Commentaires sur le texte de D.W. Winnicott, « L’hallucination qui nie l’hallucination » (1957)

Communication faite au congrès de Londres "Winnicott avec Lacan"

Par Olivier Douville (psychanalyste, adhérent praticien à Espace Analytique, membre de l’Association française des anthropologues, Laboratoire CRPM, Université Paris7 -Denis Diderot)

« Il nous est nécessaire d’être capables de penser sur le mode hallucinatoire »

D.W. Winnicott (« La pensée chez l’enfant. Un autre éclairage »- 1965)

Je prendrai mon point de départ dans le tout début de cet article de Winnicott et qui relate un moment d’onirisme. Tout part du rêve d’une patiente qui le désigne comme le plus terrifiant de tous ces cauchemars :

« Je me suis réveillée d’un rêve en poussant des cris (des cris silencieux, je pense). J’étais dans une chambre et un petit garçon de peut-être six ans, vêtu à l’ancienne, vint vers moi en courant comme pour demander de l’aide. J’identifiai aussitôt cela comme une hallucination et je fus terrifiée et je me mis à crier de ma voix la plus aiguë. Il s’éloigna et je lui lançai un coussin, alors quelqu’un qui ressemblait à Nannie apparut à la porte comme pour voir ce qui se passait. Je me demandai si elle aussi pourrait voir le petit garçon, mais cette partie de la chambre était toute brouillée. J’ai préféré penser qu’elle l’avait attrapé. J’ai espéré que W. viendrait en entendant mes cris, mais à ce moment je réalisai qu’en fait je n’émettais aucun bruit. Cela me terrifia encore plus et c’est dans cet état que je me réveillai, encore complètement désorientée. Je ne savais plus ni le lieu ni l’heure, malgré le tic-tac de mon réveil. Je demeurai quelques temps dans un état d’effroi. Finalement je me remis, suffisamment pour aller uriner »

Ce fragment de rêve donne à cette femme occasion de lier des associations, centrées sur son fonctionnement psychique, et qu’elle décrit en rapport avec la négation de l’hallucination. Ce moment de cure permet à Winnicott de considérer une tension entre deux activités psychiques inconscientes, l’une qui déshallucine et l’autre qui hallucine. Cela n’est pas sans poser la question assez neuve de la fonction défensive d’une hallucination négative qui ne ferait pas fonction de scotome dans le champ perceptif mais viendrait obturer une perception hallucinée et difficilement admissible. Quelque chose a été nié, « déshalluciné » et secondairement la patiente a une hallucination qui permet de nier la déshallucination. Quelque chose a été scotomisé et une suite d’hallucinations vient combler le trou produit par ce scotome. L’hallucination vient combler le trou de la déshallucination. Cette thèse d’un rapport entre la « déshallucination » et l’hallucination permet à Winnicott de proposer la séquence suivante : perception – scotomisation et hallucination compulsive . L’établissement d’une telle séquence soulève certaines difficultés que Winnicott repère ainsi en ordonnant sa réflexion clinique autour de trois faits clinique, liés autour de cette question du « surmontement » d’une hallucination négative. Il s’agit du rêve et du tissu associatif qui est construit, en analyse, par la patiente, puis du cas d’un peintre, hospitalisé en psychiatrie et qui recouvre toutes ces créations picturales d’un badigeon noir censé recouvrir une hallucination niée, et d’un autre patient qui hallucinant une forme sur un feuille apparemment vierge l’obscurcit aussi compulsivement. La mise en série de ces trois faits cliniques pose un problème au lecteur puisque c’est parfois une hallucination « positive » qui est niée ; et tantôt une à hallucination négative que pallient des contenues hallucinatoires. Ce qui nous sort d’un tel embarras est un modèle plus général de l’hallucination, et qui nous émancipe d’un décodage trop précisément ou trop étroitement médical et psychiatrique et qui nous permet de discuter de l’hallucination comme d’un phénomène psychique en tension entre hallucination négative et prolifération de percepts, souvent vécus comme des cauchemars éveillés mais dont la fonction défensive contre une angoisse d’effondrement mérite d’être soulignée. Ainsi peut s’expliquer le commentaire de Winnicott relatif au rêve : « Dans le rêve, l’enfant qui s’approche est halluciné compulsivement dans une tentative ultime pour dénier l’espace devant la patiente au moment de sa déshallucination de l’organe génital. »

On notera encore que les phénomènes psychotiques de l’hallucination sont utilisés par Winnicott comme une asymptote aux faits cliniques qu’il relate, comme une épure, mais sans aucune certitude diagnostique s’attachant à cette patiente ou à d’autres. La psychose est ici évoquée pour rendre compte de processus psychotiques, qu’on retrouve aussi dans des cas plus névrotiques et qui semblent encouragés à s’exprimer par le dispositif et la situation analytiques. S’il semble avéré que l’adulte qui hallucine subit une manifestation psychotique évidente , à d’autres moments poursuit Winnicott « nous nous référons à des patients, en particulier des enfants, sans que nous ayons besoin de penser qu’ils sont malades ». Il en est ainsi des enfants qui hallucinent librement et qui ne sont pas pour autant malades. Le mécanisme est-il alors une « projection de l’imaginaire ? »

Arrêtons nous sur ce point. Si l’existence d’une activité hallucinatoire dans l’hystérie crépusculaire des adultes a été mise en lumière, dès du temps de Freud, y compris par certains psychistes dont Flournoy les illusions verbales et parfois visuelles abondant dans les hystéries flamboyantes, la fonction d’apport de l’hallucination à la représentation est bien une des systématisations due aux premières modélisations métapsychologiques chez Freud. Un modèle fait équivaloir le travail de l’hallucination et celui du rêve ; il semble ici convenir. La rêveuse, en effet, demeure cachée dans l’espace de ses scènes oniriques. Mais il ne suffit pas de dire cela. En effet, dans ce texte, loin de se satisfaire d’unifier rêve et hallucination ? Winnnicott nous propose de considérer que le balancement entre hallucination et déshallucination troue l’espace du rêve, sa logique et en empêche grandement sa fonction de gardien du sommeil. Donc ce n’est pas en ramenant ce jeu où un hallucination négative l’autre à un fonctionnement effervescent d’un travail du rêve qu’il différencie l’hallucination normale de l’hallucination pathologique ? Là, pour sortir de ce risque d’impasse, Winnicott prend appui sur d’une part sur la notion de « transfert délirant » du à Margaret Little, d’autre part sur les activités de noircissement d’un tableau par un patient schizophrène. Pour Little, si les manifestations de transfert sont dit-elle « délirante » en ce qu’elles s’expriment et mettent jeu des clivages, des dénis, des isolations et des projections, l’analyste ne peut pour autant en conclure à l’existence d’une personnalité clivée. Il lui revient plus précisément de prendre en charge les conséquences d’un échec de l’intégration pyché-soma, avec pour conséquence souligne-t-elle un échec de l’intégration entre le « ça » et le « moi » faiblement organisé. Un tel échec est tributaire d’expériences corporelles très précoces, au moment où il n’est de conscience que de conscience du corps. C’est un corps qui éprouve un « state of being » (un état d’être), sans que s’y annonce déjà la conscience d’être une personne. Imaginons pour mieux comprendre ceci un moment,sans doute mythique, avant la différenciation du sujet et de l’objet, et antérieur donc au vidage de jouissance que cela implique, précédant la saisie érotique de l’orificialité du corps lequel deviendra, ultérieurement et à ce prix, traversé par le texte de la séparation, et par ce texte commencera à s’ordonner. Mais avant cela qu’avons-nous ? une coalescence entre tout sentiment, toute pesnée, tlut mouvement, vécus comme la même chose. Et là insiste Little, la verbalisation en analyse doit non pas singer un « langage bébé » mais retourner à des bruissements de voix, des sons très primitifs. Musicaliser avant d’interpréter. C’est, qu’avant la restauration de cette zone, toute injonction de s’en émanciper ne serait pas vécue comme un détachement mais comme un arrachement. Restaurer donc cette zone par la mise en jeu de la voix. Nous y reviendrons, car pour le moment il semble bien que ce soit davantage le dépliement de la pulsion scopique qui retient l’attention de Winnicott lorsqu’il évoque de ces dessins qui sont très rapidement, à peine ébauchés recouverts par d’épais couches de crayon ou peinture par qui les exécute, comme s’il s’agissait de recouvrir, c’est-à-dire de nier l’hallucination. Ici nous rencontrons bien la structure négative du phénomène hallucinatoire qui comporte positivité de la projection de l’Inconscient mais la négativité d’une fissure du système de la réalité, c’est-à-dire une désorganisation de l’être conscient

Dans le rêve qui ouvre le texte de Winnicott, c’est la puissance de la pulsion incarcérée dans le scopique que l’hallucination montre. Le rêve montre aussi l’aspect aphone de la pulsion. Il se joue une lutte entre le regard et la voix, mais il n’y a pas de possibilité de retrouver sa voix si le sujet ne lâche pas un objet. Est ici contrarié le destin de la pulsion vocale. Le monde des revenants pulsionnels n’est pas ici refoulé par la parole. La part le plus intime du sujet se distribue sur plusieurs interlocuteurs tous frappés d’immobilité, indifférents ou indestructibles. Le rêve parle à un reste pulsionnel mis en extériorité du sujet.

Et c’est là que Winnicott retrouve Little. Il plaide pour la nécessité d’un transfert psychotique afin de retrouver la très grande détresse d’un souvenir remontant à la seconde année. L’événement est le suivant : l’envahissement de la psyché par l’excitation sexuelle du père qui présente son pénis en érection à sa fille. Qu’impose ici l’adulte à l’enfant, si ce n’est non seulement un Autre de l’excitation qui fait écart avec la tendresse et la sexualité infantile, mais un écart lui-même. On pourra noter, en incidente, que dans son texte portant sur la confusion des langues, Ferenczi en faisait pas que pointer la confusion entre un langage adulte et une langage « enfant », mais bien la confusion qui, chez l’adulte séducteur, détruit le rapport à la parole en tant que pacte. Une incompréhensible discordance à l’intérieur du langage adulte. Au lieu même de la perception, il y a un événement énigmatique qui ne peut être traduit. Dans le rêve, l’enfant qui s’approche est halluciné compulsivement devant la patiente au moment de sa déshallucination de l’organe génital.

Le mouvement des processus psychiques s’en trouve temporalisé par la succesion suivante : perception – scotomisation – hallucination compulsive, mise en séquence dont Winnicott précise qu’elle ne fut sensible que récemment.

Le schéma métapsychologique est alors le suivant : une effraction des filtres psychiques ou pare-excitations implique un débordement économique au moment du trauma, ce qui crée une lacune dans le psychisme. La traduction de cette effraction se fait par des phénomènes d'hallucination négative. Les seules traces du trauma étaient le trou qu'il a laissé dans la psyché. Quel est le lien entre le premier désirer selon Freud, soit la réalisation hallucinatoire et la métapsychologie propre à Winnicott qui décrit les jeux combinés de la puissance de la pensée et du mouvement pulsionnel afin que s’instaure une subjectivation de la pulsion ?

N’y a-t-il pas là un lien à faire maintenant avec une des théories de l’hallucination chez Lacan qui se fait sous l’angle de la jouissance bien plus que sous celui de la détermination signifiante ? Nous discuterons cette théorie en rapport avec celle du fantasme. Cela est souhaitable car si l’on tient aux fils laissés par Winnicott et Litlle nous ne sommes pas en présence de sujets qui ont réussi par le biais d’un appui sur la construction fantasmatique à construire des lignes de démarcation entre corps et jouissance, ce qui entraîne alors ces effets de brouillage entre dedans et dehors, moi et objet, et ajouterai-je entre animé et inanimé. N’oublions pas que le fantasme chez Lacan, est représenté non pas tant par un scénario que par une surface où se trouvent contenues mais distribuées diverses figures du moi, de l’autre imaginaire, de la mère originaire, de l’idéal du moi et de l’objet. Il obture du réel. Il est alors important de se poser la question de la nature de ces autres stratégies d’obturations du réel qui ne sont pas encore de l’ordre de la logique du fantasme. Il convient de rappeler que réel ici, n’est pas réalité, et qu’il désigne ce qui est insupportable à rencontrer et contre lequel le sujet ne cesse de buter. L’hypothèse est ici de proposer que la théorie de l’hallucination qui nie l’hallucination fait valoir que certains sujets élaborent ainsi une réponse visant à obturer le réel. La différence est que les objets du fantasme viennent fonctionner comme des signifiants, alors que les traces de ces hallucinations toujours en danger d’être absorbées par l’hallucination qu’elles visent à masquer ne sont que des traces qui ne sont appelées à devenir signifiants que dans le travail analytique, pour le moment ce sont des bouts de réels qui insistent comme ce cri muet qui sidère non seulement la rêveuse mais plus encore tout l’espace du rêve qui tel un corps où surface et trous se superposent et se contaminent, est sans cesse en danger d’aspiration par ce trou réel de ce cri muet.

Dans le rêve, l’appel ne fait pas choir l’objet (c’est au réveil que cela se produit) Au point qu’elle peut se représenter l’objet en l’hallucinant.

Comment décompléter l’Autre ? Quel liens alors peuvent s’établir entre la « sortie » de la défense par hallucination négative et la mise en fonction de la transitionnalité ? c’est de telles questions que l’article de Winnicott nous pose. Sans vouloir le traduire dans le jargon lacanien, nous avons le sentiment d’avoir face à nous, tant dans le texte de Winnicott que dans celui de Little des sujets qui sont envahis par des évènements de corps qui déchirent le voile du semblant.

Ce qui ramène aussi au premier plan le lien entre ces expériences terrifiantes de perte du semblant et certaines mélancolisations des cures qui se produisent surtout lorsque l’analysant s’appréhende comme informe, sans visage, rivé à la catastrophe d’un lien à un autre destructeur et menaçant. Nous retrouvons là un noyau traumatique désigné par Winnicott dans son article, et dont la valeur clinique est indéniablement ailleurs qu’enclose dans un tableau de névrose post-traumatique. S’y désigne ce processus de perte de la forme même du sujet, quant l’Autre primordial devient uniquement un autre de la menace. Deux opérations pourraient alors se faire jour, rejouer un appel (mais dans le rêve le cri est muet) et retrouver un principe d’identité et de séparation en se coupant de l’objet (fonction que remplit ici en partie le rêve relaté). La psychose dont il est ici question, et pour Winnicott et pour Little, évoque pour nous les effets d’une mélancolisation du lien à l’Autre, et qui est un mélancolisation sous terreur.

Qu’échouent ses mécanismes de défense si finement repérés par Winnicott, alors que rencontrons- nous dans notre clinique ? Le silence rentré du mélancolique crée un monde glacé dans lequel il n’y a pas de possibilité de trouver une anfractuosité où loger le matériel sonore qui passe par la bouche. On pourrait dire que dans certains cas de mélancolie délirante, le sujet ne mord pas la parole et que le langage ne mord pas dans le monde. Et imaginez, au fond, que les bruits, que les sons, que les mots sont un peu comme ces aliments qui tournent dans la bouche qui sont mi-ingurgités, mi-dégurgités Le rapport, à ce moment-là, avec la voix, avec le sonore, et avec la lettre, quel est-il ? Dès qu’un travail est engagé avec un patient mélancolique, nous faisons un pari. En effet, on peut miser sur le fait qu’il y a dans le monde, quelque part, une partie du sonore qui n’a pas encore été aboli, ou plus exactement, qu’il y a une possibilité pour que le sujet prenne appui sur un événement sonore. Cette possibilité de prendre appui sur un événement sonore peut passer par le fait que le sujet va modeler des visages et créer, comme le fit un homme de cinquante ans. Mutique depuis une quinzaine d’années, dans ce visage, il avait fait comme une goutte d’huile, il avait fait les deux yeux, en enfonçant les doigts dans la terre humide et puis il avait tracé avec son pouce, une ligne qui reliait le bas du visage à la moitié de ce visage, ce qu’on pourrait appeler un tracé de bouche à oreille. La partie du visage sur lesquel s’était arrêté son doigt qui avait commencé ce tracé à la bouche correspondait exactement à la partie de mon visage qui était la plus proche de sa bouche lorsqu’il parlait, c’est à dire mon oreille puisque lorsqu’il arrivait dans le bureau où je le recevais il avait l’habitude et je ne le contrariais jamais, de prendre la chaise et de la placer à la distance qui convenait de moi , même si c’était parfois à touche-touche.

Une escapade anthropologique s’évoque ici. Australie centrale : des chefs aborigènes installent tout un petit dallage de cailloux de couleur rouge, noire, blanche , des ponctuations sur lesquelles ils s’asseyent lorsqu’il s’agit de débattre Une telle installation est traditionnellement faite en deux jours et quatre ou cinq nuits et, après quatre ou cinq lunes, défaite en moins de temps. Ces chefs coutumiers, avant de parler, s’emparent d’un masque rituel et font courir leurs doigts sur cette espèce de fente qui va de la bouche à l’oreille disant qu’avant de parler, ils caressaient la grande Voix de l’ancêtre. J’avais en tête, recevant ce patient, ces chefs coutumiers qui caressaient la grande Voix de l’ancêtre. Et effectivement, ce sujet se mit à parler. Il se mit à parler en vociférant jusqu’à les tordre, les syllabes de mon nom, pendant environ une heure. La situation, pour passionnante qu’elle puisse être, n’en était pas moins inconfortable. D’entendre mon nom développé, trituré comme une pâte molle, de voir au fond qu’avec ce motif sonore il allait peut-être moins du côté de la valse de Strauss que de certaines des aventures les plus hétéroclites et les plus hasardement généreuses du free-Jazz, oui ça dépersonnalise. Tout se passe comme si le nom propre, qui a cette fonction de nous rabibocher un peu avec un idéal conventionnel, n’est plus tant que ça du côté de la matière emblématique du symbolique car il devenait, à défaut d’un semblant, un espèce d’objet qui parlait au patient. Je dirai que ce traitement sonore de mon nom servit après, peut-être, d’ombilic du rêve. Les rares rêves que me racontait ce patient étaient des rêves de désorientation. Il ne m’était pas trop difficile d’entendre que quand on est désorienté on dit « où » ou « d’où ». Je m’appelle Douville n’est-ce pas ?

Le traitement du sonore par un certain nombre de patients mélancoliques est un traitement où ce qu’ils vont chercher chez nous, ce n’est pas notre bavardage. Je crois qu’ils s’en fichent complètement d’être compris. Ce n’est même pas la question de les contenir qui importe, quelle est leur quête ? sinon de se servir du rapport qu’il y a entre le nom et la force et la tonalité de l’objet pulsionnel qui invoque, s’en servir pour créer ces choses qui sortent de leur bouche et qui vont creuser ou trouer les dimensions d’aplat dans lesquelles ils confinent leur compacité morbide. Ils vont trouer cet espèce d’aplatissement du monde par un cri, un grand événement sonore. La voix devient à ce moment-là, un opérateur de passage entre ce qui peut n’être rien, et c’est le silence muet qui néantise le monde c’est-à-dire qui le dépeuple de son vide pour l’obscurcir de son opacité, et, peut-être, ce qui peut se nier. Ce n’est pas pareil ce qui peut n’être rien et ce qui peut se nier. Il faut une affirmation primordiale avant de pouvoir opérer une négation, cette affirmation primordiale passe par l’expérience sonore du monde si elle est retournée au sujet comme quelque chose qui localise et signifie non seulement les trous de son corps mais le rythme qui s’y attache. Le rythme de la bouche c’est de mordre pas simplement le sein ou la nourriture, mais de mordre le langage, de mordre les sons afin de permettre au sujet d’en être mordu en retour.

Retrouvons alors Winnicott qui entendait et permettait à l’enfant d’entendre, à certains détours de la cure, qu’au début de la vie peut-être un enfant trop peu préoccupé par le jeu sur les limites et les transitions, trop peu apte à se défendre par des hallucinations « déshallucinantes » avait été au début de sa venue dans le monde du langage, rien d’autre, rien de plus, rien de moins qu’une grande effraction sonore, mal accueillie, mal entendue, pétrifiée dans l’amnésie cannibale d’un cri par trop muet. Il s’agit de Mark. Cet enfant qui dit que sa tête a des oreilles mais qu’elle est tombée et qu’elle est à l’envers. Il y a des moments de la cure avec cet enfant où tout est sonore, tout est dans un bruissement fou, peu localisable. Avec des bruits comme (je cite) « Woof Woof ». Déjà une sonorisation perce et insiste dans cette réduplication, s’y distingue un rythme et s’y désigne un lieu, « un lieu fou à l’intérieur de sa tête à lui ou peut-être à l’intérieur de sa mère » précise le psychanalyste. Et Winnicott de retrouver ce moment de sonorisation d’une primitive présence de l’être « Je dis : tu es né un grand bruit ! ». Et à ce grand bruit faire retour, non plus pour le négativer, mais pour le scander, le mettre en torsion, le hisser dans l’étoffe d’un signifiant qui représente, qui supporte, qui suppose. Passer du bruit à au possible d’un signifiant à venir, serait-ce là un des noms de la transitionnalité ?

Olivier Douville

Références

Little, M. : Le transfert délirant, in Des états-limites. L’alliance thérapeutique, Paris, éd. des femmes, 1991 : 155-717

Winnicott, D.W. (1965) : L’hallucination qui nie l’hallucination, in La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris, Gallimard, 2000 : 48-51

Winnicott, D.W. (1969) : Mark dont le moi étranger révèle la folie de la mère , in La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris, Gallimard, 2000 : 150-157