L’enfant, le sexe et la mort : que nous apprend l’anthropologie ?

Par Olivier Douville

Résumé : relisant le mythe freudien dit de la « horde primitive » l’auteur s’interroge sur la lecture qu’ont pu en faire dès les années 1920 certains anthropologues. A la suite de quoi il propose une distinction entre la théorie du mythe œdipien et le fonction séparatrice du dire par rapport à la jouissance maternelle dans la mise en place du psychisme de l’enfant. C’est alors reconnaître les variations culturelles des versions du père – qui peut être féminisé ou mis du côté de celui qui éveille à la sensorialité, comme dans des cultures hindoues – et comprendre que la division sexuelle est toujours posée comme un équilibre fluctuant entre symétrie et complémentarité, et dissymétrie et incommensurabilité. Ce que viennent illustrer des exemples inuit qui concernent la possibilité qu’aurait le sujet de choisir l’utérus qui le portera, son site de naissance, le sexe qui sera le sien, il y aurait non pas deux mais trois sexe : le masculin, le féminin et le hors sexe lequel est souvent incarné chez le chamane.

Préambule

L’essai si célèbre de Freud, Totem et Tabou, se clôt par une fable très connue : la coalition des fils contre un père primordial, tout entier voué à sa jouissance, révolte que suivent le meurtre et l’ingestion de ce primitif mâle dominant. Ce mythe fut assez diversement reçu par les anthropologues ; Boas le méprisait lors que Kroeber n’en dédaignant pas la portée symbolique, le qualifiant d’ « histoire comme si » - mais c’est pour souligner que les contes et les mythes contiennent un noyau de vérité psychologiques très ardente. Il faut convenir que la fable ethnographique freudienne fut construite à l’aide de sources documentaires assez dépassées déjà lors des années 1912 et 1913 qui virent publiées dans la revue Imago les 3 chapitres qui la composent.

Aujourd’hui encore, et sans doute plus que jamais, l’anthropologie psychanalytique, qu’elle soit pratiquée pas des anthropologues (Galinier ou Bidou) - après un long temps de censure imposé par Lévi-Strauss, ou par des psychanalystes (Assoun, Cadoret, de Mijolla, Zafiropoulos), reconnaît l’effet de vérité que comporte ce récit dans sa structure mythique proprement dite. Et ce pour, au moins, deux raisons.

D’une part l’observation ethnologique peut aisément reprendre à son compte la fameuse phrase de Goethe placée par Freud à la fin de son essai « Au commencement était l’acte ». Elle le fera en décrivant des rites comme des successions d’actes (et non d’agirs) visant à se ressouvenir d’une violence primordiale, originaire ou archaïque. L’acte désigne ici une succession d’opérations rituelles qui ravivent le souvenir d’un meurtre originaire en essayant d’en conjurer la charge libidinale en réinventant ce qui est de l’ordre du contrat social. On peut aussi bien penser ici à la destruction symbolique des « bonhommes carnavals » qu’aux évocations rituelles de meurtre d’un ancêtre géant et immortel. Et rajouter que ce meurtre inaugural a eu pour effet d’amener la mort chez les humains c’est-à-dire également et par voie de conséquence l’ordre des générations. A cet égard de nombreux mythes, ceux des Gimmi amazoniens observés et analysés par Bidou ou ceux des Dogons recueillis par Griaule, incluent une participation active des femmes et des filles à ce meurtre. Le rite est à la fois souvenir et conjuration de cette violence, mais son efficacité ne se limite pas à cela car il permet, de plus, de tracer les limites temporelles et spatiales d’un territoire viable, celui du clan ou de la tribu.

D’autre part, le texte de Freud comporte ceci d’essentiel : une fois dépassé son aspect « grand guignol » il rend compte non seulement de la co-émergence du totem et du tabou, mais plus encore de la simultanéité de l’invention de la sépulture, des interdits majeurs et donc des lois du langage, mais ce dans un système endogamique strictement patriarcal. En ce sens toute révision d’allure « historique » de ce récit, traquant par objectivation sa vérité matérielle, loupe son objet. A l’évidence, il y a peu de chances que l’humanité ait ainsi débuté et de toute façon nous ne savons rien de la vie sociale de « l’homme d’avant l’homme », ou si peu. Il fallait la construction d’un mythe d’origine pour rendre compte de l’apparition des ces co-émergences plus haut désignées.

Des lignes de partage nature/culture

Toutefois on peut se demander s’il est encore souhaitable de considérer l’ensemble des propositions freudiennes comme se tenant solidairement ensemble. Cette interrogation sera au centre de mon propos ; il en ira ainsi de la nature invariante ou pas des traits distinctifs du masculin et du féminin, rassemblés par Freud dans une logique d’opposition, souvent rendue sensible dans la description du couple père-mère. Revenons à cette scène de la sidération des frères devant le cadavre du père et de l’invention d’un traitement rituel de ce corps, par sa totémisation. Si une telle scène résonne en nous si fort, c’est aussi qu’on a pu y voir un récit forcément secondarisé qui rend compte de la mise en place de grandes lignes de partage entre jouissance toute et jouissance réglée par le signifiant, et entre nature et culture. Au final, l’idée toute Lévi-Straussienne qui fonde la prohibition de l’inceste comme la ligne de partage entre nature et culture n’est pas si éloignée sinon du récit freudien (l’anthropologue mettra plus l’accent sur l’ordre imaginaire de la rivalité entre les frères) du moins des préoccupations qui s’y manifestent : trouver ce qui fait à la fois origine de la loi et origine de la parole. La solution endogamique révélant tout autant un matériel de base des structures de l’échange et de la parenté (ce qu’avait mieux que quiconque perçu Kroeber, dès le fin des années 20), qu’elle vaut pour solution sociale pour le désir en raison le principe de séparation et de coupure qu’elle édicte (non inclusion des fils dans les matries, circulation des femmes d’un village à un autre).

Par un effet sidérant de condensation, qui fait de ce mythe freudien un nouage de solutions sociales au désir inconscient, Freud empile les unes sur les autres les inventions culturelles suivantes qui lui semblent décrire la succession des façons qu’a l’humain de se dégager du monde sensible des existants, le faisant au double titre de sujet social et d’être de désir. Ces solutions se décomptent de la façon suivante : tabou des morts / invention de la sépulture / invention de la génération et interdit de l’inceste/ mise en place et en fonction de la structure de l’endogamie avec ses principes transcendantaux de la coupure et du renvoi vers le dehors du sujet vers ses objets de désirs. (Ou, pour le dire, en jargonnant quelque peu l’Autre de l’Autre sexe se tient au dehors, un peu plus loin, dans le village d’à côté).

Une fois épuisées, au moins provisoirement, les batteries d’analogie entre le rite postulé par l’ethnographie et le symptôme observé par le psychanalyste (par exemple entre phobie et mise en place du tabou), cette trouvaille mythique qui rend compte de l’efficacité de la solution endogamique est sans doute la solution que Freud invente pour postuler un rapport universel du sujet parlant à l’inconscient. Ce rapport universel étant thématisé par lui dans la scénographie du complexe d’œdipe. A cet égard, si les mythes et les rites du lointain nous éclairent sur les logiques de construction de la névrose infantile, cette analogie ne saurait se transformer en décision qui réduiraient ces sociétés du lointain où s’observent de tels rites et où s’entendent de tels mythes à des sociétés infantiles ou primitives. Des esprits fins, susceptibles ou chagrins, ont pu déplorer certaines tonalités évolutionnistes de la pensée de Freud, et donc le voient coupable de colporter des préjugés ethnocentriques. C’est exact, et cela était sans doute inévitable. Il est juste de créditer ici Lévi-Strauss d’avoir réduit a quia ce genre de préjugés dans son chapitre VII des Structures élémentaires de la parenté « L’illusion archaïque ». Il est toutefois nécessaire de reconnaître aussi, que logeant toute la logique sociale, où qu’elle s’exprime, dans l’empan d’une logique œdipienne, Freud range toutes les cultures à la même enseigne.

Poursuivons. La prohibition de l’inceste donc, comme ligne de démarcation entre nature et culture. C’est devenu un lieu commun. Mais ça l’est devenu trop vite et trop mal si nous supposons que cette opposition met en contraste une nature inerte avec une culture toute faite de machineries symboliques et techniciennes. Bien au contraire, cette opposition de la nature et de la culture, loin d’emprunter partout à la partition technoscientifique si triomphante dans le monde actuellement, est souvent plus dialectique qu’on ne le croît. Un discours d’âme à âme peut régner entre les humains et les non humains, les espaces psychiques de certaines classes de rêve permettant le voyage du rêveur au pays où les non-humains se prennent pour des humains. Toute société – et la nôtre ne déroge pas à cette règle- ont à penser du continu avec du discontinu et du discontinu avec du continu. Comment penser le continuum nature/culture avec la discontinuité qui provient de la séparation de la culture d’avec la nature ? L’anthropologie nous enseigne sur ce point. Revenons à l’obsession construite que propose Lévi-Strauss qui rend équivalent prohibition de l’inceste et arrachement du sujet humain d’avec le domaine de la nature. Bien des psychanalystes s’empresseraient à faire du père l’agent de cet arrachement. Et de penser du même coup une sorte de naturalisation des différences symboliques avec lesquelles on pense la différence des sexes, donc celle des générations. S’en déduit une stabilité des ontologies et des identités tenue pour structurante de toute appartenance symbolique du sujet au monde commun, soit, souvent le nôtre.

Division sexuelle et loi symbolique, rien ne va de soi !

Et pourtant, cette conviction qu’il faut un a priori de la différence sexuelle pour fonder du symbolique n’est nullement confirmée dans sa prégnance par l’ensemble des systèmes symboliques existants, du moins par l’ensemble des systèmes récoltés par les anthropologues, dont tout récemment Descola.

L’éventail des questions s’ouvre plus encore. Posons une question que nous tenons pour décisive. Quelle serait la distinction majeure, absolue, a priori, qui permet à l’humain de se saisir comme humain. Quels topos symboliques doit-il maintenir au plus possible différencié ? La réponse surgit et elle rejoint une des idées de Freud, exprimée dès le Totem et Tabou, plus haut cité. Il s’agit de la distinction entre le mort et le vif. Entre les morts et les vivants, donc. Se dire humain, personne humaine, signifie se savoir mortel et, du même coup, se postuler comme exclu de la communauté humaine du moment où l’on meurt. C’est par ce savoir que je sais que je vais manquer aux vivants par ma mort et que je me fonde comme vivant. Et sur cette différence l’écart le plus absolu doit régner. Je ne peux vivre dans la conviction d’être un mort increvable. Je ne peux vivre dans l’obsession de la mortalité de mon corps. Seuls les mélancoliques délirants, qui souvent sont chamanes ou voyants dans bien des cultures de ce monde, campent dans une telle conviction.

En va-t-il de même des autres différences ? En d’autres termes si on pense ici ou là, le continuum de la vie et de la mort à l’aide d’une séparation logique maximale entre les morts et les vivants, pense-t-on avec une même vigueur dans le discernement et la séparation, la différence entre « homme » et « femme » ? Certes, il n’y a rien de mieux que la société patriarcale et son avatar de société paternaliste pour supposer un rôle symbolique prééminent accordé à la division du monde humain entre ces deux registres. Seulement il se trouve que bien des cultures considèrent plus le féminin et le masculin comme deux variations par rapport à un sexe primordial, représenté souvent comme un phallus en érection, mais détaché du corps et dont rien ne permet d’affirmer qu’il est plus le phallus paternel que le phallus maternel. Et les distinctions symboliques secondaires et bien admises dans leur aptitude à définir le registre sexuel de l’identité peuvent être, tout comme dans l’ancienne érotologie romaine la différence entre le passif et l’actif, entre l’amant et l’aimé.

Ou pour le dire de façon plus abrupte, la distinction entre homme et femme est loin d’avoir constitué un invariant, alors que c’est le cas pour la distinction entre mort et vivant. Le souci qui se manifeste dans nombre de sociétés traditionnelles est double : fixer un partage des tâches entre féminin et masculin, mais ne pas toujours fixer un « être sexué » du sujet. Les solutions symboliques pour penser dans l’ordre conceptuel la différence des corps rendues manifestes dans la procréation et la génération sont loin d’être univoques. Et toute société ne répond pas par des oppositions binaires au foisonnement réel de la disparité sexuelle. Ce qui ne signifie pas que cette dernière est niée ou déniée, mais que cette opposition est secondarisée par des contradictions moindres, de plus en plus rapprochées, telles celles qui opposent le passif à l’actif, l’aimant à l’aimé, ainsi que je le signalai plus haut. Bref, il n’est pas de différences qui ne soient reprises par un mythe si on suppose que la logique du mythe est celle d’un récit qui vaut moins par sa force narrative que par sa structure même. En effet, le tissu du mythe que l’on peut concevoir, en raison de notre rationalisme étriqué et scientiste, en tant que florilège des formes apparemment les plus libres de la pensée humaine joue, en fait, le rôle fondamental de dire les processus et les stratégies qui permettent aux humains et aux sociétés de se situer à bonne distance les uns des autres. Le mythe a pour fonction de travailler à contrer l’indifférencié qui tente de détruire le monde humain. Pour cela, s’il commente le monde, en y introduisant une opacité nécessaire, et donc une autre scène que celle que nous donne l’évidence naturelle, il le fait en dénouant le fil de contradictions mineures pour résoudre des contradictions majeures. Il en va d’abord des contradictions mort/vivant supportées par la contradiction entre prédateur et proie, puis celle entre chasseur et agriculteur, puis mais avec des tolérances variables aux non solutions de continuité les oppositions nature/culture et homme/femme. L’Autre est toujours un lieu d’inconnu radical mais que l’autre sexe va venir présentifier selon des rites, des coutumes fort diverses.

Le mythe Œdipien qui jette un pont entre la croyance à l’autochtonie de l’homme et sa naissance par l’union d’un homme et d’une femme est donc loin d’être universel.

Au-delà du mythe Œdipien, l’enfant, le sexuel et la mort

Quid alors de l’enfant ? L’enfant tout partout dans le monde ne se trouve pas attendu et accueilli par les coordonnées de ce mythe. A la question plastique de savoir qui donne forme à sa chair et à ses traits et politique de savoir qui donne hébergement langagier et culturel à son être les réponses sont multiformes. Un seule constante (ou invariant) se dégagerait. La naissance humaine suppose deux temps : un temps où l’être vivant, à peine une présence, à peine une promesse, est jeté dans le monde, y est « mis bas », un temps second où il est adopté par le social comme « enfant de la parole » et rendu à sa mère et à son clan immédiat. D’où vient l’enfant ? De quelle terre étrangère est-il aussi le messager ? Comment et pourquoi doit-il être rendu aux vivants et par eux adoptés ? Ces questions qui supposent l’articulation du réel de la naissance au symbolique de l’adoption réfère l’enfant à l’ancestralité mais tout en en faisant un mortel comme les autres. Ce petit être vient des terres des ancêtres, adopté secondairement par le social il redevient un enfant. Il est façonné rituellement comme tel. Un enfant sur lequel les rites de naissance n’ont que peu de prise pourra être qualifié d’ « enfant-ancêtre » - mais ce terme fait l’objet d’une inflation ethno psychiatrique qui frise l’absurdité. Il faut imaginer que dans toute l’Afrique de l’Ouest, on recenserait moins d’enfants ancêtres que dans certaines consultations ethnnopsy, à Bobigny ou ailleurs (Douville, 2004)

D’où vient l’enfant ?

La naissance suppose donc qu’à l’énigme brutale qui fait qu’un corps puisse sortir d’un corps, vienne faire suite et parade, la ritualisation de ce jeté dans la monde, qui devient mise au monde. D’où, par exemple, les cérémonies rituelles d’enterrement du placenta. Que ce dernier devienne par la suite le double du sujet ne nous importe pas tant que cela. Ce qui, en revanche, retient notre attention est ce fait de structure : l’enterrement du placenta est une stratégie d’accueil de cette nouvelle vie, entre nature et culture, et qui se trouve présenté au monde humain, c’est-à-dire au monde dont la dignité se tient dans le fait qu’il a inventé la sépulture.

Et bien des cultures attribuent à cet enfant non encore mis au monde et avant même qu’il soit en sommeil dans le ventre de sa mère une intentionnalité, celle de se choisir telle mère, tel sexe, et donc telle parenté et telle lignée. Dans son Quart Livre, chapitre IX, Rabelais se faisant l’écho de l’ébahissement qu’avaient éprouvés des compagnons de Jacques Cartier qui firent de bien curieuses rencontres, à peine étaient-ils arrivés sur la rive ouest du Québec, ils racontait que dans tel pays on se nommait de façon très étrange, tel enfant nommait sa mère « ma fille », ainsi un vieillard appelait une fillette « mon père » et elle lui répondait en l’appelant « ma fille ». Rabelais bouffonne un peu. Mais on peut déjà lire chez lui le témoignage des croyances répandues chez bien des peuples à institution chamanique qu’un être du sujet existe, avant sa conception et qu’il peut choisir le ventre maternel où il sommeillera et rêvera neuf mois durant, certaines personnes se souvenant de leur rêve intra-utérin, et avec un beau luxe de détail racontent leur existence allant de leur conception à leur accouchement. Ils se figurent aisément avoir fait choix de leur sexe futur, alors qu’ils n’étaient que fœtus. Lors de leur vie humaine, une fois jetés dans le monde puis mis rituellement au monde, il n’est pas exclu qu’ils assument alternativement des conduites sociales et des rapports de parenté masculins puis féminins. Cette instabilité des genres appelle la médiation du chamane qui est l’être hybride par excellence, passager faisant navette entre le monde des morts et la société des vivants, transcendant les oppositions binaires entre le monde des humains et des non-humains, entre les divisions sexuelles des rôles. Ce chamane, posé comme le représentant d’un troisième sexe, est celui qui fait tenir la division sexuelle, la division économique, la division métaphysique de sa société par les fonctions de médiations qu’il remplit à l’exception de toutes autres fonctions. Ce fait a été longuement étudié par Bernard Saladin d’Anglure, il y a de cela un demi-siècle.

Fort dépaysantes, ou trop inquiétantes de telles observations n’en sont pas moins précises et précieuses. Elles révèlent qu’il n’y a de fictions de symétrie des rapports de sexe que si une valeur de dissymétrie vient s’y ajouter en y révélant la fragilité de toute identité première en même temps que son équivoque foncière. De plus ces mythes d’enfant optant pour telle ou telle identité, renvoient à la nécessité d’une décision faisant accident dans les présages et les vœux du discours maternel. De s’être choisi homme ou femme, ou ni-homme et ni-femme, fait de l’enfant un être de parole, désordonné, irruptif et pourquoi pas bouffon. La mise au monde rituelle n’aura pas vocation de la convertir à une identité sexuelle close et fixée. Elle aura fonction de le consacrer comme vivant.

Dans le lointain de ces cultures, une idée nous fait signe. Elle relativisera la portée universelle du mythe œdipien, mythe d’autochtonie radicale. Elle n’en soulignera que davantage le fait que pour un sujet prendre place dans la logique des symétries et des dissymétries sexuelles dont la mouvance est propre au monde culturel où il vit, ne se fait pas sans la mise en place d’un principe de séparation d’avec les fantasmes parentaux. Mais de plus cette information anthropologique et l’ouverture aux singularités culturelles qu’elle comporte permet de mieux relativiser les scénarios conventionnels de la virilité et de la sexualité. Le principe transcendantal du père pouvant se trouver réévalué et relativisé au nom de cette fiction et de cette fonction de la séparation dont il ne peut ni ne saurait être, dans la contingence de son existence précaire, le seul dépositaire et le seul garant. Que certaines cultures brodent la fiction d’un fœtus calculant son identité sexuelle et la pariant, permet de mieux comprendre la complexité des opérations singulières qui permettent à la névrose de l’enfant d’aider à la construction fantasmatique des scénarios et des semblants. Et de réévaluer alors la portée de l’opération de séparation du discours de l’Autre (et de son trouage), et tout le relatif des versions conventionnelles de la paternité et du maternel si en usage obstiné et paresseux dans le monde éducatif et psychanalytique.

Olivier Douville

Références

Bidou, P. : Le mythe du tapir chamane. Essai d’anthropologie psychanalytique, Paris, Odile Jacob, 2001

Bidou, P, Galinier, P., Juillerat, B. (éd.) : Anthropologie et psychanalyse, regards croisés, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, collection « Les Cahiers de l’Homme », 2006

Descola,P. : Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005

Douville, O. (éd.) : Anthropologie et clinique, recherches et perspectives, Rennes, Université de Rennes 2, Laboratoire de cliniques psychologiques, 1996

Douville, O. : « Les prétendus enfants-ancêtres. Des mères africaines et de leurs prétendus enfants-ancêtres, ou sur le travail d'un clinicien partisan d'un exotisme très tempéré" Che vuoi ? Revue de psychanalyse, 21, 2004 : 187-219

Freud, S. : Totem et tabou (1912-1913), Paris, Petite Bibliothèque Payot, éd. 1990

Galinier, J. : La moitié du monde. Le corps et le cosmos dans le rituel des indiens Otomi, Paris, PUF ? 1997

Griaule, M. : Dieu d’eau, entretiens avec Ogotommêli, Paris, Fayard, 1997

Kroeber, A.L. : Totem and Taboo, an ethnologic psychoanalysis, Totem and Taboo in retrospect, The Nature of the Culture, The University of chicago Press, 1952 : 301-309

Lévi-Strauss, C. : Les structures élémentaires de la parenté, Paris Mouton, 1947

Saladin d’Anglure, B. : Etre et renaître inuit, homme, femme ou chamane, Paris, Gallimard, 2006