Orlan, l’autoportrait comme œuvre d’altérité

Par Andréa Linhares[1]

…à l’intérieur qui est l’extérieur, une fenêtre et moi.

A travers cette fenêtre, je veux passer à l’extérieur, qui pour moi est l’intérieur.

Quand je me réveille, la fenêtre de la chambre est celle du rêve,

L’intérieur que je cherchais est l’espace du dehors [2]

LygiaClark

Je n’ai jamais fait une œuvre (dessin, photo, sculpture, vidéo, performance) sans la penser comme un corps qui chercherait d’autres corps pour exister.[3]

Orlan

L’art plastique contemporain comprend souvent une mise en scène de la propre image de l'artiste. Parmi les nombreux artistes qui se rangeraient dans cette mouvance, Orlan, elle, traverse ce parcours d’une façon particulièrement originale. Originale autant que déconcertante, car cette mise en scène de soi va, chez elle, souvent se saisir de son propre corps comme d’un support, ou d’une surface de transformation et de création. Si, par ailleurs, bien d’autres artistes se sont servis du travestissement de soi dans leurs créations artistiques, Orlan étend cette opération de transformation jusqu'à sa chair, appliquant en quelque sorte à sa peau le même traitement qu’aux vêtements. Tout se passant comme si sa démarche consistait dans la transformation de son propre corps en un corps étranger. Dans cette perspective, son œuvre, entièrement composée d'autoportraits, se présente autant comme un lieu d'auto-reconnaissance (portrait de soi) que comme une œuvre d'altérité (portrait d’un autre). Et, à voir son parcours, on comprend que c’est justement par l’expérience d’altérité que quelque chose d’une auto-reconnaissance semble pouvoir advenir dans sa création. Ainsi, Orlan va produire sans cesse des effets d’altérité, voire d’étrangeté et d’effroi dans son travail qu’elle décrit néanmoins comme sa propre reconnaissance, telle une œuvre- spéculaire. Sans prétendre faire une analyse de l’œuvre d’Orlan et encore moins d’Orlan elle-même, je parlerai de ce que l’on peut expérimenter face à certains de ses travaux qui nous introduisent, nous aussi, dans une singulière expérience spéculaire. Pour ce faire, j’associerai aux œuvres d’Orlan ses propres paroles, les faisant résonner ensemble dans une alternance d’images et de discours, comme elle-même nous le propose souvent.

L’autoportrait nous regarde

De multiples photos d’Orlan dans des performances diverses, ainsi qu’une infinitude de restes d’elle-même (reliquaires, robes, suaires) composent une œuvre faite d’autoportraits. Une œuvre qui, par la multiplicité des techniques et des matériaux qu’elle utilise, devient une redéfinition même de l’autoportrait, autant qu’une interrogation sur les limites des arts plastiques dans une époque (les années 60) où ceux-ci ne se jouaient qu’à l’intérieur de la seule opposition peinture/sculpture. Car c’est sur son propre corps et avec sa propre substance qu’Orlan va le plus souvent travailler[4] et ce, ni dans la perspective d’un résultat esthétique classique, ni au travers d’une expérience créative qui viendraient confirmer l’acception la plus convenue de la sublimation[5] . Bien au contraire, c’est parfois très loin de l’expérience du sublime, précisément vers une déconstruction du corps, voire son ouverture, qu’Orlan nous conduit. Et pourtant, elle parle de son œuvre comme de la « construction de sa propre image »[6], dépliant un lien qui va sans cesse nous tenir en respect : « Je ne me suis jamais reconnue dans la glace » a-t-elle dit autrefois. « Je ne voyais que mon squelette. Ces photos que je multiplie c’est ma propre reconnaissance »[7].

C’est précisément dans cette double résonance que le travail d’Orlan m’a intéressée : d’une part comme œuvre spéculaire, c’est-à-dire construction de sa propre image, d’autre part comme interrogation des limites mêmes des arts plastiques et de ce entend par création artistique. Dans cette perspective, l’œuvre d’Orlan, lorsqu’elle touche aux frontières mêmes de la sublimation n’explore-t-elle pas, d’une façon insolite, une zone de contact et d’échange entre sublimation et narcissisme[8] ? Son parcours ne dessine-t-il pas alors un destin singulier du narcissisme, tout comme une forme particulière de subjectivation ? En effet, Orlan va jouer sur une sorte de « "désublimation" radicale de l’art »[9], au point où nombreux critiques et historiens de l’art sont allés jusqu’à se demander s’il s’agissait vraiment d’art. Désublimation, autant que dénarcissisation, si j’ose dire, car son œuvre consiste aussi dans une déformation radicale de son image corporelle. Toutefois, « ce que l’on nomme "sublimation" en psychanalyse ne saurait alors être réduit, selon sa définition classique, à un destin pulsionnel impliquant un changement de but et d’objet : [mais] elle produirait bien plutôt un nouveau lieu psychique »[10]. Un nouveau lieu psychique susceptible de promouvoir une auto-reconnaissance, un lieu psychique qui ne serait autre chose qu’une métaphore ou un tenant lieu d’une « surface corporelle investissable »[11]. Ainsi, ne s’agirait-il pas ici d’une transformation ou d’une production d’un nouveau lieu psychique à l’endroit même de la surface corporelle ? Alors, au lieu d’appliquer les règles de l’art (ou de la psychanalyse) dans une sorte de classification ou d’intrusion interprétative, venant vérifier et confirmer une théorie déjà existante, c’est au parcours d’Orlan d’apporter sa vérité, inédite et unique, sur sa création ou sur sa tentative d’engendrement d’auto-reconnaissance. Ce procédé nous préserve d’une certaine normalisation ou moralisation vis à vis de l’esthétique, mais aussi vis-à-vis du psychique, et accorde au travail d’Orlan la valeur d’énigme susceptible de contribuer à maintenir en mouvement la pensée analytique. Dans ce sens, de la même manière que le parcours d’Orlan interroge l’histoire de l’art, il peut aussi interroger la psychanalyse et en susciter une théorie. Car, si Orlan vient questionner la pensée qui dit qu’à la « bonne histoire de l’art » ne correspondraient que les « matières nobles »[12], elle questionne tout autant une tradition de la pensée analytique qui exclut de la création ou de la sublimation, voire de la subjectivation, certains processus psychiques, comme l’acte par exemple. Alors ce sont les « performances »[13] d’Orlan qui viennent mettre en question certaines idées qui sont devenues des maximes analytiques telles que l’acte court-circuite la pensée. Car, si la psychanalyse s’est habituée à penser l’élaboration psychique comme étrangère à l’acte, exclusive même, la clinique et la création artistique tendent, en revanche, à pointer quelques voies de passage entre acte et élaboration psychique. Face à l’œuvre d’Orlan, mais aussi face à certaines configurations cliniques, on est tenté d’ envisager certains passages par l’acte – très différents du passage à l’acte – comme des moyens singuliers d’élaboration de la forme corporelle. Dans ce sens, ne peut-on pas envisager les performances d’Orlan comme analogues à une perlaboration[14] ? La performance s’avançant presque comme une perlaboration par la forme. C’est en tout cas ce qui se dégage de l’œuvre d’Orlan lorsque c’est par sa propre déformation, par sa « performation », qu’une auto reconnaissance semble pouvoir advenir. Rien n’exclut néanmoins que cette auto-reconnaissance ne puisse se former que par une sorte de désidentification, c’est-à-dire d’affirmation de sa propre et structurelle étrangeté.

Une œuvre construite à partir d’une désarticulation du corps

Une des rétrospectives d’Orlan[15] s’ouvre sur une page de garde avec des photos de fragments de son corps qui s’alternent indistinctement : on y voit un pied, des mains, des seins, un sexe, des fesses, une radiographie des dents. Des morceaux de corps sont placés indifféremment, sans hiérarchie, sans fonction ni valeur, ni aucune différence selon qu’ils représentent l’intérieur ou l’extérieur du corps. En effet, depuis ses débuts, c’est à partir d’une véritable déconstruction et désarticulation du corps, qu’Orlan va bâtir son œuvre qui est paradoxalement l’élaboration même de « ce corps qu’il fallait qu’[elle se] réapproprie »[16]. Une première partie de son travail se produit sur support photographique. Ainsi, dans toute une série de photos inaugurales, Orlan (qui n’a que 17 ans à l’époque) se fait photographier nue. Dans ces photos, il s’agit le plus souvent d’une nudité sans visage : tantôt son visage est caché, tantôt elle porte un masque. Pourtant, les titres qu’elle donne aux photos ont ce que j’appellerais un effet visage[17]. C'est-à-dire qu’ils ont un effet presque figuratif, expliquant en quelque sorte ce que nous sommes en train de voir et ouvrant vers une histoire, une fiction. Ainsi on peut lire des titres tels que : "Corps sculpture sans visage sexe à l’avant en mouvement dansant avec ombre" ou encore "Corps sculpture sans visage avec cul", ou aussi "Tentative pour sortir du cadre avec masque".

Le thème du corps sans visage – ou sans propriétaire[18] – revient régulièrement sous des formes diverses comme lors d’une performance faite dans un marché au Portugal, en 1976, intitulé "Se vendre sur les marchés en petit morceaux". À cette occasion, Orlan vend les photos de parties de son corps découpées en taille réelle. Ainsi sont à vendre sa bouche, son oreille droite, oreille gauche, œil droit, oeil gauche, sein, nez, pied, bras, fesses, pubis, sexe, dos, torse, profil. Des découpes de tout son corps sont vendues indifféremment, et même le visage ne se présente pas comme un tout mais comme des parties découpées en bouche, nez, oreilles, œil droit et gauche, profil. Ce corps en mille morceaux ou cette expérience de décomposition du visage peut faire penser à d’autres artistes, parmi lesquels Francis Bacon ou Antonin Artaud. Des artistes dont les œuvres représentent à mon sens des destins surprenants d’expériences de non visage et de singulières élaborations du corps propre, d’un corps qu’il faut se réapproprier. « C’est sûr nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez un boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal » dit Francis Bacon[19]. Dans ce sens, l’œuvre d’Orlan nous expose elle aussi souvent à la vision d’un corps cru, (squelette, viande, exposition directe du sexe), mais elle explore également le voile, la fiction, les personnages, le masque, la parure.

La citation comme une parure

Une première période de l’œuvre d’Orlan est largement habitée par le thème du tissu, par la fabrique d’une parure, même si cette parure est souvent percée par une effraction corporelle, sexuelle : nudité, sperme, poils. Il en est ainsi pour la série Plaisirs brodés[20] où figurent des photos d’Orlan brodant un tissu. Aux cotés de ces photos se trouvent exposés un tissu brodé aux contours abstraits et une lettre adressée aux marchands d’art. Ceux qui ne se penchent pas pour lire la lettre exposée, ne voient pas autre chose que la figure d’Orlan dans une tenue et une pose si traditionnelles qu’on pourrait penser à une peinture de Vermeer[21]. Pourtant, à la lecture de la lettre on découvre que ce qu’elle brode ce sont les contours des taches de sperme et que le tissu exposé est un tissu brodé autour d’une tache de sperme. Cette découverte n’est pas sans faire effraction, elle apparaît comme une vision crue à laquelle on n’avait pas été préparée. Toutefois, ce que j’appellerais ces percées de crudité n’apparaissent, au début de son œuvre, que de manière circonscrite, presque comme des « figures de bord »[22], comme une sorte de ponctuation, ou comme un jeu de clair/obscur qui viendraient accorder à la parure davantage de portée, mais qui pourraient parfois passer inaperçus, voilés par l’apparence paisible de quelques scènes. Dans ce sens, l’esprit qui domine ces premiers travaux reste toujours, selon moi, du côté de la parure, de la parodie et de la citation. Ainsi, toute la série d’études sur le Drapé-le Baroque est une surenchère de la parure, un excès de parodie : elle concerne non seulement le tissu, mais aussi l’allusion à Sainte-Thérèse et transforme cette citation du personnage de la Sainte du Bernin en une sorte de deuxième parure, de rôle théâtral. Telle aussi la série de photos où Orlan apparaît en Grande Odalisque d’Ingres ou en Maja desnuda de Goya, ou encore en Venus de Botticelli.

Pourtant ces personnages-citations se dénudent[23] presque invariablement chez Orlan, laissant au spectateur la découverte de ce qui représente à mon sens la première et principale parure d’Orlan dans cette période sa propre nudité. Aussi, loin d’être dupe d’elle-même, Orlan va faire une performance qu’elle appellera « S’habiller de sa propre nudité »[24] : il s’agit de performances où elle porte une robe sur laquelle son corps nu est imprimé en taille réelle. Dans ce sens, toute cette première période apparaît dans une large mesure comme une exploration et une recherche sur le voile. Une étude du voile qui aboutit tantôt à sa chute tantôt à son autonomie, c’est-à-dire, tantôt elle se défait elle-même du voile (« Striptease occasionnel à l’aide des draps du trousseau »[25]) tantôt c’est le voile qui se défait d’elle en quelque sorte (« Robe sans corps Sculpture de pli n° 10 »[26]). Dans ce deuxième cas, Orlan va mettre en scène de multiples figurations de voiles qui n’ont rien à voiler[27]. C’est ce qu’elle fait aussi, d’une toute autre manière, dans le projet nommé « Le Plan du film »[28], où il s’agit d’une série d’affiches de films, sans pour autant qu’il y ait des films à promouvoir. Du film, il n’existe que l’affiche. Tout se passant comme s’il s’agissait ici d’accorder au voile une fonction inverse (ou réversible) à celle qu’il est sensé avoir : c'est-à-dire qu’au lieu de couvrir ou de cacher quelque chose c’est le voile qui pourrait l’engendrer, tout au moins en pensée. Ce ne serait pas la chose qui précède le voile mais le voile qui fabrique la chose. La robe sans corps, l’affiche sans film s’avanceraient ici comme une dénégation, une certaine manière de convoquer un corps -ou un film- par la négation et l’absence. C’est alors en de gestation que Jean-Pierre Rehm va parler du « Plan du film » : « Ici ce sont les images fixes qui se trouvent grosses des images en mouvement : le tableau anticipe son animation, la représentation prend le pas sur son incarnation »[29]. La parure, le voile, auraient dans ce sens, non seulement une vie propre, mais plus précisément une puissance animique. Ici l’image n’est pas l’effet de la vie mais plutôt sa cause, et le voile n’est pas un filtre qui en protègerait le sujet mais l’outil même de son engendrement, de sa gestation. Et Jean-Pierre Rehm de poursuivre : « Que l’image soit revendiquée première dans l’ordre de l’existence la fait rentrer au cœur d’un principe de survie. Une telle survie n’est ni pauvre mensonge dicté par une fatalité à se travestir, ni schizophrénie, ni non plus critique du règne du faux semblant et de ses codes opprimants. Ni guère plus, cela s’entend, vie au delà, vie supérieure. Se comprendre d’abord comme image est plutôt le signal d’une vie souhaitée au bord d’elle-même, délivrée du réquisit d’authenticité »[30].

Par ailleurs, cette métaphore d’images porteuses de vie, ainsi que d’autres figurations de la naissance ou de l’engendrement, très présentes dans l’œuvre d’Orlan, font ressortir, par contraste, de multiples évocations de la mort qui émergent aussi régulièrement de son parcours. À commencer par ce fait qu’elle rapporte si souvent lors des ses entrevues : « Avant je signais "Morte" » dit-elle.

« Je ne serais plus jamais "morte" »… mais la mort est-elle mortelle ?

Qu’est-ce alors que de ne plus être morte ? Est-ce être vivante ? Est-ce que ça coïncide avec le fait d’être née ? L’œuvre intitulée « Orlan accouche d’elle-même »[31] la figure en train d’accoucher paisiblement d’un mannequin inanimé. Mort et vivant dans deux corps qui s’engendrent l’un à l’autre. Orlan accorde une grande importance à cette œuvre qu’elle envisage comme origine ou prélude à beaucoup de déploiements ultérieurs de son travail, y compris ses performances chirurgicales[32]. Comment ne pas faire résonner cet étrange accouchement avec l’effet d’interprétation qui lui a fait dire si résolument « je ne serais plus jamais "morte" » ? Ces deux mouvements dessineraient en tout cas des figures de seuil, des voies de passage entre mort et vivant. Qu’est-ce qui meurt ? Qu’est-ce qui vit en moi ? Comment puis-je survivre à ma propre mort ? ou encore : Comment puis-je survivre à la mise à mort de ma propre mort ? Ces questionnements jaillissent, par intermittence, de l’œuvre d’Orlan.

C’est aussi dans ce contact avec l’idée de la mort que l’œuvre d’Orlan résonne avec les expériences traumatiques[33]. Cette œuvre, si elle évoque le traumatisme peut s’avérer être, elle-même, traumatique. « Peu de sortes d’images nous obligent à fermer les yeux : la mort, la souffrance, l’ouverture du corps, des aspects de la pornographie, pour certains ou pour d’autres l’accouchement. Ici les yeux deviennent des trous noirs dans lesquels l’image est absorbée comme de gré ou de force, ces images s’engouffrent et viennent taper directement là où ça fait mal, sans passer par les filtres habituels comme si les yeux n’avaient plus de connexions avec le cerveau »[34], dit Orlan à propos de son œuvre. En effet, l’expérience que j’ai nommée chute du voile s’est progressivement développée chez Orlan, aboutissant en quelque sorte à la chute de sa propre nudité, c'est-à-dire à la défaite de sa nudité comme voile ou parure. C’est ainsi qu’Orlan a traversé une période « d’ouverture du corps »[35], notamment avec ses performances chirurgicales. Lors de ces performances, elle transmettait par vidéo des opérations chirurgicales pratiquées sur elle-même et en particulier sur son visage. Pendant ces opérations, faites sous anesthésie locale, elle lisait des textes philosophiques, psychanalytiques et littéraires[36]. Par ces images d’ouverture du corps, devant lesquelles l’effroi nous oblige à détourner le regard, elle nous expose à « cette horrible découverte, celle de la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les secreta par excellence, la chair dont tout sort, au plus profond du mystère, la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui provoque l’angoisse. Vision d’angoisse, identification d’angoisse, dernière révélation du tu es ceci – tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe »[37]. Cette vision d’angoisse, cette identification d’angoisse, identification au plus informe n’est pas sans évoquer, elle aussi, la mort ou plus précisément l’expérience du deuil, car la confrontation au cadavre d’un proche ouvre pour tout homme une menace concernant sa propre corporéité. En effet, l’idée de décomposition du corps d’un proche peut réveiller des mouvements identificatoires dont la conscience obsédante de l’image tente paradoxalement d’en protéger le sujet. Car ce mort, ce corps gris, se présente comme un trou noir dans lequel je risque de couler, il ne cesse de me dire : « Tu es ceci ». Le deuil serait alors une œuvre psychique de remaniement identificatoire qui permettrait au sujet de survivre à la mort de l’autre, de refigurer des formes d’identification qui voilent ou refoulent cette identification au plus informe. Dans ce sens l’image d’Orlan accouchant d’elle-même ne serait-elle pas toute proche d’une expérience de deuil ? D’une œuvre de remaniement identificatoire face au mort, face à la mort, face à la Morte ?

Dans son texte "Actuelles sur la guerre et la mort"[38], Freud explique que la douleur éprouvée auprès du cadavre du proche va confronter l’homme originaire, par inférence, à sa condition d’être mortel et ainsi menacer sa croyance primitive en sa propre immortalité. Un clivage séparant corps et âme, est alors rendu inévitable pour préserver cette croyance dans l’immortalité de l’âme face à la décomposition imminente du corps : « Les modifications dues à la mort l’amenèrent à décomposer l’individu en un corps et une âme – à l’origine plusieurs ; ainsi donc ses pensées suivaient une démarche parallèle au procès de désagrégation déclenché par la mort. C’est sur le souvenir persistant du défunt qu’il se fonda pour admettre d’autres formes d’existence et cela lui donna l’idée d’une continuation de la vie après la mort apparente » [39]. La permanence des images corporelles ne se constituerait-t-elle pas alors sur le sol de cette croyance d’immortalité, au détriment d’un savoir sur le caractère périssable du corps ? Dans cette perspective, l’œuvre du deuil s’accomplirait le plus souvent par le clivage qui se constitue grâce à « la capacité de la pensée à laisser se désagréger l’image du corps cadavre »[40]. Et c’est paradoxalement le reste immortel (l’âme) qui rendrait possible à l’homme primitif une certaine acceptation de la mort, une élaboration de la perte. « Et ce qu’on appellera le deuil ne serait rien d’autre que l’expérience temporelle dont le survivant a besoin pour se former l’âme du proche qui lui est enlevé par la mort et ce faisant, pour se soustraire à la représentation que celle-ci puisse l’altérer »[41]. Cette âme immortelle serait ainsi accordée par amour à l’autre, et la croyance qu’elle engendre protégerait le sujet de la pensée de sa propre mort. Pourtant la pensée de sa propre mort déborde dans la clinique, tout comme dans la création artistique : « Je lis des textes le plus longtemps possible pendant l’opération, même lorsqu’on m’opère le visage. Ce qui donnait dans mes dernières opérations l’image d’un cadavre autopsié, dont la parole continuait encore, comme détaché du corps »[42], dit Orlan.

Dans ce sens, le parcours proposé par Freud pour rendre compte du travail de deuil – qui consisterait dans un clivage en un corps et une âme, en vue d’une préservation pour l’endeuillé de sa croyance dans sa propre immortalité – ne serait jamais complètement accompli. Selon cette proposition freudienne, la part d’étranger et d’ennemi du proche devrait reposer dans le corps du cadavre tandis que la part aimée du mort, matrice identificatoire pour l’endeuillé serait, quant à elle, éternelle[43]. Toutefois, l’ambivalence constitutive de l’homme ne se laisserait pas simplifier de la sorte, le conflit de sentiment portant tout autant sur le défunt que sur l’endeuillé lui-même. C’est ici que la mélancolie peut être convoquée comme paradigme car elle consisterait « dans l’impossible clivage généralement réussi dans le deuil au titre de processus de séparation de l’âme et du corps. Tout se passant comme si le mélancolique ne pouvait réussir ce clivage et tendait alors à identifier sa pensée au corps du cadavre, au point de laisser celle-là subir la décomposition de celui-ci. En ce sens le processus mélancolique est un processus de cadavérisation de la pensée »[44]. Dans certains cas c’est le corps lui-même qui devient cadavérisable, libérant la pensée de sa « mort conservée »[45] : je pense ici notamment à l’hypocondrie, à cette « grossesse d’un enfant mort »[46] selon la formulation de Pierre Fédida. Alors, même si, ici, il s’agit moins d’une cadavérisation du psychique que de la constitution d’une énigmatique « sépulture de soi »[47], le paradigme de la mélancolie semble pouvoir s’offrir comme un modèle métapsychologique suffisamment plastique pour approcher métaphoriquement de multiples configurations psychiques, voire des créations psychiques, qui figurent comme le devenir d’insolites identifications au mort.

Ainsi, l’ fabrique des reliquaires mise en place par Orlan ne serait-elle pas une manière de figurer quelque chose d’une Mort conservée ? : « Le principe de la suite est de faire le plus de reliquaires possibles jusqu'à l’extinction du corps, jusqu'à ce qu’il n’y ait plus de chair à mettre dans les reliquaires »[48]. Ces reliquaires, au lieu de représenter ce qu’ils représentent traditionnellement, c’est à dire des objets provenant d’un mort mais dotés d’un pouvoir animique et miraculeux, représentent dans l’œuvre d’Orlan, la mort(e) conservée du vivant. Comme si une catastrophe avait déjà eu lieu mais, que paradoxalement elle s’éternisait dans une sorte de « deuil immortel et immortalisant »[49]. Immortel car il ne s’agirait pas nécessairement de la mort, mais d’un « trou noir »[50], d’une expérience de disparition de soi qui se servirait de l’irreprésentable de la mort pour tenter, et ce serait un paradoxe, de se représenter. Tout se passant comme si le regard venait ici protéger le sujet du souvenir de sa disparition, la disparition étant là une mort sans sépulture[51]. De cette manière, le regard viendrait ici protéger de la disparition par la mise en scène de la mort elle-même.

Du regard comme antidote contre la mort

Pour raconter l’origine de ses performances chirurgicales, Orlan évoque souvent une intervention chirurgicale faite en urgence en 1979. C’était à Lyon lors d’un festival de performances qu’Orlan avait organisé durant cinq années. « Là, c’était une urgence. C’était un corps malade, un corps qui en avait besoin. On avait quarante minutes pour agir avant la mort. J’ai fait une grossesse extra-utérine. Je m’étais beaucoup préparée pour le festival ; je tenais à voir ce qu’allaient faire les artistes que j’avais invités, et tout s’est effondré d’un instant à l’autre. Mais j’ai eu quand même la présence d’esprit de demander à ce que la vidéo soit dans le block opératoire, et toutes les fois où une vidéo était faite elle était montrée dans le festival comme si c’était une performance programmée. L’idée revenait donc à se servir de la vie comme d’un phénomène esthétique récupérable. Il s’agissait de retourner la situation sur elle-même »[52]. Orlan dit vouloir « se servir de la vie comme d’un phénomène esthétique récupérable », justement en référence à cette vie sous anesthésie du block opératoire, cette vie absente, presque morte. De ce fait, le retournement de situation qu’elle propose ici ne serait-il pas précisément celui de la transformation d’une vie-morte[53] en une vie-vivante par une sorte d’opération de regard ? Tout se passant comme si le regard d’un autre avait un pouvoir animique ou que sa perte pouvait entraîner l’anéantissement ou la mort[54].

Ainsi la menace d’anéantissement de l’être et l’extinction du regard de l’autre semblent s’interchanger, se travestir l’une par l’autre, mais le plus souvent, on a l’impression que chez Orlan, l’idée de ne plus être regardée semble être plus terrifiante encore que la mort elle-même. « J’ai donné mon corps à l’art », dit elle, « car après ma mort il ne sera pas donné à la science, mais placé dans un musée, momifié. Il sera la pièce maîtresse d’une installation avec vidéo interactive »[55]. C’est ainsi qu’Orlan choque, souvent même elle terrifie. Mais sa reprise des techniques médicales, dans ses happening et ses performances artistiques posent bien des questions fondamentales. Des questions sur la mort et sur le corps. Car, à qui appartient la mort, ou le corps ? Justement ce corps qu’« il fallait qu’[elle se] réapproprie » ?

L’ouverture des corps comme scène primitive de la pensée moderne

« Sans chercher la moindre synthèse hâtive, il convient pourtant de rappeler que l’avènement d’une représentation anatomique du corps humain [associé à l’ouverture des cadavres qui commence à se généraliser en Italie puis dans toute l’Europe à partir de 1400], de même que la découverte d’un nouveau langage qui en articule la description, relève d’une profonde transformation des rapports de l’homme au monde, à la cité, à la divinité et à la mort, à la vérité »[56]. L’événement historique de l’ouverture des cadavres ne vient-il pas ici faire résonance avec le bouleversement provoqué par l’épreuve du deuil, par la confrontation au cadavre du proche, décrite par Freud en 1915 ? Dans un autre travail[57], j’ai établi une équivalence entre l’énigme de la mort et les énigmes originaires[58]. Dans ce sens, l’interrogation vers où partent les morts ? deviendrait l’envers de la question d’où viennent les enfants ? et s’imposerait comme une énigme susceptible de produire des théories qui tenteraient d’apaiser la menace provoquée par un non savoir. Dans cette même perspective, tout comme l’accouplement parental figure la scène primitive de l’énigme des origines, l’image du cadavre, et à plus forte raison l’image de l’ouverture des cadavres, viendrait ici tenir lieu de véritable scène primitive à l’énigme de la mort. C’est de cette énigme qu’est née la psychologie, dit Freud : « Ce n’est ni l’énigme intellectuelle, ni chaque décès, mais le conflit de sentiment, à la mort de personnes aimées et pourtant en même temps étrangères et haïes, qui a délié la recherche chez les hommes. De ce conflit de sentiment naquit en premier lieu la psychologie » [59]. Si la confrontation au cadavre d’un proche produit un clivage entre corps et âme, et si ce clivage est à l’origine de la psychologie (en tant que science de l’âme), ne doit-on pas envisager l’ouverture des cadavres comme le point d’origine historique d’un autre type de clivage : ce qui auparavant était la seule propriété de l’Eglise, se trouvera alors partagé entre les domaines médicaux, psychologiques ou artistiques. Tout se passant comme si le clivage imposé par le deuil à chaque homme, avait été aussi imposé au corps social par l’ouverture des cadavres. Ce dernier clivage aurait alors engendré d’une part la psychologie, identifiée à l’âme et ses déboires, d’autre part l’anatomie, placée du côté de l’identification au corps du cadavre[60], et enfin l’art figurant l’issue toute purifiée, sublime même, de ce carnage. Si Freud dit bien psychologie, en se gardant d’exposer la psychanalyse à cette version romantique dont il connaissait bien le danger, ses successeurs n’ont pas toujours échappé à ce piège romantique… et paradoxalement mélancolique. Comment alors échapper au danger normatif (dans lequel on pourrait reconnaître un Surmoi féroce) qui ne cesse de guetter la psychanalyse de nos jours ? Freud dirait sans doute d’allez voir du côté des poètes ! Nous répondrions : volontiers, mais chez les plus subversifs ! « L’art qui m’intéresse s’apparente à de la résistance. Il doit bousculer nos a priori, bouleverser nos pensées, il est hors normes. Il est hors loi. Il est contre l’art et l’ordre bourgeois […] L’art n’est pas une décoration pour les appartements, car nous avons déjà pour ce faire les aquariums, les plantes vertes, les napperons, les rideaux et les meubles » [61].

L’art comme « l’ouverture à tout possible »[62]

Selon moi, nous nous trouverions aujourd’hui dans une configuration où l’art plastique vient justement subvertir ce clivage romantique qui s’est emparé de la pensée moderne et qui attend souvent de l’art (et de la psychanalyse ?) l’inverse même de sa démarche : conforter le refoulement. Ainsi on peut citer Kenneth Clark lorsqu'il revendique « l’idéalité du nu » en indiquant que « nous ne considérons pas le nu en tant qu’organisme vivant, mais en tant que dessin ». Il signifie alors que pour que le nu soit considéré comme une forme d’art, on devrait parvenir à se débarrasser de la nudité en lui : « La nudité [nakedness], c’est l’état de celui qui est dépouillé de ses vêtement ; le mot évoque en partie la gêne que la plupart d’entre nous éprouvent dans cette situation. Le mot "nu" [nude], en revanche, dans un milieu cultivé, n’éveille aucune association embarrassante. L’image imprécise qu’il projette dans notre esprit n’est pas celle d’un corps transi et sans défense, mais celle d’un corps équilibré, épanoui et assuré de lui-même : le corps remodelé […] Le nu est une forme d’art [art form] inventée par les Grecs au Ve siècle avant J.-C., de même que l’opéra est une forme d’art inventée en Italie au XVIIe siècle »[63]. Dans son ouvrage Ouvrir Vénus, Georges Didi-Huberman va justement critiquer cette pensée romantique et désexualisante du nu artistique, pour nous amener, au travers d’une iconologie toute warburgienne, aux sources charnelles, voire même cruelles qui agissent souterrainement dans l’attrait qui émane de la Vénus « Céleste »[64]. Il va nous proposer alors une analyse tout aussi subversive que l’œuvre d’Orlan qui est, elle aussi, traversée par la référence à Vénus[65] de Botticelli. Ainsi, dit-il, « il ne suffit donc pas de répéter après Warburg, comme l’ont fait tant d’historiens d’art, que la Naissance de Vénus a pour source littéraire directe les Stanze de Politien qui décrivent la même "scène" ou la même histoire »[66]. Mais plus précisément, « le texte littéraire lui-même doit être lu à la façon dont on lit les récits de rêve et les récits mythologiques depuis Dumézil ou Lévis Strauss : c'est-à-dire sans rien omettre – règle fondamentale –, sans rompre les chaînes associatives, sans tronquer les polarités, sans apaiser les tensions dialectiques »[67]. Ainsi, à côté de l’allégresse, la sensualité et le bonheur, le texte de Politien décrit également « un terrible "roulement de planètes" et "l’orageuse mer Égée" toute agitée de sa catastrophe divine : la chute gigantesque du "morceau génital" d’Uranus, tranché par son fils Saturne… Politien insistant pour dire que "l’on voit" l’organe monstrueux "errer à travers l’onde dans la blanche écume" […] récit où ne nous auront été épargnés ni le "jaillissement du sang", ni celui du sperme lui-même. […]Politien faisait rimer l’horror de la castration du ciel avec la pudor de la déesse naissante »[68].

Par la suite, Didi-Huberman décrit toute une série de Vénus qui vont défiler l’une après l’autre, de façon tant associative qu’anachronique : de la Vénus Céleste à la Venus Vérité[69], de la Vénus des Médicis[70] à l’insolite Vénus des médecins[71]. Ainsi on va, chez chacune, traverser le sublime, la naissance, le meurtre, la violence, jusqu’à l’ouverture du corps, jusqu’à l’informe. Mais si le mélange d’horreur et de pudeur, de cruauté et de sensualité est omniprésent chez toutes ces Vénus, le passage de la Vénus Céleste à la « Vénus [ouverte] des médecins » coïncide avec une exposition de plus en plus explicite de l’horreur[72]. Cette plongée dans l’horreur, qui reste voilée dans La Vénus Céleste, chef d’œuvre classique de l’art de la Renaissance, explose, s’explicite dans la Vénus des médecins, ce modelage en cire – considéré comme un art mineur, parfois même étranger au domaine artistique. Dans cette perspective, devrait-on penser que la réalisation artistique consisterait précisément à voiler l’horreur ? L’art contemporain veut en tous cas revendiquer le contraire. « Nul doute que l’art n’ait essentiellement le sens de la fête, mais justement dans l’art comme dans la fête, une part a toujours été réservée à ce qui semble l’opposé de la jouissance et de l’agrément. […] L’art sans doute, n’est nullement tenu à la représentation de l’horreur, mais son mouvement le met sans mal à la hauteur du pire et, réciproquement, la peinture de l’horreur en révèle l’ouverture à tout le possible »[73]. L’art contemporain figure souvent l’horreur, et nous fait voir « cette ouverture à tout le possible ». Il propose à la psychanalyse une voie royale vers ce possible, qu’il ne s’agirait pas de réduire à une simple classification nosologique (comme la perversion par exemple).

De l’art à la psychanalyse

« Le psychanalyste n’éprouve que rarement l’impulsion à mener des investigations esthétiques, et ce même lorsqu’on ne réduit pas l’esthétique à la doctrine du beau, mais qu’on la décrit comme doctrine traitant des qualités de notre façon de sentir. Il travaille dans d’autres strates de la vie de l’âme et a peu affaire aux motions de sentiment inhibés quant au but, amorties et dépendantes de tant de constellations concomitantes, qui sont le plus souvent le matériau de l’esthétique. Ici et là, il arrive pourtant qu’il lui faille s’intéresser à un domaine déterminé de l’esthétique, et alors, il s’agit habituellement d’un domaine situé à l’écart et négligé par la littérature spécialisée de l’esthétique. L’"inquiétant" est un de ces domaines. Il ne fait pas de doute qu’il ressortit à l’effroyable, à ce qui suscite l’angoisse et l’horreur »[74]. Dans cette perspective, si Orlan vient questionner ce qu’on entend par l’art, elle interroge aussi ce qu’on entend et ce qu’on attend de la psychanalyse dés lors que celle-ci s’intéresse à la création artistique. Question qui n’est pas sans répercussions sur la clinique, car pour Orlan « la psychanalyse et la religion s’accordent pour dire qu’il ne faut pas attaquer le corps, qu’il faut s’accepter soi-même. Ce sont des pensées primitives, ancestrales, anachroniques. Nous pensons que le ciel va nous tomber sur la tête si nous touchons au corps. Pourtant bon nombre de visages accidentés ont été refaits. De nombreuses personnes ont eu des greffes d’organes, et combien déjà de nez redressés ou raccourcis hument l’air sans problèmes, tant physiques que psychologiques.[…] On peut donc dire que mon travail est blasphématoire pour peu que l’on croie en Dieu. C’est une tentative pour faire bouger les barreaux de la cage, tentative radicale et inconfortable »[75]. Cette critique peut en effet résonner avec certaines affirmations ou jugements faits au nom de la psychanalyse et véhiculés notamment par les médias : du pacs à l’art contemporain en passant par la recherche scientifique, la psychanalyse vient souvent, au nom d’une « bonne parole »[76], édicter son jugement. Ainsi de la même manière que cette psychanalyse s’applique si volontiers à l’art et aux faits sociaux, certains praticiens vont l’appliquer à la clinique elle-même. De cet exercice, la psychanalyse en sort souvent déçue : point de névrose, point d’Œdipe, point de sublimation, dit-elle. Deviendrait-elle mélancolique face à un supposé objet idéal qui l’aurait abandonnée ? Romantique et nostalgique, la psychanalyse ? Alors même que sa conception renvoie, au contraire, à une double transformation – asymétrique et méthodique – du patient et de la théorie analytique elle-même. En effet, selon la méthode freudienne c’est à partir du cas que naît la théorie. Ainsi la clinique, tout comme les créations artistiques, seraient le terrain de la métamorphose permanente et nécessaire de la psychanalyse. La méthode analytique freudienne serait assez proche de l’iconographie warburgienne pour qui les sources littéraires sont moins des outils de simplification, voire de résolution, que des outils de complexification. Ainsi « l’iconologie [comme la psychanalyse] est abusive seulement lorsqu’elle se sert des textes et des contextes comme autant des clés d’interprétation »[77]. Au contraire, il s’agit d’ouvrir, à travers l’art et la clinique, à un travail critique de la pensée sur elle-même, non pas pour défendre ou attaquer une œuvre mais pour écouter ce qu’elle a à dire et qui lui est étranger, étranger à l’œuvre elle-même et à la théorie analytique. Ainsi, tout comme ce disait Foucault : « Qu’est-ce donc la philosophie [ou la psychanalyse] aujourd’hui […] si elle ne consiste pas, au lieu de légitimer ce qu’on sait déjà, à entreprendre de savoir comment et jusqu’où il serait possible de penser autrement ? Il y a toujours quelque chose de dérisoire dans le discours philosophique lorsqu’il veut, de l’extérieur, faire la loi aux autres, leur dire où est leur vérité et comment la trouver, ou lorsqu’il se fait fort d’instruire leur procès en positivité naïve ; mais c’est son droit d’explorer ce qui dans sa propre pensée, peut être changé par l’exercice qu’il fait d’un savoir qui lui est étranger »[78].

L’exercice de la psychanalyse, théorique et clinique, ne doit-il pas alors s’approcher d’une œuvre d’altérité, voire même d’une œuvre d’étrangeté ? Exercice « radical et inconfortable »[79], d’une exigence particulière car « il ne suffit pas de ne jamais avoir connu l’homme pour être étranger. Devenir l’étranger »[80]. Le travail d'Orlan entre alors dans une étonnante résonance avec la cure analytique lorsqu'elle ouvre, elle aussi, à une singulière auto-reconnaissance par la confrontation au plus étranger en soi.

Andréa Linhares

Références

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[1] Psychanalyste, Chargée d’enseignement à l’université Paris 7 Denis Diderot, 132 Rue du Faubourg Saint-Martin 75010 Paris.

[2] Lygia Clark, (1997) Co-édition Fondacio Antoni Tapies; MAC Galeries Contemporaines des musées de Marseille; Fundaçao de Serralves, Porto; Société des Expositions du Palais des Beaux Arts, Bruxelles; Rmn , Paris, p.164. Cité par Pierre FEDIDA (2000) in « Par où commence le corps humain », Paris PUF, p. 116.

[3] Orlan (1997) de l’art charnel au baiser de l’artiste, Paris, Jean Michel Place et Fils, p.27.

[4] Ainsi les techniques utilisées par l’artiste dans cette mise en scène de soi se déclinent depuis la transformation de son image par le travestissement en différents « rôles », jusqu’au morphing à l’aide de logiciels informatiques, en passant aussi par la chirurgie plastique. Elle utilise l’empreinte des matières corporelles le dessin avec ses substances (dessins avec du sang, etc.).

[5] Dans son acception première de détournement pulsionnel, de destin pulsionnel impliquant un changement de but et d’objet.

[6] « Toutes ces œuvres sont importantes pour moi puisqu’il s’agit d’une construction de ma propre image » in Orlan (2000) Monographie Multimédia - Cd-rom , Paris, Jériko, ; commentaire sur les premières œuvres.

[7] Cité par LEMOINE-LUCCIONI Eugénie (1983), in La Robe, essai psychanalytique sur le vêtement, Paris, Le Seuil, p. 140.

[8] Cf. LE POULICHET, S. (1996) L’art du danger de la détresse à la création, Paris Anthropos, p. 5.

[9] BUCI-GLUKSMANN, C. (2004) in Orlan, Catalogue publié avec le concours du Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire à Carquefou, à la suite de l’exposition « Eléments favori » (28 novembre 2002- 16 février 2003) et du Centre national de la photographie à Paris, à l’occasion de l’exposition « Orlan les méthodes de l’artiste »(31 mars-28juin 2004), Paris, Flammarion, p. 238.

[10] LE POULICHET, S. (1996), Op. Cit. , p.V.

[11] Ibid.

[12] Cf. Von Schlosser, J. (1911) Histoire du portrait en cire, Paris : Macula, 1997.

[13] Ici à l’ du performatif (quand dire c’est faire), faire c’est dire, ou presque.

[14] Freud envisage la mise en acte comme un substitut du souvenir sous l'influence de résistance. Le parcours analytique correspondrait alors à la découverte des résistances et à la perlaboration de celles-ci pour atteindre le matériel refoulé. Cf. FREUD S. (1914) « Remémoration, répétition, perlaboration », in , Paris, PUF, 1994.

[15]ORLAN (2000) Monographie Multimédia - Cd-rom , Paris, Jériko.

[16] ORLAN (2004) Catalogue, Op. Cit., p.190.

[17] Voir à ce sujet ce que j’ai pu appeler la « fonction visage » in LINHARES Andréa, « Quand le sexe fait visage : l’identité sexuelle au regard de la clinique du dévisagement » à paraître in Revue Champ Psychosomatique. Paris : L’esprit du temps numéro consacré aux « Corps extrêmes ».

[18] Tout se passant comme si le visage avait justement une fonction d’appropriation du corps : « Le visage humain, dit Antonin Artaud, est (…) tout ce qui reste de la revendication révolutionnaire d’un corps qui n’est pas et qui ne fut jamais conforme à ce visage. » ARTAUD, A. (1947) Le Visage Humain, cité par Paule Thévenin in Antonin Artaud : dessins et portraits, Paris Gallimard, 1986, p.37.Et revendication renvoie très précisément au sens d’appropriation : «Action en justice par laquelle on fait reconnaître le droit de propriété qu'on a sur un bien». Dictionnaire LE ROBERT.

[19] Cité par DELEUZE, G. (1981) Francis Bacon logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p.30.

[20] « Plaisirs brodés. Etude documentaire n° 1. Couture-Clair/Obscur » 1968, in Orlan (2004) Catalogue, Op. Cit., p. 26.

[21] Je verrai très explicitement « La dentellière » (vers 1665, Huile Sur toile, Paris Louvre), mais Orlan n’en fait pas allusion directe.

[22] Selon l’expression de Louis Marin qui renvoie à ces « personnages secondaires » qui composent le fond d’une toile et fabriquent une bordure à la scène principale. Formule citée par Daniel Arasse dans On n’y voit rien, Paris : Denoël, 2002, p. 69.

[23] Y compris Sainte-Thérèse.

[24] Ces performances ont eu lieu en 1976-1977. Cf. Orlan (2004) Catalogue, Op. Cit., p.49.

[25] Performance qu’elle donne 1974-1975. Cf. Orlan (2004) Catalogue, Op. Cit., p. 28-29.

[26] Draps du trousseau amidonnés. (1983) Galerie Peccolo, Livorno, Italie. Cf. Orlan (2004) Catalogue, Op. Cit., p.86.

[27] Ce qui n’est pas sans me faire associer à la représentation classique du fantôme.

[28] Cf. ORLAN (2004) Catalogue, Op. Cit., p.210.

[29] REHM, J- P. (2001) « Annonciation d’un corps à plat », dans ORLAN « Le plan du film », Paris, Editions Al Dante, CD et Livret, p.8.

[30] Ibid p. 16-17.

[31]Photographie 1964. Orlan y est assise en position réflexive, les jambes écartées, de son sexe « sortirait » un mannequin sans bras qui regarde dans la même direction qu’elle-même.

[32] Cf. ORLAN (2000) Monographie Multimédia, Op.Cit.

[33] Ainsi pour Ferenczi « Le choc est l’équivalent de l’anéantissément de soi » in FERENCZI, S. (1934), « Réflexions sur le traumatisme », Psychanalyse IV Œuvres Complètes (1927-1933), Paris : Payot 1982, p.139.

[34] « Orlan conférence » in ORLAN (1997) « De l’art charnel au baiser de l’artiste », Op. Cit., p.35.

[35] Tout se passant comme si « le corps ouvert, l’écorché, [était] à un corps nu ce que celui-ci est à un corps drapé. » Cf. G. Didi-Huberman, (1999)Ouvrir Vénus. Nudité, rêve, cruauté, Paris : Gallimard, p. 40-41.

[36] Elle cite souvent des textes d’Eugénie Lémoine Luccioni, Michel Serres, textes hindous, sancrits, Alphonse Allais, Antonin Artaud, Elisabeth Fiébig Bétuel, Raphaël Cuir, Julia Kristeva… Ainsi on est toujours « main dans la main » avec la citation.

[37]. J. Lacan, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la théorie psychanalytique. Le Séminaire II, Paris : éd. du Seuil, 1978, p. 186.

[38] FREUD, S. (1915), Actuelles sur la guerre et la mort , in Œuvres Complètes XIII, Paris, PUF, 1994.

[39] Ibid., p. 150.

[40] P. Fédida, (1995) Le Site de l’étranger, Paris : PUF, p. 95.

[41] Ibid.94

[42] ORLAN (1997), Op.Cit, p.39.

[43] « Pour cet homme anachronique , la mort des autres qu’on appelle ses « proches », la douleur qu’il éprouve auprès de leur cadavre entraîne à comprendre que l’étranger à soi-même est celui - inconnu- que la mort a touché. Cependant rien ne saurait altérer la personne pour autant que le moi se définit par son identification à ce qui lui appartient. » P. Fédida, (1995), Op. cit., p. 94.

[44] Ibid, p. 96.

[45] Selon la formulation de P. FEDIDA, Ibid. p. 98.

[46] Selon la formulation de P. FEDIDA, Ibid. p. 97.

[47] Selon la formulation de P. FEDIDA, Ibid. p. 97.

[48] ORLAN (2004) Catalogue, Op. Cit., p.194.

[49] Selon la formulation de P. FEDIDA, Ibid. p. 97.

[50] « Ici les yeux deviennent des trous noirs dans lesquels l’image est absorbée comme de gré ou de force » Cf. infra « Orlan conférence » in ORLAN (1997) Op. Cit., p.35.

[51]Mort sans sépulture dans le sens d’une mort qui n’a pas eu un lieu corporel pour que la disparition devienne acceptable psychiquement. Cf. les travaux de Pierre Fédida ainsi que l’ de L.LAUFER : « Quand le lieu de sépulture est un reste du disparu » Face à La Guerre Revue Champ Psychosomatique . : L’esprit du temps, 2003, pp.113-128.

[52] ORLAN (2004) Catalogue, Op. Cit., p.197.

[53] Qu’on peut assimiler à l’anesthésie générale.

[54] Ce qui n’est pas sans faire penser au stade du miroir où l’enfant se retourne vers l’adulte pour obtenir la caution de son image. Que serait dans ce contexte « retourner la situation sur elle-même » ? Est-ce mimer l’enfant et le parent dans un devenir circulaire contre toute menace de disparition ?

[55] ORLAN (1997), Op. cit., p. 41.

[56] FEDIDA, P. (1971) « L’anatomie en psychanalyse », in Lieux du Corps, Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 3 Printemps, Paris, Gallimard. Cf. également FOUCAULT, M. (1963) Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1997.

[57] LINHARES Andréa, « Les théories infantiles face à l’énigme de la mort », Les vivants et les morts, Revue Champ Psychosomatique . : L’esprit du temps, 2003, pp.39-55.

[58] Enigmes originaires renvoyant ici à la question des origines et la différence des sexes ainsi que Freud le propose dans son article sur les « théories sexuelles infantiles ». Cf. FREUD, S. (1908), « Les théories sexuelles infantiles », in La Vie sexuelle. trad. fr., Paris : PUF, 1995.

[59] Et Freud de poursuivre : « L’homme ne pouvait plus tenir la mort à distance, étant donné qu’il y avait goûté dans la douleur ressentie pour le défunt, mais il ne pouvait pas l’admettre, parce qu’il ne pouvait se représenter lui-même mort.(…) Les modifications dues à la mort l’amenèrent à décomposer l’individu en un corps et une âme – à l’origine plusieurs- ; ainsi donc ses pensées suivaient une démarche parallèle au procès de désagrégation déclenché par la mort . C’est sur le souvenir qu’il se fonda pour admettre d’autres formes d’existence et cela lui donna l’idée d’une continuation de la vie après la mort apparente» in FREUD (1915) Op.cit., p. 150.

[60] Comme l’évoque également l’expression « la mélancolie de l’anatomiste » de Starobinski cité par FEDIDA(1971), Op. Cit., p.110.

[61] ORLAN (1997), Op. cit. p. 36

[62] Selon la formule de Georges BATAILLE in « L’art, exercice de cruauté » (1949), Œuvres complètes, XI, Paris, Gallimard, 1988, p. 480, cité par G. Didi-Huberman, (1999)Ouvrir Vénus. Nudité, rêve, cruauté, Paris : Gallimard, p. 98.

[63]CLARK, K. Le Nu cité, Paris, Le livre de Poche, 1969, cité par G. Didi-Huberman, (1999), Ibid, p.16.

[64] C’est de par cet adjectif que Kenneth Clark aime se référer à la Vénus de Botticelli : « Que le visage de la déesse chrétienne avec toute sa compréhension et sa délicatesse de vie intérieure puisse être posé sur un corps dénudé sans provoquer la moindre dissonance, c’est assurément l’ultime triomphe de la Vénus céleste » K. Clark cité par G. DIDI-HUBERMAN, Op. cit., p.14. L’adjectif céleste n’est pas sans rappeler l’explication classique qui est donnée aux enfants (et truffé de refoulement) concernant l’énigme de la mort : « les morts vont dans le ciel » Cf. LINHARES, A.(2003) Op. cit.

[65] Aussi bien au début de sa carrière, lors du « strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau » (1974-1975), et ensuite dans la performance -exposition nommée Omniprésence(1994), cf. Orlan (2004) Catalogue, Op. Cit., p.144-147.

[66] G. DIDI-HUBERMAN, Op. cit., p. 32.

[67] Ibid p. 35.

[68] Ibid p. 35,36.

[69] La « vénus céleste » dans le tableau La naissance de Vénus, la « vénus Vérité » dans le tableau La Calomnie, tous deux de Botticelli. Cf. G. DIDI-HUBERMAN, Op. cit., p.21 et p.1.

[70] Marbre grec ou romain anonyme du 1er siècle avant J.C., cf. G. DIDI-HUBERMAN, Op. cit., p. 19

[71] Une vénus de cire extraordinairement réaliste – jusqu’aux yeux en verre, aux cheveux réels et la pilosité pubienne-, cette vénus maquillée, parée d’un collier de perles vraies, étendue sensuellement sur un drap blanc était « démontable » : « l’étudiant en médecine pouvait méthodiquement, tranquillement, franchir les limites de sa chair, l’ouvrir jusqu’au cœur et jusqu’au secret de la matrice. » Ibid, p.107-113.

[72] Pour ma part j’ajouterais bien volontiers à cette « anthropologie de l’image » de Vénus, une autre Vénus fort actuelle qui figure dans le film Vénus Boys, une Vénus transsexuelle, tantôt drag-king, tantôt drag-queen, qui figure une autre sorte de polarité, non plus pudeur - cruauté, mais féminin - masculin.

[73] BATAILLE, G. « L’art, exercice de cruauté » (1949), Œuvres complètes, XI, Paris, Gallimard, 1988, p. 480, cité par G. Didi-Huberman, (1999)Ouvrir Vénus. Nudité, rêve, cruauté, Paris : Gallimard, p. 98.

[74] FREUD, S.(1919) L’inquiétant, in Œuvres Complètes, XV, Paris, PUF, 1996, p. 151. C’est moi qui souligne.

[75] Orlan (1997), Op. cit., p.41.

[76] Cf. MEHL, D. (2003) La bonne parole : quand les psys plaident dans les médias, Paris, Editions de la Martinière.

[77] Didi-Huberman, G. (1999), Op. cit., p. 31.

[78] FOUCAULT, M. Histoire de la sexualité II – L’Usage des Plaisirs, Paris, Gallimard, 1990, p.14.

[79] Comme cette « tentative pour faire bouger les barreaux de la cage » dont parle Orlan, « tentative radicale et inconfortable » Orlan (1997), Op. cit., p.41.

[80] P. Fédida, (1995), Op. cit., p.2.