Les enfants dits "sorciers" dans les rues congolaises

Par Virginie Degorge

Psychologue clinicienne - Allocataire de recherche-monitrice, Paris-VII - Centre de Recherche en Psychanalyse et Médecine

«Et la Cité se meurt en ces morts sans nombre. Nulle pitié ne va à ses fils gisant sur le sol : ils portent la mort à leur tour, personne ne gémit sur eux.»

Sophocle [v.~430]

Introduction

Il est ici essentiellement fait référence au phénomène des enfants-sorciers observé en République du Congo lors d’une mission de 6 mois au Samusocial Pointe-Noire (SSPN). Le SSPN est un dispositif d'aide mobile d'urgence aux mineurs en danger dans les rues, rattaché au Samusocial International créé et présidé par X.Emanuelli qui m'a permis d'y effectuer cette mission. Je l'en remercie. Pointe-Noire est le centre économique de la Rép. du Congo, deuxième ville du pays après la capitale Brazzaville. Ville pétrolière stratégique, Pointe-Noire a été quasiment préservée des conflits qui ont dévasté le pays pendant les dernières décennies (et la République démocratique du Congo (RDC), voisine, encore aujourd'hui) d'où son explosion démographique en grande partie liée aux vagues successives de réfugiés fuyant Brazzaville ou Kinshasa.

Les hypothèses développées dans cet article ont pour beaucoup été exposées en juin 2009 dans le cadre du DIU “Enfants en danger dans les rues des grandes mégalopoles”. Ce texte a l'ambition de décrire des singularités subjectives, recouvertes ou étouffées par l'horreur et la fascination qu'inspirent le phénomène des enfants dits « sorciers ». Outre la nécessité pour le clinicien de préserver son écoute particulière malgré la stéréotypie de discours banalisants -l'accusation de sorcellerie est en passe de relayer le rejet par la marâtre ou le parâtre dans les causes avancées de l'arrivée en rue-, il doit maintenir un questionnement diagnostique critique face à des enfants et adolescents évoquant régulièrement la psychose sans pourtant en relever. Le risque est sinon de méconnaître l'étiologie traumatique de ces accusations et de l'identification à la figure de l'enfant sorcier.

“Enfant-sorcier” : risque d’une stigmatisation

Avec son succès grandissant, la récente catégorie de l' « enfant-sorcier » court le risque d'une réduction nosographique, abrasant la dimension du sujet, que ce soit par des réifications sociologiques ou ethnopsychiatriques. Mais « enfant-sorcier » n’est pas qu’un diagnostique, c’est d’abord et surtout une accusation de plus en plus disponible et répandue dans les rhétoriques sociales d’exclusion et de stigmatisation. Ces accusations, endémiques à Kinshasa, se développent, depuis le milieu des années 90', de part et d'autre du fleuve ainsi que dans la plupart des pays d'Afrique centrale et équatoriale, associées aux églises dites « de réveil ».

Tentons de définir. L' “enfant-sorcier” est un phénomène précis -un enfant est accusé d'être à l'origine de morts, de maladies, d'un divorce, du chômage d'un parent... et chassé du domicile ou soumis à des séances d'exorcisme pouvant entraîner sa mort (le plus souvent ils finissent par fuir du domicile et se retrouvent régulièrement « à la rue »). Actuellement cette terminologie s’enfle au point de devenir une catégorie floue, extensible, de plus en plus confondue avec celles d' “enfants des rues” ou d' “enfants soldats”. Il est à noter que le phénomène a émergé et s'est développé là où les enfants furent ou sont encore utilisés comme soldats dans des conflits qui ont laissé des milliers de morts sans sépultures (pilier anthropologique ici mis à mal). Abandonnés dans la jungle ou charriés par le fleuve, cette source de vie devenue charnier, la contamination que l'on craint des cadavres, des ancêtres [Freud, 1912-13], semble, dès qu’elle ressurgit, témoigner d’une incapacité à accueillir la nouvelle génération et cristalliser le sentiment d'être menacé par elle. L'importance du phénomène en RDC n'est sans doute pas sans liens avec les crimes encore perpétrés dans une partie du pays en guerre. En Rép. du Congo, le phénomène est moins extrême mais parait être en augmentation. D'autre part, si, à Kinshasa, on impute plus des 3/4 des arrivées d'enfants en rue à des accusations de sorcellerie, on constate par ailleurs que tout “enfant des rues” est potentiellement assimilable à un “enfant-sorcier » [D'Haeyer, 2009]. Comme s'il fallait bien être “sorcier” (au sens de malin, habile...) pour survivre dans la rue à cet âge. Ainsi, un garçon, en rue depuis l'âge de 5 ans, raconte : « On m'appelait « bébé sorcier » parce j'étais petit et déjà un phaseur », terme péjoratif, désignant les enfants des rues en Rép. du Congo, qui lui a été assigné par les gardiens de nuit, seuls témoins de son improbable existence. Les sorciers traditionnels, les féticheurs coexistent sans se confondre avec ces nouveaux ressortissants du “deuxième monde”[De Boeck, 2000] qui semblent donc être des figures anthropologiques différentes, plus proches des chasses aux sorcières que du chaman ou du guérisseur. Il apparaît donc nécessaire de sortir d'un exotisme sordide pour considérer plutôt un phénomène moderne dont on peut trouver, peut-être, des racines dans l'inconscient freudien.

La sorcellerie a trait à un « savoir » particulier souvent désigné comme « continent noir » [Freud, 1926] féminin, aujourd'hui incarné par des enfants, des deux sexes. La précarité de l'existence de ces enfants accusés, censés être capables des pires maux, est à souligner. Ainsi, les plus faibles, les moins « armés » pour la vie, deviennent les figures privilégiées de la menace. Le sorcier est desétayé du social. C’est un survivant. On pense ici au fantasme du « nourrisson savant » [Ferenczi, 1923] où de très jeunes enfants devenus omnipotents et omniscients apparaissent en rêve aux adultes. Ce savoir et ce pouvoir supposés deviennent sources de méfiance allant ici jusqu’à la persécution et au rejet. Nous analysons ce mécanisme en lien avec les traumas multiples vécus par la population et restés forclos de l'histoire officielle. À la façon des hallucinations lilliputiennes de « nains et petites créatures apparaissant [...] en horde terrifiantes » [Ferenczi, 1926] ou des déformations microptiques dans les rêves de personnes souffrant de névrose d'angoisse où elles sont à rapporter au Hilflösichkeit de la prime enfance [Freud, 1899-1900], l'inflation des accusations de sorcellerie enfantine peut être entendue comme défense contre le surgissement d'angoisses traumatiques. La réalité aurait alors revêtu, avec ce phénomène, la forme de l'hallucination persécutrice ou du rêve, qui, sous des airs de cauchemars, garde quelque chose du désir dans le déplacement et la réduction des objets terrifiants (armée régulière ou non, morts qui n'ont pu être honorés...deviennent enfants). Dans les deux Congo, ce mot, “traumatisme”, est sur toutes les lèvres, et pour cause... Du point de vue collectif, l'explication sorcière vient colmater l'insensé des horreurs subies et/ou perpétrées et les trous laissés dans l'histoire et les identités par une loi du silence qui prend le pas sur le difficile, mais semble-t-il nécessaire, travail de mémoire. Il ne faut pas méconnaître l'utilisation politique de ces accusations en plus des raisons individuelles d'y avoir recours.

“Enfant-sorcier” : un statut ?

Pour ce qu’il en est de notre terrain, il reste à expliquer pourquoi certains de ces jeunes, loin de s’offusquer d’une telle accusation, alors qu’elle les accable, semblent y tenir au point de s’y identifier. Celui qui est visé par tant de projection de pouvoir et de dangerosité, en même temps qu’il est chassé et laissé en état de détresse, trouve dans l’identification « enfant-sorcier » un refuge adaptatif qui permet une défense mégalomaniaque antidépressive. Seulement, cette « acculturation antagoniste » [Devereux, 1972] a un coût élevé pour le psychisme et très souvent pour le corps dont l’intégrité sera mise en péril réel en raison de l’activation conséquente de fantasmes d’indestructibilité. Ainsi, un petit garçon déclare au photographe V.Beeckman [2001] : “J'ai mangé huit cents hommes. Je leur fais avoir des accidents [...]. Je suis même allé en Belgique grâce à une sirène qui m'a emmené jusqu'au port d'Anvers. Parfois, je me déplace en volant sur mon balai, parfois en volant sur une peau d'avocat. La nuit, j'ai 30 ans et j'ai cent enfants. Mon père a perdu son poste d'ingénieur à cause de moi – et puis j'ai tué tous les enfants pas encore nés de ma mère.” Morts en masse, fantasmes cannibaliques, angoisses de dévoration et désirs oedipiens culminent ici dans la figure monstrueuse de foetus morts où l'on peut lire aussi le symbole de l'attaque des jeunes générations dont il fait bien entendu parti. D'autres, comme cet adolescent de 12 ans environ qui « consulte » les guérisseuses du village, assument la responsabilité des morts de la guerre : “ [...] J'étais le conseillé de Lucifer [...] J'ai mis des fétiches dans la maison pour que papa et maman ne puissent plus jamais s'entendre. [...] [J'ai tué], pendant le massacre, 30 personnes. [...] C'est comme si elles étaient touchées par les balles, ou comme si les soldats les avaient tuées, or...cétait moi [...] Si par exemple, les soldats coupaient la tête des gens, moi je mettais en eux l'esprit pour qu'ils aillent sur le pont pour fuir la guerre. Au pont, ils se trouvaient face aux soldats rwandais qui les tuaient, et c'est comme si c'étaient ces militaires qui les avaient tués”[Michel, 2005]. L'erreur serait alors de voir dans ces impressionnantes fantaisies macabres un signe de psychose et de méconnaître la réalité du pays d'une part et, d'autre part, les questions adolescentes et les façons névrotiques de s'en saisir, comme on peut. Une telle trouvaille a de grands bénéfices psychiques pour cet adolescent, témoin passif de ces massacres ou de leurs récits terrifiants, qui devient alors coupable mais « acteur », donc en position illusoire de maîtrise. Je pense ici aussi à un adolescent, handicapé physique léger, accusé d'avoir, à 7 ans, tué ses deux parents, morts par balles pendant la guerre à Brazzaville... En adhérant, un temps, à l'identité de sorcier, il s'assurait une tranquillité (toute relative) en rue (passer pour fou et se maintenir dans un état de grande saleté le protégeait assurément plus des risques d'agressions des autres jeunes) mais y trouvait surtout un secours imaginaire à sa détresse et au rejet total dont il faisait aujourd'hui l'objet de la part de sa famille qui l'avait autrefois séquestré et torturé avant qu'il réussisse à prendre la fuite. Il ne comprendra qu'avec l'intervention d'un éducateur, une fois sorti du contexte hostile de la rue, pourquoi il ne peut exiger des enfants plus jeunes du centre, la satisfaction de ses pulsions sexuelles. Poussée à ses extrêmes -cad sans une intervention bienveillante et secourable qui fasse incise dans la suradaptation à la violence de la rue- cette identification toute-puissante peut donc parfois conduire à des comportements psychopathiques où l'autre n'est plus à force de ne pas avoir été. Le roman African psycho décrit l'itinéraire meurtrier d'un « J-B Grenouille » ponténégrin [Mabanckou, 2003] mais toutes les suradaptations ne prennent heureusement pas cette forme. La « suradaptation paradoxale », terme forgé par O.Douville, permet de rendre compte de l'effet possible du traumatisme cumulatif et de le traiter, là où échouent les théories restreintes à la dimension du fantasme ou celle plus moderne de résilience. Si donc, comme il le souligne dans un de ces enseignements inédit au Samu Social Mali, il existe bien des psychoses à l'état libre chez les enfants des rues (rares) et, par ailleurs, des enfants se disant sorciers -figure de la suradaptation pour certains des plus en détresse qui y trouvent une orthopédie de fortune, lourde de conséquences physiques et psychiques-, je n'ai jamais rencontré l'association de ces deux traits chez un même sujet. La suradaptation semble une capacité d’adaptation qui n’est pas caractéristique de la psychose enfantine. La « théorie » sorcière ne semble d'ailleurs pas plus être une explication « psychotique » du monde. Ainsi, dans le cas de l'enfant baptisé « bébé sorcier » par son environnement de rue et une large part de sa famille, la mère, psychotique, n'utilise pas ces références et se contente de l'appeler « phaseur » et non « sorcier ». Sa situation ne semble provoquer chez elle aucun affect, trait caractéristique de la pathologie dont elle souffre qui prend le pas sur la réaction traumatique classique. Il serait donc réducteur et faux de limiter ces questions à une affaire de culture ou de croyance à laquelle une rééducation cognitive ethnocentrique viendrait palier, niant les rejetons du même ordre qui foisonnent dans nos sociétés occidentales, elles aussi productrices de sinistres prédictions à l'endroit de leurs jeunes...

Entre eux, il n'est pas rare de voir les enfants des rues, surtout les plus jeunes, se lancer des “phaseur” ou des “ndoki”(« sorcier » en Lingala), forme de ritournelle, façon de jongler avec un signifiant qu'on leur assigne sans qu'ils y comprennent grande chose. Cela ne s'accompagne que marginalement d'une crainte réel que l'autre puisse être sorcier, mais le terme fuse et peut être reçu comme une extrême violence. Il arrive cependant qu'un enfant/adolescent soit électivement taxé de sorcellerie par les autres. Je pense ici à un adolescent gravement épileptique, trouvé grabataire, dans un état d'incurie et d'inconscience, que les jeunes de la rue disaient sorcier parce qu'il ne réagissait pas aux coups qu'ils lui donnaient du fait de l'insensibilité complète de son corps à ce moment : résister à la douleur, c'est donc être sorcier. Mis à l'abris et pris en charge médicalement, il récupère toutes ses fonctions de base. Parallèlement une psychose hallucinatoire chronique se fait jour, probablement une psychose infantile ayant évoluée sur un versant déficitaire avec une série de symptômes pseudo-obsessionnels à caractère adaptatif. Il a en particulier des « exigences » de non contact entre certains objets lui appartenant et ceux des autres enfants qu'il justifie par la crainte de leur transmettre sa neuropathie. Ce qui a pu être recomposé de sa trajectoire de vie à travers son discours, plus que confus du point de vue historique, nous permet de dire que son épilepsie a été « traitée » par des méthodes traditionnelles utilisant ce type de prescription de rituels et d'interdit du toucher. Le délire n'est pas là et, à aucun moment, il n'adhère à l'identité de sorcier, sait-il seulement que c'est ainsi que ses compagnons d'infortune le considèrent? Ses maladies, neurologique comme psychiatrique, sont autant de signes qui le désignent comme sorcier. Cependant, dans la population, les stigmates de la sorcellerie enfantine ne sont que rarement des manifestations aussi bruyantes et n'importe quelle particularité minime ou « trouble du comportement » (agitation, maladresse, actes ou pensées « bizarres », énurésie...) suffit et est à peine nécessaire. À l'heure actuelle, aucun lieu n'accepte ou ne peut accueillir cet adolescent de façon appropriée. La psychiatrie reste un des secteurs les plus déshérité, dans un contexte de grande précarité du réseau médico-sociale. Il dit être venu du pays voisin (où sa mère et lui s'étaient réfugiés) par ses propres moyens et décrit un périple homérique pour rejoindre sa ville natale, délire sur des questions de nationalité, de langues et d'enfermement, dimension « géopolitique » du délire et du « voyage » schizophrénique [Deleuze-Guattari, 1972-1973]. Il semble que sa mère soit décédée ; il n'aurait pas vu son père, congolais, depuis 10 ans et connaît à peine son nom. Enfin, une profonde désorganisation du rapport au temps et à l'espace (il disait, par exemple, avoir 10 ans alors que selon toutes évidences et avis médicaux il en a plutôt 17 ou 18) compromet toutes recherches en vue d'un retour en famille qu'il souhaiterait pourtant. Les avis de recherche ont été vains. Le rapport au corps et au langage est très perturbé par les trous laissés par la forclusion, les ruptures et les traumas qui, avec les attaques épileptiques, ont émaillé sa vie. Cependant, une histoire semble s'écrire dans la relation au SSPN comme amarre. Ces situations nous imposent alors de considérer la post urgence et de l'élaborer tant du point de vue théorique que logistique.

Les « étiquetés » sorciers sont donc particulièrement en danger, qu'ils s'aliènent où non à cette identité. Lorsqu'un enfant affirme l'être, on ne peut le traiter par une sorte de rééducation cognitive ou se contenter de le rassurer de nos bons sentiments. Cette identification « magique » et pourtant non délirante a sa raison d'être dans la logique de survie (notamment ici psychique) ; elle participe de la suradaptation et disparaît avec elle lorsque l'enfant est placé dans un lieu de vie « suffisamment bon ». La présence régulière auprès de ces enfants permet, après un certain temps, de venir à bout d'angoisses allant jusqu'à la conviction mélancoliforme de contaminer, nuire à l'autre, en passant par celles du désir parricide... Nous retrouvons alors un terrain oedipien et le thème de la séduction sexuelle n'est pas en reste. Ainsi, une « sorcière » de 3 ans, peut affirmer se transformer la nuit en belle jeune femme pour séduire son père... La « langue » adulte rencontre les désirs infantiles inconscients. Le travail psychothérapeutique doit respecter ces différents temps de la subjectivation intimement liés à l'évolution sur le plan médico-social.

Embarras des retours en famille

Le “retour en famille” est actuellement, au Congo, la seul issue prescrite par le gouvernement pour enrayer le “problème” des enfants des rues. Les dérives meurtrières des accusations sorcières ne sont pas clairement et officiellement condamnées. Ces positions pèsent sur le travail des organismes qui prônent une prise en charge au cas par cas. Le retour en famille des « sorciers » n'est en effet pas toujours souhaitable ou possible et est, en tous cas, inenvisageable sans un travail préalable d'écoute et d'analyse de ce que le terme recouvre pour les intéressés. La coopération avec les réseaux locaux et l'aide au développement de ceux-ci sont donc centrales. Se pose aussi la question des limites dans lesquelles une aide humanitaire d'urgence reste pertinente dans ce contexte, sachant que l'urgence appelle la post urgence, complexe et exigeante en terme d'infrastructures et de supports institutionnels, de patience aussi... Certaines demandes pressantes d'enfants d'un retour en famille ne peuvent donc se comprendre que un contexte où, comme à Pointe-Noire, les centres d'hébergement proposant un accueil plus décent que la rue sont rares et toujours saturés. Elles participent alors de la suradaptation et de ses risques. Il y a donc plus d'une limite à faire valoir contre l'échange généralisé par certaines ONG, bien qu'inefficace si l'on n'en croit pas les chiffres officiels : récupération (rapide) de l'enfant par sa famille contre nourriture, argent... bref, rentabilisation du retour de l'enfant qui, le plus souvent, préféra son ancienne condition d'exclu à celle de marchandise. Seul un travail régulier et renseigné auprès de ces jeunes, de leur famille et des acteurs locaux peut aboutir à une prise en charge individuelle cohérente. Son issue et son déroulement résistent à une protocolisation qui ignore les frontières et clive les sujets, ici comme ailleurs : « Il nous reste, et il nous revient, d'accompagner ces jeunes à s'inventer un voyage et un pays. »[Douville, 2007]. Si une disposition clinique, une possibilité d'étonnement, demeure malgré un Réel saturant, une rencontre peut survenir sur le trottoir d'une rue, bouillonnante le jour, que la nuit, sans électricité, a presque apaisé et où ne persiste que l'onde laissée par les chocs de l'histoire, les rythmes des corps et des langues, entretenue par les phares du camion d'aide, veilleuses mobiles dans le noir angoissant,...et le fracas des vagues.

Virginie Degorge

Bibliographie

V. Beeckman (2001), “Growing up on the streets of Kinshasa” in The Courier ACP-EU, Bruxelles, sept-oct 2001, p63-64

F. de Boeck (2000), “Le “deuxième monde” et les “enfants sorciers””, in Politique africaine, n°80, p32-57

G. Deleuze et F.Guattari (1972-1973), Capitalisme et schizophrénie 1 : l'anti-Oedipe, Minuit (nouvelle édition augmentée), 2008

G. Devereux (1972), Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris, Flammarion

A. D'Haeyer (2009), Enfants sorciers, entre magie et misère, Labor Littérature

O. Douville (2007), De l'adolescence errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités, ed. Pleins Feux

S. Ferenczi (1923), « Le rêve du nourrisson savant », in O.C. III 1919-1926, Payot, 1964, p203

S. Ferenczi (1926), « Fantasmes gulivériens » in O.C. III 1919-1926, Payot, 1964, p410-427

S. Freud (1899-1900), L'interprétation du rêve, O.C. IV, PUF, 2004

S. Freud (1912-13), Totem et tabou, Payot, 2001

S. Freud (1926), La question de l'analyse profane, Gallimard, coll. Bilingue, 2003

A. Mabanckou (2003), African psycho, Serpent à Plumes

Sophocle (v.~430), Oedipe roi, Librio texte intégral, 1994

Documentaire

T. Michel (2005), “Congo River Film”, Documentaire franco-belge, Arte diffusion 5 juin 2009. Traduction du Lingala en sous-titrage.