Pour introduire le narcissisme… Commentaires d’anthropologie clinique

Par Olivier Douville


Généralités actuelles

Le terme de narcissisme bénéficie des faveurs de l’opinion. Il semble avoir pris le relais de la notion d’égoïsme, et serait qualifié de narcissique celle ou celui qui, pensant trop à son image, ne se soucie que peu de la réalité psychique d’autrui. On en vient à se défier du «narcissique», vite qualifié de «pervers» tant ce qualificatif désigne un homme. Autrement, quand ce terme de «narcissique» désigne une femme, il est aisément relégué dans le fourre-tout de l’hystérie. Bien entendu, le narcissique, c’est l’autre, tout comme l’est l’enfer de Sartre. Ô combien d’analystes! combien de thérapeutes! ont entendu ces plaintes béates et récurrentes visant un conjoint trop narcissique. Nombre de ces doléances se résumeraient ainsi: «Est narcissique qui ne pense pas assez à moi.»

Voilà donc que les doléances moralisatrices font du narcissisme un défaut. Comme il est mal vu de se prendre soi-même comme objet d’amour! Un esprit retors ou chagrin, un vilain drôle donc, ne manquerait pas de remarquer la suspicion généralisée qui, à l’égard du caractère narcissique, s’épand le plus souvent dans les gazettes où, quelques pages plus loin, le lecteur et la lectrice sont submergés d’une provision de conseils pour retrouver l’estime de soi, améliorer son image, etc.

Les piètres contradictions que je relève, d’une façon un peu moqueuse, dans les menues broderies du psychologisme en vogue ne me semblent pas une trop mince affaire; en effet, deux exigences se font ici entendre. L’une étant de se construire un amour de soi et pour soi et donc un narcissisme «bien à soi», l’autre permettant d’outrepasser cette clôture qu’est l’amour de soi s’il nous emprisonne en nous-même et nous conduit malheureusement au désintérêt pour ce qu’autrui demande et offre de neuf.

Le texte de Freud «Pour introduire le narcissisme»

Ces deux mouvements (conservatoire et altruiste) sont bien décrits par Freud dans son fameux essai «Pour introduire le narcissisme». Ce texte, daté de 1914, a comme projet d’introduire la notion de narcissisme dans la métapsychologie psychanalytique et de l’introduire comme un opérateur logique. Certes, on doit à O.Rank d’avoir, deux années auparavant, proposé sa propre contribution au narcissisme. Ce texte, Ein Betrag zur Narcissimus, est audacieux et sympathique.

Le coup de force de Freud est à la fois politique et théorique. Il s’agit bien pour lui de rompre avec Jung en proposant la thèse qu’il existe une libido du moi dont les avatars sont discernables dans la psychose alors que pour Jungl’hypothèse qu’un refoulement de la libido entraîne une suppression de la fonction de réalité dans la demencia praecox – on dirait aujourd’hui «schizophrénie» – ne tient pas.

Aussi le texte de Freud est-il constamment tendu dans une discussion avec la psychopathologie. Il dégage un trait dominant dans la schizophrénie (soit ce qui est alors nommé la «démence précoce»): la libido est retirée aux objets. Cette hypothèse suppose un état antérieur d’un investissement libidinal du moi, la libido n’étant vouée à l’objet qu’à partir de cette réserve originaire de la libido dans le moi.

Sur cette base, il reprend la théorie des pulsions et fait du narcissisme uncomplément libidinalaux pulsions d’autoconservation.

Le narcissisme est également distingué de l’autoérotisme qu’il prolonge et modèle autrement. Au regard de l’autoérotisme, il se présente comme requérant une action «spécifique». Sur la nature de cette action spécifique, l’apport lacanien est net. Lacan distingue et articule deux dimensions qui vont lui permettre de caractériser l’économie libidinale du sujet à son monde. Soit, d’une part, cette tension que le sujet, dès sa tendre enfance, entretient avec son reflet et, d’autre part, la fonction de capital de libido du moi, et qui donne à toute relation d’objet son fondement imaginaire. Une bonne définition ici du narcissisme serait de supposer que notre rapport au monde est une projection de notre rapport au corps tel que ce rapport est régulé par le narcissisme.

Il est d’usage commun de supposer que cette action spécifique qui construit un moi visé par les pulsions d’amour et de haine, et que l’expérience du miroir rend intuitivement assez compréhensible, permet la formation de deux instances: celle du moi idéal et celle de l’idéal du moi.

À ce point, on perçoit ce qui fait jointure entre la clinique des symptômes individuels et la clinique du social.

L’idéal et le collectif

En effet, dès que l’on immerge ces formations de l’idéal dans une pensée du collectif, alors le risque est grand d’absolutiser la matrice occidentale de ces formations de l’idéal et des identifications et de s’en tenir à une lecture familialiste et ethnocentrée de ce que serait l’Œdipe, dès que, en stricte orthodoxie psychanalytique, on suppose que ledit complexe d’Œdipe orchestre un jeu fondamental et «universel» des identifications et des idéaux.

Or, rien ne dit que l’action spécifique qui permet au sujet de passer d’un autoérotisme où il est objet de l’Autre à un narcissisme où il peut se poser comme ce qui manque à cet autre, soit systématiquement déchiffrable dans la façon très occidentale que nous avons de rendre par trop réalistes les mots de «père», «mère» ou «enfant».

La nécessité de se séparer de l’Autre maternel constitue une coupure nécessaire à la constitution du corps soutenu par une image signifiante (c’est-à-dire porteuse de symboles et de paroles. C’est ce dont toutes les cultures parlent à travers les mythes, les rites et mettent en jeu par la codification de pratiques éducatives. L’imaginaire propre à chaque nappe culturelle[11] est soutenue par des pratiques symboliques, au rang desquelles les conduites éducatives. Cependant, les modes d’articulation entre séparation d’avec la mère et effacement des traces du maternel sur le corps et le langage du petit humain ne sont pas toutes les mêmes, ici ou là. De même le privilège donné au Père comme agent de la séparation du sujet avec le pulsionnel maternel varie grandement d’une culture à une autre. Enfin, et pour aller au plus simple, une question fondamentale, celle de savoir à qui appartient l’enfant, ne reçoit pas même réponse tout partout dans le monde. Une simple observation des conduites de maternage dans un village d’Afrique de l’Ouest montre bien que la façon dont la mère traite l’enfant est soumise à un contrôle des femmes, sans doute bienveillant, tendre même, mais constant. On imagine mal une maman européenne supporter que sa voisine se mêle de la façon de porter l’enfant, de le nourrir, de lui parler, de l’endormir, etc. Ce qui semble au loin secourable et normal serait ici intrusif et peu coutumier.

Allons plus loin. Si Freud a tout à fait raison de nous montrer la continuité qui se fait de l’action primordiale qui fait passer de l’autoérotisme au narcissisme jusqu’à la formation des idéaux, alors le culturel et le social sont convoqués en force, dès qu’intervient, dans la discussion sur la mise en place du narcissisme secondaire, ce poids lourd qu’est l’idéal.

En somme, ce que je veux souligner est le point suivant. Se référer à un idéal aimé, ce qui est une façon ordinaire de sortir de la clôture du narcissisme primaire, fait que le sujet se conjoint aux déclinaisons culturelles de ce qui est matrice d’idéalité. Il rencontre là ce qui, dans la Culture, l’invite à se trouver une place légitime dans le monde.

Or ce n’est pas de même façon que cette légitimité se joue suivant que l’on est dans un monde où c’est le rapport aux parents qui est au premier plan, dans un folklore familial où l’enfant est enfant du couple, ou que l’on est dans un monde où ce qui est d’abord déterminant est le rapport à la lignée et à l’ancêtre.

C’est bien ce que Jacqueline Rabain (1979) et Edmond et Marie-Cécile Ortigues (1966) découvraient en travaillant à Dakar dans le service de psychiatrie dirigée génialement par Henri Collomb: l’enfant est d’abord enfant du lignage. La rivalité avec le père est, pour le garçon, déplacée sur le lien entre cadet et aîné. L’ancestralité est la figure de référence, et le père, étant dans le système du lignage plus référé à l’ancêtre, est un rival dangereux pour l’enfant.

L’ancêtre et l’idéal

Seules des sociétés traditionnelles très rudement ébranlées dans leurs fondements symboliques et réduites à des survies lancinantes oublient leur rapport à l’ancestralité. Elles se vivent parfois comme les témoins survivants d’une modalité très mélancolique et cruelle du lien à l’ancêtre, elles attestent que s’il y a une existence de l’Autre, elle leur devient inaccessible, pour autant que l’Autre a délaissé sans recours ce qu’il a créé. On observera souvent que, dans un monde traditionnel encore vivant dans ses équilibres, les dettes aux ancêtres se répartissent autrement pour les vivants selon l’ancestralité à laquelle ils ont affaire. Si les ancêtres lointains sont les garants des normes et des idéaux de telle ou telle configuration sociale dite «traditionnelle», c’est cependantau nom des ancêtres proches que se font les arrangements autour des petites dettes, les discussions autour des transmissions des biens et des privilèges. Bref, on honore les premiers et on négocie avec les seconds. Le langage avec les ancêtres du lointain, ces figures ultimes de l’autorité, est très codé, les sacrifices très ritualisés et tenus pour devant être permanents, on discute davantage entre vivants pour établir ce qui est dû aux ancêtres proches, et comment on peut se concilier leur bienveillance.

Enfin, dernière petite mise au clair: le culte des ancêtres est lié au culte des morts mais il ne s’y superpose pas. Le culte des morts est souvent associé à un culte qui célèbre l’intrication féconde de la vie et de la mort, dans la mesure où les sociétés «traditionnelles» ont une conception cyclique des temporalités. Le culte des ancêtres vise surtout à recomposer les bases des pratiques symboliques entre les vivants et permet de réaffirmer que, dans un monde traditionnel – où les uns et les autres se reconnaissent comme des individus sacrifiants –, ce sont bien sur des dispositifs de dette et de sacrifice que s’affirment les commandements de la loi.

Si le thème de l’ancêtre est intéressant autant pour les anthropologues que pour les psychanalystes, c’est qu’il permet de situer également et sinon plus encore ce qui se joue dans les effondrements de ces rapports à l’ancestralité. Un des grands systèmes de régulation de ces rapports est fort connu, c’est l’initiation.

L’initiation

Il est impossible d’entrer en lien avec un sujet issu d’un monde à rationalité traditionnelle, si on fait l’impasse sur le rapport de ce sujet à ce qu’il aurait pu connaître d’un parcours initiatique. Et il m’a souvent été dit par des jeunes venant de familles d’Afrique de l’Ouest et nés ici que le fait de ne pas avoir connu d’initiation est une blessure, une atteinte à leur légitimité. Il ne s’agit pas de refabriquer des initiations d’opérette pour le bien de ces sujets, mais je peux témoigner que cette douleur, ou du moins cet inconfort, à ne pas avoir été initié peut très bien les jeter dans les bras d’idéalistes guerriers, comme il y en tant en ce moment (Douville, 2018).

Une initiation a un effet sur le sujet qui est de l’introduire brusquement à l’inconsistance de l’autre. Les formes de cette introduction varient d’une terre à une autre. Par exemple, Robert Jaulin nous raconte dans La mort sara (1967) qu’il est dit, au départ de cette succession de rituels et à tous les futurs initiés, qu’ils vont mourir lors de cette aventure, qu’ils vont être détruits, qu’ils vont rencontrer la mort en tant que mort réelle. Et à la fin de l’initiation, ces figures qui les terrifient, qui les menacent, juchées sur des échasses et couvertes de feuilles, eh bien les voilà qui retirent leurs masques et les impétrants se rendent compte que ce sont juste les parrains ou les marraines qui avaient prêté leur silhouette à cette mascarade sacrée. Alors, le vieux guide de l’initiation dira à Jaulin: «Tu as cru que tu allais rencontrer la mort mais tu n’as rencontré que la chicotte, c’est-à-dire les coups de badine qu’on donne aux initiés.»

L’initiation met le sujet en face d’un secret, donc d’un rapport particulier à un Autre du langage qui est incomplet. L’impétrant veut que l’initiation soit enfin l’occasion terrible et espérée de rencontrer un autre de la toute-puissance, un autre de la jouissance, et ça ne marche pas, il n’yavait pas même de rendez-vous. Une initiation réussie conduit à une désillusion. L’impétrant bien guidé se rend compte que le secret du secret, c’est qu’il y a du vide, de la béance, qu’au fond, l’Autre est incomplet, béant. Les jeunes initiés ont la charge de ce corps de l’ancêtre dont ils savent très bien que c’est un simulacre mais quand même, par ce truchement de ce simulacre, ils peuvent toucher aux objets de jouissance qui sont interdits aux non-initiés, par exemple les tambours, les tambours sacrés, les flûtes…

L’initiation, c’est une sortie du narcissisme, le jeune se fait le gardien d’un Autre incomplet, inachevé, manquant. Que ce secret ne soit partageable que dans la «gentry» des initiés est sans doute une broderie d’idéal qui vient ici suturer ce qu’a de dépersonnalisant la rencontre avec ce manque dans l’Autre.

Épistémologie sommaire

La pensée psychanalytique, toujours soucieuse d’une anthropologie fondamentale qui dépasse les contraintes des monographies ethnologiques, vise l’horizon universel des rapports de cet être parlant, sexué et mortel qu’est l’homme aux lois fondatrices de son humanité. L’idée d’une culture «universelle» est souvent rendue compte par un passage, celui de ladite nature à la culture; passage marqué par le surgissement d’une loi tenue pour celle de la prohibition de l’inceste. Structure du psychisme et structure du social co-émergeraient alors, c’est du moins ce qu’aurait de plus élémentaire une pensée structurale des rapports entre l’homme et de la société.

Retour sur le narcissisme dit «primaire»

Il n’empêche, il existe une pluralité d’expressions locales de cette culture «universelle» et nous rencontrons dans nos institutions d’accueil et de soin des sujets marqués par des symboliques de l’alliance, de l’appartenance et de la filiation, qui ne sont pas toutes équivalentes. De plus, le lien «mère-enfant» peut être compris, même si c’est aller un peu vite, comme étant le lien où les enjeux de transmission des processus d’humanisation sont le plus à l’épreuve. À qui appartient l’enfant? Que représente-t-il? Quelle place joue-t-il dans le symptôme maternel? Mais aussi et encore dans toute la gamme de représentations de l’ici et de l’ailleurs? Quels lieux culturels, politiques et psychiques occupent-ils ces deux-là que sont mère et enfant? Auxquels de ces lieux l’enfant, ce représentant de la génération qui vient, est-il voué ou dédié, non sans paradoxes ou conflits?

Bien des recherches qui sociologiques, qui anthropologiques ont pu décrire, non sans justesse et non sans nostalgie surtout, les arcanes symboliques et culturelles de ladite «famille africaine» (Mouanda, Missié, 2018).

Le voisinage et la famille élargie ont leur part de responsabilité éducative. L’autorité de la mère n’est pas pour autant réduite à peu. Bien au contraire, toutes les techniques de maternage, contrôlées par les femmes plus âgées, il est vrai, visent à apporter à l’enfant un sentiment de sécurité tout en lui inculquant, non sans rudesse parfois, les règles de la décence et de la propreté.

Ainsi le passage de l’autoérotisme au narcissique suit-il le cours d’ondulations particulières. Une des premières techniques de maternage est le massage, laquelle renvoie à la symbolique du passage du corps «mou» au corps «façonné». Le manque de tonus, bien plus que l’état de tension ou d’agitation du corps de leurs nourrissons et tout jeunes enfants, alerte bien des mamans africaines. Le corps est façonné, non sans rudesse avons-nous le tort de penser selon nos sensibilités précautionneuses (trop), et les parties du corps sont différemment traitées selon leur aspect réel et leur signification symbolique. Les massages diffèrent pour les petits garçons et pour les fillettes. Les gestes de la maman s’attardent sur le ventre de ces dernières comme pour saluer en elles leur future condition de mère. La seconde technique est le portage au dos. Le corps à corps est important, l’enfant souvent est porté dans le dos de sa mère, mais il passe aussi aisément de mains en mains que de dos en dos. Quant à la technique du sevrage, elle est, selon les peuples, brutale ou graduelle. Une constante est que l’enfant est plus tardivement qu’en Europe nourri au sein, et ce, à sa demande. Au reste, le père n’a pas cette fonction d’interdicteur du contact, il ne vient pas brider l’éveil de la sensualité.

Notre pratique soignante

Je viens de passer en revue des questions qui se bousculent dans nos écoutes, nos soins, nos pratiques. Que représentons-nous? Un étranger inentamable ou un tiers qui peut, du fait de sa non-appartenance manifeste à la culture du sujet, jouer comme topos de médiation entre lui et sa famille, lui et ses ancêtres. On retrouve ici une vieille et vénérable question, celle de la position subjectivante du thérapeute. Occupe-t-il purement et simplement la place d’un étranger (l’étranger du patient étranger) ou est-il à même de faire jouer une position d’altérité, permettant à son ou ses patients de se «décoller» un peu des fidélités mortifères ou des idéaux d’assimilation les plus pétrifiants? C’est que souvent, aussi, l’étranger que nous sommes et que nous représentons est tout à fait bien utilisé par les familles africaines qui nous situent aisément en tant que médiateur. En effet, leurs difficultés psychiques, ces symptômes, renvoient toujours à des histoires singulières, qui sont elles-mêmes situées dans des histoires familiales. Et pour de nombreux migrants, les sites d’identité ne sont pas renfermés sur la terre d’origine des ancêtres, la présence des pays colonisateurs a énormément joué dans la mise en place de plus d’un système de repérage et de référence. Parallèlement à l’émancipation de l’ethnologie qui a peu à peu délaissé la notion d’ethnie, autrefois positivée comme le premier matériel de ses constructions, pour prendre en compte la modification des rapports sociaux, l’abord clinique et psychopathologique doit comprendre que nous avons le plus souvent affaire à des sujets qui sont des acteurs et des témoins de passages et de transitions historiques, politiques et culturels de première importance.

Des pères

Dans un monde idéalement traditionnel, l’autorité du père est abstraite mais hautement respectée. Il ne fera sentir sa désapprobation et ne rappellera le jeune contrevenant à la loi qu’en cas d’infractions graves, pouvant nuire à la réputation du clan et donc de la lignée (vol, violences). Très souvent, ce sont les frères ou les cousins aînés, ou même les frères ou cousins de la mère qui rempliront l’office du gardien des règles usuelles de bonne conduite ordinaire. L’exil va brouiller de tels repérages, et les pères en exil diront souvent à quel point il leur est ardu de supposer qu’ils puissent faire passer les lois du pays dit d’«accueil» à leurs progénitures, ce qui donne aux femmes et aux mères une place d’autorité plus forte souvent que celle qu’elles auraient pu exercer au pays. Ce vaste panorama, réaliste, mais extrêmement réducteur, est déjà, grandement effrité en Afrique même dans les mégapoles où les familles sont loin de se conformer à ces schémas d’harmonie coutumière. Cela peut être d’autant souligné que nombre de femmes et d’hommes qui ont quitté l’Afrique pour l’Europe ont séjourné, pour une durée plus ou moins longue, et souvent décisive, dans ces mégapoles que sont Dakar, Bamako ou encore Brazzaville ou Kinshasa (Douville, 2014).

Conclusion très provisoire

Le terrain d’un possible dialogue entre cliniciens et anthropologues se situe à un niveau épistémologique, c’est-à-dire qu’il nécessite que soient formalisées les conditions de la production du savoir. Si ce pas ne s’accomplit pas, il est à prévoir et il est à craindre que l’ethnologie et la psychologie interculturelle clinique ne soient plus pensées que comme science d’approche de sujets issus de sociétés non dissoutes dans le système capitaliste. Ce qui est assez chimérique, voire dangereux.

De plus, un tel dialogue pourrait redonner chance aux ambitions, aujourd’hui malmenées, de la psychothérapie institutionnelle qui toujours a misé, dans le traitement institutionnel de la folie, sur la réhabilitation du sujet en tant qu’agent de la culture et producteur d’un social. Un tel pari, qui mise sur la consistance symbolique de la personne de l’aliéné a des connotations politiques flagrantes. Ces dernières se révèlent et peuvent s’articuler, surtout lorsqu’il s’agit de prendre en compte ce qu’affiche d’ambition et de projet politique la façon dont il est fait part ou non aux singularités des référents symboliques dans la prise en charge psychothérapeutique et sociothérapeutique de sujets jamais considérés pour autant comme des modèles achevés et stéréotypés de leur supposée culture d’origine. Ainsi, donner droit de cité à la langue maternelle, à l’histoire des violences et des dénis d’identité qui, collectivement, ont pu marquer l’existence de telle ou telle personne, dans son rapport à la parole et à autrui, est une des fonctions les plus éminentes de l’institution soignante, ce qu’incarnait exemplairement le parcours d’un Franz Fanon. Or, cette fonction est de plus en plus menacée par des impératifs gestionnaires auxquelles de trop nombreux psychiatres, réduits à une pauvre autorité médicale et administrative, se soumettent à l’aide souvent de la passive complicité de bien des psychologues «New Age» (Douville, 2007, 2014).

Bibliographie