques actuelles. Les psychothérapies analytiques étaient incluses dans ces pratiques concernées par la loi. La menace alors d’une réglementation de la psychanalyse était, comme le souligne avec clarté A. Tardits, tout à fait réelle.

La réponse des psychanalystes fut contrastée. Certains défendirent une séparation radicale entre la nébuleuse des psychothérapies et la psychanalyse proprement dite et ses applications. Il fut alors demandé soit un retrait de l’amendement soit qu’il y fût stipulé que la psychanalyse est « hors champ » de toute réglementation, la formation des psychanalystes dépendant des associations de psychanalystes et d’elle seule. D’autres, autour de J.-A. Miller, ont préféré mettre en acte une autre stratégie, qui unifiait le champ psy. Ce fut alors que la notion de fonction sociale de l’écoute, lancée avec astuce par Miller dans un texte brillant, connut son heure de gloire au risque de noyer l’écoute psychanalytique dans toute sorte de technique d’écoute par cette tentative de réunifier le champ des écoutants « psy ». Miller a certainement, plus vite et plus solidement que bien des psychanalystes et chefs d’école de psychanalyse, pris la mesure des inconforts et des angoisses qui caractérisent nombre de professionnels du soin et de l’éducation dans le champ des psychologues, psychothérapeutes et travailleurs sociaux. La plupart d’entre eux, ayant bénéficié d’une formation humaniste, se retrouvent en butte aux impératifs gestionnaires, aux pratiques d’évaluation impérieuses et imbéciles et à la prétention à normer les pratiques selon les nouvelles idéologies comportementales. L’arrière vitrine de ces tentatives holistiques, couronnées d’un succès d’affluence indéniable -les divers forums « psy » ne désemplissent pas- ne pouvait pourtant que receler une confusion qui fit long feu. En effet, des stratégies d’alliance entre les milleriens et les psychothérapeutes est sorti l’amendement « Gouteyron » (du nom d’un sénateur UMP) qui prônait la redistribution du champ « psy » en quatre collèges : un collège de psychiatres, un de psychologues, un de psychothérapeutes, un de psychanalystes, qui définiraient chacun les critères déontologiques de leurs pratiques. Un tel amendement peut surprendre dans la mesure où au moins deux de ces professions réunies dans deux collèges ont déjà défini clairement leur déontologie : les médecins et les psychologues. De plus, un tel amendement comportait en plein la nécessité de la définition réglementaire de la pratique analytique, amendement qui convenait parfaitement aux psychothérapeutes et que seule l’École de la Cause, par la voix de Miller, a soutenu. Au prix d’une confusion. L’État appelle « psychothérapie » toute pratique qui s’adresse au malade pour lui donner un mieux-être, sans passer par les médicaments. L’amendement Gouteyron entretenait et entérinait ce syncrétisme nuisible à la psychanalyse. Il fut donc fermement combattu par une mobilisation importante qui vit s’illustrer avec une grande finesse stratégique d’autres ténors de la psychanalyse lacanienne. Cette opposition a obligé le gouvernement à mettre en sommeil cet amendement. La psychanalyse n’est plus menacée de dissolution dans le champ indifférencié et nébuleux des psychothérapies. La lutte pour l’avenir de la psychanalyse en tant que profane (non réduite à une technique psychothérapeutique, non exclusivement exercée par des médecins ou des psychologues) n’est toutefois certes pas finie. À peine débute-telle. Les associations de psychanalystes qui ne cèdent pas aux sirènes du « tout psy » ont, plus que jamais, à se parler et à se reconnaître dans la construction des réponses qu’elles mettent en place et des débats qu’elles suscitent. Il y a dans l’acte psychanalytique un radical, un incommensurable qui est intolérable à la logique des chiffres et qui échappe à une définition et à une mise au pas du social qui situe sous rapport juridique tous les dispositifs d’accueil de la parole et de la souffrance psychique.

Il ne s’agit ni de plus ni de moins que de la place faite à la présence de la singularité, aujourd’hui.

Reste la question de l’article 52 de la loi de santé publique qui réglemente l’usage du titre de psychothérapeute. C’est « une catastrophe » déclare R. Samacher, lors d’une table ronde organisée par moi-même et le très lu Journal des psychologues en mars 2005. Et nous ne mesurons pas encore les conséquences que risquent d’avoir les décrets d’application de cet article 52. Les missions de l’université qui restent en premier lieu de lever le voile de l’ignorance s’en trouvent affectées et compromises. Confronté à ses étudiants, R. Samacher constate que certains se disent : « Mais, après tout, pourquoi ferait-on des études en psychopathologie, puisqu’il suffirait d’avoir une formation… ? » « études en psychologie avec dess » – « … puisqu’il suffirait d’avoir un enseignement en psychopathologie, de se spécialiser dans telle ou telle psychothérapie. Ensuite, on se présente devant un jury pour obtenir l’autorisation de s’inscrire auprès des dass. ». Que serait l’université si elle acceptait de former de façon expéditive à des psychothérapies, sans poser la question et la dimension du soin psychique de façon épistémique et éthique ? Si ce n’est une forme de supermarché aliénée à la demande sociale la plus immédiate.

C’est une usine à gaz qui remonte au rapport Piel-Roelandt écrit dans une perspective de redéploiement de la psychiatrie. Ce rapport préconisait la création des bassins de vie, avec un chef de secteur dont le poste aurait pu être proposé à des gens installés en libéral, quelle que soit d’ailleurs leur formation. Le rapport parlait tout aussi bien d’infirmiers, de philosophes ou d’autres catégories de personnes qui, de près ou de loin, ont à voir avec la psychiatrie ou la psychologie, qui, de fait, pourraient exercer la psychothérapie à partir du moment où ils seraient inscrits sur une liste… Cela permettrait aussi quelques économies en sous-payant des « psychothérapeutes » qui, dans ce contexte, pourraient accepter un statut paramédical.

Ce serait aussi faire preuve d’une légèreté certaine que de penser que tout est gagné, d’autant que les décrets d’application des lois sur le statut des psychothérapeutes sont annoncés comme devant bel et bien être votés, même s’ils sont difficiles à prendre et que le tempo des décisions, au Ministère, n’est plus à la hâte [3].

« Nous n’en serions d’ailleurs sans doute pas là », souligne C. Melman[4], « si n’avaient contribué à cette pression les Fédérations de psychothérapeutes qui depuis de longues années font du lobbying à Paris et à Bruxelles pour que leur soit accordé le droit exclusif de formation et de diplôme des psychothérapeutes, leur capacité étant étendue à la psychanalyse ».

Quant à la psychiatrie, elle n’ira pas mieux s’en porter. Se diluant dans le travail social et la coercition pénitentiaire, rien ne garantit donc que l’accueil de la folie sera de nouveau conçu comme une priorité sociale et morale. Il est plus juste de dire, à l’instar des psychanalystes et psychiatres de l’association « Pratiques de la Folie », rassemblés autour de F. Chaumon, Roger Ferreri et Vincent Perdigon, que la psychanalyse fait symptôme pour l’ensemble de la logique de sécurisation psychique, car elle place l’acte et son inévitable solitude, son inévitable non-évaluabilité par des critères standardisés. Et elle le fera d’autant que sous prétexte de scientisme, d’évaluation, de souci pour al santé et le bien-être physique et psychique, les pouvoirs s’investiront comme instance de contrôle et de légitimation dans ce qui fait le sel de la rencontre humaine.

Du rapport INSERM et de sa synthèse

J’en viens à d’autres signes inquiétants qui préfigurent de la mise en place de cette sécurisation psychique et de la promotion d’un État-thérapeute.

En un premier temps ce rapport de l’INSERM, absent des sites du Ministère, mais consultable si aisément ailleurs.

Mentionnons, au plus vite, un événement spectaculaire. La mise au boisseau des acharnements évaluatifs a été saluée dans un flux d’allégresse, très récemment (un cinq février) au Palais de la Mutualité à Paris, où notre Ministre de la Santé, qui se faisait pourtant le chantre des thérapies cognitives et comportementales quelques jours auparavant, a rassuré et a annoncé qu’il retirait du site de son Ministère le fameux rapport INSERM, ce qui a eu pour effet aussi de permettre aux plus radicaux partisans des Thérapies Comportementales et Cognitives de crier à la censure et à la persécution [5], fut-ce indirectement par des papiers venimeux repérés (ça) çà et là dans les média, dont l’Express. Or effectivement, comme nous le lirons plus loin, la synthèse de ce rapport est le fruit d’un passage à l’acte idéologique qui a fait fi de toutes les précautions scientifiques nécessaires bien que certaines d’entre elles (furent) aient été clairement établies et préconisées par au moins un des rédacteurs de ce rapport, Jean-Michel Thurin, exclu de la rédaction de la synthèse, comme le fut la très large majorité des experts en question. l’INSERM, aujourd’hui entaché par cette entourloupe, abritait autrefois les travaux de Pierre Royer qui constituait un petit groupe de psychanalystes dans l’U.30 avec Ginette Raimbault. Puis Ginette Raimbault a fondé l’U.158 (recherches psychanalytiques et sociologiques en santé publique) le labo dont P. Pinel est devenu le sociologue. Aujourd’hui L’INSERM publie une synthèse inepte où évaluation expertale et comportementalisme se livre à un mano a mano démagogique et dangereux et lance un plan de recherche sur l’autopsie psychologique. Qu’est cette nouvelle trouvaille ? Pratiquée dans plusieurs pays tels que le Canada, la Grande-Bretagne ou encore la Finlande, cette technique reste encore confidentielle en France, elle consiste à "reconstituer les circonstances psychologiques, sociales et médicales entourant le décès d'une personne suicidée" avec l’idée de prévenir le suicide. Cette auotpsie psychologique vise à collecter dans l’entourage de la personne décédée un grand nombre d’informations : détails de la mort (circonstances, méthode du suicide, préméditation), du paysage familial (enfance, adolescence, éducation) et du contexte social (support social, isolement). Mais aussi parcours de vie, monde relationnel, conditions de travail, santé physique et mentale, événements négatifs… Pour les experts, cette technique devrait « permettre de mieux appréhender les interactions complexes entre les différents paramètres biologiques, génétiques et environnementaux susceptibles d’être impliqués dans le geste suicidaire ». En outre, l'écoute des proches endeuillés pourrait aussi jouer un rôle "thérapeutique" pour les vivants, plaident-ils. Voilà encore l’argument thérapeutique destiné à supprimer tout le prix de l’acte, de son tragique même. Le développement considérable des techniques psychologiques est devenu un enjeu de pouvoir et non tant un défi pour la recherche épistémologiquement fondée.

Revenons au rapport INSERM sur les psychothérapies. Les remarques qui viennent sont dues en bonne part à un échange avec Jean-Michel Thurin seul psychanalyste au nombre des experts de l’INSERM[6]. Il s’est désolidarisé de la synthèse de cette expertise. La publication du rapport INSERM a fait couler beaucoup d’encre. Or, la synthèse de ce rapport n’a pas été rédigé par les experts mais par la direction de l’expertise qui en assurait la coordination, c’est-à-dire par un chercheur qui appartient à l’INSERM. Parmi les polémistes, peu prirent le temps de comparer cette synthèse aux travaux des experts et beaucoup n’ont pris appui que sur la synthèse. Or cette dernière est caricaturale et elle va dans le sens d’une application de la recherche expérimentale au champ clinique, ce qui pose déjà un problème de méthode si on généralise cette situation à tout ce qui serait thérapeutique de l’ « esprit » . Un trouble psychique ne correspond pas d’un point de vue biologique à une affection microbienne. Un même trouble peut avoir différentes origines, il est ardu et naïf de vouloir le relier à une cause unique et principale, la causalité psychique n’étant ni simple et ni linéaire. Qui sera étonné que la psychothérapie, quelle qu’elle soit, ne puisse se ramener à l’action d’un médicament sur un organisme malade, alors qu’elle suppose une interaction de processus de pensées et des transferts, qui peuvent ou non faire partie du matériel analysé mais qui existent et influencent le devenir de la situation thérapeutique. Le problème c’est aussi qu’un organisme de recherche qui fonctionne sur des modèles biologiques réducteurs aura tendance à réduire toute psychothérapie à un traitement isolé appliqué à une population donnée.

J.-M. Thurin souligne que cette réduction a été opérée dans la synthèse qui s’est concentrée sur les essais contrôlés randomisés lesquels sont, pour la plupart, des études « de laboratoire » construites selon une méthodologie ad hoc.

Il faut alors rajouter que cette réduction de la thérapie à un traitement bref d’un seul symptôme portant sur un sujet coupé de sa densité humaines, familiale, historique et anthropologique, suppose une nouvelle configuration de la clinique et de la culture psychopathologique. De son vocabulaire de base, tout autant. L’alibi du dogmatisme, son bluff est ici l’a-théorisme. Ah ! l’innocence de l’athéorisme ! Ah ! cette éduction de la théorie au mal, au dogmatisme, ah ! cette prétention au bon sens et à l’innocence ! Avec tout de même ; en sous-main, le poids de plus en plus fort, économie de marché oblige, des Mutuelles de santé privées pour percer sur les procédures diagnostiques et curatives. Le DSM, et de plus large façon les nouvelles classifications des dites maladies mentales sont configurées avec des troubles isolés, à côté les uns des autres, dont en principe on devrait d’ailleurs considérer les associations, leur relation avec des troubles de la personnalité, avec les facteurs psychosociaux d’environnement, les affections médicales générales, le fonctionnement global. Mais ce principe est loin d’être respecté, et, sans que cela émeuve nos scientifiques, les études sont montées sur des troubles isolés, sans tenir compte des données épidémiologiques actuelles concernant les troubles mentaux.

Ainsi ne sont considérés, pour ces études qui portent au pinacle les comportementalistes, leur bric-à-brac et leur novlangue DSM que des patients fictifs, ces fameux patients monosymptomatiques, qui n’existent pas , ou plus exactement qui n’existent plus dès qu’ils sont entendus et accueillis dans leur complexité. Oui, il est exceptionnel que les gens n’aient qu’un symptôme. Or, c’est à partir de cette fiction que l’on va tirer une synthèse et des conclusions générales farcies de préconisations ahurissantes pour qui possède un iota de culture et de pratique cliniques.

Non qu’il ne faille pas évaluer ce que nous faisons. Mais enfin l’histoire de la psychanalyse et son actualité tout autant n’implique-t-elle pas l’invention de dispositifs de supervision, de contrôles, de rédaction aussi de sa pratique ? N’arrêtons-nous point, quitte à mener une vie peu sociable et parfois exténuante, de nous rencontrer, de parler de nos cas et de nos pratiques ? Plus encore, l’invention de dispensaires psychanalytiques et de consultations ouvertes au plus large public en s’est-elle pas accompagné de tentatives d’évaluation des pratiques ? Je pense ici à L’Institut Psychanalytique de Berlin, à celui de Londres, à la Clinique Meinninger, etc.

Un risque est aussi qu’en contrecoup d’une satisfaction bien méritée (le retrait du rapport INSERM du site du Ministère de la Santé fit le bonheur de bien nombreuses personnes) les psychanalystes se laissent bercer par une crise de « belle-âme ». Le vent du boulet ayant sifflé près de leurs oreilles, mais le vacarme s’affaiblissant les voilà heureux, rassurés, calmés, prêts à reprendre l’écoute flottante sans se poser du tout le moindre problème politique concernant l’ensemble du champ « santé mentale ».

Il y a donc à prendre positions sur ce qu’est aujourd’hui la santé et la réduction de la santé mentale à un modèle conventionnel de santé.

Un mot encore sur la psychiatrie, aujourd’hui.

Comme pour toute activité humaine, la psychiatrie a des racines qui ne sont pas seulement conceptuelles ou dogmatiques. Elle a aussi des racines économiques, politiques et sociales. Surtout, elle est faite par des individus. La gestion moderne de la santé a tenté de faire l’impasse sur cette dimension.

Le champ du soin aujourd’hui

Car à quoi assistons-nous aujourd’hui ?

Il nous revient hélas de faire le constat, sinon le bilan, d’une déculturation accélérée de nos façons de faire vis-à-vis des patients.

Pour en rester à décrire ce qui affecte les ressources de la psychiatrie, et on est prié d’entendre le mot « ressource » dans tout son empan, on assisterait à la convergence de trois processus :

- la rationalisation économiste de la santé publique qui se traduit par des mesures de « désinstitutionnalisation »,

- l’inadéquation de ce qui reste de la politique dite de secteur à se porter au contact des populations les plus sévèrement touchées par les processus sociaux de marginalisation et de déliaison,

- le déferlement assez brutal de systèmes de repérages des troubles mentaux, qui fait fi de toute une culture psychanalytique, psychiatrique et phénoménologique, dans le but d’édifier des systèmes de classification supposés « a-théoriques », et permettant une codification directe des faits observés, directement lié à des prescriptions chimiothérapeutiques.

La psychiatrie est dans une situation critique. Critique ce n’est pas dire seulement qu’elle subit de drastiques restrictions budgétaires, mais aussi qu’elle renoue avec un moment de décision idéologique, touchant à l’éthique. Elle décide si elle doit se plier à un modèle stéréotypé du soin et de la guérison, laissant à des psychiatres nouveaux venus, peu et mal formés, la tâche de traiter au plus vite des patients, délivrant enfin au psychologue le privilège du soin psychothérapeutique (mais lequel ?), et à un ensemble de travailleurs sociaux la responsabilité de garder, sous de vagues mesures éducatives, le plus fort contingent de psychoses graves ou d’autismes. J’ajoute tout de suite que le malheureux psychologue clinicien qui oserait se réjouir du déclin de la psychiatrie, pensant que l’heure du triomphe de sa propre profession a sonné comme sonne l’heure de la revanche, ou celle de la victoire, ne fait qu’ignorer le sciage de la branche sur laquelle il est assis. Qu’on me comprenne : la progressive corrosion de l’institution psychiatrique ne signifie aucunement l’âge d’or de la psychologie clinique et des psychologues cliniciens. Elle implique la défaite de toute une clinique en pensée et en acte, reposant sur le respect du temps subjectif, sur l’observation de ce que les anciens nommaient « la marche » des phénomènes psychopathologiques.

Remontons dans une histoire récente. Par un étrange et bénéfique recoupement entre l’invention du secteur et les inventions en psychothérapie institutionnelle, l’institution soignante s’est préoccupée de pratiques, de clinique, de procédures sur le terrain des soins et elle s’est souciée des effets thérapeutiques. Les acteurs de soin qui travaillaient en ces lieux ont observé la valeur des concepts psychanalytiques portés dans une scénographie au bénéfice des patients. Or, peu à peu, écrivent Claude Wacjman et Edwige Pasquier dans la préface du volume 12 de la série Psychologie Clinique consacrée à l’Institution soignante : « le drame et l’action, la dynamique, ont été remplacés par la confusion résultant de l’accumulation de “ trucs ” et de “ machins ”, d’effets spéciaux, de fausses spécialisations et de bricolages psychothérapeutiques qui poussent insidieusement et souvent violemment la construction institutionnelle à se masquer, voire à s’effondrer ».

Le temps de la méthode à long terme est révolu, celui des techniques multipliées rapides, brèves s’avance contre les scènes psychiques. Les psy zappeurs projettent l’émiettement des modèles partiels qui les séduisent et font d’eux de véritables spécialistes de l’éclatement de l’unité des soins.

Ce qui fait se rencontrer et se conjoindre les trois processus plus haut désignés, est qu’ils fonctionnent à plein dans une logique du marché. En ce sens, des slogans pompeux et creux comme « droit des patients » lesquels sont réduits à des usagers, ou «réhabilitation psychosociale » ou encore « souffrance psychique » et « santé mentale », peuvent ici mettre en place un immense rideau de fumée si, derrière ces prétendues nouveautés, c’est tout une récusation de la dynamique du transfert qui se profile et qui rend très compliqué, par empêchement, l’étayage des logiques pulsionnelles sur les dispositifs institutionnels.

La réduction de la psychiatrie à la seule médecine, de la folie à la seule maladie mentale, du soin à la seule santé mentale, et, enfin, de la vie psychique et de la conflictualité psychique à la seule souffrance psychique, ne permet en rien le dégagement d’un surcroît de rigueur et d’humanité dans le traitement de nos patients. Bien au contraire, exclus des temps psychiques des transferts et des étayages, ces derniers surtout s’ils sont psychotiques, se retrouvent de plus en plus rejetés au dehors, quand ils ne viennent pas à se retrouver « traités » par d’autres dispositifs institutionnels de droit commun que sont, par exemple, les systèmes carcéraux.

Une des grandes avancées de la psychiatrie est, nous nous en souvenons, d’avoir inventé la politique de secteur. Cette invention, comme toute chose d’importance en ce monde, a un acte de naissance. Il renvoie à un traumatisme : celui de la mort importante, faute de soin, d’alimentation souvent, de malades psychiatrisés lors de la seconde guerre mondiale. Au lendemain de la seconde guerre, il était devenu clair que l’asile, dans sa conception ancienne, devenait un lieu mettant en impasse la vie psychique et la vie sociale des patients. Il y eut dès le départ, un mélange d’utopies et de reconductions des utopies humanistes et anti-aliénistes du XIX° siècle (on se souvient des positions anti-asilaires d’un politique tel Léon Gambetta) et mises en risque de penser et de théoriser la fonction instituante des institutions soignantes. (Audisio, Cadoret, 2001). L’idée de secteur n’est pas venue comme une inspiration céleste. Ses présupposés ancrés dans une conscience politique et militante étaient, au moins doubles :

- raccorder l’espace du soin à celui de la cité

- plier, en ce qui concerne l’exercice de l’accueil et du soin la dimension politique à la dimension clinique

En France, les mouvements de psychothérapies institutionnelles théorisaient les pratiques et les expériences et ce ne fut pas sans effet sur le rapport des psychanalystes à leurs théories et à leurs dispositifs. Le lien entre l’essor d’une pensée psychanalytique du groupe et de l’institution et les pratiques innovantes en institution de soin n’a plus à être démontré. On se souviendra de Bonneuil, et d’autres expériences (La Borde). On évoquera encore ces patchworks référentiels ou le kleinisme d’un E. Jacques se combinait à la notion de transitionnalité, reprise de Winnicott, dans un affadissement progressif, il est vrai, avec de temps à autre des emprunts aux idées lacaniennes de « sujet de l’inconscient» et de discours.

La folie, à nouveau, pouvait faire scène et adresse. Et, par échappées considérées et prises au sérieux, la parole de la folie a pu trouver ses lieux et ses temps, sans être mortifiée par une assignation à un savoir établi qui dirait, en l’anticipant, ce que le sujet veut signifier.

Toute politique qui touche à la cité contient en elle ses ferments et ses forces de désillusion. Le cœur actuellement n’y est pas ou presque plus. Le mythe fondateur s’éloigne, d’efficace il a pu devenir relique, et de relique, rebut. Un acte de foi dans la vie de la cité soutenait hier cette politique de secteur ; or, aujourd’hui, nous sommes, en tant que soignants de plus en plus préoccupés par la clinique de l’ « a-cité » : celle des grandes exclusions et celle des grandes précarités. Mais, si est rude la mise en brèche des limites internes et externes de l’institué face à l’irruption de cet extrême qu’est le hors limite et la dilution des liens, il ne fait aucun doute qu’une telle mise en avant du lien social a changé, dès les années 60, la regard sur la folie et les pratiques. Le patient, loin de se réduire au pur présent d’un tableau clinique, était aussi un être porteur d’une histoire singulière et collective. Et si le projet était bien de doubler le soin immédiat par une reconstruction possible des subjectivités sociales, alors on se rend bien compte que les cultures phénoménologiques et psychanalytiques se trouvaient avoir droit de cité dans cette politique. Autrement dit, pour qu’elle puisse être menée à bien, ladite politique de secteur a supposé des acteurs de soin qualifiés et formés, riches d’une culture qui ne pouvait se limiter au thérapeutique médical ou infirmier et qui incluait les retombées des engagements et les subversions politiques et psychanalytiques sur les rationalités soignantes, singulières et individuelles.

Cet enjeu d’humanisation du soin ne pouvait avoir comme condition qu’une psychiatrie fortement soutenue dans son originalité et son audace par les pouvoirs publics. Évidence . Mais évidence qui a échappé aux politiques de santé successives qu’elles soient de gauche ou de droite. Le démantèlement de la psychiatrie, processus qui en ses débuts n’a pas alarmé beaucoup de monde parmi les psychanalystes (hors sans doute M. Mannoni et M. Fourré), a bel et bien débuté sous un gouvernement socialiste nanti d’un ministre de la santé communiste !

Afin de mieux situer les nouveaux paradoxes que rencontrent ce qui reste des politiques de secteur, je propose donc le terme de « a-cité ». Psychologue clinique et psychanalyste, travaillant en Centre Hospitalier Spécialisé, je désigne par là un véritable glissement de terrain dont doit prendre acte la politique de secteur, politique que je défends, tout en regrettant la fossilisation dans laquelle elle se trouve le plus souvent. Le glissement de terrain est le suivant. Je me demande comment, conçue au départ pour intégrer la vie de la cité à l’effort de soin et de prévention, conçue pour aménager, de nouveau, des passerelles de vie possibles entre le « fou » et la ville, cette politique doit maintenant prendre en charge de nouveaux processus de recomposition et de décomposition des liens, des solidarités, des identités et des appartenances dans les nouveaux lieux de vie et d’habitations contemporains. Il n’est en rien évident que les lois de la cité jouent dans ces nouveaux espaces urbains. Le mouvement était ainsi, presque inexorable. À mesure que les textes fondateurs de la politique de secteur allaient définir la cité en s’en appropriant un modèle idéalisé afin de raccorder le sanitaire au social, à mesure qu’elle définissait le propre de la cité, elle eut affaire au contre-jour de ce modèle : la déliaison urbaine et sociale qui préludait à une déliaison psychique. Ainsi, il a bien pu s’établir dans nos Mondes contemporains, une sorte de destruction de la cité qui ne corromprait pas l’ensemble des rapports sociaux, mais qui les amollirait et finirait par détendre leur ressort. Le communautarisme est un autre signe et un autre nom de cette destructuration de la cité. Tout ce qui influe sur les conditions d’un lien social possible, sur les incidences des ruptures de liens au plan collectif et au plan singulier a donc un très grand intérêt pour la clinique. L’ordre de la cité n’était pas atemporel ni utopique. Ce qui reste aujourd’hui de la cité dans l’existence concrète des populations reste, en effet, à établir. Mais plus personne aujourd’hui ne saurait adopter de positions naïves. Or de quoi parlons aujourd’hui dès qu’il s’agit de désigner les rapports entre « folie » et « cité » ? Quels sont les slogans en vogue ?

Prenons au pied de la lettre ce credo de la « désinstitutionnalisation »… le mot est à la mode. Le « désenfermement » à son tour devient slogan. Aujourd’hui, les institutions psychiatriques vont mal. La dilution de la clinique psychanalytique, la résorption des politiques de psychiatrie institutionnelle, la montée en puissance des idéologies comportementales, nous assistons tous à cela, quotidiennement ou presque. La destitution de la psychiatrie est à l’ordre du jour. Les conceptions qui assimilent folie et déficit, psychose et autisme au handicap ont le vent en poupe alors que, plus que jamais, le réel des souffrances psychiques déborde ce que peuvent contenir les cadres et les dispositifs et qu’elles alertent ce que les acteurs de soin, voire les acteurs sociaux. peuvent faire et offrir.

La destruction des enjeux politiques, psychiques et anthropologiques de l’institution ne va pas sans créer des situations de cruauté accrue vis-à-vis de la psychose.

Oui, un certain humanisme, nourri, mais dans le genre « fast-food », de références à Foucault ou à Goffman, décide qu’il faut installer les psychotiques au dehors, au plus loin des murs de l’asile. Qu’il faille introduire des pratiques intermédiaires, qui en disconviendrait ? On voit mal, cependant, comment l’institution soignante pourrait s’accommoder, par exemple, du remplacement les Appartements communautaires ou les Hôpitaux de jour par des C.A.T.T.P. comme cela se fait parfois (Natahi, 1999). C’est évidemment louable a priori, ce souci d’aller vers le dehors, mais croyez-vous que Foucault a vraiment compris, non les logiques qui ont présidé à la mise en place des institutions soignantes de la folie, mais les logiques des processus qui s’y déroulaient ? Pouvons-nous, sans faire preuve de méconnaissance grave, assimiler la situation des asiles aux États-unis (sujet du livre surévalué de Goffman et en aucun cas applicable comme grille de lecture à la situation française) avec la situation institutionnelle de la psychiatrie en France ?

Si l’abord phénoménologique et l’abord psychanalytique allaient à la recherche de la dimension subjective de la folie, diverses approches contemporaines évacuent cette dimension subjective, que ce soit au nom de la science biologique ou au nom d’une forme d’humanisme commode et trop oublieux de la nature conflictuelle de toute existence. Nul clinicien ne saurait se montrer insensible, ou rassuré, devant cette conjonction objective et redoutable entre le discours humaniste et le discours scientiste. La victimologie effrénée, comme la solution technicienne la plus anonyme se rejoignent dans le déni de la vie conflictuelle du sujet.

Le patient pourtant on en parle, presque de plus en plus, mais comme on le ferait d’un usager, d’un client ou d’un consommateur. Penchons nous un instant sur le rapport « Piel et Roelandt ». Il préconise de mettre le patient au centre du dispositif de soin. Proposition séduisante, il est vrai. L’entreprise est honorable et ne souffre guère la discussion. Qui objecterait ? Mais au total qu’est-ce à dire ? Ce qui fait le centre de l’institution est-ce le patient ? Aucune réponse ici ne doit être trop hâtive et trop tranchée. Il semblerait plus juste d’affirmer que s’il y a un centre dans l’institution, il n’est pas occupé par une seule personne ou par un seul groupe de personnes. Et qu’à la différence de ce qui se passe dans les Centres commerciaux, le centre n’est pas centré sur le client. Penser le centre de l’institution en une alternative qui vient, au centre de l’institution, placer soit le patient, soit le soignant, ne peut que nous égarer. Il demeure plus exact de poser que les cadres et les dispositifs institutionnels, et leurs histoires, créent des effets de transferts, des effets de mémoire et de fonctions contenantes. Ce sont bien des processus psychiques et des étayages qui sont au centre des dispositifs institutionnels. Et ces processus ne vivent et ne se relaient qu’à être étayés sur une culture médicale, psychanalytique et anthropologique, engagée[7].

Les différentes tentatives qui placent comme idéal le désenfermement - dit encore « externement »- se payent trop souvent de l’illusion paresseuse qui pose la folie comme une simple rupture du lien social. La rhétorique de la rupture psychosociale et de la réhabilitation en tant que panacée devient crispant, tant il est prévisible. Dans le même temps, des folies se logent dans des trajets d’exclusion et dans des points d’errance qui sont devenus inaccessibles aux institutions (Duez, 2003). Mais ces échecs, tout de même assez relatifs selon les diverses politiques de secteur [8], nous renseignent assez sur la façon dont la folie est soumise à l’extérieur, se projette et se trouve écartelée sur le dehors. Ils devraient nous rendre prudents et nous encourager à penser la topologie de la folie en dehors des partitions simplificatrices dedans/dehors. La crise contemporaine des mécanismes de solidarité sociétale ruine le plus souvent l’espace conventionnellement établi de la cité. Il est dans les franges de cité et de l’ « a-cité » des zones de solidarités insoupçonnées et des parcelles d’exclusions terrifiantes. Cette irruption de « l’a-cité » dans la cité est précisément le fait nouveau, le nouvel aléa des subjectivations sociales qui devrait nous interdire de positiver tout dehors asilaire comme étant un espace d’autonomisation progressif du soi. Ces oppositions binaires, de « bon sens » qui opposent le dedans asilaire (lieu du repli et de l’aliénation aux dispositifs de soin) au dehors dans la cité (lieu supposé favorable à l’autonomie et à la responsabilisation du patient) ne servent que très peu à une pensée clinique des espaces de transferts que canalise et vectorise la prise en charge institutionnelle de la psychose. Mon inquiétude est vive à constater l’intolérance grandissante des structures dites « transitionnelles » (clubs thérapeutiques, CMPP et CATTP) à supporter l’installation de patients au sein de ces dispositifs, sur le moyen , ou même le long terme. Une façon toute disciplinaire de penser la psychose, en la réduisant à une absence de limites, réduira lz temps de la prise en charge du patient dans ces espaces à celui d’un apprentissage social où on apprendra enfin à l’infortuné psychotique à arriver à heure fixe, manger à heure fixe, partir à heure fixe et participer à heure fixe à des activités monotones.

L’institution psychiatrique irait-elle se résorber en un dispositif où un centre d’accueil et d’urgence serait, au mieux, relié, à des ateliers de travail, à des clubs de remise en bonne éducation des errants et des fous. Il s’y oublierait que le seul fil clinique qui circule entre le patient et nous est la parole et nous perdrions de vue qu’une institution digne de ce nom est une institution jamais totalement réduite à son idéologie médicalisée, c’est-à-dire une institution où la vie de la parole, ses aléas, ses dérives et ses surprises est encore respectée. L’institution ne se réduit pas à un lieu qui offre des techniques de soin. Du moins vaut-il mieux qu’elle ne se réduise pas à cela.

Dans le fil de la tradition psychiatrique française, et tout particulièrement depuis Séglas, il est possible d’affirmer qu’il n’y a pas d’autre support à la clinique que celui du langage que nous parlons ; autrement dit, un fait clinique dépend du filet dans lequel on l’attrape et ce filet s’appelle un discours. La disparition du rapport langagier au patient signe la disparition de la clinique, et le terme de clinique est facilement galvaudé et appauvri, distordu jusqu’au non-sens, du moment où il est usité pour désigner autre chose qu’un rapport langagier au patient. On ne peut que constater aisément que l’organisation délibérée d’un dispositif clinique rationalisé au profit d’un technicité précipite des constats objectivistes instantanés sans sujet et sans temporalité.

L’institution qui articule des scènes historiques et psychiques, des seuils et des repères, vaut aussi comme un lieu pour un travail de pensée (Audisio et Cadoret, 2001). Ce travail parce qu’il nécessite diverses temporalités : voir, comprendre et conclure et il se heurtera, frontalement ou en contrebande aux divers impératifs gestionnaires. Chaque institution a sa culture, son histoire, ses repères, ses valeurs référentielles qui importent sur la façon de poser des actes. En ce sens elle permet à un sujet livré à la désymbolisation massive de ses rapports aux espaces et aux temporalités de se trouver salutairement assigné à des scansions, à des passages, à des rythmicités. Bref, à des modes de présence et de mises en tensions et en repères des altérités.

Il convient certes d’inventer davantage encore de dispositifs intermédiaires, d’autant plus que nous vivons un moment d’incertitude dans ce qui fait représentation des espaces communs et des mémoires communes. Beaucoup d’ordinaires montages entre l’être et le lieu sont démolis, déchirés (de Rivoyre, 2001). Ce dont des errances et des clochardisations psychotiques sont un des signes les plus irréfutables et les plus déchirants. On parle alors beaucoup de souffrance psychique, ce terme dont l’usage récitatif peut finir par masquer tant de choses, souvent dans l’oubli que si le mot souffrance signifie « douleur », il désigne aussi une attente. Attente de point d’accueil, c’est-à-dire de présence. La souffrance psychique n’a pas besoin de compassion, mais elle réclame une mise en place de lieux et de réseaux de prises en charge qui calment ce que le dehors peut aussi avoir de captateur et de persécutif. Ce n’est pas en faisant l’impasse sur les expériences innovantes qui se sont produites et se produisent en psychiatrie publique qu’on y verra clair. Comment maintenir une possibilité de questionnement ?

Le scientisme n’est pas ici, on l’aura compris, le nom que je donne à la science, il est le nom de la rationalisation d’enjeux gestionnaires qui dénient la dimension anthropologique de la souffrance psychique, et des institutions qui pourraient encore l’accueillir sans se laisser museler et troubler par des impératifs d’évaluation et de rentabilité.

Ce qui préside à un type de psychiatrie scientiste, et à prétention hégémonique, serait non l'aliénation au discours de la science, soit au discours du Maître que Lacan développe à partir de la célèbre dialectique hégélienne, mais bien au discours du capitalisme. Mais une fois de plus, ces modélisations structurelles semblent, à leur tour, presque désuètes. C’est bien l’horreur voire l’ordure des sociétés marchandes qui nous revient en pleine face, dans ces mises à la casse actuelle du corps, de la parole et du lien.

Le réel de ces effets excluants sur le psychisme et sur la façon qu’ont beaucoup d’hommes et de femmes d’aller mal pourrait-il permettre de repenser l’institutionnel, voire de le défendre. L’enjeu d’une clinique en institution de soin est précis : revenir à retrouver le sens interne et transgénérationnel des souffrances et des discours (voire des délires). Une « souffrance psychique » dit aussi la souffrance d'un lien et d'une fondation du sujet. Il est vrai que les phénomènes massifs d’exclusion et de grande misère ont comme débordé les stratégies contenantes des institutions existantes. Il est encore vrai, répétons-le, qu’une clinique de l’obscène (et de l’hors scène) insiste de plus en plus, qui porte question, frontalement, à ce qu’est aujourd’hui, pour une part de plus en plus importante de la population, le fait de se relier à des espaces urbains, communautaires, à de la cité. L’on conçoit qu’une politique de soin en direction de la cité soit sévèrement mise à l’épreuve par ces cliniques de l’a-cité.

Or, en France du moins, la psychothérapie institutionnelle a ouvert à la compréhension de ce que les fonctions qui s’articulent dans une institution ne sont pas uniquement des fonctionnements mais aussi des fantasmatiques, des scènes où l’intérieur et l’extérieur communiquent et se superposent, se contaminent parfois. L’institution soignante,dans la mesure où la politique d’écoute et de soin qui s’y mène est référée à la théorie du transfert et du fantasme, se voulait et se veut un espace où se dépliait la capacité de lien dont pouvait faire preuve le « fou ». Si elle ne devient plus rien d’autre qu’un dispositif d’observation, ou un lieu de transit, alors sera liquidé, évacué et tenu pour rien ce que nous enseigne la capacité transférentielle des psychotiques. J’enfonce le clou et précise encore, comme je l’avais fait au congrès organisé par F.Fabre et S. Wiener à la Fondation Européenne pour la Psychanalyse en 1996 [9] , qu’avant de se bercer avec la lancinante question de l’aptitude au transfert des psychotiques, nous pourrions prendre en considération le don que manifestent de nombreux de patients psychotiques à expédier ceux qui tentent de les entendre et les soigner sur le divan d’un psychanalyste.

O. Natahi soulignait, en 1999, qu’au couple « raison-déraison » se substituait le couple « raison-gestion » [10]. J. Aymé prédisait ,en 1993, que « La cohorte des névrosés et des psychotiques irréductibles à cette psychiatrie scientifique sera confiée à un système néo-asilaire ». Il est à redouter que, sous les coups de boutoirs de la psychiatrie scientifique et d’un humanisme politiquement correct, la psychiatrie régresse très rapidement. Qu’elle se fissure entre des institutions qui copient le monde du travail et sa cruauté, et des néo-asiles. Une telle partition se fera au détriment du maintien et du développement de lieux où s’expérimentent, dans des régressions nécessaires à des symbolisations, des rapports au temps et à l’espace, au corps et au nom, à la mémoire et à la trace.

Ni la référence à l’efficacité, ni, non plus, la centration sur une victimologie qui psychologisant tout, oublie de se confronter à l’énigme de la folie, ne nous permettront de « tenir » de tels lieux. Nous ne pouvons accueillir, entendre, accompagner, voire soigner la psychose si nous adhérons aux idéalités efficaces et gestionnaires de notre monde libéral dit « post-moderne », monde dont l’idéologie comportementaliste est, dans les professions qui sont les nôtres, le bras armé. Nous avions déjà souligné, avec C. Wacjman [11], la régression considérable qu’avait entraînée dans les prises en charge des enfants dits « autistes » la réduction de l’autisme – il serait plus juste de dire : « des autismes »- au handicap.

Ce sur quoi il est impossible de revenir, à moins de dénier en bloc les bouleversements institutionnels de ces vingt dernières années, est de tenir pour peu ce qu'un travail en secteur amène avec comme possible lisibilité de la consistance anthropologique des liens Folie/Malaise. Que la folie soit là comme un possible est ce qui ne peut légitimer la psychiatrie de n'être qu'un pur management scientiste et médical.

Aujourd’hui, il est fort à craindre que le déclin de la culture psychanalytique et l’effacement de son influence sur la mise en place des dispositifs institutionnels, mènent à une mise sacrificielle des enjeux psychiques et sociaux de la psychose. Il faut défendre l’Institution en tant que processus de lien, de contenance et de pensée. Il faut aussi la défendre en tant que lieu de transmission de la psychanalyse, loin des convenances doctrinales et des fidélités de circonstance aux surmois bureaucratiques et charismatiques. La réduction de la psychose à un malaise social que signent l’angoisse et l’impotence implique une refonte totale de l’offre et de la politique de soin. Caroline Muzard-Saici écrit : « Le glissement vers un traitement social des troubles s’inscrit dans cette logique réductrice de différence qui mène par une sorte de tour de passe-passe, d’une part à la disparition de la visibilité sociale de la folie, en construisant des réseaux de soins qui ne laissent plus apparaître que les patients pourraient s’inscrire dans une logique d’insertion sociale,et, d’autre part, à une à une déspécification de la psychiatrie du fait du transfert, par l’application des différents éléments contenus dans les rapports (pour la santé mentale), des autres malades dans des institutions qui ne relèvent plus de la psychiatrie (augmentation des malades dans les structures médico-sociales, du nombre de patients vers les prisons, etc. ) »[12]

Un dernier mot, pour relancer. L’actuel débat justement polémique et non clos à propos du statut des psychothérapeutes ne peut plus se passer d’une prise de position militante en faveur de l’institution soignante comme un des lieux privilégiés d’exercice et d’invention de la clinique psychanalytique. Et non de l’expertise médicalisante à coloration psychanalytique. Cette clinique n’a pas pour objet de réduire l’effet de la folie sur les dispositifs et les espaces soignants à une mise en tableau, figée et fixiste. Moins la possibilité de donner vie à des espaces intermédiaires sera obtenue et défendue plus se développera un traitement technicien et expertal de la psychose. Ne nous y trompons pas, il y a également dans l’arsenal conceptuel de la psychopathologie psychanalytique de quoi objectiver et réduire au déficit la folie. Et la situation de la psychanalyse en institution risque de se réduire à une peau de chagrin si elle ne donne lieu qu’à une clinique contemplative ou qu’à des compromis intenables dans de vaines interdisciplinarités scientistes.

La clinique psychanalytique suppose d’accueillir et de favoriser des possibles étayages de transférances. Nous pensons, en conséquence, que les formes d’affadissement de cette clinique « élargie » sont un des signes les plus inquiétants de l’exclusion contemporaine du « sujet» dans les politiques de santé.

L’institution

Contre la sécurisation de la vie psychique, il faut défendre l’institution et lutter contre la réduction de la psychiatrie à une santé mentale, réduction de la psychologie clinique à une psychologie clinique de la santé. Cette lutte concerne les cliniciens psychiatres et psychologues, avec et au-delà de leurs spécificités de formation. La psychanalyse, et dans une moindre mesure l’anthropologie seraient ici les deux disciplines transversales, aptes à donner à cette lutte son corps de doctrine à la mesure de leur puissance à interroger le politique et à dialoguer avec lui.

Il ne s’agit donc pas de dire qu’il n’y aurait de “ vraies ” psychanalyses que celles qui se déroulent dans le cadre d’un cabinet privé. La dimension de la psychanalyse dans l’extension de ses pratiques mérite d’être reconnue, pleinement. Il s’agit, en revanche, de reconnaître les effets thérapeutiques de la psychanalyse, et la part considérable qu’elle nous apprend sur les champs a priori les plus étrangers à nous-mêmes –la dimension de la psychose et de l’autisme insiste ici.

Il convient encore de penser l’anthropos inhérent à la psychanalyse, considérée comme doxa et comme cure. On le voit non seulement diverger, mais s’opposer radicalement, aux idéologies de l’homme neuronal ou comportemental, en vogue. À cet égard, la psychanalyse ne serait donc pas vouée à se retrouver partout où elle se croit convoquer, en dépit de l’actuelle frénésie médiatique pour remettra à nouveau dans la vitrine, le divan. Ce dernier point ne saurait laisser le clinicien indifférent, il devrait concerner l’épistémologue. Sans mettre en évidence ces différences d’anthropos, nous ne sortirons pas des confusions. Ce ne sont pas des lectures à rebours, réduisant l’inconscient selon la psychanalyse, à l’ensemble des définitions qu’ont pu en donner avant Freud et après lui, thérapeutes et neurologues, qui aideront à y voir clair. La recherche en clinique psychanalytique est, bien entendu, loin d’être terminée. Le manque et l’incomplétude sont, de plus, inhérents à cette théorisation pratique du manque et de l’incomplétude qu’est aussi la psychanalyse. L’invention du psychanalyste en dépend, au prix de sa solitude.

La responsabilité de la communauté des cliniciens concernés par la dimension du sujet est celle de constater et de faire connaître les avancées immenses qui se sont produites dans la recherche psychanalytique. Cette dernière s’est menée le plus souvent au sein de groupes, cartels, équipes, séminaires, parfois marginaux, parfois peu soucieux d’une reconnaissance écrasante, et, pourtant féconds. Le dialogue entre l’université, les praticiens, et les groupes psychanalytiques divers pourrait s’en trouver relancer.

En moins d’une dizaine d’années, des renouveaux décisifs se sont produits dans les champs cliniques mentionnés ci-dessus et auxquels il faudrait rajouter les cliniques de l’adolescence et les articulations avec les anthropologies d’aujourd’hui (soit les anthropologies politiques des mondes contemporain).

Olivier Douville

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[1] Cf infra les brèves remarques consacrées à l’autopsie psychologique

[2] Comité de rédaction de Che Vuoi ? Revue de psychanalyse, , 22 : « Malaise dans la réglementation » Paris, L’Harmattan, 2004 : 11.

[3] Ce qui fut confirmé peu après le « happening » de la Mutualité par le Ministre de la santé à une délégation de psychanalyste comprenant C. Melman, C. Hoffmann et G. Pommier

[4] dans un message déposé le 16-03-2005 14:01 sur le forum « politique pour la psychanalyse » du site Œdipe.org

[5] Y compris en dehors de l’hexagone, en témoigne la lettre suivante qui exprime avec un peu de style tout le credo des comportementalistes: « Monsieur le Ministre, En tant que Président de l’AEMTC (Association pour l’Étude, la Modification et la Thérapie du Comportement), je tiens à vous exprimer ma stupéfaction quant à vos propos du 5 février au forum des psys à la mutualité. Notre association regroupe de très nombreux chercheurs et praticiens du champ cognitivo-comportemental. Tous sont animés par le désir de mieux comprendre l’homme normal et pathologique et d’apporter des réponses à la souffrance psychique. Pourquoi les Psys Belges commentent-ils l’actualité française ? Vous devez savoir, Monsieur le Ministre, que, partageant la même culture, nous partageons les mêmes tourments et les mêmes défis. Aussi, les tempêtes de l’hexagone s’exportent-elles facilement chez nous. Enfin, l’ambition de la France de jouer un rôle majeur dans la francophonie va, selon nous, de pair avec la capacité d’écoute au delà de ses frontières. Pourquoi ne pouvons nous pas être en accord avec votre position ? Il faut rappeler que le rapport INSERM a été diligenté pour la plus grande part par des associations de patients désireux de clarté en ce qui concerne l’efficacité des psychothérapies proposées sur le marché, et non pas par une prétendue attaque des comportementalistes contre la psychanalyse. Nous sommes trop respectueux de nos patients pour nous permettre d’ignorer leurs préoccupations. Il faut rappeler que l’acte psycho-thérapeutique, s’il est considéré par d’aucuns comme une démarche de développement personnel – ce qui n’est en rien contestable – est vu par la majorité comme une démarche de soin. Les actes de soins se doivent d’être évalués quand à leur efficacité et leur innocuité. Il faut rappeler que si l’on peut argumenter sur la pertinence de certains critères d’évaluation, on ne peut refuser l’évaluation elle-même, fondement de la démarche scientifique, sans revenir à une forme ou l’autre d’obscurantisme. Il faut rappeler enfin que le rapport INSERM fait écho à d’autres rapports et recommandations internationales (telles l’OMS) faisant état de l’indication des thérapies comportementales dans de nombreuses pathologies. Pour ces raisons, nous ne pouvons ignorer votre intervention et nous déclarons solidaires dans l’indignation avec nos collègues, confrères et associations de patients en France.Recevez, Monsieur le Ministre l’assurance de notre considération. » Docteur Philippe Fontaine Président de l’AEMTC

[6] A Paraître dans le volume 19 de Psychologie Clinique « la voix dans la rencontre clinique » à paraître en mai 2005

[7] D’où la nécessité de réunion d’élaboration des pratiques, réunions qui ne doivent pas nécessairement être animées par une présence surplombante et extérieure.

[8] Psychologie Clinique, 7

[9] "Discours analytique et savoir psychiatrique. Essai de position des problèmes ". Colloque Européen "Quelle Psychanalyse pour quelle psychiatrie ? "Fondation Européenne de Psychanalyse, Paris Hôpital de la Salpêtrière, amphithéâtre Charcot, septembre 1996. (non publié)

[10] O. Natahi, 1999 page 44

[11] Psychologie Clinique, 2

[12] 2004 : 151