Notes sur la transmission

Par Hélène Godefroy et Olivier Douville

Poser la question de la transmission implique de discuter de la contribution du psychanalyste au savoir analytique. La transmission passe par le désir de l’analyste, par ce qui surgit de la propre cure du futur psychanalyste et des modalités de son rapport à ce qui est nommé « désir de l’analyste » soit un désir qui nécessairement permet à la psychanalyse de toujours advenir. Le «désir» de celui-ci se déroule sur deux niveaux : le premier concerne la situation analytique singulière de la séance, et celle de l’invention ; le second intéresse la dimension historique de la psychanalyse, soit sa situation comme «bien de culture» et nécessaire foyer d’interrogation des modalités contemporaines du malaise dans la culture.

Le divan est le moteur de la transmission; en tant qu’elle participe sous le couvert de ses propres formations de l’inconscient à la formation du futur analyste. Autant dire que le savoir dont il s’agit ne se totalise pas, il est à chaque fois lié à la rencontre d’un nœud entre désir et réel, entre horreur et chiffrage de cet horreur par le symptôme et le fantasme et que s’il se transmet c’est d’abord en temps qu’expérience. Une telle proposition indique que les conditions d’invention de la psychanalyse sont aussi dépendantes des dispositifs de normativation et d’objectivation de ces expériences de savoirs au sein des politiques de la psychanalyse et de son rapport à ses doxas.

En ce sens il s’agira de distinguer ce que serait une transmission soumise à un diktat surmoïque de fidélité où le texte mort gouverne et pétrifie l’invention au risque de faire surgir la figure d’un Autre incarné, de celle reposant su l’accueil de ce qui étrangifie, déplace, crée des métaphores, des abris et des passerelles possibles là où le sujet s’est trouvé en risque d’effacement.

Voilà donc que la dynamique transférentielle n’est pas un acte autarcique. Impossible, pour devenir psychanalyste, de se contenter du seul mouvement de sa cure ; sans quoi, l’acte analytique ne pourrait se sortir de son registre narcissique.

En fait, un acte posé dans le déroulement d’une séance, est un acte qui forcément se pose en même temps dans le champ de la discipline. Le psychanalyste, à partir de ce qui se joue dans le mouvement transférentiel, va, à un moment donné, introduire un élément exogène dans le défilé du discours de son analysant. Non seulement cet élément signifiant va agir du côté de l’économie psychique du sujet, mais, il va induire, en même temps, un petit quelque chose de plus du côté de la psychanalyse. C’est donc un acte de transmission, non seulement du côté de l’analysant, mais également du côté du Savoir analytique.

Par ailleurs, la cure de l’analysant ne peut prendre sens que dans cette condition précise, où cette instance tierce - qui fonctionne comme signifiant premier, et donc agit comme « opérateur » -, soit convoquée par l’analyste. Qu’elle soit convoquée non pas par le discours du maître (en tant que « tout savoir » explicatif), mais par son registre référentiel auquel l’analyste, par son propre travail d’analyse et ses connaissances théoriques, est foncièrement assujetti.

L’acte analytique est, en définitive, toujours une épreuve à trois,

Il est d’autant plus une épreuve à trois, que tout psychanalyste, "installé" de fraîche date ou depuis plus longtemps, à son tour, possède aussi, en arrière-plan, un repérage théorique, qu'il peut lui-même reconnaître, pour l’avoir saisi lors de sa cure. Mais, pour ce faire, il ne peut se contenter ni de sa propre cure, ni d’une analyse didactique, ni de ses propres théories spontanées. La transmission nécessite que ses théories spontanées doivent être soutenues par les théories princeps des générations précédentes (Freud, Lacan et quelques autres) ; mais aussi confrontées à celles de ses confrères. Une confrontation théorique, dont les colloques, congrès et autres séminaires, sous l’étendard de quelques associations, lui offrent la possibilité, dès lors, de prendre part au débat psychanalytique… et donc de la transmission.

Ainsi, quelque chose se noue progressivement entre son implication personnelle et le savoir analytique auquel il est désormais affilié. Du divan au fauteuil, dans cet entre-deux du travail analytique, l’épreuve à trois se décale d’une génération. Et, ainsi, l’« acte » posé par le jeune analyste dans l’espace de ses séances avec ses premiers patients, établit le point de jonction constituant ce moment-support de la transmission d’une génération à l’autre.

Hélène Godefroy et Olivier Douville