Mise en exil de la lettre : l’œuvre d’Artaud pour témoignage

Par Roselyne Leparoux[1]

Soutenir notre propre lecture des écrits d'Antonin Artaud et interroger le principe sous-jacent consiste à entrevoir en filigrane ce qui se dessine comme notre position clinique dans l'organisation de ce commentaire. Être attentif et sensible à ce qu'élabore Artaud à travers son œuvre, de ses intuitions lucides jusqu'à son discours d'allure clinique en ce qui concerne son être et sa création nécessaire, nous conduit à reconnaître un savoir par lui détenu, lequel dit sa souffrance et les voies qu'elle emprunte pour s'exprimer. L'œuvre d'Artaud guide notre repérage de l'évolution de son discours et de son travail d'écriture : elle vient interroger, tester le cadre psychanalytique lacanien. La fonction de l'écrit via la mise en exil de la lettre travaillée par Artaud interpelle et éclaire par conséquent les concepts psychanalytiques coordonnés. Ceci précise ce qu'il en est de notre approche de la clinique dans le texte. Notre appel à l'œuvre d'Antonin Artaud la situe comme témoignage d'une articulation entre l'entrée dans la psychose et l'acte d'écrire. Notre hypothèse habite l'idée que l'entrée dans la psychose fait tournant dans l'écriture et l'œuvre d'Artaud. Qu'est-ce qu'écrire pour Artaud ? Dans quelles perspectives met-il à contribution l'acte d'écrire ? Dans quelle mesure l'étude de son expérience créatrice nous permet-elle de nous interroger sur la question de la psychose ?

Les travaux de Lacan creusent le discours et son éclatement, questionnent l'écrit et la fonction du signifiant corrélée à celle de l'objet et de la lettre. Ils nous conduisent à pouvoir dégager le point de rupture dans l'œuvre d'Artaud, en repérant l'exil de la lettre. Le cadre du théâtre sera questionné dans l'utilisation et les apports d'Artaud et contribuera à cerner le déferlement de l'écriture signé par la mort du théâtre dans son œuvre. Un nouvel angle d'approche est nécessaire pour appréhender le théâtre dans la vie d'Artaud : supposons l'instance théâtrale telle une sorte de tremplin de création, qui évite à Artaud dans un premier temps, d'être confronté au surgissement des questions psychotiques fondamentales ayant trait au désir de l'Autre et à l'énigme de l'être. Le théâtre, en tant que mise en place de procédés créatifs élaborés dans un système de pensée adéquat, visant à contourner ce qui relève de la psychose, renferme cependant le risque de n'être pas suffisamment consistant et inébranlable pour qu'Artaud y demeure en maître et que le danger de l'entrée dans la psychose se trouve durablement écarté. Dans le repérage d'un effondrement manifeste de son rapport premier à l'écriture, à la lettre, non régi par un principe de sublimation, nous travaillerons les moyens qui restent à Artaud pour masquer ce qui se révèle brutalement dans la psychose, jusqu'à fonder une œuvre férocement nouvelle et gigantesque.

Mise en actes du théâtre

Le théâtre : entre poésie et Écriture

À partir de 1927, Artaud renonce à s'exprimer à travers la figure du poème, portée tout au long de sa jeunesse. Le théâtre comme « forme majeure de la poésie »[2] occupe alors la première place sur la scène créative jusqu'aux alentours de 1935. Le travail d'écriture qui garde une fonction de soulagement extrême, s'inscrit dans l'invention et la poursuite d'une langue nouvelle, au -elà de l'échange et du don. Le « théâtre pur » exige un « nouveau langage physique à base de signes et non plus de mots »[3] et un travail approfondi de la mise en scène afin de prendre en compte toutes les « nécessités organiques de la vie »[4] qui dépassent le « langage de la parole ». Son projet véritable n'est pas de « jouer des pièces écrites », puisqu'il s'articule au désir de changer les « moyens d'écriture », parallèlement à l'urgence de retrouver le « vrai langage du théâtre » : « langage spatial, langage de gestes, d'attitudes, d'expressions et de mimique, langage de cris et d'onomatopées, langage sonore »[5]. L'urgence d'un théâtre à faire valoir s'inscrit dans la perspective de « tout démolir pour en revenir à l'essentiel ». Dans cette voie, le théâtre doit agir sur les choses et sur le monde, voire en transformer les rapports communs.

Jean Paulhan, directeur de la NRF et destinataire privilégié des lettres relatives au projet de réforme du théâtre, s'est permis à plusieurs reprises d'engager Artaud à modifier certains passages. À cela, l'auteur s'empresse de répondre en janvier 1932, « qu'enlever un mot » équivaut à « enlever une pensée dans son esprit ». Se profile alors une interrogation grave : « La syntaxe vous paraît-elle vraiment quelque chose de si important ? » à laquelle Artaud ne laisse pas à Paulhan l'occasion de répondre. « C'est intuitivement désormais que j'obéis aux règles de la langue, et tant pis pour la langue quand mes intuitions ou mon sens de l'harmonie intellectuelle me trompent »[6]. Un « phénomène d'inhibition »[7] renvoyant à sa perpétuelle insatisfaction de ses écrits, l'engage dans une quête incessante du mot juste. « Je suis en train de le faire [un article] mais je le récris sans cesse, comme pour tout ce que je fais. Il me faut du temps et des épreuves larvées innombrables avant de trouver ma forme »[8]. Le contenu des articles composant l'ouvrage en projet se trouve constamment remanié et le titre donné comporte toujours le risque de fausser le contenu, d'égarer le lecteur. Dans sa crainte, Artaud prône que « le vrai titre serait trop vaste, il est informulable sous peine de rater son but »[9]. Les lettres adressées à Paulhan à un rythme incessant prouvent l'inquiétude d'Artaud quant à la publication du manifeste « le théâtre de la cruauté », derrière la recherche constante d'engagement irréfutable. Il avoue sa difficulté à exprimer avec des mots les enjeux de « la sorte de langage extra-verbal » qu'il veut créer[10], mais très naturellement, il adresse les premières lignes de son manifeste à « ceux qui doivent comprendre comprendront ».

Derrière sa défense énergique et rigoureuse du théâtre à travers une construction originale, se dévoile une fonction de soulagement opérante pour son propre être : « le théâtre est un exorcisme, un appel d'énergie. Il est un moyen de canaliser des passions, de les faire servir à quelque chose, mais il doit être entendu non comme un art, une distraction, mais une action grave ». L'« action grave » indique le caractère de nécessité que revêt le théâtre. « Il faut lui rendre ce paroxysme, cette gravité, ce danger »[11]. Le théâtre ne remplit pas une fonction de divertissement, telle une « chose vue », puisque cette conception attise sa vulnérabilité, mais instaure une « chose agie ». Les diverses stratégies obéissant à l'action ressuscitent le « théâtre pur ». Le théâtre et son double, dans l'assise d'un système de pensée inédit, organise la recherche d'une solution pour un théâtre malade. Artaud place tous ses espoirs de changement dans la publication de son ouvrage. Au-delà du théâtre, il évoque son désespoir quant à ses entreprises intellectuelles : « ce qui dans mes premiers livres était détresse d'esprit, des fibres, et si j'ose dire, du squelette de l'intelligence, est devenu maintenant détresse profonde de l'âme. Moi aussi, je n'en peux plus, je suis à bout de détresse, à bout d'efforts. […] Comprenez que c'est ma vie même, magiquement, que j'engageais dans ce projet »[12].

À la fin novembre 1933, il termine sa lettre à Natalie Clifford Barney sur ces mots, pressentant un drame. « Je VEUX EN FINIR. Je sais maintenant ce qu'il faut dire et je crois que le temps presse et que ce sera tout de suite ou plus jamais »[13]. Il est aisé alors de relier cet engagement suprême au vœu de publication de son ouvrage, qu'il exprime en février 1935 à Paulhan, qu'il réitère du Mexique, évoquant « l'aspect de nécessité intellectuelle, morale », avant l'aspect financier[14]. Sa propre création théâtrale, notamment dans la visée d'un langage nouveau et singulier à travers la mise en scène, ne fera pas durablement écho à ce qu'il dénonce. Cette recherche sera envahie et sclérosée par l'objectif de créer une langue nouvelle sans plus aucune référence au théâtre. À la paralysie qui touche le théâtre annonçant son abandon après 1937 répond l'exigence de creuser le corps, de creuser la lettre dans une autre voie, dans un autre lieu. Vouloir alléger le théâtre de ses mots le conduit à vouloir se débarrasser des mots… L'insuffisance du « langage des mots » pour exprimer sa souffrance dans le corps se sera alors répandue et contaminera les autres domaines de sa vie. Toute l'œuvre bâtie après 1937 retrace cette recherche constante.

Déclinaisons du corps du « théâtre pur »

L'ancrage du système de pensée d'Artaud limite les questions posées dans sa chair et dans tout son être. Ce premier moment protecteur évite que ses interrogations engageant sa vie toute entière, émergent de façon dissociée, à travers son être et ses écrits. Le théâtre fournit un plan d'action autour duquel des questions s'organisent, offre un point d'accrochage que le sujet Artaud saisit de tout son corps pour ne pas s'écarter de ce schéma préétabli. Par ce biais, sa souffrance est délimitée, s'avère être tenue, voire contenue, dans la théorie théâtrale exposée : il est alors maintenu à travers la pleine création de son théâtre. Le travail du corps évoque un semblant de sujet qui cherche à tenir, à se limiter par les liens théâtraux, tissés par lui-même. Les éléments théâtraux se déclinent en regard de son propre corps. Un tournant s'amorce : les thèmes dérivés du théâtre ne tardent pas à envahir pleinement Artaud dans la réalité, et cela sans plus aucune protection édifiée dans et par le théâtre après 1935.

Du théâtre-langage à un nouveau langage : la recherche d'un langage purement théâtral tend à trouver sa nécessité au-dehors. La « langue universelle basée sur l'énergie et la forme du souffle humain » s’est substituée au « langage de signes et de mimique, cette pantomime silencieuse, ces attitudes, ces gestes dans l'air, ces intonations objectives »[15] qui concernaient spécifiquement le théâtre. Opposé sévèrement à la parole, le « langage matériel et solide » dans le théâtre renvoie à ce qui s'exprime matériellement sur une scène[16], et se destine aux sens. La création d'images matérielles, équivalentes aux images des mots, entend la prise en compte de la musique, de la danse, de la plastique, de la gesticulation, de la mimique, de l'intonation, de la pantomime. Le langage théâtral pur n'utilisant que les formes, le bruit, les gestes, acquiert la même efficacité que le langage articulé. Artaud pose le principe que les mots n'ont qu'un pouvoir restreint pour exprimer et manifester précisément des idées ; leur nature d'être déterminés définitivement ne leur permet pas de participer activement au cours de la pensée. Au moment où la référence théâtrale disparaît, les idées d'Artaud concernant le langage sont vécues véritablement et mises en scène dans l'acte d'écrire. Il décrit alors que partager une langue n'est qu'illusoire. Dans une reprise de la langue, il entame une sorte de procès au langage, qui aboutira à la nécessité de bouleverser la syntaxe préétablie, d'apporter des néologismes là où aucun mot n'est susceptible de mieux renseigner, d'inventer un véritable travail glossolalique à l'endroit où plus aucune signification ne peut être bouclée. Cette position à l'égard du langage vient appuyer son aveu de répudiation de ses premiers écrits, il renie jusqu'à sa langue maternelle. « Que mes phrases sonnent le français ou le papou c'est exactement ce dont je me fous »[17]. Le rejet total de la langue est à son paroxysme dans l'extrait suivant daté de 1946 :

« Pas de grammaire [...]

pas de lettres,

pas de sons, […]

Pas de futur,

pas de phrases,

pas de mots,

pas d'alphabet »[18].

Artaud se situe dans l'obligation incessante de tout inventer, de tout produire puisque seule une auto-référence le fait exister, non sans souffrance.

« Je sais que je ne vis qu'en produisant tout, absolument tout

moi-même à tout instant et que cela ne s'appelle jamais du

même nom,

mes livres sont courts et bien titrés »[19].

Du théâtre-cruauté à la cruauté : la cruauté, au début des années 30, est conçue comme une composante essentielle du théâtre, comme un « double ». Les deux manifestes du « théâtre de la cruauté »[20], soulèvent des interrogations concernant les liens établis par Artaud entre la vie et le théâtre, entre les hommes et le monde. La notion de cruauté, dans un premier temps, demeure référée à une théorie originale sur le théâtre. Si la cruauté est défendue au nom d'une nécessité implacable, Artaud craint que ce terme soit perçu par les lecteurs comme une idée « surajoutée à [sa] pensée […] La cruauté est avant tout lucide, c'est une sorte de direction rigide, la soumission à la nécessité »[21]. Elle est inhérente au théâtre : « réintroduire dans chaque geste de théâtre la notion d'une sorte de cruauté cosmique sans laquelle il n'y aurait ni vie ni réalité »[22]. Le théâtre alors obéit à cette « nécessité cruelle de la création »[23], analogue aux enjeux de la création divine. Il définit la cruauté du point de vue de l'esprit : elle « signifie rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue »[24]. En dégageant cette idée, il met en garde contre la tentation d'y apercevoir uniquement du conflit sanglant. Les supplices et sacrifices adjacents à l'idée de cruauté n'en forment pas l'ensemble des ressorts. Il assure que « le Théâtre fait image, cruauté aussi »[25]. Le théâtre ne s'appréhende que par l'aspect cruel inhérent à toute création et à sa prolongation : « c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits »[26].

Le théâtre, en mettant en scène la valeur héroïque de la cruauté, renvoie à une cruauté morale qui agit à la fois sur l'acteur et sur le spectateur jusqu'à l'épuisement et la transformation dans une visée de purification[27]. « Les Cenci » ont vu le jour grâce à la rencontre avec la tragédienne Iya Abdy qui illustre une figure héroïque de la cruauté par son acte parricide, et en particulier avec son cri. Artaud pense lui fournir un plan d'action vital dans l'après-coup de la tragédie. « Iya Abdy dans le rôle de Béatrice va commencer à vivre sa vie »[28]. Dans son système de pensée, Artaud affirme que le théâtre de la cruauté renvoie à un théâtre difficile et cruel d'abord pour lui-même[29]. Il pressent que la quête d'un théâtre pur ne sera pas aisée. Cette tendance se précise de façon irréversible : la cruauté renvoie tragiquement au réel de son corps puisqu'elle est vécue charnellement et non plus par la médiation incertaine du théâtre. La cruauté, comme double, se détache alors du théâtre. Dans sa nouvelle appréhension de l'écriture, la création d'Artaud, en prenant appui sur le destin cruel qu'il se reconnaît en 1937, ne retient que la cruauté et le règne de la souffrance pour s'établir[30]. Artaud la porte en lui-même et sa nature se révèle par un raffinement dont il sous-entend s'être écarté.

« Trouvant, l'être dit : J'ai vu ce que tu allais trouver.

C'est que j'ai dû le trouver en pensant encore trop à ton

existence et à une victoire sur l'esprit,

à une porte intellectuelle de l'intelligible à franchir au lieu

de suivre ma nature.

Qu'est-ce-que c'est ?

Raffiner sur ma cruauté sans penser à la valeur INTELLIGIBLE

sur quoi l'être s'est toujours appuyé

et c'est le mérite de la légion d'honneur

qui arrivera le premier,

mériter par rapport aux autres au lieu de raffiner de cruauté

en soi »[31].

Dans le chapitre “En finir avec les chefs-d'œuvre”, Artaud insiste sur la nécessité de tout abandonner, si l'échec de ramener « tous les arts à une attitude et une nécessité centrales, trouvant une analogie entre un geste fait dans la peinture ou au théâtre, et un geste fait par la lave dans le désastre d'un volcan » est pressenti[32]. Le théâtre, alors démuni de la cruauté qui l'a envahi, ne trouve pas sa raison d'être poursuivi, tout au moins jusqu'au retour à Paris en 1946, lequel récapitule et cristallise le chemin parcouru pendant une décennie, en vue de trouver une solution hors du théâtre, dans un travail sur la lettre.

Du théâtre-corps au corps : le registre corporel s'ouvre sans cesse chez celui qui recherche une solution à ses interrogations ontologiques dans le corps. D'emblée, le biais théâtral est avancé comme unique pour toucher le spectateur dans son corps, et agir sur son corps en conséquence. « Le théâtre est le seul endroit au monde et le dernier moyen d'ensemble qui nous reste d'atteindre directement l'organisme, et, dans les périodes de névrose et de sensualité basse comme celle où nous plongeons, d'attaquer cette sensualité basse par des moyens physiques auxquels elle ne résistera pas »[33]. Parallèlement, la partie technique du premier manifeste « le Théâtre de la cruauté » est introduite dans l'analogie du théâtre à une fonction vitale. « Il s'agit donc de faire du théâtre, au propre sens du mot, une fonction ; quelque chose d'aussi localisé et d'aussi précis que la circulation du sang dans les artères »[34]. Ainsi est mis en évidence le caractère de nécessité implacable qui habille le théâtre ; il est utile afin de « coincer », « d'enserrer les organes »[35]. Le corps comme entité théâtrale est vu en mouvement perpétuel en réponse au « langage dans l'espace », hautement valorisé par Artaud en tant que metteur en scène. La violence du corps est reproduite dans les pièces destinées au théâtre de la cruauté. Le théâtre, dans ses versants théorique et technique, lui ouvre la possibilité de creuser l'espace du corps. Ce corps plein et encombrant qui vise un allègement trouve à s'exprimer là temporairement. Le support théâtral s'esquivant, Artaud reste prisonnier des questions qui déferlent dans son corps :

« Un corps parfaitement ajusté

à mon être,

être de plus en plus là.

Qui m'en empêche ?

L'infini ».

Et afin d'affirmer sa présence par l'intermédiaire de l'acte d'écrire, Artaud a fermé et a ordonné à son corps de se fermer, ce qu'il a fait de lui-même[36]. Sa souffrance dans le corps resurgit sans détour, dans ses écrits, et ceci sans la référence du théâtre.

« mais ce corps c'est moi qui le fais,

pourquoi m'est-il étranger ?

Parce qu'il souffre d'être fait.

Et voudrait me faire.

Or mon corps c'est moi »[37].

Son corps, investi du pouvoir de contribuer à l'écriture, s'organise dans la « créaction ». La recherche d'une « créaction » véritable autour du texte[38] pose une nécessaire action dans la création, a fortiori théâtrale. Le recours au néologisme montre la position extrême d'Artaud pour signifier que le théâtre doit agir et provoquer l'action chez acteurs et spectateurs confondus. Le travail sur son propre corps, sans doute aussi sur ceux des acteurs sous sa direction, se répercute ensuite dans son écriture où son corps reste travaillé, travaillé en même temps que l'écrit, martelé de surcroît avec un marteau et un billot. À Rodez « j'ai travaillé le corps et non l'esprit »[39]. Sa préoccupation essentielle à travers l'écrit est de travailler à transformer son corps : « je fais mon corps à tout instant et jamais de la même façon »[40].

Au commencement était le corps d'Artaud : le corps détient une solution, il cache un rapport à l'origine. À ce moment, il pressent de travailler le corps pour saisir de tout son être l'origine. « Je suis ce corps, c'est-à-dire cet être individuel conscient, volontaire où tout commence »[41]. Une oscillation de la redondance à une mise en gage du corps se laisse saisir avec force notamment dans les Cahiers de Rodez. L'ambivalence du corps à laquelle reste confronté Artaud, corps compact, exigeant un travail pour le creuser, et corps morcelé, s'échappant et se désagrégeant jusque dans les fonctions organiques, l'entraîne à vivre toute une série de ruptures. L'empreinte d'une multiplicité de séparations le rapproche d'une identité féminine, la femme demeurant marquée par les séparations, les ruptures successives.

Du théâtre-geste au geste : du corps émane le geste, sans cesse reproduit de façon unique et élevé au statut de langage au théâtre. Se désespérant de l'insuffisance avérée des mots, Artaud croit y remédier par l'apport du geste, dont le versant symbolique se situe à l'instar du mot. « On trouvera dans la mise en scène de cette pièce tout un essai de gesticulation symbolique où un signe vaut un mot écrit »[42], écrit-il à propos des Cenci. Il ne s'agit pas de supprimer la parole mais de l'utiliser « dans un sens incantatoire oublié ou méconnu »[43] afin que l'imaginaire émerge davantage. Dans la volonté de rendre au théâtre son caractère rituel primitif, Artaud articule les gestes et les incantations, « la voix appuyée par le geste, le geste étant le prolongement plastique de la voix »[44]. Son attirance pour le théâtre balinais reflète sa prise de position quant au geste. Ce dernier est considéré comme l'équivalent du son. Ainsi, la pantomime du théâtre balinais pénètre des gestes qui représentent des idées[45]. Parallèlement, il espère parvenir à faire émerger de façon active des vérités secrètes à partir des gestes[46]. Le théâtre se situe par conséquent dans une nouvelle utilisation des gestes et de la voix, puisque la puissance du metteur en scène se reconnaît à son « pouvoir de création » qui « élimine les mots »[47]. D'ailleurs, l'exigence d'une interprétation active chez les acteurs, « jusqu'à une boursouflure des gestes et des voix »[48] est maîtresse. Il dénonce qu'une parole meurt dès qu'elle est prononcée ; l'action au niveau verbal demeure réduite, alors qu'au théâtre, un geste ne se répète jamais de la même façon au même titre que le corps réclame perpétuellement d'être refait et canalisé. Ainsi, le théâtre constitue la forme d'art qui s'épuise le moins.

À son retour à Paris, le geste est reconnu indissociable de l'écrit ; alors, il s'agit d’« enfoncer un mot violent comme un clou ». En revanche, le geste par son aspect unique et ponctuel manque vraisemblablement sa cible et Artaud tend à effectuer des journées durant, des gestes violents à l'aide d'un marteau pour que l'écrit parvienne, ainsi martelé, à atteindre l'objectif de soulagement extrême.

« Viande à saigner sous le marteau,

qu'on extirpe à coups de couteau.

Je ne suis donc pas parvenu à introduire ma trame dans

ces poèmes avortés »[49].

Ce constat désespéré concerne ses premiers poèmes, reniés vingt ans après.

Du théâtre-mise en scène à la mise en scène : la mise en scène est primordiale par ses « conséquences objectives d'un geste, d'un mot, d'un son, d'une musique et de leurs combinaisons entre eux »[50]. À l'image du théâtre balinais, le metteur en scène doit acquérir les qualités nécessaires pour ne pas simplement transposer un texte sur la scène : « toute création vient de la scène, trouve sa traduction et ses origines même dans une impulsion psychique secrète qu'est la Parole d'avant les mots »[51]. Ainsi, l'auteur de la pièce est évincé au profit du metteur en scène puisque ce dernier, qui se comporte comme le véritable créateur, s'avère seul capable de dépasser « le langage des mots » et ainsi de « projeter des gestes à l'image des forces de vie »[52]. La mise en scène de sa vie après l'abandon du théâtre et le report massif sur l'écriture reflètent les idées défendues pour un « théâtre pur ». Les mimiques, les sons, les gestes, les cris sont privilégiés par nécessité, et les glossolalies surviennent de façon théâtrale.

Du théâtre-cri au cri : le fondateur du théâtre de la cruauté défend la sonorisation constante, oubliée du théâtre occidental. Il part alors à la recherche de la qualité vibratoire des sons, des cris, avant même de s'intéresser à ce qu'ils représentent[53]. Le projet expérimenté dans sa pièce Les Cenci marque l'idée que le spectateur doit être pris dans un réseau de vibrations sonores. Des « moyens directs et physiques » sont mis en œuvre pour que sa pièce soit en perpétuelle mouvance : « chaque personnage a son cri ». La teneur de la tragédie s'entend grâce à ses comédiens, notamment Iya Abdy qui se montre « capable de crier sans tomber en faiblesse »[54]. Le cri illustre le refus du mot. L'impossibilité de concevoir dans sa langue maternelle pousse Artaud à rechercher dans le cri, dans cette strate originaire du langage, un nouveau procédé d'expression pleine. La sonorisation tant recherchée dans le théâtre dérive jusqu'à une quête effrénée du cri et démasque le manque de son dans le signifiant. Les glossolalies, tournées vers une langue nouvelle mais insérées dans des tronçons de sa langue maternelle, prennent appui sur l'inconsistance du signifiant. Dans l'émission radiophonique “Pour en finir avec le jugement de dieu” enregistrée en 1947, l'analogie repérée avec la mise en scène décrite dans Le théâtre et son double est indubitable. Tous les phénomènes dégagés et requis pour le théâtre de la cruauté sont à l'œuvre dans cette séquence sonore. Le cri, en particulier, atteint un paroxysme qui laisse supposer que les Cahiers de Rodez et les Cahiers du retour à Paris se situent dans cette orientation : ses écrits à travers les glossolalies donnent à crier, de même qu'ils donnent à marteler, à danser, à gesticuler. Il affirme, à la fin de l'année 1933, que le théâtre en soi ne l'intéresse pas, que son intérêt se porte sur ce qui est, et sur le fait de savoir s'il est possible de modifier ce qui est. De façon clairement exposée, le théâtre représente alors le seul « moyen » d'agir sur les choses[55]. Dans la voie frayée par Artaud, le théâtre permet l'explosion d'un travail sur le langage, sur le corps et par conséquent une action sur le monde. La mythologie entre de façon progressive dans les préoccupations d'Artaud. Tant que son discours sur le théâtre parvient à le maintenir hors des questions sur le problème de l'être, les mythes préhistoriques ne bouleversent pas le questionnement silencieux sur l'origine. Lorsque la recherche de l'origine devient urgente, les mythes sont convoqués. Ainsi Artaud écrit, parle un nouveau rapport à l’histoire, puisant dans le passé et bouleversant les repères historiques communs. Tout son être est porté, poussé vers les mythes, vers les rites qui forgent les différentes structures symboliques de l'humanité.

Héliogabale ou l'anarchiste couronné, écrit en 1933, est davantage situé dans un rapport immédiat au théâtre de la cruauté, plutôt qu'élaboré et clairement justifié par la recherche du fondement de l'être, ainsi qu'il en est question par la suite. Ce texte situe Artaud dans son initiation aux rites par l'écriture, parallèlement à la conception de la cruauté, et annonce son désir d' éprouver des rites, lors de son voyage au Mexique, lequel se projette dès juillet 1935. Le tournant qui s'annonce depuis le mois de juin où il décline une offre de collaboration avec Jean-Louis Barrault, ainsi qu'une invitation au Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture, est effectif en novembre 1935. La quête du théâtre tend à s'effacer au profit du voyage mexicain, parallèlement à l'intérêt croissant pour l'astrologie et l'ésotérisme. Ce qu'Artaud a cherché en vain dans le théâtre, il lui est soufflé qu'il le trouvera dans l'approche des mythes à travers des voyages. Insistons sur les enjeux de l'année 1935 : il est impossible pour Artaud de poursuivre dans la voie théâtrale puisqu'il est appelé ailleurs, là où la recherche d'un début, d'une origine au fondement de l'être le guide, là où il espère trouver la solution à ce qui se dessine comme des interrogations ontologiques. Peu avant d'embarquer pour le Mexique, une « note intime »[56] nous informe sur le constat d'échec, à l'évidence irréversible, qu'effectue Artaud à propos de ses projets théâtraux. « Jeudi soir avec André Derain au Bar de la Coupole le 19 décembre 1935. Mois maudit d'une année maudite, année des déceptions et de l'Échec. Succès sans l'Absolu des CENCI ». Le voyage au Mexique s'inscrit dans une urgence, dans une nécessité de trouver ailleurs ce que le théâtre l'empêche de saisir dorénavant. « Ce n'est pas du point de vue du pittoresque que je veux me placer pour redire ce voyage mais du point de vue de l'efficacité »[57]. Viser à « l'efficacité » dans et après le voyage au Mexique, offre les contours d'un point d'ancrage dans la mythologie quand s'amorce le déferlement des questions.

Effondrement dans le discours d'Artaud

Le bénéfice qu'Artaud tire de ses opérations ponctuelles de recherche d'un fondement à la question de l'être, est faible et toujours à reconduire. Le recours à l'écriture est exigé, dans une perspective qui ouvre sur l'infini, puisque le signifiant phallique manque pour instaurer des limites, limites de son propre corps, limites du savoir de la jouissance de l'Autre, limites de son texte. Ajouter à l'infini caractérise son œuvre. Celle-ci souffre d'une ouverture extrême sur un vide qui ne permet pas d'entrer dans l'échange, dans le don. L'accumulation singulière d'objets réels consiste à remplir toujours davantage la béance symbolique causée par la carence du signifiant primordial dans la psychose. Ainsi, sa jouissance pleine, plaquée dans son écriture, illustre parfaitement l'idée qu'il est seulement en mesure de se donner lui-même à travers son œuvre. La tentative de se rassembler en totalité dans l'acte d'écrire, de regrouper voix, corps, chair dans son écriture, ne donne pas. Il se livre à l'Autre, sans aucune attente d'un retour sur lui-même. Il ne donne pas à l'Autre la possibilité d'interpréter son œuvre, il se donne à travers l'unique possibilité d'appréhension qu'il décrit et pose comme nécessité. L'acharnement d'Artaud à tenter d'expliquer ce qu'il fait et ce qu'il pense s'entend dans les Nouveaux écrits de Rodez. Artaud exprime la nécessité d'écrire et aussi de déclamer à voix haute : « j'ai besoin aussi de dire des poèmes devant les autres et de leur expliquer à haute voix ce que je sais. Et cela je crois qu'il le faut »[58]. Il sous-entend qu'il n'a jamais donné, qu'il n'a jamais éprouvé un quelconque échange vital. « Moi je suis seul. Les êtres n'ont rien à me rendre, n'ayant jamais rien eu de moi »[59].

Le don est mis en impasse dans son œuvre et l'enregistrement “Pour en finir avec le jugement de dieu” le révèle avec d'autant plus de force démonstrative qu'il invite à entendre là l'exemple même du destin que se dessine chaque texte d'Artaud. À écouter la recherche d'équilibre entre les cris étouffés, aigus, mortifères, le rythme respiratoire saccadé et les contorsions vocales, nous entendons une direction autoritaire, une mise en scène associant cruauté et anarchie savamment imposée par Artaud. Il ne laisse pas aux autres le soin d'interpréter ses écrits : la férocité d'expression dans le cri, l'intonation incantatoire sont exigées et contenues dans l'écrit. Tout acteur, tout lecteur d'Artaud ou dans sa référence se trouvent pris dans la voie creusée par et pour lui-même. La mise au travail du point de rupture repéré dans l'œuvre d'Artaud nécessite de revenir sur la forme de suppléance en place avant 1937. La nécessité de creuser le corps, et la langue dans le théâtre, corollaire au vœu de faire advenir le corps et la langue, s'entend comme une réponse à la nécessité de creuser l'Autre qui n'est pas reconnu comme manquant. Le cadre et le discours théâtraux sont établis pour parer à l'angoisse du trou dans le symbolique, laquelle est entretenue par l'absence de signifiant pur dans la psychose. À travers leur effondrement, se révèle l'insuffisance du domaine théâtral et de la cruauté inhérente, à donner une réponse stable et forte aux interrogations d'Artaud, ainsi qu'à porter son désir mis à mal pour s'exprimer seul véritablement. Le style mis à l'épreuve dans le théâtre ne fait pas suppléance, il ne parvient pas durablement à suturer le déclenchement du délire. Lorsque les enjeux du théâtre le poussent à prendre l'initiative et la responsabilité de la publication du Théâtre et son double, sa prise de parole, au-delà des mots, provoque la vacillation de ses repères identificatoires. De surcroît, la publication de cet ouvrage lui pose la question du désir de l'Autre : un éventuel retour à lui-même est pressenti cruel et inadmissible sachant qu'il ne donne pas véritablement à travers le théâtre.

La rédaction et la publication d'Héliogabale ou l'anarchiste couronné ne provoque pas de glissement brutal dans la recherche à propos de l'énigme de l'être, Artaud s'étant protégé derrière sa conception originale du théâtre visant à détourner son questionnement du réel. Par la suite, la mise en lumière de l'origine ne tarde pas à donner forme et à accompagner les premières idées délirantes avant le départ pour l'Irlande. De Bruxelles, lors d'une visite aux parents de Cécile Schramme, en mai 1937, madame Paulhan reçoit une lettre où il renie les vingt dernières années de sa vie et annonce : « Je sens qu'un Autre Homme va sortir sans savoir exactement ce qu'il est ni où il me mènera »[60]. L'entrée dans la psychose marque un point de bascule dans la création et l'œuvre d'Artaud. Qu'est-ce qui n'a pu être maintenu dans le cadre supplétif du théâtre ? Qu'est-ce qui a surgi de son discours pour qu'il réclame un remaniement total ?

Le corps, la lettre, le cri

La question s'affine : qu'est-ce qui ne « tient » plus l'œuvre d'Artaud après 1937 ? Qu'est-ce qui façonne et demeure de l'écrit là où ce ne serait pas du semblant ? Son appel à la lettre est vain. La fonction de la lettre est toujours à reconstruire, à inventer puisqu'elle est exilée de son origine littérale. À travers le théâtre, déjà s'annonce la lettre induite dans la mise en scène. Cependant, la tentative de se raccrocher à la lettre échoue puisqu'elle ne fait pas point de capiton, se situant de façon inadéquate du côté du geste. En effet, ce qu'Artaud tente de décrire dans le théâtre à l'aide de la lettre, il le subit dans son corps par la suite. Lacan pose la lettre en tant que « littoral », qui renvoie à la frontière entre la jouissance et le savoir, « le bord du trou dans le savoir »[61]. À partir de cette définition de la lettre, Lacan montre que lorsque la lettre tient, le discours est semblant. Si le discours d'Artaud était tenu par la lettre, dans une sublimation alors envisageable qui se soutient du semblant, la lettre n'aurait pas glissé. Ainsi, lorsqu'elle est articulée à la perte de l'objet et au signifiant, elle surgit dans le réel et donne son appui nécessaire à l'ordre symbolique. Pour saisir la lettre, du « trou » dans le corps maternel doit s'appréhender, et ceci par l'épreuve de séparation, alors la lettre se distingue définitivement de l'objet. La castration s'insère comme point d'ancrage à partir duquel il est possible d'appréhender le semblant. La castration symbolique s'avérant parfaitement évitée, le semblant est écarté, inadmissible dans ce cas. La défaillance de la lettre qui s'ensuit et qui provoque l'aménagement de son travail d'écriture indique que l'ordre symbolique n'est pas tenu et reconnu. Le rapport de médiation entre le mot et la chose demeure non protégé et par conséquent à la dérive. La nécessité de l'écrit se pose alors dans la recherche incessante d'une lettre nouvelle. Par extension au refus du mot à cause du semblant qu'il engendre, la lettre disparaît de la fonction littérale. Artaud n'est donc pas en paix avec la lettre qui se confond avec le corps, avec le cri, laquelle devient à l'extrême « un corps de cri ». La lettre surgit dans le réel du lieu vide de la page. Elle ne peut alors que disparaître, que basculer du côté de la voix, du geste, du cri…

Un « espace absolu » se dégage pour le sujet dans la psychose suite à une indistinction du corps et des mots. L'espace de la lettre n'est pas assuré pour Artaud puisqu'il recouvre celui du corps. Ainsi s'affirme la nécessité de creuser l'espace du corps, notamment par le biais théâtral jugé efficace jusqu'en 1935. La lettre prend une densité corporelle telle que la fonction littérale s'avère impossible ou défaillante. Il s'ensuit que la lettre et le signifiant s'égalisent, les mots pris à la lettre s'annulent, confondus avec les mouvements corporels et organiques. Lorsque la fonction littérale opère, distincte du signifiant, elle permet l'inscription en un lieu, celui de la page, et l'effacement en un autre, celui de l'érogène. Ce paradoxe est décrit notamment par Leclaire[62] qui insiste sur le fait de concevoir facilement l'effacement au niveau du corps, lieu où s'origine le plaisir. Cet effacement de l'érogène est impossible : la lettre incarne le lieu de la jouissance pure dans l'œuvre d'Artaud. Il manie la lettre davantage dans un objectif « d'incarnation » que de « représentation », et l'incarnation de l'objet trouve son expression irréversible et efficace dans le cri. Tout son corps est mis à l'épreuve quand il écrit. Sa voix devient instrument d'écriture dans le cri et se contorsionne à l'infini. La voix prise comme objet n'est pas le son mais, en tant qu'objet séparé, demeure inaudible par l'extraction de l'objet a. Ce qui se saisit comme des hallucinations auditives est la conséquence de la non-extraction de l'objet a qui n'est donc pas corrélé au signifiant.

À Rodez, Artaud laisse supposer que des voix lui pèsent : « Pas de voix intérieures, des voix du dehors venues des êtres que j'ai jetés dehors et qui appellent »[63]. Quelques mois plus tard, des hallucinations auditives sont plus clairement exprimées : « Moi poète j'entends des voix qui ne sont plus du monde des idées. Car là où je suis il n'y a plus à penser »[64]. Les bruits du corps se confondent avec les bruits du monde : la surface de son corps est trouée. Il tente alors d'établir que « l'important est d'avoir la paix du corps et de ne rien entendre dedans »[65]. De la même façon :

« Où sont toutes ces voix qui parlent

dans mon corps,

derrière ma tête »[66].

Le cri que pousse Artaud n'attend pas de réponse, il n'est pas d'emblée un appel à l'Autre, il n'est pas objet pour le désir de l'Autre. Des textes antérieurs fournissent des indices de cette impasse : « Pour moi c'est la douleur perpétuelle et l'ombre, la nuit de l'âme, et je n'ai pas une voix pour crier »[67]. « Un cri pour ramasser tout cela et une langue pour m'y pendre »[68]. Dans la quête du cri qui guide Artaud, cherchant à s'éloigner du signifiant jusqu'à l'abandonner quand il repère son insuffisance sonore, le cri accède à un statut supérieur au mot. Selon lui, le cri engendre du neuf, et ceci de façon plus spectaculaire que la parole. « Il faut crier et non parler, cela fait fuir des désuétudes sans imagination et qui n'ont que des idées toutes faites et périmées pour exister »[69]. Dans son refus des mondes qu'il cite, il range parmi eux celui de l'âme, celui de la gorge, celui de l'estomac… pour mieux mettre en avant ceux qu'il réclame, en l'occurrence celui de « l'affre et du cri… »[70]. Parallèlement à la quête du cri, Artaud renie le style qu'il définit de la façon suivante :

« Mon style : rétablir ce que j'ai cherché dans ceci

non du côté esprit

mais immédiate actualité de vie »[71].

« Le rassemblement de l'esprit est un rassemblement de corps

qui aiment tout ce que je n'aime pas : langue, cu, style, grammaire, règle, loi

et être »[72].

La renonciation au style accompagne celle de la forme qui est éliminée de la « base de quoi que ce soit »[73]. Les cris, les éructations, les glossolalies surgissent et sont travaillés par Artaud dans une tentative de symboliser les rapports au monde. « Quand j'en arrive aux idées générales je n'en puis plus de ne pas éructer »[74]. Se situer du côté du cri implique de ne pas répondre aux exigences du style, dans un refus massif du semblant. Seul le travail d'écriture qui s'engage pour Artaud, alors entré dans la psychose, est appelé à faire suppléance puisqu'il ne prend en charge que la fonction de la lettre dont l'abord reste à creuser à l'infini. Le théâtre n'a pu convenir dans le cadre d'une suppléance et laissa place à l'éclosion du délire dans l'éclatement de sa recherche. Son projet de changer les « moyens d'écriture » articulé au caractère de cruauté dans le théâtre induit que même dans son aspect de nécessité le plus grave, le théâtre confine trop à l'art. Artaud s'épuise à refuser l'agrément et le divertissement. Sa mission de travailler la fonction de la lettre s'avère compatible avec le travail d'écriture fondé sur une véritable suppléance. L'acte d'écrire à l'infini conserve la trace de la faille à laquelle la suppléance tente de remédier. Cependant, nulle référence à un modèle unique de l'écriture psychotique n'est opérante. Trivialement et brièvement, Artaud n'est pas Joyce…

Enjeux de l'écriture : vers l'infini

La référence du “Pèse-Nerfs” datant de 1925 marque la précocité des interrogations d'Artaud à propos de sa langue maternelle. « Il me manque une concordance des mots avec la minute de mes états […] Je mets le doigt sur le point précis de la faille, du glissement inavoué […] Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements. Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée. Je suis celui qui connaît les recoins de la perte »[75]. Dès 1925, l'intuition d'Artaud, qui recouvre la nécessité de « se refaire », se précise de plus en plus jusqu'à l'éclosion de l'insupportable. Le processus actif de l'écriture est appelé par Artaud au moment même où les failles sont repérées, et se situe dans un déferlement ininterrompu quand il s'agit d'y remédier.

« Creuser toujours,

ne stationner jamais,

ne répéter jamais,

création continue,

Évolution continue »[76].

La « victoire » sous couvert de la tentative de guérison, est promue dans le fait de « ne pas cesser d'être créateur »[77]. Dans la renonciation à ses premiers poèmes, Artaud cherche à dépasser le texte par les mots, pour que le texte sorte de l'écrit, et que « la langue ouverte », « le verbe reçu », « la syntaxe parlée » tombent dans l'oubli[78]. Artaud reconnaît qu'il a écrit de la poésie auparavant : il semble évident qu'il conçoit de ne plus en faire, puisqu'il considère ce qu'il écrit maintenant comme « des dysenteries », « des gastralgies »[79]. L'impossibilité de limiter l'organe au corps rend compte avec force que l'organe ruisselle le long du corps et se propage au monde extérieur voire à l'écrit. Ses organes dans leurs fonctions et dans leurs atteintes biologiques sont piégés dans son travail d'écriture. La distance manque entre son corps et ce qu'il écrit. La phase de la pure jouissance qui se laisse entendre, retient essentiellement le procès qu'Artaud est poussé à faire au langage.

« Je ne représente pas aujourd'hui tout ce qui reste du corps

foncier après le passage de l'être.

Je le suis toujours

mais le travail est de

s'inoqueletter,

s'anscatelter,

s'aurtokilter par

au to ni sa tion »[80].

Ces créations néologisantes fournissent à Artaud une conclusion et une réponse irréfutables. De nombreux passages illustrent que la signification ne peut se boucler, les phrases demeurent en suspens continuellement, soit conclues par des néologismes, soit par l'appel au cri dans les glossolalies. À l'absence cruelle de semblant chez Artaud répondent des néologismes construits en vue de dire l'être même.

« Qu'est-ce qu'un être ?

Un affect énofect,

tanofect,

onufect,

élipsi,

bref, un infect »[81].

Une tentative de résolution du problème de l'être, par la création des néologismes dont l'agencement avec les glossolalies est perpétuellement travaillé, se répercute dans des milliers d'énoncés apparentés et contradictoires dont témoignent avec force et brutalité ce tome des Cahiers de Rodez. Le néologisme « aître » créé à partir du mot « être » porte un aspect non contenu dans « être ». Sa modification à plusieurs reprises s'impose au regard de la fonction de la lettre qu'il s'acharne à rechercher[82]. Artaud obéit au même principe quand il déforme son patronyme : « Arto »[83]. Dans ce cas, il apparaît que la lettre le préoccupe davantage que le signifiant. La lettre est saisie ici, dans l'optique d'un renvoi direct à l'œuvre comme objet réel à l'égard de la dette du sujet de la jouissance. De manière renouvelée, Artaud éprouve l'urgence de répondre à la question qui émerge de façon intuitive et qui s'avère heuristique : pourquoi écrire ? Tester la lettre, s'assurer de sa résistance, de ses limites avant qu'elle ne tombe dans le corps, dans le cri.

« J'écris ce que je souffre ou crée pour moi […]

Pourquoi écrire ?

Il y a un langage non imprimé

avec lequel je mangerai l'imprimé.

Ce langage est inscrit dans le corps sans lettres »[84].

« Me mettre toujours hors des mots et de la réponse discursive,

non parler

mais penser toujours petit nègre,

ils partiront »[85].

L'idée de « penser toujours petit nègre » donne aux écrits un aspect furtif et spontané alors qu'Artaud, par la force de l'insatisfaction, reprend inlassablement son travail d'écriture, parfois dans la perspective de contester ce qu'il a écrit précédemment.

« Je cherche un impossible écrit

qui n'est que dans mes mœlles inscrit

et même pas

mais qui dira le vide ou le plein

mieux que moi »[86].

Il insiste pathétiquement sur le fait qu'il ne s'atteindra jamais. Il donne la preuve de l'insuffisance de la production écrite pour parvenir à circonscrire une jouissance illimitée qui induit une absence de limites quant au savoir sur lui-même.

« Je n'oublierai jamais cette vie-ci.

Recherche de mon moi jamais atteint […]

Je suis Antonin Artaud

et rien de plus »[87].

Le constat présent apparenté au drame, à travers son œuvre, annule les solutions visées pour fournir une réponse pleine à l'énigme de l'être. À la suite du relevé de l'impuissance qui émane de sa recherche des fondements de la connaissance, est envisagée la solution suivante, annonçant la mort : « Il ne faut pas penser »[88]. Cette solution extrême est entrevue, dans une perplexité angoissante, afin de tempérer la cascade de réponses aux problèmes demeurés inchangés.

« J'ai cherché ma place (elle est ici) et

j'ai cherché à ne plus la trouver »[89].

Ses lancinantes interrogations découvrent un constat d'échec obsédant. « Il ne me manque que de pouvoir dire, moi, être, que je suis toujours présent, avec des mots et des gestes »[90]. « L'infini » alors ne peut que recouvrir l'appel d'Artaud. L'infini le représente, « je suis l'infini »[91]. Aucune limite quant au savoir sur la jouissance ne vient circonscrire cet infini débordant.

La finitude est posée comme le corollaire de la connaissance : « Et moi je finis au moment où je me connais »[92]. Le glissement perpétuel de son être est constamment renvoyé au ruissellement de l'infini qui le représente. Poser l'infini à travers la recherche de l'insondable le pousse à l'articuler dans et par son écriture.

« Et devant l'insondable de l'infini et la multiplicité de ses aspects

les êtres me supputent naïf

de croire au néant

et à la simplicité

d'un acte vide sur vide,

objectif sur objectif,

concret sur concret,

fini sur fini »[93].

L'abord de l'infini trouve une répercussion conclusive concernant la réponse donnée à la question de l'être.

« Et il n'y a pas de loi de l'être, ou des choses.

C'est l'infini qui existe seul »[94].

« Le vrai est ce que je vais faire

tout de suite

et que ne sera vrai en tout cas que ce que j'inventerai à la

minute par rapport à chaque problème,

non parce que je trouverai mieux que le passé

mais parce que la vérité est qu'il faut que je crée

et que l'acte immédiat est ce sur quoi toutes les choses sont

basées,

alors que la science et la connaissance les empêchent et empêchent

la réalité d'exister

et cet acte de création dissout tout autre fait et élimine la nécessité de s'en référer à une notion ou à une question.

La seule réponse à une question est de la nier comme intruse »[95].

À travers son œuvre, Artaud reste le témoin d'une nécessité implacable qui le conduit à créer, à inventer la lettre, à écrire toujours davantage. La lettre seule est appelée à l'infini dans un flottement perpétuel, répondant à l'exigence de saisir la façon dont s'écrit la jouissance, exigence incessamment renouvelée au regard du manque du signifiant phallique. La béance dans le champ du symbolique se laisse alors « entendre » par l'activité glossolalique. La lettre, happée par et dans l'œuvre, ne peut alors plus remplir son rôle de point de capiton : l'accès au réel de la lettre est impossible et l'écriture d'Artaud conserve le son via le cri. Artaud perçoit l'exil dans lequel la lettre est située et avec lucidité, il s'affirme comme un « analphabète illettré » que l'écrit et l'invention de l'écrit parviennent pourtant à guider. Son projet de mise au point d'un « instrument » d'action dépasse l'appui sur les « lettres » ou « les signes de l'alphabet »[96]. Le détournement de la fonction littérale ne peut qu'entretenir le fait d'être lu et écouté par des « analphabètes ». Dans cette veine, Artaud aime à se réclamer d'un public d'« analphabètes »[97].

L'immédiat, dans le refus du semblant dont témoigne le discours d'Artaud, est l'angle d'accès disponible pour la mise en forme de la production écrite « martelée ». Le théâtre fournissait une médiation douloureuse impossible à maintenir après 1937. À peine Artaud a-t-il déposé ses interrogations lancinantes dans un lieu, le théâtre, le corps, Dieu, l'origine, la mythologie, la lettre, que la voie tracée avec une lucide euphorie s'efface au profit d'autres questions dans une perpétuelle mouvance. Qu'est-ce qu'écrire pour Artaud, sachant qu'il n'a jamais cessé d'écrire, dans une inquiétante accumulation ? Le travail d'écriture ne peut que se poursuivre à l'égard de la mise en exil de la lettre. « Sa » lettre a quitté le point d'attache qui la fait lettre et qui permet de la dépasser ; elle s'inscrit alors dans une écriture en acte. Dans l'obligation de tout produire lui-même, de créer jusqu'à l'origine elle-même, de créer jusqu'au sens lui-même, Artaud tente de coincer son être et son questionnement sur l'être dans l'écriture. L'apaisement tant recherché n'est que ponctuel, puisqu'Artaud est à la poursuite constante de ce qui justement lui fait défaut pour que cessent ses interrogations. Par conséquent, le processus créatif de son écriture est déclenché indéfiniment pour former une œuvre interminable qui s'achève par sa mort en 1948.

Parallèlement à l'inscription dans une filiation imaginaire, la création d'Artaud demeure étrangement liée à la procréation. De façon singulière, Artaud affirme sa conviction de n'être pas né d'une mère, mais se réclame d'un auto-engendrement, d'un engendrement par ses œuvres. La « procréation », par l'énigme qu'elle suscite autour de l'absence du signifiant pur, ajoute à sa perplexité. Il vise la procréation à travers la création d'une œuvre, seule descendance envisageable en retour dans son histoire. La question de la modernité se trame derrière et dans l'œuvre d'Artaud. Ceci le situe ailleurs que dans la folie littéraire puisqu'il met en gage ce qu'il en est des rapports de l'ancien et du moderne à travers son écriture qui dévoile son intérêt pour la condition humaine. Dans sa recherche d'un fondement, d'une origine, il se place dans un entre-deux, entre la tentative de réintroduire l'homme dans la mythologie et la mise en avant de l'histoire contemporaine traversée par les guerres, les famines, l'envers du progrès technologique, les colonisations… Aussi, nous ne pouvons à présent nous détourner de l'élaboration anthropologique d'Artaud, construite en regard de la nécessité de se constituer sa propre représentation du monde et de l'homme. L'aménagement de sa prise de parole fondant son œuvre nous offre ainsi une leçon d'anthropologie constante : sa propre vision du monde qu'il a mise en écriture est riche d'enseignements et d'effets sur la culture. Son extrême sensibilité aux dérives symboliques de l'histoire et de l'humanité l'inscrit dans une orientation moderne et singulière d'appropriation du monde, et dessine la dette entretenue qui reste à saisir dans les différents domaines où l'œuvre d'Artaud a fait un tour, un détour.

Roselyne Leparoux

Références

Artaud, A.

Oeuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1976, I*.

Oeuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1964-79, V.

Oeuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1985, XXI.

Oeuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1987, XXIII.

Héliogabale ou l'anarchiste couronné, Paris, Gallimard, 1979.

Nouveaux écrits de Rodez, Paris, Gallimard, 1977.

• “Pour en finir avec le jugement de dieu”, émission radiophonique, Lyon, La Manufacture, 1986.

Les Tarahumaras, Paris, Gallimard, 1971.

Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964.

Lacan, J., D'un discours qui ne serait pas du semblant, livre XVIII, séminaire inédit, 1970-71.

Leparoux, R., “Psychose et Écriture : l'œuvre d'Artaud pour témoignage”, Mémoire de maîtrise, Université de Rennes 2, Juin 1995.

Leclaire, S., “Les mots du psychotique”, in Déraison - Désir, Paris, Seghers et Laffont, 1972, p. 116-130.

Maleval, J.-C., Cours de psychopathologie générale, Maîtrise et D.E.S.S., Université de Rennes 2, 1995-1996.

Virmaux, A. et O., Antonin Artaud. Qui êtes-vous ?, Lyon, La Manufacture, 1986.

[1] Psychologue clinicienne ; doctorante, UHB Rennes 2, Laboratoire de Cliniques Psychologiques, CEREA (Centre d'Etudes et de Recherches Epistémiques en Anthropologie), 6 av. G. Berger. Le présent article, dans le prolongement d'un travail entrepris en maîtrise de psychopathologie, fait suite aux conseils et aux discussions entretenues avec Olivier Douville, Maître de Conférences à Rennes 2.

[2] V, p. 173.

[3] Le théâtre et son double, p. 82.

[4] V, p. 14.

[5] V, p. 29.

[6] V, p. 61.

[7] V, p. 85.

[8] V, p. 67.

[9] V, p. 101.

[10] V, p. 114.

[11] V, p. 153.

[12] V, p. 157-158, en réponse aux apparentes confidences d'Alfredo Gangotena, en septembre 1933.

[13] V, p. 163. Dans le respect de la scription d'Artaud et ceci en référence aux notes de l'éditeur Gallimard, les grandes capitales dans les citations renvoient aux mots soulignés trois fois.

[14] V, p. 200.

[15] Le théâtre et son double, p. 60.

[16] Id , p. 56.

[17] XXIII, p. 46.

[18] XXIII, p. 361.

[19] XXIII, p. 385.

[20] Respectivement publiés dans la NRF en octobre 1932 et par les éditions Denoël et Steele en 1933.

[21]Le théâtre et son double, p. 159.

[22] V, p. 110.

[23] V, p. 111.

[24]Le théâtre et son double, p. 159.

[25] V, p. 104.

[26]Le théâtre et son double, p. 153.

[27] V, p. 230.

[28] V, p. 41.

[29]Le théâtre et son double, p. 123.

[30] Les Tarahumaras , p. 126, « Mon destin est cruel pour un but encore plus cruel auquel je sais qu'il me prépare ».

[31] XXIII, p. 424.

[32] Le théâtre et son double, p. 124.

[33] Id , p. 125-126.

[34] Id , p. 141.

[35] Id , p. 140.

[36] XXIII, p.27.

[37] XXIII, p. 200.

[38] V, p. 135.

[39] XXI, p. 161.

[40] XXI, p. 203.

[41] XXI, p. 63.

[42] V, p. 41.

[43] V, p. 32.

[44] V, p. 167.

[45] Le théâtre et son double, p. 58-59.

[46] Id , p. 108.

[47] Id , p. 82.

[48] V, p. 135.

[49] I*, p. 9.

[50] Le théâtre et son double, p. 113.

[51] Id , p. 91.

[52] V, p. 42.

[53] Le théâtre et son double, p. 126.

[54] V, p. 41.

[55] V, p. 236.

[56] VIII, p. 114. Cité par A. et O. Virmaux, Artaud. Qui êtes-vous ?, p. 206.

[57] Les Tarahumaras, p. 119. Lettre de février 1937 à J. Paulhan.

[58] Nouveaux écrits de Rodez , p. 103.

[59] XXIII, p. 493.

[60] V, p. 213. Projet de mariage avec C. Schramme avorté ce même mois.

[61] D'un discours qui ne serait pas du semblant, livre XVIII, séminaire inédit, 12 mai 1971.

[62] "Les mots du psychotique", in Déraison-Désir, p. 116-130.

[63] XXI, p. 23.

[64] I*, p. 10.

[65] XXIII, p. 309.

[66] XXIII, p. 427.

[67] I*, p. 119, "Fragments d'un journal d'enfer", 1926.

[68] I*, p. 145, "L'enclume des forces", 1926.

[69] XXIII, p. 247.

[70] XXIII, p. 229.

[71] XXIII, p. 12.

[72] XXIII, p. 479.

[73] XXIII, p. 384.

[74] XXIII, p. 381.

[75] I*, p. 98-99.

[76] XXIII, p. 15.

[77] XXIII, p. 42.

[78] XXIII, p. 46.

[79] XXIII, p. 61.

[80] XXIII, p. 279.

[81] XXI, p. 30.

[82] XXIII, p. 470 ; XXI, p. 140.

[83] XXIII, p. 427.

[84] XXIII, p. 139.

[85] XXIII, p. 84.

[86] XXIII, p. 79.

[87] XXIII, p. 139-140.

[88] XXIII, p. 138.

[89] XXIII, p. 165.

[90] XXIII, p. 140.

[91] XXIII, p. 228.

[92] XXIII, p. 196.

[93] XXIII, p. 226.

[94] XXI, p. 249.

[95] XXIII, p. 345.

[96] XXIII, p. 362.

[97] XXI, p. 249.