Le corps fragmenté : la manipulation du cadavre et la terreur dans l'étude du conflit violent colombien

Par Carlos Alberto Uribe[1]

Résumé : Cet essai rend compte de la manipulation des cadavres des victimes des massacres, spécialement des victimes des campagnes de terreur et d'extermination de populations paysannes sans défenses par les groupes de combattants irréguliers connus comme paramilitaires, durant les deux dernières décades du conflit armé en Colombie. Il s'agit de mettre au service de l'interprétation du problème du corps fragmenté des éléments tant anthropologiques que psychanalytiques, qui aident à comprendre les phénomènes de contagion rituelle, mort violente, terreur, magie et sorcellerie qui composent la violence rurale colombienne – phénomènes laissé de côté dans une très large mesure ou considérés d'une manière sommaire par le courant principal des analystes et des scientifiques sociaux qui se préoccupent des problèmes de la violence et du conflit en Colombie.

Mots-clés Colombie ; violence rurale ; massacres ; corps fragmenté ; psychanalyse et anthropologie ; contagion rituelle.

Summary This essay intends to explain the manipulation of the corpses of victims of massacres, especially of those victims of campaigns of terror and extermination of defenseless rural populations by members of armed irregular groups locally known as the “paramilitaries”, during the last two decades of armed conflict in Colombia. The aim is to interpret the problem here called of the “fragmented body” from a perspective which combines both anthropology and psychoanalysis, in order to understand phenomena such as ritual debasement, violent death, terror, magic, and witchcraft, which are woven into Colombia’s rural violence –problems which are largely left out, or considered only summarily, by mainstream social analysis of violence and conflict in Colombia–.

Key words Colombia ; rural violence ; massacres ; fragmented bodies ; psychoanalysis and anthropology ; ritual debasement.

« …la guerre, et sa brutalité, n'est en rien une colère, et n'est pas simplement la production d'esprits malades. Derrière la brume et le sang,

il y a des explications logiques et rationnelles qui peuvent pousser n'importe quel être humain depuis le plus innocent jusqu'au plus vulnérable,

depuis le père de famille exemplaire jusqu'à la femme la plus fragile - à commettre les actes les plus barbares qui se puissent imaginer ».

Editorial de la Revue Semaine, édition n° 1336, du 10 au 17 décembre 2007 p. 86.

Les faits

Considérons les informations suivantes publiées par un quotidien national en Colombie, au cours d'une période comprise entre septembre et décembre 2007.

« Maria était une des femmes les plus en vue de Perto Asis (Putumayo). Pas spécialement à cause de sa beauté, mais à cause de ses pouvoirs de parapsychologue, comme elle se présentait. […] Consultations astrologiques, aspersions et fumigations, et jusqu'aux soins pour le corps et l'esprit lui ouvrirent les secrets des groupes qui se formèrent là-bas après la démobilisation (des groupes armés nommés paramilitaires) et qu'à partir de ce moment elle commença à raconter au procureur. Ce qu'elle et d'autres gens du peuple ont dit à la justice fut utilisé pour démanteler, à partir de novembre 2006, une bande nommée los rastrojos (les chaumes) composée d'anciens paramilitaires qui firent revenir les jours de terreur. Elle fit connaissance d'un des rastrojos, il y a cinq ans, pendant la période la plus dure des assassinats des AUC[2]. On l'appelait l'Indien et il la consulta parce qu'il souffrait depuis quelque temps de peurs incontrôlées et se sentait persécuté. Il faisait partie des urbains. Il se mêlait au peuple et informait des mouvements inhabituels de la Police ou de l'Armée. Tourner en rond, en slip dans une pièce illuminée de cierges, les bras étendus sur les côtés, en prisant du tabac, fut son remède. Pendant ce temps, dans son cabinet, arrivaient d'autres rastrojos qui recherchaient la protection de l'au-delà pour ne pas être touché par les balles et pour qu'il bénisse leurs armes et jusqu'à leurs munitions. Des balles marquées avec une croix dans le plomb, pour en finir avec quoi que ce soit, et des hommes avec les ongles peints en noir, pour épouvanter la mort étaient des faits quotidiens dans son négoce ». (El Tiempo, dimanche 16 Décembre 2007 pp. 1-4).

Deux autres article de presse :

« Le premier qui a souffert de convulsions fut un garçon très jeune. Il est tombé par terre, il écumait et vomissait. Il menaçait de tirer sur tout le monde et il a fallu le désarmer. Ensuite ils commencèrent à dire qu'à la montagne, il leur faisait peur, et puis personne ne voulait y aller », raconte un paysan de 70 ans habitant le sentier La Linda, de Santuario (Risaralda). Le vieillard se rappelle aussi des événements étranges attribués dans la région aux esprits : ils parvinrent à effrayer les paras du groupe Héros et Martyrs de Guatica dans les montagnes de cette commune. Les habitants racontent que la situation s'est amplifiée à tel point qu'il fut nécessaire de dire une messe d'’exorcisme dans le sentier de La Esperanza à laquelle assistèrent tous les paras. Les paysans sont d'accord sur le fait que la cérémonie eut lieu pour soigner la frayeur des combattants, que l'on suppose tourmentés par leurs propres victimes, dispersées à La Esperanza, La Mina et d'autres quartiers à deux heures et demie de Pereira. Bien que les habitants aient été invités, ils affirment que seuls y assistèrent les paras et leurs commandants. D'après la confession de l'ex-chef para Carlos Mario Jimenez Macaco, il y eut également une exhumation de 40 cadavres en avril 2003, Il dit que cela fut fait à cause de la pression des gens, qui affirmaient que les paras étaient en train d'être possédés par les âmes des personnes qu'ils avaient enterré sans rites religieux et à cause de cela, ils obligèrent un prêtre de Pereira nommé Fabian, à aller jusqu'à cette zone ».

« Les témoins soutenaient que les âmes de ces morts s'emparaient des corps des combattants armés, provoquant un déchaînement de furie qui exposait les autres à une tragédie, car les esprits et les consciences possédés par ces esprits se troublaient de telle sorte qu'ils perdaient le contrôle, tiraient des coups de feu et prononçaient des paroles incompréhensibles », dit Macaco au procureur de justice et paix de Medellin[3]. Macaco dit qu'ils ont décidé de les incinérer et des les enterrer dans le cimetière de Santuario. Dans cette région de Risaralda, on trouve aussi une version d'un exorcisme de style paramilitaire. D'après ce que l'on raconte, un commandant rassembla tous ses hommes et ensuite il ordonna à ceux qui avaient peur des esprits de faire un pas en avant et de sortir pour faire leur ronde. Deux de ceux-ci firent un pas en avant et un homme dégaina son pistolet et les tua d'une balle dans le front. Ensuite il posa à nouveau la question et personne n'osa répondre. Bien que l'on ne connaisse pas le nom du commandant, on dit qu'à partir de ce moment, on l'appela l'exorciste. (El tiempo, vendredi 2 novembre 2007 pp. 1-6.)

La troisième et dernière dépêche de presse constitue une longue chronique et fut publiée comme une nouvelle de premier plan dans l'édition dominicale du 25 novembre 2007 du journal El Tiempo. Dans celle-ci on fait allusion à la furie des esprits qui se déchaîna dans les Llanos orientaux de la Colombie, comme une des conséquences de la guerre entre deux blocs rivaux de paramilitaires en 2004 – guerre aussi rapportée dans le livre Confesiones de un paraco, le journal personnel qu'abandonna dans sa fuite le nommé Jose Gabriel Jaraba (Jaraba 2007, cf. Revista Semana, n° 1298, 2007). La chronique commence par une entrevue avec l'un des guerriers survivants, qui raconte à la journaliste comment il fallait piquer (écorcher, dépecer), les morts tombés au combat avant de les jeter à la rivière alors que d'autres cadavres étaient laissés aux intempéries pour qu'ils soient dévorés par les charognards, spécialement par les condors ou chulos. Le problème, c'est que de tous ces morts, les esprits se détachaient : « Les gens devenaient fous, ils étaient possédés par un esprit et il leur arrivait de se battre avec des arbres. L'un demandait à l'esprit : "Pourquoi tu viens ? Qu'est ce que tu veux ?" et lui il répondait à partir du corps d'une autre personne et il disait, par exemple : "Je viens parce qu'ils m'ont tabassé à tel endroit et ils ne m'ont pas jeté en entier où ils devaient me jeter et s’ils ne me rendent pas ce qui manque, alors je continue à frapper les gens ». Cet esprit sautait sur l'un et agrippait un autre, et cela recommençait presque tous les jours.

Acte suivant : la journaliste Luz Maria Sierra explique comment les femmes étaient plus exposées à « être prises par le diable ». Les hommes préféraient se transformer en croisés grâce à un rite satanique – qui inclut de boire le sang d'un chat noir sans yeux – dans le but de protéger leur vie au combat, en échange de remettre leur âme au Diable. Le croisé doit se peindre les ongles en noir pour qu'au milieu du combat, il puisse être identifié par l'être qui le protège. Le rituel de croisement est le même que celui qu’on connaît sous le nom de prière en croix. (El Tiempo, dimanche 27 novembre 2007, pp. 1-2). L'article détaille également quel était l'entraînement auquel étaient soumises les recrues de ces armées paramilitaires. « La méthode pédagogique était macabre : ils se débarrassaient de ceux qui étaient faibles et de ceux qui ne paraissaient pas assez convaincus de la cause et avec leurs cruels assassinats, ils donnaient aux autres des leçons de barbarie ». Ces leçons incluaient l'anthropophagie. : « La chair, cela tenait à la curiosité. Au cours de 2002 et 2003 celui qui le souhaitait mangeait de la chair humaine. Auparavant, c'était s'ils étaient obligés ». Un autre témoignage raconte que l'on faisait prendre aux recrues le sang de leurs compagnons morts pour obtenir la force du mort. ( El Tiempo dimanche 27 novembre 2007 pp. 1-2).

Ces trois informations collectent des faits très scabreux et cruels, barbares, diront de nombreuses personnes. Il s'agit en effet de toute la démonstration d'une panoplie d'actes rituels couverts, voilés, ayant trait à la sorcellerie ou au satanisme qui font partie du secret public avec lequel on prétend cacher et lutter contre la mort dans le grand conflit armée colombien. Un petit inventaire des pratiques rapportées inclut la consultation de personnes spécialistes en sorcellerie ou en sacré pour qu'elles (principalement des femmes) appliquent les aspersions et les soins pour le corps et l'esprit. Ce sont elles qui dispensent les protections surnaturelles pour que les balles ne rentrent pas dans les guerriers, qui alors disposent d'armes et de munitions bénies pour qu'elles frappent les ennemis et provoquent une mort infaillible. Ce sont ces guérisseurs qui soignent ces peurs incontrôlables et les persécutions dont souffrent les vivants de la part des âmes des morts de la violence généralisée, dont les cadavres sans sépulture sont violentés par le démembrement et les charognards. « Ils ne m'ont pas jeté entier où ils devaient me jeter : et s'ils ne me restituent pas cela, je continue à frapper les gens ». Les esprits des morts, déchaînés, libres, vagabondent dans les champs et les sentiers à la recherche de leurs persécuteurs pour les posséder dans une atroce revanche. Les ongles sont peints en noir pour épouvanter la mort. Quand la mort ne peut être épouvantée et que les âmes des morts errent librement, la solution est la messe de guérison, l'exorcisme, les protections, la prière en croix. Le moyen pour s'approprier la victime, pour vaincre la mort et incorporer son pouvoir est l'anthropophagie. Le propos de cet essai est donc d'explorer les interprétations plausibles des faits tirés de la synthèse des précédentes informations parues dans la presse – faits qui en réalité sont bien plus fréquents se passent bien plus souvent et dans d'autres lieux également.

Passé et présent

Celui qui est familier de la copieuse littérature qui existe sur la violence en Colombie, écrite parfois avec une majuscule, la Violence, sait que les actions décrites dans les paragraphes précédents sont très fréquentes. Elles ont commencé à filtrer dans les pages des journaux nationaux à la fin de la décennie de 1940. De cette époque date l'aggravation du conflit partisan entre les libéraux et les conservateurs, dont les expressions sous forme de massacres, règlements de comptes, démembrement de corps agonisants et de cadavres encore chauds, les fameux cortes[4], le jet de corps dépecés dans les rivières et d'autres actions de cruauté ayant trait à la mort et aux morts, n'ont pas cessé de surprendre les observateurs. De la même manière, on est surpris de constater que quatre décennies plus tard, les expressions similaires de l'assassinat massif et des corps fragmentés au cours de la guerre ont à nouveau fait irruption, d'une manière très dérangeante dans tous les mass media. Pour reprendre les mots d'un observateur étranger :

« Les modes de torture, d'assassinat, les massacres et les déplacements, semblables à ceux qui ont eu lieu pendant la Violencia, ont revécu en Colombie à la fin du XX° siècle par le fait de nouveaux modes d'organisation. Les dynamiques du début du XXI° siècle sont nouvelles du fait principalement de l'impact semblable à un ouragan du trafic de narcotiques, de l'avancée politique et territoriale des paramilitaires, de l'augmentation de l'intervention des Etats-Unis ». Le cœur de son argumentation, est donc que « pour comprendre la guerre civile que vit aujourd'hui la Colombie, il est nécessaire d'apprécier les diverses strates des conflits antérieurs et le poids accumulé de contradictions non résolues ». Sa conclusion : « Le conflit colombien contemporain est un miroir du passé, avec d'importants transferts de propriétés et de territoires aux plus riches et puissants, à la manière d' une nouvelle instance d'amnésie officielle en relation avec les crimes officiels – une amnésie légiférée au nom de la paix et de la réconciliation nationale » (Hylton 2006:7).

Malgré les abominables paroles de Hylton, peut-être que ce qui à trait à l'amnésie officielle a vu le jour depuis la loi 975 de 2005. Cette loi, connue sous le nom de Justice et Paix fut votée par le Congrès de la République dans le but de légitimer et de régler le dépôt des armes et la réincorporation institutionnelle des groupes irréguliers paramilitaires, présentée sous le patronage du gouvernement du Président Alvaro Uribe Vélez. Depuis, les informations publiques et les révélations de la part des responsables de ce type d'événements sont devenues courantes. Il semble que les meneurs des AUC, Autodefensas Unidas de Colombia, comme s'est nommée l'organisation générale de toutes les bandes paramilitaires, de même que de nombreux de ses militants du rang le plus haut et de la plus grande notoriété publique, souhaiteraient mettre un accent important sur les détails sinistres des assassinats multiples commis par eux au moyen de la confession obligatoire que la loi requiert de ses nombreux crimes. Une confession, qui pour être légale, doit posséder des traits cathartiques qui ont à voir avec la confession catholique des péchés mortels. De fait, ces criminels, par leurs confessions recherchent plus qu'une absolution.

A propos des vérités révélées par les paramilitaires qui ont été pris en charge par la Loi Justice et Paix, et de leurs alliances avec les hommes politiques régionaux et nationaux et les autorités civiles et militaires qui leur ont apporté leur soutien, (alliance parapolitique) la journaliste Maria Teresa Ronderos écrit que pendant l'année 2007 :

« On a enregistré avec une certaine précision près de 120 000 faits violents (associés à la violence paramilitaire qui comprend la période de 1985-2003, approximativement), chacun d'entre eux a causé une ou plusieurs victimes. Avec le nom, le prénom, la signature, la trace, chacune de ces milliers de victimes s'est présentée à la Fiscalia, à la Defensoria, aux procureurs, à la commission nationale de réparation et conciliation (CNRR) en compagnies, comme des fourmis, chacune avec son petit morceau de vérité mais déterminées à la reconstruire en entier. Elles ont voyagé depuis la campagne jusqu'à la ville. Il y eut plus de 90 journées de réception des victimes. Elles avaient été invisibles et maintenant, elles existaient. Presque une douzaine de ses chefs, parmi lesquels, Yolanda Izquierdo, Carmen Santana, Oscar Cuadrado, et Gustavo Espitia, furent assassinés pour être sortis de sous la terre et avoir eu le courage de parler. Mais malgré cela, quelque chose a changé, car il y eut des réactions en leur défense, comme la tutelle qui oblige le gouvernement à les protéger.

La disparition forcée était une tragédie que la Colombie avait tenté de cacher sous le tapis pratiquement depuis qu'elle existe. La vérité de cette année : 973 fosses communes trouvées avec 1 153 corps de personnes qui s'étaient envolées dans les mains des paramilitaires. Le chiffre de 7 500 disparus à cause duquel l'association des familles des disparus et détenus (ASFADDES) était traitée de sensationnaliste il y a quelques années est devenu faible devant les hallazgos découvertes de cette année et aujourd'hui nous savons qu'ils y en eut 15 000 ou peut être davantage. De nombreux problèmes logistiques et le défaut de recours devant l'État, ont eu pour effet que les exhumations n'aient pas conduit rapidement à une identification des corps et seuls 13 ont été clairement identifiés jusqu'à présent. Mais 406 ont été reconnus par leurs proches grâce à leurs vêtements, ou à quelque autre indication. C'est une vérité énorme pour le pays, peut-être la plus brutale et nécessaire.

L'autre vérité que nous commençons à apprécier, c'est celle des bourreaux, Pour la première fois, ils ont été mis sur le banc des accusés pour rendre compte à la justice. Il y a eu des heures et des heures d'enquêtes ; d'efforts des chefs pour donner une allure politique à des actes barbares ou pour donner à l'AUC l'apparence d'une structure hiérarchique organisée alors qu'en réalité, ce fut une couverture qui recouvrait une confrérie d'’ennemis, en lutte permanente pour la domination et les ressources. Mais les versions libres qu’ont donné presque 600 militaires démobilisés ont également sorti des flots des vérités profondes sur la manière dont s'est organisée la terreur vis-à-vis des populations civiles et sur ce qui a été commis. Jusqu'à présent les démobilisés ont confessé presque 3 600 actes criminels directement en lien avec environ 5 500 victimes. A présent, le pays commence à comprendre comment, quand, qui et pour qui ont été commis de nombreux massacres, comme celui de El Salado, ou des assassinats, comme celui de Gentil Cruz Patino, représentant d'une ONG française aux alentours de la Sierra Nevada (O, n° 1337, décembre 17 –24 2007, pp. 32-33).

Explications

Il y a de nombreux fils conducteurs qui lient les massacres et leurs horreurs, associés à l'époque de la Violence avec les plus récents des paramilitaires. Peut-être que le plus important est le lieu de cette continuité entre les corps fragmentés du passé et du présent est le même. Il s'agit du lieu rural du pays. La question est dès lors celle-ci : pourquoi a campagne est-elle le lieu du grand conflit armé colombien – conflit qui a commencé à partir de la décennie 1930, bien avant cette période connue comme la Violence (qui a débuté selon l'historiographie conventionnelle à partir de l'assassinat à Bogota du chef libéral Jorge Eliecer Gaitan, le 9 avril 1948). Trouver la réponse implique d'étudier la structure de la possession de la terre et les modes de production de l'agriculture colombienne, héritières des temps de la colonie espagnole et des changements du XIX° siècle ( LeGrand, 1988:227). Et surtout d'analyser le rôle des paysans métis, indigènes et afro-colombiens, face aux grands propriétaires, qu'ils soient fermiers ou propriétaires fonciers se consacrant à l'agriculture, éleveurs, entrepreneurs en agro-industrie, développeurs de divers types de cultures de plantation, ou simplement grands accaparateurs de terres (comme c'est le cas de bon nombre de ceux qu'on appelle capos du plus récent commerce illégal de substances prohibées). Il est nécessaire de comprendre le rôle de l'économie de la culture du café, comme les vagues successives des paysans déracinés qui effectuent les colonisations des terres basses de la jungle tropicale sur le versant de l'Océan Pacifique, dans les vallées andines entre les chaînes de montagnes et dans les forêts et les plaines des fosses de l'Amazonie et de l'Orénoque colombiennes. Cette analyse découvre l'importance du rôle de la terre comme moyen de production dans l'histoire de ces conflits armés et comment la lutte pour sa possession a toujours été un moteur important de ceux-ci. Aussi bien, dans les dernières décades du siècle passé et dans celui-ci, le pays a subi une véritable contre-réforme agraire. La lutte pour les terres productives continue à se poursuivre aujourd'hui, alors que la Colombie s'est transformée en pays urbain et semi-industrialisé dans lequel la majorité des habitants sont urbanisés (plus de 75% des presque 44 millions de colombiens vivent dans les villes suivant les données et le prévisions du dernier recensement de 2005).

Les affirmations antérieures autour de la continuité violente invétérée dans la campagne colombienne dirigent donc vers des explications sociologiques classiques du problème. Ces explications partent de ce que l'on connaît comme l'ensemble des causes objectives de la violence colombienne. Dans un tel ensemble, on trouve des notions comme inégalité, pauvreté, exclusion, légitimité institutionnelle, partis politiques, présence de l'Etat, Etat faible et bien d'autres. Elles ont toutes été utilisées par les auteur(e)s qui prennent place autour d'une subscpécialité très particulièrement colombienne des sciences sociales appelée la violentologie- dont les participants sont nommés violentologues, c'est à dire spécialistes du thème et simultanément possibles experts, compositeurs du fait que nombre d'entre eux qui se regroupent ainsi finissent cooptés comme fonctionnaires par l'Etat et les gouvernements successifs, et dont les travaux ont à voir avec la solution du conflit ou l'évaluation de ses conséquences. La bibliographie de tous ces auteurs est très longue, depuis la publication originale en 1962 du livre La violence en Colombie, écrit par German Guzman Campos, Orlando Fals et Eduardo Umana Luna (Guzman, Fals y Umana [1962-1963] 2005). Il s'agit d'une œuvre classique sur le thème. Quand il parut, il suscita d'âpres débats et des tentatives de censure du fait de la crudité de ses preuves et la gravité de ses dénonciations. Mais le scandale ne réussit pas à voiler ses explications fonctionnelles/structurelles : selon ses auteurs, la Violencia était due avant tout à une « impressionnante accumulation de dysfonctionnements dans toutes les institutions fondamentales » de la société colombienne, accompagnée par la « confusion et déformation des rôles à différents niveaux » et à une « anomie » sociale généralisée (Guzman, Fals y Umana 2005, I:454). De plus, le pronostic de l'ouvrage était pessimiste : « Les braises sont encore chaudes. La chaîne de vendettas, le sang versé et l'honneur souillé des familles des victimes permettent de prédire des réactions similaires pour une génération ». C'est-à-dire que laissant de côté la dynamique sur ce mode déchaîné et sans appliquer les solutions de fond, la Colombie continuera à être victime de la violence pendant encore 20 ans au moins. Est-ce que le corps national pourra supporter cela ?

Le succès et l'importance de La violence en Colombie reste attesté par le fait que c'est le livre de sociologie qui a eu le plus de rééditions dans le pays. En 2005 est parue une nouvelle édition, pour témoigner du fait que les 20 années de violence continue comptées depuis 1962 n'étaient pas suffisantes. Pour cette édition, un des auteurs originaux, Fals Borda, écrivit une nouvelle introduction, qui est simultanément une espèce de testament intellectuel personnel et un acte de dénonciation et de protestation contre la persistance du phénomène. Dans une phrase éloquente il affirme que « par périodes successives, la violence et la terreur recommencent à soulever leur horrible tête échevelée de Méduse, comme une copie presque fidèle de ce qui s'est passé avant. Et maintenant, à l'entrée du nouveau siècle, la tragédie tend à se répéter pas à pas de manière irresponsable » (Fals Borda, in Guzman, Fals y Umana 2005, I:13). Mais il y a un grand paragraphe dans cet ajout , dans lequel l'éminent sociologue résume plus de quarante ans de violentologie. Je le retranscris en entier :

« Parmi les thèses, les hypothèses et les constructions vraisemblables disponibles sur la violence colombienne on trouve celle de la fissuration structurelle, que j'ai présenté dans le dernier chapitre de la publication de 1962 […] ; celle des revendications régionales comme contre-violences devant les pouvoirs nationaux ou externes qui ne les reconnaissent pas ; celle des causes objectives ou structurelles comme la pauvreté et l'exploitation généralisée et la richesse sans conscience sociale qui mènent à de justes guerres ; celle des facteurs subjectifs en lien avec l'idéologie et les choix rationnels ou révolutionnaires des acteurs armés, comme les guérillas ; celle de la frustration des perspectives comme celle des paysans et colons marginaux; celle de la crise totale et partielle de l'Etat ou de l'Etat faible, et le manque de légitimité dans le monopole de la force, celle du progressif caractère multidimensionnel de la spirale de la violence ; celle de l'existence d'une spirale de la violence ; celle du déphasage entre la direction politique idéologique et la conduite militaire populaire, celle de l'inexistence d'’espaces publics ou institutionnels de solution des conflits ; celle de la crise morale et de la rupture générationnelle du fait de l'impact de forces étrangères qui mènent à une violence pathologique avec des mafias, des génocides et des sicaires (mercenaires). Celle de la relation entre l'"expansion capitaliste et le conflit armé" avec la politique de course aux armements et les armées comme intérêt provoqué ; etc, » (Fals Borda, in Guzman, Fals y Umana 2005, I:15).

Une pondération des idées ne peut qu'amener à se demander si en vérité le phénomène de la violence dans ce pays est si élusive. Ou autrement dit, s'il est si complexe qu'il peut résister à des explications déterministes, ou qui le réduisent à un facteur causal unique ou principal. Comme une réaction à ce pot- pourri de suppositions, il y a quelques années une ligne d'analyses s'est ouvert le chemin: des auteurs comme Eduardo Posada Carbo[5], journaliste populaire et auteur, la nomment révisionniste. L'intérêt de cette thèse est de renvoyer les analyses de la violence en faits empiriques, c'est à dire en séries statistiques de questions telles que le taux d'homicides pour cent mille habitants, la distribution de certaines taxes par régions et municipalités par années, les indices de meurtres par régions et municipalités par an, les indices d'impunité des crimes, le comportement du coefficient Gini d'équité/inéquité dans la distribution de prébandes et de la richesse, les indices qui reflètent l'activité du narco-trafic, etc. A leur tour, ces séries et leur croisement sont soumises à des analyses économétriques sophistiquées dont on n'est pas surpris de constater que la majorité des auteurs proviennent de la professions d'économiste, et même pour être précis, de la Faculté d'Economie de l'Université des Andes (Bogota) et de son centre d'Etudes du Développement Economique. Une œuvre récente de cette veine est celle de Fabio Sanchez (2007). Selon cet auteur et ses collaborateurs, si on étudie l’évolution du taux d'homicides pour cent mille habitants, (hpcmh), pendant la période 1975-1997 dans une ville comme Medellin, on observe un accroissement progressif du taux jusqu'à un pic de 339 hpcmh en 1991, pour ensuite descendre progressivement. Une évolution similaire est retrouvé dans d'autres villes du pays. Il indique qu'en Colombie, la violence mesurée par les homicides a notablement augmenté à partir de la moitié de la décade de 1980 et s'est située aux niveaux les plus hauts, certains scandaleusement hauts au long de la décade suivante, pour ensuite tendre à la baisse au cours des dernières 8-10 années. La question est alors comment mieux expliquer l’évolution de cette variable et avec quelles autres peut-elle être mise en relation ? La réponse se trouve dans le fait que ce ne sont pas tant les conditions de pauvreté et d'inégalités qui sont responsables de la reproduction et de la dynamique de violence en Colombie. En revanche, ce qui explique le mieux cet accroissement se trouve lié « à des décisions conscientes d'auteurs armés en accord avec leurs objectifs stratégiques » (Sanchez y Nunez , in Sanchez, 2007:35). Ce qui suit est la conclusion du chapitre relatif aux "Déterminants du crime violent dans un pays hautement violent".

« La recherche prouve que la violence colombienne obéit aux caractéristiques spéciales issues de l'existence de groupes armées, d'activités illégales, de l'inefficacité de la justice, et des différentes interactions entre ces variables. La pauvreté, l'inégalité et l'exclusion ne produisent pas en Colombie de violence différente de celle des autres pays et régions. Dans ce sens, la solution des problèmes de niveaux de vie précaires et l'accès aux services sociaux et à la question de la faible participation et représentation politique de nombreux groupes sociaux est un objectif désirable du point de vue de la politique publique et il faut lutter pour cela. Sans aucun doute, lier la disparition des problèmes de la violence aux problèmes mentionnés de pauvreté, d’inégalité et d’exclusion est une stratégie erronée à la lumière de l’évidence empirique » ( Sanchez y Nunez , en Sanchez, 2007:61).

Dans la même veine, l'étude de Sanchez et de son équipe s'efforce de démontrer avec des chiffres qu'il n'y a pas en Colombie une culture de la violence et comment la violence ne peut s'expliquer en référence à une intolérance des colombiens. L'argument cherche à mettre en évidence qui et à cause de qui on trouve derrière chacun des deux cycles principaux de violence durant le XX° siècle (le premier au cours de la première moitié du siècle, est celui qui est nommé la Violence et le second à partir de la moitié de la décennie 1980 jusqu'à la fin du siècle). Ainsi la dynamique violente de ceux qui sont nommés les acteurs ou agents de la violence montre que son activité a des conséquences sur la « violence globale du pays et non seulement dans les morts occasionnées directement par le conflit ». C’est parce que « les mécanismes de diffusion de l'activité criminelle, qui commencent avec un choc initial sur le taux d'homicides et d'enlèvements se transmettent spatialement et temporellement , élevant ainsi le taux d'homicides et d'enlèvement tant dans l'unité spatiale locale que chez les unités voisines » (Sanchez y Nunez , in Sanchez, 2007:111). En conséquence, toute la violence en Colombie est interconnectée et ses modes de présentation ne peuvent invoquer des explications culturelles éthiques ni psychologiques.

Enfin à propos des massacres de civils innocents par les guerillas des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC) et de l'Armée Nationales de Libération (ELN) , ainsi que des AUC pendant la période 1995-2003, Sanchez et ses collaborateurs sont d'avis qu'elles sont en relation avec le contrôle de territoires stratégiquement importants et l'appropriation subséquente de leurs moyens économiques (par exemple les terres agricoles et d'élevage, les cultures de coca, le pétrole, l'or le charbon, les émeraudes, etc.) par l'expédient qui consiste à terroriser la population civile et provoquer son adhésion ou à défaut son déplacement. La conclusion est soutenue par ce que l'on nomme l’économétrie spatiale qui montre comment les massacres

« augmentent dans les municipalités stratégiques dans lesquelles existe une présence active historique d'un des trois groupes armés illégaux. Spécialement, si la présence active historique des groupes dans une municipalité est suffisamment importante – aux alentours de la moitié du territoire – les groupes se disputent ce territoire afin d'augmenter leur présence active. Cela provoque une augmentation de la probabilité de survenue de massacres et du nombre des massacres » (Salamanca y Sanchez in : Sanchez, 2007:249).

Des arguments comme ceux que l'on vient de résumer ont été convaincants pour certains auditoires. En premier lieu, montrer avec quelles variables est associée la violence en Colombie (exprimée par des notions comme le taux d'homicides pour cent mille habitants), sert d'armature pratique pour que ceux qui sont chargés des politiques publiques planifient leurs actions et orientent leurs investissements. Ceci est un objectif explicite de cette ligne, étant donné que les auteurs cités, comme Posada et Sanchez, partagent l'idée que les plans successifs de pacification et résolution du conflit de la part de l'Etat ont échoué en bonne partie parce que tous ont travaillé principalement sur les causes objectives de la violence. En second lieu, dans cette ligne de pensée, il existe une vocation de défense de l'Etat de droit à partir d'une radicalisation de son monopole de la violence légitime accompagné de l'accentuation correspondante sur l'administration de la justice, selon les thèses classiques sur l'Etat Nation de la pensée politique européenne (par exemple celle de Max Weber). En d'autres termes, en finir avec la violence implique de combattre sans trêve toute criminalité, quel que soit l'agent ou l’acteur dont elle provienne : guerrilla, narco-trafic, paramilitarisme. En troisième lieu, comme la violence en Colombie présente une forte composante régionale, la gouvernabilité du pays ne peut être garantie que si on la combat efficacement et de manière continue à partir de l'Etat. Tous ces constats donnent des arguments à un sceptique pour affirmer que nous sommes en présence d'une alliance entre l'économétrie et une idéologie de gouvernement concrétisée par exemple par des notions comme la Sécurité Démocratique. En effet, dans la Sécurité Démocratique on met dans le même sac la violence exercée par les groupes de guerrilleros, les mafieux narcotrafiquants et les bandes paramilitaires en les qualifiant suivant l'intérêt bien pratique de groupes terroristes (ou de combinaisons comme les groupes narcoterroristes). Cette économie de pensée qui implique de réduire le problème en dichotomies du type ami/ennemi, terroriste/non terroriste, terroriste camouflé/terroriste civil, etc. sert souvent en effet pour d'habiles campagnes de relations publiques médiatiques avec des buts électoraux internes ; également pour aligner internationalement le pays dans la lutte mondiale contre le terrorisme et les drogues, préconisée par le gouvernement des Etats-Unis.

Malgré les critiques, il faut reconnaître que les livres comme celui qui nous occupe ont un mérite très important qui est de redonner de la rationalité à la violence en Colombie. En effet souvent lorsqu'on aborde ce thème, on tend à faire de la violence quelque chose d'exotique, quelque chose de différent auquel on ne participe pas soi-même. Le concept lui-même présente un effet perturbateur qui ramène à des pratiques barbares, au primitivisme, à l'antithèse de la civilisation, de l'ordre, de la vie humaine vécue humainement – c'est-à-dire libre de toute animalité ou de la dictature catégorique des instincts. Et il y a peu de doute que ce soit l'effet que suscite la lecture des faits qui ont été rapportés au début et qui restent encore en attente d'une interprétation. De plus, cette violence rend pathologiques aussi bien le désordre que le conflit social, avec la solution additionnelle et facile de criminaliser la dissidence politique, la diversité idéologique et culturelle, le désaccord et la violence légitime. La violence, la terreur, le terrorisme en somme, sont des notions très proches et très propres à la manipulation dans une dynamique d'économie de pensée qui tombe presque spontanément dans la dialectique de l'ami/ennemi. Cette rationalité de la violence et du conflit interne colombien, a déjà été signalée il y a de nombreuses années. Pas moins que Alberto Lleras, le premier président du Front National[6], écrivit en 1946 que cette violence qui est la nôtre, si typique et « qui produit des victimes atrocement humbles dans les campagnes, dans les villages et dans les quartiers pauvres » est planifiée « avec froideur et astuce dans des bureaux citadins pou qu'elle produise ses fruits de sang » (cité par Hylton , 2006:39). Une telle planification soigneuse de la terreur et de la mort surgit comme conclusion de la lecture d'un document récent, daté de 2004. Il s'agit d'un rapport de la Banque de Données de Violence Politique du centre Cinep de recherches et intitulé "Dette avec l'humanité : Paramilitarisme d'Etat en Colombie, 1988-2003” (Cinep 2004). Dans ce rapport, on rend compte des tueries, assassinats sélectifs, exécutions extra-judiciaires, disparitions forcées et tortures de civils qui ont eu lieu durant ces quinze années. Tous ces crimes furent commis par des groupes paramilitaires, souvent alliés à des effectifs des forces armées et des services de sécurité de l'état détachés de leurs zones d'influence, en accord avec les narcotrafiquants et avec la complaisance des autorités civiles et judiciaires – pour ne rien dire de l'alliance des personnes précédentes avec les hommes politiques de la région, bon nombre d'entre eux étant des représentants et des sénateurs du Congrès National, base de la crise actuelle connue comme celle de la parapolitique. De plus, cette période entre 1988 et 2003, fut une période de particulier développement des groupes paramilitaires et de l'augmentation de leurs actions violentes à l'encontre de tout ce qui ressemblait à des guerillas particulièrement dans la zone nord du pays (cette grande région partant des derniers contreforts des Andes qui se projettent dans une descente qui crée la vaste plaine de la Caraïbe colombienne) (cf. Gutierrez, 2007). Cette portion de Colombie, à laquelle se rajoute la région montagneuse de Antioquia, a constitué une espèce de pays paramilitaire auquel s'est opposé un pays de guerillas dont la zone d'influence était formée par toutes les terres de forêts et de plaines à l'est des Andes. Au milieu est resté le pays formel situé dans les grandes villes andines de l'intérieur et dont l'axe était la capitale Bogota. Ainsi donc, les massacres de civils se constituèrent dès lors sur le modus operandi par excellence des paramilitaires dans leur tentative pour déraciner la guerilla des territoires dans lesquels elle était présente – modus operandi qui au début ne caractérisait pas la guerilla, mais celle-ci se mit rapidement à l'imiter dans ses luttes territoriales avec les paramilitaires (Salamanca y Sanchez, in Sanchez, 2007:214, 215, Gutierrez, 2007).

Aussi bien, à partir de ces informations, on observe comment les victimes de prédilection de ces crimes furent les membres du Parti de l'Union Patriotique, les leaders syndicaux et les syndicalistes, les chefs de communautés et d'agraires, les paysans, les indigènes, les contremaîtres ruraux, tous accusés, (dans la majorité des cas injustement) d'être des collaborateurs ou des sympathisants civils de la guerilla. En d'autres termes, rien dans ces crimes et ces cruautés ne fut lié au hasard. Au contraire, tout semble montrer une cohérence, un plan, qui cherchait l'élimination physique de toutes ces personnes qui pourraient être pensées comme opposantes, ennemies, dissidentes, gauchistes, ou, en termes locaux, comme subversives réelles ou potentielles. De plus, l'étude du Cinep montre comment les crimes présentent une distribution géographique qui correspond avec la géopolitique interne du conflit, dans le souhait des groupes paramilitaires de consolider leur contrôle sur des territoires spécifiques. Lors de ces crimes attentatoires contre les Droits de l'Homme, on voit que les paramilitaires n'agirent pas seuls ; de plus, on note sans équivoque comment certains officiers de l'armée, par exemple, apparaissent et reparaissent impliqués dans les faits répétitivement, depuis qu'ils étaient d'un grade inférieur, jusqu'à ce qu'ils arrivent aux plus hauts grades de la milice. Comme exemple de ce qui apparaît dans l’étude, j'inclus un rapport de ce qui est survenu dans le village de Apartado (Antioquia) en 1999 :

« 04-Avril-99 : A Apartado, Antioquia, des paramilitaires sous l'étiquette de ACCU (Auto defensas Campesinas de Cordoba y Uraba[7] un des groupes composant les AUC), pénétrèrent dans la Communauté de la Paix de San Jose de Apartado, située dans le secteur de San Jose de Apartado, à 11 heures du soir et ils exécutèrent trois personnes et en blessèrent trois autres. Les paramilitaires étaient vêtus de pantalons noirs, de chemises sombres ils portaient des armes de poing, des armes lourdes et des grenades à fragmentation. Après être restés deux heures et demie dans le lieu, les hommes se divisèrent en deux groupes. Les uns parcoururent la partie centrale du village, et les autres rôdèrent dans les rues. Dans un kiosque se trouvaient quatre paysans regardant la télévision. Un groupe des paramilitaires se dirigea vers eux les menaça et les accusa d'être des guerrilleros pendant qu'ils les interrogeaient sur le nom des leaders de la communauté. Les quatre paysans, parmi lesquels se trouvait Gabriel Graciano, âgé de 16 ans et Oscar Martinez, âgé de quarante, furent amenés vers la petite place centrale de San Jose avec Daniel Pino, un autre laboureur qui avait été traîné de force depuis le chemin La Balsa, et Antonio José Borja, capturé par les miilitaires alors qu'il se dirigeait à pied vers la municipalité d'Apartado. Entre temps, l'autre groupe des paramilitaires se dirigea vers l'habitation de Monsieur Anibal Jimenez, membre du Conseil Interne de la Communauté de Paix, chargé des projets pédagogiques, et auteur de l'hymne de la Communauté de Paix de San Jose. Après l'avoir insulté et l'avoir accusé d'être un guerrillero, il l'ont exécuté dans sa propre résidence, en présence de ses enfants. Le groupe qui avait retenu les 6 paysans sur la petite place égorgea Gabriel Graciano ; il ouvrirent le ventre de Daniel Pino, et lui, blessé, se dirigea vers un bar où il mourut, après avoir agonisé une heure en essayant d'empêcher que ses viscères ne se dispersent sur le sol. Ils tirèrent au pistolet sur Oscar Martinez et Antonio Jose, les blessant gravement. Les deux autres paysans réussirent à s'enfuir. Après l'action à des intervalles d'une demi-heure, les paramilitaires tirèrent des coups de fusil et de pistolet, et ils lancèrent trois grenades à fragmentation dans les environs de l'école, de la place centrale et de la sortie du village. Au cours de cette action, les éclats d'un des engins blessèrent Madame Nalfa Sanchez. Les accompagnants internationaux qui assistèrent à ces faits et ne purent rien faire pour les empêcher, écrivirent des lettres émouvantes à des groupes et des organisations d'autres pays du monde, impressionnés par la brutalité extrême avec laquelle agissent les paramilitaires » ( Cinep 2004:265-266).

Culture de la violence

Les explications économétriques du conflit colombien ne cherchent pas seulement à placer dans une autre perspective la question de ses causes objectives et de sa rationalité intrinsèque. Leur autre intérêt explicite est de prendre une distance avec les explications culturelles de la violence et avec la thèse qui a prévalu pendant de nombreuses années sur l'ethos violent des colombiens et leur goût atavique pour l'activité illégale et mafieuse. Au cœur de ce débat se trouve le concept de la culture de la violence. Proposé pour la première fois dans le rapport de la Commission d'Etudes sur la Violence (1987) convoquée pendant la présidence Barco (1986-1990), elle n'a depuis cessé de susciter les critiques et les soutiens d'office qui ont dépassé les medias purement académiques pour parvenir à faire partie du vocabulaire des éditorialistes, politiques, fonctionnaires d'état, et de ce fait il est autant diffusé dans l'opinion publique. Dans ce rapport on trouve des affirmations suggestives de cette teneur : « Bien plus que d'être celles des montagnes, les violences qui nous tuent sont celles de la rue » ou : « Les colombiens se tuent davantage pour des raisons tenant à leur qualité de vie et à leurs relations sociales que pour parvenir au contrôle de l'Etat ». Si on lit avec soin ces citations, et qu'on les laisse quitte de leur rhétorique très efficace, on ne peut qu'être pour le moins surpris de tout ce vacarme. En effet, le traitement conceptuel qu'a coûté à ses auteurs la culture de la violence a été particulièrement pauvre. L'idée centrale est que la violence politique en Colombie est unique parmi tant d'autres. Il faut y ajouter la violence économique, la violence socioculturelle et la violence sur les territoires. Toutes ces formes de violence sont renforcées par une culture de la violence « qui se reproduit à travers la famille, l'école, et les moyens de communication, comme agents centraux des processus de socialisation » (Commission, 1987:11). Cela peut signifier qu'au-delà d'une forme spécifique de violence, une telle culture de la violence est comme un filet d'idéations et de formes, traversé d'actions dont le thème est celui de la violence, cette dernière étant comprise comme « toutes ces actions d'individus et de groupes qui provoquent la mort d'autres ou lèsent leur intégrité physique et morale » (Commission1987:17). Un tel tissu d'actions et de représentations accompagne ou revêt à la manière d'une sorte de voile les autres formes de violence, plus structurelles. Ainsi donc cet accompagnement violent n'est possible, et n'est si durable, comme le note de manière explicite le rapport, que parce que notre milieu familial et scolaire sont violents. De cette manière, le processus de socialisation des colombiens est infiltré de contenus et d'exemples violents, comme la violence familiale particulièrement notoire ; tout ceci à son tour est potentialisé et aggravé par une grande consommation d'alcool et par le vocabulaire incendiaire des moyens de communication . En synthèse finale :

« La trajectoire de violence et de mort qui a accompagné notre histoire politique républicaine, l'énorme propagation de la violence de type délinquante ainsi que la violence intrafamiliale nous incite à nous demander jusqu'à quel point il y a dans notre culture, dans le langage, dans nos représentations d'autrui, dans le symbolique et l'imaginaire, dans nos institutions et nos modes d'organisation sociale un conditionnement que nous pourrions appeler culturel, qui s'enlace et interagit avec les tendances agressives des êtres humains pour produire un contexte national de propension à la violence qui continue à se reproduire de générations en générations à travers les personnes et les institutions » (Commission, 1987:295-296).

Malgré ses diverses limitations, il n'y a pas de doute que Colombia : violencia y democracia[8] comme s'est intitulé le rapport de la commission a marqué une nouvelle étape dans les études sur la violence dans le pays, étape comparée par beaucoup au travail d'une commission similaire, convoquée par le premier gouvernement du Front National il y a presque trente ans et qui fut la base du livre de Guzman Campos, Fals Borda y Umana Luna publié pour la première fois en 1962. La geste violentologique puisque de cette information est issue la violentologie, fut tronquée par la discussion proposée par les résultats de l'étude de la Commission de 1986-1987 et son insistance sur les aspects culturels du conflit. Un exemple se trouve dans le livre publié par Colcultura, l'agence de l'Etat colombien chargée des thèmes de culture, avant la création en 1994 du Ministère du même nom , intitulé significativement Imagines en reflexiones de la cultura en Colombia. Regiones, ciudades, y violencia[9]. Les auteurs participants au livre, et au Forum National, pour, avec, à cause de, sur, de la culture (sic) qui se réunit à Bogota entre le 24 et le 26 Juillet 1990, qui en a été l'origine, se sont dès lors lancés dans l'exploration de thèmes de la culture et la violence, la culture et la région, la culture des villes, la culture des sentiers, la culture des racailles, etc. en Colombie. Le thème de la culture et du culturel s'introduisit alors dans l'intelligentsia colombienne, comme elle le fit dans le reste de l'académisme international. Il s'agit du surprenant paradoxe de nos temps de globalisation rampante, comme l'a signalé Marshall Sahlins (1999:410) « juste au moment où toutes les formes de vie autour du monde sont devenues homogènes, les peuples font valoir leurs différences culturelles caractéristiques ». Ou dans les termes de Marylin Strathern, une autre anthropologue, : « Une homogénéisation croissante des formes sociales et culturelles est aujourd'hui accompagnée par une prolifération de demandes d'authenticité et d'identité spécifiques » (cité par Sahlins, 1999:410). Mais il est intéressant de voir que pendant que sur toute la planète, y compris la Colombie, on tirait le culturel de telle sorte que le concept de culture(s) était dans la bouche de chacun, lettré ou illettré, les anthropologues (hommes et femmes) entraient dans une sorte de panique théâtrale devant le succès de leur propre créature, la culture, et commençaient sa critique.

Un auteur, Christoph Brumann, synthétise les vicissitudes auxquelles a été confrontée la culture dans l'anthropologie post et déconstructionniste puisque ce fut depuis les bureaux des études de l'après[10], du post – post modernisme, post structuralisme, post colonialisme – à partir desquelles fut lancée la réprimande. Pour Brumann, les critiques sceptiques de la culture notent toujours une fausse attribution de limites, homogénéité, cohérence, stabilité et structure interne dans la notion conventionnelle anthropologique de la culture. Comme conséquence, cette abstraction qu'est la culture est considérée parfois comme une essence. D'autres fois, on la voit comme une chose ou comme une espèce d'organisme vivant qui se déroule comme tel – tout ceci ne fait que rapprocher le concept de culture de celui de race. C'est précisément ce que ces anthropologues qui impulsèrent la science de la culture voulaient condamner (Brumann, 1999 ; cf. Sahlins, 1999).

De nombreuses critiques antérieures, et il faut dire que beaucoup d'encre coula et coule encore pour déprécier l'essentialisme culturaliste, se rencontrent dans la littérature sur la violence en Colombie. Par exemple, un des auteurs du Forum de Cocultura de 1991, Alvaro Camacho Guizado, pense que l'utilisation sans discrimination et relâchée de la culture de la violence constitue un « réductionnisme pseudo culturaliste » qui a « mené à penser qu'il y a en Colombie un destin fatal qui peut provenir de fondements ataviques de profond enracinement historique et constitutifs d'une personnalité collective qui construisent l'omniprésence de la violence ». (Camacho in Cocultura, 1991:283). Notons bien que les critiques viennent indistinctement d'auteurs qui écrivent depuis des orientations différentes du spectre politique, d'une manière curieuse de tous unis, comme à Fuente ovejuna contre la déloyale culture de la violence. De cette manière dans son essai de 1992 sur le labyrinthe qui piège la Colombie, Jenny Pearce pense que s'il y a une culture de la violence, en Colombie, ses racines sont historiques et sociales. De plus, c’est « à travers la violence que la classe dominante a déchiré ses différences dans de sanglantes guerres civiles. Quand enfin les membres de l'élite résolvent leurs différents politiques, ils réaffirment leur contrôle sur l'ordre politique comme ils l'ont fait sur l'ordre économique » (Pearce, 1992:115). A son tour, l'historien Hylton affirme que l'évidence historique qui fonde ce concept comme explication de la politique en Colombie est très pauvre. Il s'agit, dit-il d'une explication a-historique et tautologique qui a été utilisée habilement par les cercles de planification politique aussi bien à Washington qu'à Bogota ( Hylton, 2006:8). Mais celui qui a entrepris davantage contre la croissance de la culture de la violence, est l'historien colombien Eduardo Posada Carbo. Il a consacré tout son livre populaire de 2006 à réfuter « l'enracinement stéréotypé qui identifie notre nation seulement à la guerre et à la violence » et aussi à « revendiquer les traditions libérales et démocratiques du pays et rechercher en elles les valeurs qu'elles ont enseignées […] le cours de la nation rêvée » (Posada, 2006:11). En effet, le thème de la culture de la violence, qui selon son auteur fait partie d'un discours frappé au coin de l’érudition (le terme acunado est utilisé par l'anthropologue Myriam Jimeno), engendre un certain fatalisme et un négativisme paralysant. Il n'est pas certain pour autant pense Posada, qu'une culture violente, définie simplement comme coutume ou mode de vie, soit ce qui nous caractérise, de même qu'une intolérance supposée des colombiens et colombiennes.

Au-delà de cette théorisation pauvre et simpliste du concept de jadis, les faits têtus montrent que depuis de nombreuses années, divers observateurs n'ont cessé de se demander, perplexes quelles étaient les raisons de la crudité dans les manières de tuer, de la cruauté et du peu de respect devant la vie humaine, qu'exhibent les violents de toutes les provenances dans ce pays de tragédies, en particulier sur la raison de cette fascination sui generis pour le cadavre et pour la mort. Et ce qui se cache derrière cette alchimie qui transforme la guerre et le combat en fête – pour paraphraser l'expression de Estanislao Zuleta dans son essai Sobre la guerra[11] (Zuleta, 1991). Si l’on reste déconcerté par ce que provoquent ces horreurs, le doute réside dans le fait de savoir s'il y aurait derrière tout cela quelque chose de culturel – quelque chose de caractéristique ou des traits collectifs profonds, latents, intrinsèques, acquis ou héréditaires, qui pourrait servir à rendre compte enfin de ces faits angoissants. De telles interrogations étaient déjà énoncées en 1962, dans La violencia en Colombia. Ses auteurs n'ont cessé de se demander, perplexes, les raisons ultimes des excès face à la mort et du mourir qui ont été mis en scènes pendant ces années de confusion[12]. Le « retour à la loi de la jungle est une de leurs phrases préférées pour qualifier la férocité des actions violentes, dans ces temps de "crimes atroces", quand "la nécessité de lutte surgit de l'âme même du peuple" – un peuple débordé "par une dose explosive de ressentiment, de haine larvée, de cruauté et de sadisme" – et parmi lesquels, "le crime sexuel a acquis une prédominance trop notoire » (Guzman, Fals et Umana, 2005, I:132). Pour commencer à trouver les réponses, on nous dit qu'il est nécessaire de descendre « vers ce tréfonds de misère, pour voir de près l'âme même d'un conglomérat qui s'est désintégré et chercher des solutions adéquates avec une connaissance minutieuse de sa tragédie et de sa pathologie » (Guzman, Fals et Umana, 2005, I:245). En d'autres termes, il est indispensable d'examiner de près la manie de Thanatos, ou thanatomanie en Colombie, comme l'enseigne un des chapitres du premier volume de La violencia en Colombia.

Tuer, retuer et contre-tuer

Si quelqu'un a suivi la piste de la thanatomanie du conflit de Colombie, c'est bien l'anthropologue Maria Victoria Uribe. Son œuvre initiale a un titre que j'ai emprunté pour la tête de chapitre de cette section (Uribe M.V., 1990). A partir de ce moment, elle n'a cessé de publier sur ce point, c'est pourquoi il semble sensé de s'arrêter à ses idées qui pointent dans la direction des interrogations antérieures. Deux de ses publications récentes servent ce propos (Uribe M.V., 2004a ; 2004b). Au départ, l'anthropologue affirme que le conflit de Colombie ne s'organise pas autour de différences linguistiques, religieuses ou ethniques radicales qui sépareraient les différentes bandes combattantes. Au contraire, c'est seulement sur la base du concept freudien de narcissisme des petites différences que celles-ci, hier comme aujourd'hui, ont étayé une dialectique infranchissable d'ami/ennemi, proche/étranger, en une polarisation qui conduit à une guerre rurale. Les adversaires se servent de la terreur généralisée que produit sur les vivants le spectacle de la manipulation des cadavres mutilés qu'ils laissent sur leur passage, dans leur tentative de contrôler le territoire, les biens et les personnes. Le recours au massacre est de fait le principal lien qui donne une continuité aux deux périodes principales de violence durant les derniers 60 ans (Uribe MV, 2004b:132). Il s'agit d'une véritable obsession de la manipulation du corps de l'Autre qui se manifeste maintenant par la « transformation des victimes en animaux en imitation du sacrifice industriel de bétail et qui entraîne une diminution des signifiants assignés au corps de l'Autre ». Pour l'auteur, la figure du senalador ou crapaud, dans le langage local, c'est-à-dire celui qui indique aux sacrificateurs les victimes qui doivent mourir, est crucial. Parce que ce sapo, cet homme qui précède la mort et qui est en général masqué pour remplir son rôle d'indicateur, représente un « désordre classificatoire », l'ambiguïté et l'ambivalence pure – ou si on préfère, le sapo dans sa mimesis est un ami et un ennemi, il est proche et étranger, les deux attributs étant exercés de manière simultanée. Le sapo symbolise la limite de l'altérité, le seuil qui sépare, qui lorsqu'il désigne, radicalise l'altérité, dans le désordre sacrificiel consécutif qui cherche à nettoyer la contamination et à rétablir l'ordre. Cependant le thème qui a le plus attiré l'attention de cet auteur est celui de la manipulation des cadavres. Ce sont les tristement célèbres cortes de la Violence que les paramilitaires réalisent à présent avec des appareils mécaniques comme des tronçonneuses pour une transformation plus appropriée (dit l'anthropologue) à l'ère de la globalisation. Ce traitement du corps constitue une « reconfiguration des organes et des membres » du corps humain. L'objectif est d'atteindre une désorganisation qui priverait le corps de sa nature humaine et qui le convertisse en une allégorie macabre. « Les corps des personnes assassinées se transforment en altérités terrifiantes, textes pédagogiques et exemplaires qui atteignent toujours leurs objectifs » (Uribe M.V. 2004 a:89). Sans doute, la logique derrière une telle désorganisation post mortem s'appuie sur un livret qui suit les trois phases de tout acte rituel, depuis le même point où l'on annonce à tous l'imminence du massacre, suivi du moment de la création d'un espace sacrificiel, pour culminer dans l'acte du sacrifice humain lui-même (Uribe M.V., 2004b:84-92)[13]. De plus, les pratiques et techniques de manipulation du corps se sont inspirées, durant la Violence, de routines quotidiennes de la vie paysanne, en ce qu'elles ont à voir avec les modes de sacrifice des animaux et des usages culinaires usités pour préparer les viandes des animaux domestiques et sauvages. Aujourd'hui comme avant, les opérations sacrificielles pendant les massacres « renforcent la transformation en animaux » ; « féminisées et transformées en animaux, les victimes sont assimilées à la sphère domestique : elles deviennent susceptibles d'être pénétrées, mangées et domestiquées. De cette manière, elles sont déshumanisées et le meurtre, le démembrement et la vivisection de leurs corps se convertit en un acte licite » (Uribe, MV, 2004:94). La seconde citation, que je transcris in extenso, représente bien le cœur de la proposition interprétative de Maria Victoria Uribe :

« L'altérité n'est pas établie dans les assassinats massifs ou dans les mutilations des corps, comme le pensent certains auteurs […] ce sont l'application de technologies de terreur et l'utilisation de procédés sémantiques qui sont les moyens de convertir les personnes en corps destructibles et consommables. Dans le contexte de barbarie généralisée qui actuellement domine les zones rurales colombiennes, de la même manière que cela est arrivé pendant la Violencia, il ne peut y avoir une exploration de l'Autre quand son corps est manipulé et coupé en morceaux ; il y a seulement une certitude de mort. Au moyen d'une opération sémantique qui est alimentée par la haine politique, les êtres humains se transforment en créatures inhumaines. Des Autres qui peuvent être assassinés ou massacrés. En même temps, ces corps démembrés se constituent en générateurs ultimes de terreur. Si l'Autre est pensé comme une poule ou un poulet, il est très facile de le couper en morceaux. De cette manière, pour celui qui perpètre le crime, les dilemmes moraux n'existent pas dans la mesure ou dans ces termes, on ne regrette rien qui soit humain ; les morts n'ont pas de qualité humaine. En conséquence, dans l'esprit du bourreau, il n'existe pas de dégradation systématique, ni de déshumanisation du fait que la seule chose qui soit présente en face de lui ce soit l'animalité de l'Autre. Ceux qui réalisent ces massacres ont devant eux des étrangers qui n'appartiennent pas à leur monde, archétypes de l'innombrable : proches physiquement mais distants spirituellement. De la sorte, ce que nous avons en Colombie c'est un jeu mortel de représentations capturées dans une logique perverse et inhumaine » (Uribe,M.V., 2004a:94).

Les travaux de Maria Victoria Uribe sur la mort et le mourir dans la longue guerre colombienne provoquent chez ses lecteurs des réflexions importantes : sans doute, il y a beaucoup à apprendre dans ce que l'auteur dit dans ce livre à propos des massacres. Elle est l'un des seuls auteurs qui ose regarder en face le spectre de la mort violente en Colombie. Ceci n'est pas un moindre mérite parce que si nous avons appris quelque chose du résumé antérieur des explications ayant trait au conflit colombien, le passé et l'actuel, c'est qu'un tel spectre est difficile à cacher dans les toilettes. Tous les auteurs en effet, préfèrent ausculter les causes objectives de la violence ou ses déterminants économiques. Et les partisans de l'aspect culturel du phénomène en sont restés à des généralités à propos de règles de socialisation et d'endoctrinement scolaire, ou de langage violent dans les médias. Cependant, on ne peut être sûr que leurs formulations à propos des actes rituels et sacrificiels dans les massacres et leur usage des catégories correspondantes ne soient que métaphoriques ; ni que leur traitement de tels faits se dirige vers une compréhension du phénomène, comme base d'une application du savoir accumulé sur le thème du sacrifice dans le cas qui nous occupe. De toutes manières, l'anthropologue que nous citons a recueilli pour elle le prestige d'être pratiquement l'unique violentologue qui travaille systématiquement sur ces interrogations.

Les vivants et les morts

Elias Canetti (1987:203) dit que la cohabitation entre les êtres humains s'exprime toujours dans les distances « qui diminuent la terreur incessante d'être capturés et attachés ». Il fait cette remarque dans son Masse et Pouvoir lorsqu'il étudie les entrailles du pouvoir. Dans ces entrailles, on retrouve toujours la capture et l'incorporation – thèmes qui, comme il l'explique, font partie de l'acte de manger, le but principal de la meute à la chasse, la sorte la plus ancienne et la plus circonscrite de masse humaine dont l'origine est la meute des animaux qui chassent ensemble. Tout fantasme de pouvoir pense Canetti, est toujours un fantasme d'incorporation ; de l'incorporation physique de cet autre être humain que l'on considère comme inférieur, subordonné, différent, faible. C'est à dire d'une certaine manière, moins humain. Canetti écrit, et je le cite in extenso (Canetti , 1987:206) :

« Celui qui veut dominer les hommes cherche à les rabaisser ; à les priver astucieusement de leur résistance et de leurs droits jusqu'à ce qu'ils deviennent impuissants devant lui, comme des animaux. Il les utilise comme des animaux : bien qu'il ne le dise pas, il y a toujours en lui très clairement le peu qu'ils représentent pour lui : avec ses confidents, il les qualifiera de moutons ou de bœufs. Son but ultime est de toujours "se les incorporer" et les absorber. Ce qui reste d’eux lui est indifférent. Il les déprécie d’autant plus qu'il les maltraite. Quand ils ne servent plus à rien, il se libère d'eux en secret, comme d’excréments et il veille à ce qu'ils n'empuantissent pas l'air de sa maison ».

L'ultime horizon du pouvoir est ainsi, pour Canetti, l'incorporation de l'Autre, ce qui présuppose nécessairement l'élimination de toute distance sociale. Il est paradoxal que quelque chose qui est tellement constitutif du social, comme le pouvoir, cherche finalement à éliminer ce qui est le fondement de toute la société : l'ordre de la différence – autre manière d'exprimer ces distances qu'établissent les êtres humains pour se séparer, ou se différencier les uns des autres. Leur expression appartient à un autre auteur , René Girard. L'anthropophagie tient une place cruciale dans la théorie du pouvoir que nous propose Canetti, comme quelque chose qui fait la médiation entre la différenciation et l'indifférenciation. Et cela mérite attention, particulièrement si nous nous souvenons que selon Freud parmi les trois grandes prohibitions qui régulent tout le social, celle de l'inceste, celle de l'homicide et celle de l'anthropophagie, seules les deux premières semblent garder toute leur validité dans la société humaine contemporaine. Le cannibalisme se rencontre de nos jours uniquement sur le divan des psychanalystes comme désir réprimé, fantasme sexuel, désir de mort, etc. – à part l’un ou l'autre perverti qui parvient à porter à la réalité ses plus occultes traumas de la phase orale, l'incorporation, le narcissisme et l'homosexualité. Bien sûr, le cannibalisme se rencontre aussi de temps à autre dans la fiction littéraire ou cinématographique, par exemple, surtout pour déroger d'un Autre étranger, étrange, primitif, comme on le dit généralement (Rawson, 1999). Dans ce qui suit, j'interpréterai de manière succincte les faits qui ont servi de motivation pour cette longue traversée par les détours du drame colombien. Mon axe sera celui de l'anthropophagie (selon Canetti) qui, comme l'on s'en souvient, figure, comme un texte marginal, quasi occulte au sein des annales que gardent les vieilles luttes colombiennes, apparaissant ici et là, de manière fugace pour être comme un grand enseignement moral pour ses témoins.

Récapitulons : A l'occasion de la loi Justice et Paix ont commencé à apparaître au grand jour des secrets rendus publics sur les auteurs des meurtres ayant eu lieu ces dernières années en Colombie. Dans le premier article, une dame réputée comme sorcière se précipite chez les autorités judiciaires pour révéler comment elle protégeait magiquement, croisait, les irréguliers qui devaient se peindre les ongles en noir pour effrayer la mort. La femme avait également le pouvoir de soigner les peurs incontrôlables et les persécutions des âmes des morts qui assaillaient leurs assassins. Dans le second article, les âmes des victimes possédaient leurs assassins parce que leurs dépouilles n'avaient pas été ensevelies après les rituels funéraires adéquats. Ces possessions ou terreurs qui causaient des convulsions ou déchaînaient la colère des vivants, comme une partie de la vengeance des morts, se soignaient seulement grâce à une mise en soin ou exorcisme qui libèrerait le souffrant de sa peine – une vengeance, en effet, il s'agit d'une peine provoquée par la peine qu'avait auparavant causé l'assassin au défunt. Dans le troisième article, en plus de la furie des esprits, on parle de l'anthropophagie à laquelle recourent les combattants dans une part de leur endoctrinement. Dans ces récits, représentatifs du problème du corps fragmenté en Colombie, malgré leur relégation au rayon de l'exotisme ou des détritus, se cachent deux séries complémentaires. Dans la première se révèle l'assassinat de la victime, suivi du dépeçage de ses dépouilles pour les enterrer dans un carré de terre qui ne nécessite pas une grande excavation ou un temps de travail très long (ou comme alternative, pour les jeter ensuite, complètement ou en partie dans les grands fleuves qui descendent des Andes). Devant l'absence de rituel funéraire, absence qui fait du défunt un cadavre sans sépulture, une partie de ce mort revient (son esprit ou son âme) et s'approprie (possède) violemment l'assassin, jusqu'à parvenir à contrôler toutes ses impulsions, ses affects, ses émotions, ses idées. Le résultat de cette possession violente, par une entité surnaturelle qui revient au monde des vivants car elle ne trouve pas de repos dans le monde des morts, fait de l'assassin, à présent victime, un autre être. Si l'on préfère, son altérité se développe dans une identité violente avec celle du défunt, son ancienne victime. Une telle violence ne peut s'achever que si l'on met en œuvre un rituel, celui de l'exorcisme qui à ce point de la séquence remplace le rituel funéraire omis, au moyen de la sortie de l'esprit du corps de l'agresseur et de son retour au lieu auquel il doit appartenir, le monde des morts. Il s'agit d'une séparation rituelle substitutive qui rend à nouveau explicite la séparation entre ce monde et l'autre – une séparation sur le plan collectif, social, qui devient complète avec la confession disculpatrice de l'assassin, sous la forme de la confession catholique, si besoin. Ou au moins sous la forme de la confession de crime que prescrit la Loi Justice et Paix.

Dans la seconde série, complémentaire de la précédente, la première partie de la séquence agit : l'assassinat de la victime, dans ce cas un membre du groupe lui-même, est suivi par la fragmentation du cadavre afin d'être consommé, dans une espèce de communion qui inclut (ou qui peut inclure) le fait de boire son sang et de manger sa chair. Le cadavre reste quasiment incorporé à l'assassin qui s'approprie les pouvoirs du mort et les met au service du combat – de son combat comme guerrier, dans la fête de la guerre qui ne peut cesser comme nous en avertit Canetti, que lorsque l'on célèbre la mort du dernier ennemi. De manière alternative, le guerrier peut consommer les dépouilles d'une victime sacrificielle substitutive, un animal, par exemple un chat, afin de se croiser (cruzadar, se protéger) contre ses ennemis. Il obtient ainsi une protection spéciale vis-à-vis de ses ennemis morts au combat, parce que leurs âmes guettent et reviennent de manière subreptice dans le monde des vivants, posséder le corps du guerrier et déchaîner ensuite sa perte de contrôle. Sa virilité se féminise dès lors en dévoilant le féminin hystérique de son comportement. L'anthropophagie n'est pas obligatoirement exercée sur le corps d'un membre du même groupe, d'un proche opposé à un autre : il y a des exemples bien documentés, surtout à l'époque de la Violencia qui montrent comment ils consommaient les dépouilles des victimes des massacres (relevé notamment par Molano, 1985). De plus, le cruzado reste stigmatisé pour rendre visible sa protection. Voilà le rôle de la peinture noire sur les ongles des combattants. Finalement, comme dans la série antérieure, la séquence se referme sur le rituel de la confession aussi bien sur le plan sacré que sur le plan légal. Cependant, il y a une manière très simplifiée de proposer les deux séries antérieures. La première série serait transformée en premier par la destruction de la vie par l'assassinat, suivie par la fragmentation et la dispersion du cadavre. La seconde séquence de la même série commence par un retour de la part de la vie auparavant supprimée et dispersée, l'âme ou l'esprit qui revient pour se loger dans un nouveau corps, le corps de l'assassin et pour procéder à une véritable vengeance sous forme de torture psychologique qui déchaîne une sorte de folie conversive. Ce désordre ne peut être soigné que par un rituel qui puisse restituer l'ordre en mettant « la matière hors de son lieu » (dans l'acception de Mary Douglas 1966) en un lieu qui lui corresponde, c'est à dire le monde des morts. La seconde série commence comme la précédente par la destruction de la vie et la fragmentation du cadavre dans ses composants liquides et solides. Mais ici, la dispersion des dépouilles est évitée au profit de leur consommation, de leur incorporation anthropophagique par l'assassin. Ce dernier, après avoir réduit sa victime à son expression minimale dans un exercice de pouvoir qui inclut, entre autres actions déshumanisantes, la menace grossière, le cri, la torture et le menottage de la victime, s'approprie son pouvoir – un pouvoir qui augmente son propre pouvoir d'assassin.

Si l'on met à présent ces deux séries l'une à côté de l'autre, ce que nous obtenons est une équation qui homologue la perte et la fuite de la vitalité par la mort violente, avec une récupération, également de manière violente, de la vitalité du sacré. Dans l'un et l'autre terme de l'équation, on rencontre la dépouille du cadavre comme troisième terme : la récupération de la vitalité perdue se trouve comme fonction de l'appropriation des dépouilles humaines. Dans le premier cas, des éléments du sacré (l'âme, l'esprit) encore non domestiqués ou non transformés en éléments non contaminants ou causes de désordre par le moyen de la mise en scène d'un rituel funéraire retournent violemment attaquer ceux qui renversant les rôles sacrificiels achèvent violemment leur vitalité. Dans le second cas, la domestication des dépouilles humaines se fait de manière directe au moyen de sa consommation. En réalité, nous sommes là devant le vieux problème de toute l’humanité, « la très ancienne opposition entre les vivants et les morts » (Canetti, 1987:61). Dans le langage de nos séries, cette opposition peut se reformuler comme perte de la vitalité/récupération de la vitalité, cette opposition est médiatisée par la consommation de la victime. Dans un cas, sous la forme d'un rite de passage qui fait de la vitalité perdue par la mort la source d'une nouvelle vitalité, la vitalité que récupère la société à partir de la nature. Dans l'autre cas, la vitalité est récupérée au moyen de la consommation de la nourriture crue – toujours la forme la plus terrifiante de l'anthropophagie du congénère humain, ce rituel dont il vaut mieux ne pas parler, bien que ce soit un secret public, un secret dont nous savons tous que nous ne pouvons le savoir (Rawson 1999). De plus, en parlant du rituel funéraire comme consommation, je fais allusion au fait qu'au moyen du rituel on domestique la mort, c'est à dire qu'on en fait un objet de la culture, de manière très semblable à celle dont Levi-Strauss postulait le passage entre l'aliment cru et l'aliment cuisiné. Dans une claire distinction d'avec cette domestication, la consommation de l'anthropophagie est celle de chair crue qui renferme une violence non tamisée par la norme culturelle.

Les notes précédentes sur le cadavre non enseveli et l'anthropophagie acceptent que dans une société aussi ritualisée que celle de Colombie, le problème des ordres de différenciation/indifférenciation sociales reste toujours sur les territoires de la violence sacrificielle, à la manière de René Girard, dans La violence et le sacré (1983). Cependant, cette proposition ne suit pas l'exposé de Girard en ce qui concerne le fait que la violence sacrificielle soit la manière principale de dévier la violence humaine consubstantielle en la concentrant sur la victime propitiatoire. Au contraire, plus qu'une déviation de la violence, ce qui se passe, c'est la réappropriation directe, immédiate, par le fait d'une élaboration rituelle peu complexe. L'on est tenté à ce moment de parler de précaires parodies rituelles, du fait que ces actes de désagrégation/réagrégation incorporée de restes humains sont des imitations cruellement burlesques du rituel. Tout cela dans le contexte de guerriers qui, malgré toute leur cruauté, leur violence, leurs vêtements camouflés qui imitent les guerriers cyborgs de fantaisie made in USA – (ou pas seulement de fantaisie), ces commandos (comme ils se nomment eux-mêmes, cf. Jaraba, 2007), restent ce qu'ils sont : des paysans équipés de vêtements militaires à cause de la paye, du prestige, de la menace de châtiment et de jugement, ou pour n'importe quelle autre raison. En examinant des exercices rituels tels que la fragmentation de cadavres ou leur consommation physique, il faut déboucher sur les aspects qui parlent de la centralité de l'alimentation dans le sacrifice – de la manière dont le demande Canetti et le répète Maurice Bloch. Il s'agit d'un mécanisme rituel analogue à celui que Maurice Bloch postule dans son Prey into Hunter, The Politics of Religious experiencies (Bloch 1992) et qu'il nomme la violence en retour ou violence de réaction, rebounding violence – c'est-à-dire le résultat de la réincorporation de la vitalité, tant dans le corps politique de la société que dans le corps des sacrificateurs et celle-ci s'obtient par la récupération violente d'une vitalité transformée en transcendance, à partir de l'exercice d'une violence sacrificielle très réelle, étant donné qu'elle détruit la vie elle-même.

Ces réflexions ont une autre implication : dans un pays comme la Colombie, la prohibition de l'inceste, la prohibition de l'assassinat et la prohibition de l'anthropophagie, ou mieux leur transgression systématique – et pas seulement dans le dispositif psychanalytique du divan – sont toutes à l'ordre du jour. Commencer à comprendre ce jeu compliqué entre la pulsion et la norme semble constituer une tâche sociale cruciale pour nous approcher d'une meilleure interprétation des conflits locaux. Sans aucun doute, il s'agit d'un devoir urgent pour une ethnopsychanalyse qui se laisse toucher par les idées de Georges Devereux à propos du complémentarisme explicatif (Devereux 1972). En paraphrasant Devereux (1972:11), si un phénomène comme les violences colombiennes admet une explication, disons qu'une explication qui soulignerait ses causes objectives ou sa rationalité économique, il admettra aussi un autre nombre d'explications, tout aussi capables que les premières d'élucider le problème en question. Dans cet ordre d'idées, une explication anthropologique, informée des thèses psychanalytiques de Freud doit donc commencer à tenir sa place, quelque indigestes que puissent paraître ses conclusions, pour continuer les métaphores culinaires. Et parmi les affirmations que nous avons tenues ici, beaucoup furent indigestes, aussi lisses et directes qu'elles aient été. Parce qu'en matière de cannibales, comme le montra Michel de Montaigne, il y a quelques siècles, l'Autre n'est pas toujours le barbare, et chacun possède plus de barbarie qu'il n'est disposé à l'admettre.

Carlos Alberto Uribe

Références

Brumann, Cristoph, 1999. “Writing for Culture. Why a Successful Concept Should Not Be Discarded”, Current Anthropology, Vol. 40, Supplement.

Camacho Guizado, Álvaro. 1991. “La Violencia de ayer y las violencias de hoy. Notas para un ensayo de interpretación”, en: Colcultura, 1991. Imágenes y reflexiones de la cultura en Colombia. Regiones, ciudades y violencia. Bogotá, Memorias del Foro nacional para, con, por, sobre, de, cultura, (Bogotá, 24-26 de julio de 1990), pp. 281-302.

Canetti, Elías. 1987. Masa y poder. Madrid, Alianza Editorial.

Cinep, 2004. Deuda con la humanidad. Paramilitarismo de Estado en Colombia. 1988-2003. Bogotá, Banco de Datos de Violencia Política.

Colcultura, 1991. Imágenes y reflexiones de la cultura en Colombia. Regiones, ciudades y violencia. Bogotá, Memorias del Foro nacional para, con, por, sobre, de, cultura, (Bogotá, 24-26 de julio de 1990).

Comisión de Estudios sobre la violencia. 1987. Colombia: violencia y democracia. Bogotá, Universidad Nacional de Colombia.

Devereux, Georges. 1972. Etnopsicoanálisis complementarista. Buenos Aires, Amorrortu Editores.

Douglas, Mary. 1966. Purity and Danger. Londres, Routledge & Kegan Paul

Girard, René. 1983. La violencia y lo sagrado. Barcelona, Editorial Anagrama.

Gutiérrez, José. 2007. Vértigo en el jardín del mal. Bogotá, Comité Permanente de los Derechos Humanos.

Guzmán Campos,.Germán, Orlando Fals Borda y Eduardo Umaña Luna. 2005 [1962]. La violencia en Colombia, dos volúmenes. Bogotá, Taurus.

Hubert, Henri y Marcel Mauss. 1964. Sacrifice. Its Nature and Functions. Chicago, The University of Chicago Press.

Hylton, Forrest. 2006. Evil Hour in Colombia. Londres, Verso.

Jaraba, José Gabriel. 2007. Confesiones de un paraco. Bogotá, Intermedio Editores.

LeGrand, Catherine. 1988. Colonización y protesta campesina en Colombia, 1850-1950. Bogota, Centro Editorial de la Universidad Nacional de Colombia.

Molano, Alfredo. 1985. Los años del tropel. Bogotá: Cerec, Cinep, Estudios Rurales Latinoamericanos.

Montaigne, Michel de. 1994. Ensayos I. (“De los caníbales”). Barcelona, Ediciones Altaya, S.A.

Pearce, Jenny, 1992. Colombia dentro del laberinto. Bogotá, Ediciones Altamir.

Posada Carbó, Eduardo, 2006. La nación soñada. Bogotá, Grupo Editorial Norma.

Rawson, Claude. 1999. “Unspeakeable Rites: Cultural Reticence and the Cannibal Question”, Social Research, 66(1):167-193.

Sahlins, Marshall. 1999. “Two or Three Things That I Know About Culture”, Journal of The Royal Anthropological Institute, (n.s.), 5:399-421.

Salamanca, Camila y Fabio Sánchez. 2007. “Masacres en Colombia 1995-2002:¿Violencia indiscriminada o racional?, en Sánchez, Fabio. 2007. Las cuentas de la violencia. Bogotá, Grupo Editorial Norma y Economía de la Universidad de los Andes.

Sánchez, Fabio. 2007. Las cuentas de la violencia. Bogotá, Grupo Editorial Norma y Economía de la Universidad de los Andes.

Sánchez, Fabio y Jairo Nuñez. 2007. “Determinantes del crimen violento en un país altamente violento”, en Sánchez, Fabio. 2007. Las cuentas de la violencia. Bogotá, Grupo Editorial Norma y Economía de la Universidad de los Andes.

Sánchez, Fabio, Ana María Díaz y Michel Formisano. 2007. “Conflicto, crimen violento y actividad en Colombia, un análisis espacial”, en Sánchez, Fabio. 2007. Las cuentas de la violencia. Bogotá, Grupo Editorial Norma y Economía de la Universidad de los Andes.

Turner, Víctor. 1969. The Ritual Process. Structure & Anti-Structure. Chicago, Aldine.

Zuleta, Estanislao, 1991. Colombia: violencia, democracia y derechos humanos. Bogotá, Altamir Ediciones.

Uribe, María Victoria. 1990. Matar, rematar y contramatar. Las masacres de la Violencia en el Tolima, 1948-1964. Bogotá, Cinep. Controversia Nos. 159-160.

Uribe, María Victoria. 2004a. “Dismembering and Expelling. Semantics of Political Power in Colombia”, Public Culture, 16(1):79-95.

Uribe, María Victorcia. 2004b. Antropología de la inhumanidad. Un ensayo interpretativo sobre el terror en Colombia. Bogotá, Grupo Editorial Norma.

http://www.ideaspaz.org/articulos/download/16violencia_y_sus_causas_objetivas.pdf (consultado el 8 de abril de 2008)

Diario El Tiempo de Bogotá.

Revista Semana.

[1] Professeur titulaire, Département d'anthropologie, Université des Andes, Bogota, Colombie.

[2] Auto -Défenses Unies de Colombie. C'était le nom de l'organisation nationale qui regroupait tous les bloc et bandes armées d'irréguliers connus localement comme paramilitaires.

[3] On s'appuie sur les témoignages oraux devant une juridiction spécialisée qui présentent les paramilitaires quand il se rendent à la loi nommée Loi de Justice et Paix ( Ley 975 de 2005) du fait de la peur de cette loi se avalo la démobilisation et la réincorporation des membres de l'AUC dans la légitimité. Dans ces audiences, les paramilitaires doivent reconnaître et expliquer leurs crimes.

[4] Dépeçage NdT.

[5] Eduardo Posada Cabo "La Violence et ses causes objectives" Tiré de : http://www.ideaspaz.org/articulos/download/16violencia y sus causas objetivas.pdf (8 de abril de 2008).

[6] Une coalition politique libérale-conservatrice excluant toute autre option et que beaucoup cataloguent comme une part de l'ensemble de causes qui a été à l'origine du surgissement des groupes de guerilleros des années 1960.

[7] Auto-défense Paysanne de Cordoba et Uraba.

[8] Colombie, violence et démocratie

[9] Images et réflexions de la culture en Colombie, régions, villes et violence.

[10] Ce terme des "études de l'après " est ma version de la notion qui apparaît dans Sahlins (1994:404), citant R. Brightmann, pour caractériser la récente influence hégémonique sur l'anthropologie de tous les post. Le terme original est afterological studies.

[11] Sur la guerre.

[12] NDA : je fais allusion ici au livre de Alfredo Molano, "los anos de tropel" sur la violence des décennies de 1950 et 1960 (Molano, 1985).

[13] Cette formulation du massacre comme un acte rituel semble être fondée de manière très libre et superficielle , sur les formulations classiques du sacrifice rituel d'auteurs comme par exemple Marcel Mauss, Henri Hubert (1964) et Victor Turner (1969). En tout cas, dans les mains de M.V. Uribe, le traitement des phases du rituel et le rituel lui-même se trouvent hautement idiosyncrasiques.