Olivier Douville

De la ségrégation et des possibles inventions subjectives

Olivier Douville, psychanalyste, laboratoire crpmS, université Paris-Cité, membre d’Espace analytique,  membre de l’Association française des anthropologues, 22 rue Louise-Émilie-de-la-Tour-d’Auvergne, F-75009 Paris ; douville.olivier@yahoo.fr


Comment le sujet pris dans les convulsions de l’histoire vient-il troubler  tous les dispositifs qui veulent le réduire et l’assigner à une seule identité ? Cette question est concrète, et il revient aux praticiens d’une clinique avertie  de ses conditions et de ses enjeux anthropologiques d’en prendre le plus  possible la mesure. Étudions pour cela ce que nos propres dispositifs de  consultation et de recherche produisent comme figures d’identité et d’altérité  dans le jeu des productions de transferts. 

Une société solide n’a aucun besoin de se contempler dans des discours  identitaires. Il en va de même des individus éclairés et sereins. L’humain ne  se relie à l’autre humain que par ce qui dépasse sa stricte condition culturelle  et historique ; or comment ne pas voir a contrario que l’identité est un marché  dans l’évolution du monde contemporain ? Beaucoup de références identitaires seront captées par des agents idéologiques très formés techniquement  dont le projet politique et néolibéral consistera à proposer sur le marché des  marques identitaires, des définitions variables de leur contenu, au gré des  intérêts politiques et sociaux qui s’affirment ainsi (Bertrand Badie, 1995).  Entre les idéaux du marché et son fonctionnement réel se joue une contradiction profonde. En effet, le marché est à la fois un mouvement d’atomisation  de l’identité (chacun recherche son trait identitaire) et de massification des  identités en groupes concurrentiels. La psychanalyse, contemporaine d’une  telle contradiction, résiste par bien des aspects à penser ce processus hybride  qu’est la globalisation du marché, processus qui fait se côtoyer à nouveaux  frais des traits d’identité et des modes de jouissance tout en s’accompagnant  d’une montée des logiques et des dynamiques de ségrégation et d’exclusion.  

Or, c’est bien cette montée de telles logiques que le libéralisme va favoriser,  canaliser et sans doute aliéner en valorisant l’individu autoentrepreneur,  y compris autoentrepreneur de sa propre identité, jouissant ainsi de sa  supposée complétude et de son adéquation avec lui-même. Et si, sur ce  dernier aspect, il pourrait sembler que le néolibéralisme se présente, du  moins en surface, comme un mouvement de libération des appartenances  et des processus d’institutionnalisation du sujet nous montrerons qu’il n’en  est rien. 

L’identité ou « je suis ce que je suis » 

Revenons à ce mot d’identité. Dans cet article, une telle notion ici va  se trouver interrogée et positionnée non seulement par rapport à la notion  d’identification, mais encore par rapport à ce terme devenu récurent  d’identitarisme. L’actualité nous envoie tellement de signaux, marchands et  imbéciles, sur le culte d’être soi, le « self-développement », etc., qu’au fond on n’y retrouve rien de tangible qui exprimerait notre indéniable fragilité, nos  incertitudes et nos précarités identitaires, notre radicale soif d’autrui et nos  potentiels d’accueil. Faisons une halte devant la course effrénée des injonc tions surmoïques qui nous imposent d’être à la pointe de notre temps, fluides  et postmodernes, parce qu’on ne sait pas vraiment ce que cela veut dire.  La psychanalyse, telle qu’on l’entend chez Freud, Bion, Winnicott, Lacan,  Klein et tant d’autres, nous enseigne : tu n’es jamais ce que tu crois être. De ce  fait, les revendications militantes de l’identité devraient laisser les psychanalystes sinon bienveillants, du moins calmes. Personne n’a la boussole, le  thermomètre, le baromètre qui permettent de pouvoir dire : je suis ce que je  suis.  

Le courage spéculatif consisterait-il alors à déplacer le champ du ques tionnement identitaire en nous demandant avec fermeté quelle théorie du  sexuel est en jeu lorsque nous parlons du corps, comment nous conceptuali sons le lien entre corps et politique ?  

L’identité et l’incomplétude sont liées, parce que c’est à partir de l’in complétude que le pas est tendu vers l’altérité. Cela, c’est le socle analytique,  et l’identité ne se suffit pas plus à elle-même que le corps ne se suffit au corps,  il faut des rituels ; que la vie ne se suffise pas à la vie indique que nous avons  à éprouver autre chose que l’urgence de la survie ; que la mort ne se suffise  pas à la mort implique que la mort est autre que la destruction. Ce, pour une  raison très simple : l’homme être de langage est aussi un être cérémonial.  

Quelle place faisons-nous aux nouveaux rituels qui figurent et célèbrent  les mutations des identités sexuelles ? L’heure actuelle n’est pas à la mytho logie, elle est à la ritologie. C’est le rite qui nous donne une identité ; mais, si le rite ne se prolonge pas par une critique de ce qu’il construit, alors les  identités deviendront des valeurs fétichisées : des valeurs identitaires, des  valeurs marchandes, des valeurs toujours éphémères et en vif danger de  compétition. Et, là, nous ne saurions nous laisser embarquer dans je ne sais  quelle espèce de rêverie concernant l’homme renouvelé, complété, tout  irradiant de développement personnel. Le néolibéralisme est d’essence guer 

rière, pour une raison fort simple : le marché suppose la concurrence effrénée,  les monopoles, les mainmises et les captations des matières premières.  Le régime néolibéral (ce que des anthropologues comme Hours ou Sélim  ont nommé en 2010 L’anthropologie politique de la globalisation) secrète son  anthropologie, rudimentaire et impérieuse, qui est celle de l’humain autoentrepreneur, délivré de ses dettes et de ses réciprocités. Le message moral  du néolibéralisme est que tout individu peut trouver en lui les ressources  qui lui permettent de tenir debout dans un univers de compétition de plus  en plus acharnée. On l’aura compris, réussir sa vie consiste alors à explorer  sans cesse les immenses ressources de vérité et de puissance dont chacun de nous est supposé être porteur. Telle est la version romantique, romanesque  et lourde d’émotions convenues de ce fameux « self-help » (expression assez  malhabilement traduite par « développement personnel »), forgée en 1859  par Samuel Smiles. Smiles est un penseur qui vécut à l’ère victorienne et qui  a théorisé sans hâte et sans éclat une psychologie de l’homme de la perfor 

mance qui se trouve tout à fait en phase avec la révolution industrielle.  Se forger une destinée, trop souvent rétrécie à l’obsession d’une carrière  dans le mythe du « self-help », revient alors à devenir « soi ». Ce « self-help »  rencontrera un vif succès, qui se continue de nos jours dans cette psychologie  expéditive et ségrégative de la résilience. N’y voyons surtout pas un appel au  dépassement de soi, l’apologie d’un moi fort et autonome campe au premier  plan.  

La mise en avant de ce moi combatif, qui, nous le verrons, rencontre  quelques faveurs au sein de la nébuleuse de la psychologie clinique, aboutit  à d’immédiats prolongements politiques (Marquis, 2017). De même, c’est  bien à partir de ce culte de l’autonomie que de forts mouvements d’attaque  sont menés contre ce qui est Institution dans le soin ou l’éducation, non parce  qu’il serait souhaitable que de telles institutions puissent être réformées,  mais parce que la fascination entretenue pour une intériorité détenant les  clefs d’une vérité sur soi doit s’imposer comme régime d’authenticité du  sujet. Son devoir moral vis-à-vis de lui-même est alors de réfuter les sup posées allégeances qu’impliquent les normes institutionnelles. 

La brutalité néolibérale accouche donc de l’anthropologie d’un humain  qui n’est pas seulement individualiste (ah, voilà un vrai cliché !), mais qui  est allergique aux institutions qui font monde commun. Le prestige du développement personnel se fait et se montre, alors que d’autres formes  d’actions collectives politiques ou syndicales perdent de leur crédibilité.  Voir en cette production de l’identité conquérante un signe du retour du bon  vieux narcissisme libertaire est une bévue. Les valeurs d’égalité et d’entraide  qui souvent vibraient dans les utopies libertaires sont ici remplacées par une  guerre contre l’égalité et contre la solidarité. La violence excluante du néo 

libéralisme (nous n’en sommes plus ici à parler de ségrégation, mais bien d’ex clusion) crée un nombre de plus en plus important de laissés-pour-compte.  La pensée de Michel Foucault importe ici déjà dans la recension précise  de la naissance de techniques disciplinaires visant l’individu et son corps.  Cependant, il est nécessaire de souligner, avec Foucault, l’apparition, dès la  fin du xviiie siècle, d’une technologie de pouvoir qui concerne la multiplicité  naissante de techniques disciplinaires centrées sur l’individu et son corps ;  Foucault montre aussi comment s’est mise en place à la fin du xviiie siècle  une nouvelle technologie qui concerne la population, la traitant comme un  problème scientifique et comme un problème politique. D’où la notion de biopouvoir. La souveraineté biopolitique concerne l’homme non seulement  dans sa particularité singulière et individuelle, mais comme un élément  contrôlé au titre de spécimen d’une population. Si, avec Lacan, nous pouvons  penser la ségrégation comme l’effet d’un refus de la jouissance qu’il ne faut  pas et supposée à l’autre en tant qu’étranger, avec Foucault se dégage une  dimension supplémentaire. Du moment que l’étranger devient radicalement  autre, alors il figure celui qui est pris dans une autre logique de biopouvoir  que celle dont dépend l’autochtone. Les remugles xénophobes et racistes  contemporains sourdent de là – d’où le plus souvent un appel au pouvoir  législatif pour réguler ce supposé désordre lié à l’immigration. Non qu’il ne  faille pas aux États européens dominants mener une politique de l’immigra tion avec les pays concernés, là n’est pas l’objet de notre discussion. Nous  soulignons autrement l’aspect profondément violent du rapport à l’étranger :  à la fois l’exclure comme altérité incompatible et le revêtir par projection  d’une jouissance fantasmatique, où encore l’imaginer comme concerné en  rien par le pouvoir et le biopouvoir qui touchent la compacte majorité.  Ainsi, dès le début de la pandémie de Covid-19, il fut patent que la réponse  sécuritaire face à l’épidémie s’est articulée à des logiques racialisées de  contrôle de la population sur les différents territoires, et à lecture racialisée  du « civisme » et de la « citoyenneté ». 

L’extension du biopouvoir intègre de plus en plus des processus de  massification des populations, qui vont de pair avec des dynamiques  d’exclusion et touchent non pas telle ou telle variété du minoritaire ou du  

1. On se reportera à l’article « Inégalités ethno-raciales et coronavirus », dans De facto, 19 mai  2020. majoritaire, mais à l’« homme espèce ». C’est le vivant, de la naissance à la  mort, qui est l’objet du biopouvoir, quels que soient les modes de vie des  uns ou des autres. La vie biologique du vivant humain (et par extension  du vivant animal) devient une préoccupation importante des techniques  de gestion étatique des populations. La ségrégation serait-elle une façon  de produire du dissemblable, de créer une sur-différenciation, lorsque le  biopouvoir produit de la massification ? 

La violence des stigmatisations raciales s’affirmerait alors au plan des  structures étatiques comme partie prenante d’un « renforcement biologique »  (Foucault, 1997, p. 230) du traitement des populations. Il conviendrait  d’envisager que c’est bien davantage en raison d’une peur inconsciente de  la massification de l’existence que surgit la passion ségrégative comme stratégie souterraine de la pensée de soi, qui surestime la différence, la fige, pour  masquer la massification qu’entraîne le biopolitique. Une telle hypothèse  rejoint l’assertion de Bertrand Badie lorsqu’il dissèque, en 1995, le marché  des identités et le triomphe des entrepreneurs identitaristes. Se figent les litanies de l’identité et de l’autonomie comme des systèmes défensifs contre  l’angoisse de massification. Le biopolitique aurait comme moteur la des truction de l’altérité et comme effet le marché de l’identité. 

L’hypothèse est ici que les adolescents en rupture, en errance, et les  exilés sans demeure sont parmi les témoins les plus à vif de cette dé réglementation anthropologique et morale que génère le biopouvoir. Nous  rejoignons ici les propos de Roland Gori : « Nombre de pathologies sociales  de notre civilisation procèdent de cette souffrance existentielle conduisant  les sujets à s’instrumentaliser, comme ils instrumentalisent les autres, en  se métamorphosant en systèmes “comme si”, hyper-adaptés, véritables  “robocops”, dépourvus de subjectivité, martyrs de notre civilisation, ils se  réduisent aux performances de leurs comportements, et aux excitations  qu’elles procurent » (2024, p. 22). 

Un sujet qui Perd en consistance 

Je fais maintenant le choix de parler de l’opération adolescente dans  nos mondes contemporains. L’éclosion souvent déstabilisante du puber taire rencontre en toute société, qu’on la dise moderne ou qu’on la pense  appendue à une rationalité « traditionnelle », ses encadrements dogma tiques, rituels et institutionnels. Les modes de transmission diffèrent, et ce  n’est pas en tout lieu que la jeunesse est située comme un « problème ».  Des formes singulièrement virulentes d’abandon et d’errance s’intensifient.  Le rapport symbolique au « lieu » connaît ses refontes, ses expérimentations  et ses impasses. Provoqués par le triple décentrement par globalisation de la ville, des demeures et des individus, émergent des non-lieux dans nos tissus  urbains. Soumis à la crainte redoutable de ne plus être tenu par l’autorité  d’un mythe et la générosité d’une transmission, beaucoup de jeunes errent,  se jetant dans un lointain sans perspective. Vivant une sorte de perte de l’évi 

dence naturelle du monde, ils répètent, dans la ritournelle de leurs pérégri nations désorientées, les mêmes mises en incertitude et en impasse (Douville,  2016). Ils semblent s’effacer à eux-mêmes et pour eux-mêmes. Pas d’Autre suffisamment consistant n’irait ici les appeler, les soutenir ou les contredire.  Ils vivent le glissement graduel entre deux formes de répétition.  

Je précise ce dernier point : Freud, on s’en souvient, distinguait en effet  deux formes de répétition, d’une part celle qui vise par sa propre obstination  à l’écriture, à la reprise, à la trace, et à la possible création de lien et, d’autre  part, celle qui produit, par son usure, de l’effacement, de l’extinction, de  la rupture du lien. Je proposai naguère la notion de « mélancolisation du  lien social » (Douville, 2001) ; je soutiens maintenant que de nombreuses  personnes perdent le sens de leur consistance quand se disjoignent les arguments psychiques et anthropologiques de la mondanité du sujet (Douville,  2026 ). La négation de tout signe d’appel à autrui a le plus souvent marqué  la vie de ces sujets. Nous sommes ici au seuil d’une disparition du sujet de  la demande, avec cela que les modalités de la demande ont toujours comme  effet de mettre en place de nouvelles versions de l’Autre. Notre clinique est  aussi et avant tout liée à la résistance du sujet à un vécu de mort subjective,  en cela elle se peut concerner tout être parlant et souffrant. Concernant  l’adolescence, les conduites d’errance ont retenu tout mon intérêt ; car, loin  de les considérer comme de purs épuisements des tentatives du sujet à tenter  la fuite en dehors du monde familier, j’ai choisi de lire les trajets d’errance  comme une recherche, une quête d’un lieu marqué par des seuils. Non plus  une chute d’un lieu vers un « hors lieu », mais l’inverse, soit un mouvement  qui fait rupture avec ce qui est graduellement devenu une ruine du lieu afin  de se trouver un lieu, enfin.  

L’expérience objective de l’errance exténue l’expérience du monde  jusqu’à la recherche d’un ensemble de points temporaux et spatiaux qui  l’accueillera. Passage alors de l’errance en tant que ruine du lieu à l’errance  en tant que pratique des hétérotopies. C’est dans ce passage que trouve son  efficace la présence parlante et soignante des équipes de soin en direction  des adolescents (Douville, 2016). Avec quel bagage tant de jeunes s’évadent 

ils d’un quotidien abrupt et parfois ressenti comme absurde, gangrené par  la mélancolie d’une vie sans consistance, sans rêve et sans réalité ? Certains,  garçons ou filles, s’aventurent sur des chemins inédits. Moins des lignes  continues que des saillances, qui font comme des ricochets ; moins des  espaces euclidiens, dotés immuablement de ces trois dimensions que l’on croit naturelles, que des reliefs, des accidents, des éparpillements disjoints  qui éveillent confusément des réminiscences, des espoirs ou des regrets.  On perçoit alors dans l’attitude de ces errants, souvent échoués, dans des  caves d’immeuble, des parkings, des friches situées aux marges des grandes  cités, les restes encore vifs d’un bagage affectif extrêmement réduit en cela  qu’ils ont peu connu ces moments où le corps a été touché, apaisé et éveillé  par un geste d’amour, par une parole d’amour. On dirait presque que n’a pas  eu lieu de don venant de l’Autre.  

J’ai pris conscience de cette intensité lorsque je travaillais auprès  d’errants, que ce soit en Afrique de l’Ouest ou au sein de l’équipe « Ado Neuilly » de l’hôpital de Ville-Évrard. Errer était un mouvement de conser vation de ces traces et d’espoir de pouvoir les revivre, les adresser, bref, les  déplacer. L’attente d’un tissage possible, par la monstration ou l’agir qui font  signe, était alors transféré sur cet Autre primordial que va incarner l’équipe  mobile de soin, alertant et convoquant une version inédite du familier et de  l’infamilier. Ces jeunes conservent dans les poches trouées de leur manteau psychique la supposition qu’ils peuvent encore trouver/créer un lieu dans le  monde à venir, lieu dans lequel leurs signes de présence seraient entendus,  accueillis et liés. Les errants sont encombrés par des moments où ils sont les  dépositaires désabonnés de ce savoir d’avoir été sporadiquement accueillis  dans le monde. Or ces moments sont tant détachés les uns des autres que ces  jeunes cherchent à bricoler, souvent dans un épuisement, le lieu et la formule,  comme l’écrivait Rimbaud, où recoudre une continuité d’existence.

Commençons par une brève présentation clinique. 

Cette femme venue du Portugal et rencontrée lors d’une maraude d’une équipe  psychiatrie/précarité se tenait debout, s’aidant à ne pas sombrer au sol, en s’agrippant  à un poteau de bus. Silencieuse la plupart du temps, elle disait en une litanie à très  basse voix chantée : « J’attends les enfants, il faut qu’ils mangent… » Que pouvions nous faire ? Lui dire : « Mais enfin, madame, ce n’est pas raisonnable, vous êtes là  à Neuilly-sur-Marne, ce n’est même pas Paris, c’est la banlieue, et vos enfants sont  à Porto, à plus de mille kilomètres » ? Pourquoi ne pas ajouter alors : « Si vous  voulez, on va regarder sur un atlas, puis on va mesurer ; vous allez voir que vous  dites des choses qui ne sont pas raisonnables » ? Non. Quand plus rien n’est vrai  parce que tout est réel, on ne fait pas naître une ambiance commune à coups de bon  sens dont on ne sait pas pourquoi, d’ailleurs, les cliniciens et les travailleurs sociaux  seraient les derniers dépositaires. On crée une ambiance en pointant les directions  de l’espace et du temps, les lieux et les échanges ; en traitant le réel d’un dire par un  corps soutenu, sans faire cas de son sens immédiat. Et de ce fait, oui, nous sommes témoins qu’une catastrophe a eu lieu pour cette dame. J’insiste sur ce : « a eu lieu ».  Contrairement à la conviction térébrante du traumatisé qui se résume à ceci : un  sujet est toujours seul et un corps est toujours seul, nous, nous amenons notre  anthropologie cosmogonique portative : un sujet n’est jamais seul et un corps n’est  jamais seul, le sujet est singulier, mais la singularité c’est le collectif au singulier,  ce n’est pas la ruine en soi du collectif, ce n’est pas la solitude sans recours. Il y a  l’exclusion, mais il reste du sujet… au bord du vide. Tout ce qui pourrait être épinglé  en ce cas comme un trouble du repérage spatio-temporel indique que cette dame ne  se loge plus dans la conventionnalité d’un espace euclidien et d’une temporalité  linéaire. Le corps est pris dans ce tumulte ; il nous revient de favoriser une possible  circulation libidinale, et dans son rapport à son corps et dans son lien à l’équipe, en  nous tenant là, en parlant, et en apportant un petit peu de compréhension. En propo sant de manger avec elle, en parlant de ses souvenirs et de ses espoirs, en tentant de  cerner avec elle pourquoi son corps la tient si peu et si mal. Nous pourrons alors la  mettre à l’abri. Enfin, elle qui se tenait encore mais si mal debout face au vide nous  parla de sa solitude, doublement exclue et par le social et par sa famille, que naguère elle nourrissait d’abondance. 

« Un parcours de soins peut tout aussi bien devenir un passage à condi tion que l’épreuve de l’étranger s’exerce sur les deux partenaires, au moins  durant un instant, dans une réciprocité bienveillante » notait le psychologue  et psychothérapeute Abdelhak Elghezouani (2017).  

Le simple mot d’exil est un terme des plus précieux de nos corpus  anthropologiques et psychanalytiques. Il ne s’inscrit peut-être pas frontale ment dans le chapelet des concepts cruciaux de la psychanalyse que chacun  trouve à sa porte et remue à sa guise, mais il les perturbe tous. Comment  oublier que la notion même de déplacement est un des concepts cruciaux  de la métapsychologie ? Il y avait chez Freud une dimension d’étranger  professionnel qui devrait, ou qui pourrait, avoir pour effet de nous décou rager d’injecter un surplus d’autochtonie dans nos façons de vivre, d’être,  d’échanger, ou de se localiser dans les pontifiantes hiérarchies de nos insti tutions. Le trop d’autochtonie institutionnelle est sans doute un facteur de  grande pétrification de la psychanalyse. Le beau titre du livre de Betty Fuks,  Freud et la judéité. La vocation de l’exil, souligne bien cette dimension cosmo polite qu’eut la psychanalyse.  

Notre époque connaît des typologies d’exil assez différentes en cela  que, à la suite de conflits multiples – souvent des guerres dites civiles,  des détresses économiques et des désastres climatiques, des persécutions  sexuelles et/ou religieuses –, elle devient l’époque des exilés errants, réfugiés, déplacés, sans légitimité de lieu. À cet égard, l’exilé vit la condition de  l’étranger qui ne cesse d’avoir à faire valoir son identité. Une réserve s’impose  à nous toutefois. L’exil désigne une élaboration singulière, un trajet à la fois interne et externe. Il ne revient en rien aux divers psychologues ou psycha nalystes « interculturels » d’user de ce terme pour masquer, voire forclore, le  politique. La disparition de la terminologie de « travailleurs migrants » ou de  « travailleurs étrangers » au profit de celle qui désigne des « migrants » ou  des « étrangers » rend trop vite compte de la mise sous le boisseau de termes  qui furent les marqueurs d’une pensée du politique. Tous les migrants n’ont  pas le même statut, les mêmes droits, les mêmes aides, les mêmes initiatives  solidaires, les mêmes liens au pays quitté, les mêmes conditions de vie,  enfin. Que les psychologues et les psychanalystes qui travaillent dans des  foyers d’immigrés ou qui même vont consulter dans des centres de rétention  apportent toute leur lumière et leur savoir-faire quant à la santé psychique  et parfois psychosomatique des personnes qui y résident, nul ne peut s’en  offusquer. Mais jamais nous ne travaillons sur de l’exil pur, mais bien sur  des vécus d’exil dépendants de situations politiques et administratives  distinctes. Si j’ai pu, un moment, parler avec Fethi Benslama, Okba Natahi,  Zhor Benchemsi et Jean-Michel Hirt des « cliniques de l’exil » afin d’affirmer nos désaccords avec les clichés identitaristes de l’ethnopsychiatrie s’exerçant  dans les banlieues parisiennes, je me dois de prendre acte qu’une idéalisation  du terme d’exil, dont pourtant je n’hésite pas à dire qu’il est d’usage crucial  dans la clinique singulière des situations pathogènes de migration, ne nous  dispense en rien de situer la condition politique des hommes et des femmes  qui se confient à nous. 

L’immigration a une histoire et elle est une histoire oubliée ou cachée,  mais qui est bel et bien une dimension de la société française, et qui interroge  tous les modèles d’un universalisme oral autant qu’abstrait, ce que Pierre  Bourdieu férocement nommait, en 1999, dans sa préface à un livre d’Abdelmalek Sayad : un chauvinisme de l’universel. L’immigration est héritière  d’un savoir sur l’histoire et le social, violemment dénié. Comment ne pas  évoquer ici la notion de « savoir assujetti » : un savoir discrédité, tenu comme  virtuellement né ruiné, « tenu en lisière » et « assujetti », soulignait Foucault  en 1996 !  

La dimension d’altérité 

Quel effet la dimension d’altérité a-t-elle sur notre subjectivité et notre  travail clinique ? Loin de favoriser la cartographie clivante de l’autochtone  et de l’étranger, du « nous » et du « eux », nos propres montages identitaires  sont questionnés, inquiétés et stimulés par l’altérité. La dimension de l’altérité ne se résorbe pas dans le repérage si commode de la différence. L’altérité  se situerait plus exactement comme ce qui, dans l’expérience du « différent »,  touche à l’intime en nous. L’incertitude qui nous saisit dans la rencontre du jeu entre familier et étranger, parce qu’elle peut être inquiétante, se cris tallise trop souvent dans une expertise des différences au nom d’une géo localisation « culturelle » de l’inconscient. Toute cette pédanterie défensive  (i.e. la notion « d’inconscient ethnique ») évite de rencontrer ce qui suscite rait en nous le goût d’un surmontement des fausses évidences et des primes  inquiétudes. L’altérité remue et nous métamorphose. La rencontrer trouble,  mais pousse à la liaison psychique. Si est réduite l’altérité à la différence,  alors le débat sur « psyché, histoire et culture » est virtuellement né ruiné,  fossilisé en autant de vignettes typiques comme celles qui firent les pires  heures de la psychiatrie coloniale. 

L’altérité ne saurait être antagoniste de l’identité. Cette fausse opposition  peut heureusement se décomposer en nuées, dont les retombées importent.  Refusons de réduire l’altérité à la différence, et alors s’ouvre un champ qui  est celui d’une anthropologie réciproque et réflexive (Ghasarian, 2002).  La réciprocité n’est pas la fascination au miroir.  

Bien sûr, la culture ethnographique importe, mais ce n’est pas pareil d’ouvrir un livre ethnographique aussi chamarré d’érudition qu’il est  possible de l’être – par exemple un livre orientaliste, et il y a en a de très  beaux – que de rencontrer quelqu’un qui a fui son pays parce qu’une partie  de sa famille ou de ses amis chers a été massacrée par des talibans comme en  Afghanistan ou, comme ce fut le cas au Congo et au Rwanda, par des bandes  armées, égarées, erratiques, indifférentes et cruelles.  

Aussi bien avons-nous affaire à des sujets pris dans la détresse, qui bien  sûr peuvent s’arrimer à de grands Autres féroces ou à de grands Autres de  pacotille, qui peuvent même ressentir le chagrin extrême d’avoir contribué  par leur exil à affaiblir, voire à tuer l’ancêtre. Là où ils sont, ici, ils ne peuvent  plus sacrifier pour maintenir le souffle occulte et ancestral garant de la  respiration du monde. J’ai observé et soigné sur ce dernier point des mélancolies africaines extrêmement sévères par exemple (Douville, 2014 et 2024).  Ce n’est en rien un service à rendre à ces voyageurs erratiques que sont les  exilés privés de retour que de leur inculquer que cet Autre ne leur a jamais  fait défaut, que leur malheur vient de ceci qu’ils sont ici en terre étrangère  et qu’au fond, si on pouvait les faire vivre dans des ghettos, le grand Autre de référence reprendrait quelques teintures, quelques couleurs et quelques  exercices, et tout irait bien. L’exilé en situation de demande d’exil, en attente  qu’une décision administrative lui donne un statut, et plus encore une  nomination d’accueilli, voit se disjoindre les trois aspects constitutifs de son  identité sociale : la référence symbolique, la référence politique, la référence  cérémoniale. Non, ce n’est pas le supposé « fond traditionnel » qui s’extériorise dans les allégations de sorcellerie et de possession en terre d’exil, mais  bien plus la disjonction de ces niveaux et de ces plans d’identité. Le statut de demandeur d’asile vient souvent capitonner une errance identitaire qui  fait se replier sur le sujet les scénarios les plus sévères de la persécution et de  l’attaque, y compris de l’attaque sorcière, tant exportée et démembrée que le  soin traditionnel est mis en échec. 

Considérons alors l’état actuel de notre lien social et de nos autochtonies  en faisant place à leur envers, soit la ségrégation et la condition erratique  de l’exilé sans retour. Cet envers définit le lot de différences réelles, qui ne  sont pas dissoutes par l’imaginaire du semblable ou la symbolique d’une  universalité de prêt-à-porter, et qu’à défaut d’accueillir notre actualité traite  par le déni et la mise au ban. Nous ne voulons rien savoir des traumas qui  les hantent et qui ne peuvent révéler que nos propres points de précarité et  d’illégitimité.  

C’est alors que je reconsidérerai le trauma. Envisageons ce très bref  exemple : vous avez une maison, un « chez vous », puis il se produit une catas trophe, un incendie, un glissement de terrain ; évidemment, c’est trauma tisant. Mais ce n’est pas pareil que la situation d’être traumatisé parceque quelqu’un, qu’on appelle un génocidaire, a décidé que vous deviez  disparaître physiquement du fait de votre naissance en tant que « ceci » ou  « cela ».  

Il s’agit bien, dans notre travail clinique, de récréer la possibilité d’un  monde commun, qui nécessite des interventions techniques mais ne se  réduit ni se garantit par la simple technicité du secours –technicité évidemment indispensable. Certes, il est plus aisé de créer le semblant d’un monde  commun lorsque chaque sujet est « plein » d’assurance d’identité et de récits  que lorsque qu’il est creusé et presque « vidé » par la catastrophe. Pourtant,  c’est sans doute dans les situations de dénuement extrême que la communi cation est à la fois le plus urgente et le plus décisive.  

Dire à la fois le drame et l’espoir passe par des modes de communication  qui ne sont pas qu’informatifs, mais qui activent la zone des émotions et des  sensations, qui donnent forme et sens à l’expérience, parfois redoutable, de  renaître dans un monde possible et non plus d’errer tel un héros sacrifié, un  exclu à jamais banni, dans un univers d’ombre, de blessures, d’inespoir et  de chaos. Joël Birman a su problématiser la question de l’exil contemporain  dans une perspective interdisciplinaire, en remarquant d’abord la relation  entre cet exil et le nouvel ordre néolibéral, pour développer ensuite les traits  fondamentaux de la clinique et du sujet en exil. 

Avec son travail et celui de quelques autres chercheurs qui surent mener  rigoureusement leur rupture avec le culturalisme (Benslama, Piret…), nous  pouvons maintenant affirmer que ladite différence culturelle s’affirmera le  plus souvent dans un temps second, et elle le fera de façon défensive. 

C’est-à-dire qu’il est très important de ne pas considérer quelqu’un  qui est figé par la catastrophe comme le pur produit d’un choc, mais aussi  comme le produit d’une lignée où se pruisirent des résistances à la des truction et au meurtre de l’humain.  

Nous nous trouvons, dès que nous tentons de formaliser le nouage entre  lien social et souffrance psychique, devant un paradoxe impressionnant.  Comment déterminer les seuils qui permettent à une société de disposer  dans ses franges, dans certains de ses « hors-lieux », des personnes dont  l’existence est progressivement marquée par le fait qu’un secours soit enfin  possible et souhaitable ? 

Récapitulons : si l’on considère ceux dont on parle uniquement comme  des victimes, on empêche qu’ils soient des bricoleurs de transmission.  Or, c’est bien sur la transmission de la vie psychique d’une génération à  l’autre, ou même de trois générations, que nous devons veiller. Qu’est-ce  donc que ces trois générations ? Est-ce que ce sont simplement les grands 

parents, les parents, les enfants ? On l’a bien vu : dès qu’il fut question ici  eres | Telecharge le 06/11/2025 sur https://shs.cairn.info par DOUVILLE Olivier (IP: 213.245.243.10)

d’adolescence, les trois générations, c’est beaucoup plus vaste. Ce sont les  morts, les vivants et ceux qui sont appelés à vivre. C’est sur cet horizon  anthropologique élargi que se greffe à l’adolescence cette découpe des trois  générations.  

ivresse de L’autofondation 

Voilà qui peut mettre en crise, comme nous le voyons, les notions  même d’identité et de différence. Voyez comme le pouvoir révélateur de la  folie sur la condition anthropologique de l’humain s’atténue. La folie n’est  plus, dans les nouvelles classifications et théorisations psychopathologiques  comportementalistes, cet abîme redressé en horizon qui mène à penser  l’incondition structurelle du sujet humain dans le corps et le langage. La folie  s’éparpille dans une myriade de confettis diagnostiques que l’on nomme des  troubles. Ainsi, deux modèles dominants en étiologie sont celui du trauma  et celui du handicap.  

concLure…  

Revenons, brièvement, à la dimension de l’étranger radical que vit  celui qui, comme intrus, voit sa dimension d’altérité possible pour autrui  occultée par sa situation d’étranger. Hélas ! comme nous l’avons exposé au  début de cet article, cette position d’être « tout étranger » peut se cristalliser  sous les logiques funestes de l’autoexclusion, lorsque le climat général du  social met tout étranger en position de suspicion, le réduisant ainsi à une  de La ségrégation et des PossibLes inventions subjectives objectalisation. Notre travail clinique, dans les foyers de réfugiés, nous fait  rencontrer des intrus qui parfois ont besoin de passer par un psychanalyste,  de passer par un transfert avec quelqu’un qui n’est pas du même sol de  langue, ou de croyance ou de culture, afin de pouvoir s’accomplir comme  « étranger-familier », c’est-à-dire pour inventer leur capacité à se défaire des  assignations prescrites (Douville, 2006). 

Évitant toute idéalisation de telle ou telle monstration du corporel, et  comprenant que c’est aussi dans la logique de l’identification de se faire autre  pour éprouver qu’on ne le soit pas, la psychanalyse peut avoir son mot à dire  sur les turbulences des commerces entre identité et altérité. Elle sera actuelle  en sachant accueillir, sereinement dans sa pratique, des sujets qui inventent  leurs solutions identitaires mouvantes en les bricolant avec ce qu’il faut  d’élan mytho-poétique banal et singulier pour contrer la souffrance qu’occa sionnent les stigmatisations et les fétichisations dont ils sont les cibles.  


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Résumé 

Notre monde contemporain est marqué par un remaniement très important du lien  social et des champs de construction de l’identité. L’article examine, d’un point de  vue psychanalytique, l’évolution des couples notionnels de l’étranger et du familier.  Il prend en considération ces nouvelles configurations à l’épreuve des exils, des ségrégations et des errances. La crise des identités appelle-t-elle une ouverture à des alté rités mouvantes et novatrices, ou assistons-nous à des phénomènes de massification ?  Comment aujourd’hui sont traités le réel de la condition humaine, ses jouissances et  sa dignité ?  

Mots-clés 

Exil, identité, lien social, psychanalyse, ségrégation. on segregation and PossibLe subjective inventions 


Abstract 

Our contemporary world is marked by a major reshaping of social ties and the fields  in which identity is constructed. This article examines, from a psychoanalytical point  of view, the evolution of the notional pairs of the foreign and the familiar. It considers  these new configurations in the light of exile, segregation and errancy. Does the iden 

tity crisis call for openness to shifting, innovative otherness, or are we witnessing  phenomena of massification? How is the reality of the human condition, its enjoy ments and its dignity, dealt with today?  

Keywords 

Exile, identity , psychoanalysis, segregation, social bond.