Auto-mutilations à l’adolescence

Quelques hypothèses psychanalytiques à propos des auto-mutilations à l’adolescence

Par Olivier Douville

Résumé : L’automutilation est une conduite qui apparaît dans des contextes cliniques et psychopathologiques fort variés. L’auteur pose la question de cet « auto » qui serait agent et objet de ces conduites. Il reconsidère, pour cela, les amorces de la relation à l’Autre et à l’Objet ; à partir de quoi il propose deux statuts de l’automutilation : réponse à une mélancolisation narcissique, fréquente à l’adolescente, ou construction d’une psychisation possible des temporalités et des espaces dans l’autisme.

Quel corps donc est mis en acte (ou même en scène) ? Cette question ouvre à la dimension de la clinique institutionnelle et du transfert.

Mots-clefs : Adolescence, Altérité, Autisme, Complexe d’autrui, Mélancolie, Narcissisme,

Introduction

La réalité de l’automutilation inquiète pour plusieurs motifs, dont trois au moins sont très fréquemment mis en avant par les professionnels, médecins, éducateurs, psychologues ou infirmiers qui travaillent en institution de soin.

1/ Nous ne pouvons qu’avoir l’impression que par de tels agirs le sujet attente à un des aspects les plus intouchables de ses biens : son corps.

2/ Nous nous sentons insuffisants devant des auto-mutilations, le rôle « protecteur » de l’institution étant mis en échec.

3/ Nous ne comprenons pas pourquoi un sujet se lance dans une telle « guerre » contre lui-même et semble tout à fait imperméable à tous les discours qu’on peut lui tenir faisant appel à ses capacités d’ « auto-conservation » et à une certaine sagesse du rapport du sujet à son corps. A cet égard nous sommes devant des sujets qui se mutilent aussi dépourvus, « impuissants », que devant de grands toxicomanes.

L’addition de ces trois façons de définir l’auto-mutilation, sans la distance d’une pensée théorique plus que nécessaire, font que les registres de l’auto-mutilation et de l’auto-destruction sont souvent confondus et télescopés. Or, au sein des cliniques de l’acte, le statut qui peut être donné à l’auto-mutilation est très difficile à préciser. Comportement ? Conduite ? Acte ? Geste ? Les notions se bousculent au risque de se confondre, alors qu’elles sont loin de strictement s’équivaloir.

Ainsi il a pu être proposé l’hypothèse d’une automutilation dite « normale » et qui est une conséquence possible des incoordinations motrices des premiers âges (Shentoub et al. 1961). Toutefois l’extrême diversité de ces comportements, l’éclosion de l’auto-mutilation à l’adolescence aussi sont deux raisons qui nous invitent à ne pas tenir de telles conduites pour de simples survivances, déphasées, de modes autrefois adaptés par lesquels le sujet se serait approprié le corps.

La conduite et ses scènes.

En situant l’auto-mutilation dans le registre de la conduite, on sera préoccupé par ce que ces gestes révèlent de cette modalité d’être ambiguë de la présence que le sujet se construit, en tant que personne, à partir des identifications dont il se supporte. La valeur de la personne, autrement dit sa consistance, sera de s’assurer une demeure dans un corps, qui sera à la fois lieu de ses signes et passeport de son être. Il est nécessaire d’insister sur ce point, dans la mesure où nous ne pouvons, depuis Freud, considérer qu’il n’y a pas de pulsion, et du même coup pas même de corps, sans que se tresse un lien à une extériorité, sans que se façonne un rapport à l’autre. Chacun d’entre nous peut supposer et éprouver son identité enclose dans les limites parées et ritualisées de son corps et de son image. C’est sans doute cette illusion fondatrice qui est source de bien des théories peu fouillées sur les dites « enveloppes culturelles ». Or la réalité psychique est plus complexe que cela. Et ce que nous nommons le sujet est, lui, ce qui tombe ou surgit entre un corps et un autre, ce qui est voué à prendre corps dans les circuits de la parole, de l’échange, du don, et, pour tout dire, dans les circuits de la demande et de ses impasses. Aussi n’y a-t-il pas d’atteinte contre le dit « corps propre » qui ne soit en même temps situable et située comme se déroulant face au champ d’une altérité, plus ou moins opaque, terrible, ou consolatrice.

S’il est opportun de reconsidérer l’auto-mutilation comme une conduite, c’est bien parce que cela permet un retour à la compréhension psychanalytique qui concerne et révèle les aléas de la mise en place de la grammaire pulsionnelle, nécessairement indexée au champ de l’autre. Afin de discuter de ces conduites, nous tracerons un parcours dans nos références théoriques ; en effet, nous prenons appui sur la clinique du narcissisme, mais c’est bien pour aboutir à celle de l’altérité, allant de la notion d’un « auto » (« auto-mutilation, auto-excitation, processus auto-calmants, …), pour prendre en considération la tension à autrui qui se révèle, se cristallise et, parfois, se crée dans de telles conduites. Munissons nous alors de la question qui voit dans l’auto-mutilation un mode de présence devant autrui, un mode d’appel à autrui.

De quelques recherches…

« Auto-agressivité » et « auto-mutilation » sont souvent des termes proposés comme interchangeables, et cette interchangeabilité met en relief l’idée d’une mutilation ou d’une agressivité dont l’ « auto » serait l’agent. Toutefois, en présence de gestes automutilatoires, tels que peuvent les commettre des enfants autistes par exemple, il est possible de se demander si cette centration sur ce qui serait d’un domaine de l’ « auto » semble justifiée ou, en tous les cas, féconde. De façon plus vaste, si l’on tente de prendre en compte les diverses situations cliniques où sont produites des automutilations, l’étude de ce phénomène, même pour des pathologies moins lourdes que l’autisme ou la psychose infantile, est rendue ardue du fait que rares sont les associations verbales du sujet qui permettent de cerner ce moment automutilatoire

Toute la difficulté provient néanmoins dans l’attribution d’un sens à ces conduites qui sont parmi celles qui nécessitent le plus l’urgence d’une réponse. Quels sont donc les concepts et les dispositifs qui permettent de se saisir de cette conduite pour la hisser à la valeur d’un fait clinique ? Qu’est-ce qui permet de relier un acte à des éléments langagiers tenus par le sujet ou par l’entourage immédiat, familial et ou institutionnel ? Les interprétations phénoménologiques ou psychanalytiques à propos de l’automutilation si elles refusent d’y voir un simple automatisme ou une stéréotypie, vont alors y déceler des expressions archaïques de la défense psychique contre l’angoisse et, allant plus loin dans le sens d’une compréhension de ces mouvements comme mise en lien à autrui, elles ne peuvent faire l’économie de la dimension de l’automutilation comme celle d’un événement qui met donc le corps du sujet en situation, en adresse. Toute la difficulté, en l’occurrence, provient de ceci que les actes d’automutilation les plus sévères ont été observés chez des sujets à propos desquels il a pu être mis en doute qu’ils se situaient d’emblée dans une dynamique intersubjective, les grands autistes par exemple.

Un pas dans la compréhension de ce genre de phénomène a été accompli lorsqu’il a été posé, comme l’annonce Jenny Aubry, que ces conduites pouvaient avoir valeur de défense. Les enfants très régressés, réagiraient par ce repli sur le corps, et cette façon de revenir à la matière même du corps, à une intrusion catastrophique de la présence d’autrui. S’agit-il alors de gestes ou de mouvements, toujours les mêmes, stéréotypés et inadéquats qui apparaissent à chaque fois, ou presque, que l’on tente de s’approcher d’un enfant ou d’établir un lien affectif ? Cela fut souvent observé, en particulier dans la clinique des autistes. Mais il faut aussi rajouter que ces conduites peuvent aussi bien se manifester sans que l’on sache très bien pourquoi, à des moments où l’enfant semble bien moins affecté par la présence d’un observateur que par les particularités de sa vie psychique (vécu hallucinatoire ? ).

Comment venir à bout d’une telle difficulté dans le repérage clinique? Car déjà, les hypothèses se contrarient. Soit on suppose que l’automutilation est un geste, qu’elle est presque un acte, soit on y voit le résultat répétitif d’un défaut de structuration, comme un automatisme sans intention, diffus et sans accroche à autrui.

À partir de quel corpus d’hypothèses théoriques et d’observations cliniques peut-on supposer à l’enfant et à l’adolescent auto-mutilateur une capacité de mise en forme de ses émotions et postuler que ce geste qui a valeur de signature psychique s’insère dans des processus de communication ?

Nous ne pouvons répondre à cette question sans nous référer à une métapsychologie originaire, une façon de mythologie théorique des premières relations du sujet au monde. Nous partons alors de ceci que l’automutilation se déclencherait le plus souvent dans des contextes qui réactivent les premières relations d’un enfant confronté au complexe perceptif et émotionnel du premier semblable comme présence à la fois hostile et secourable . Afin de mieux comprendre cela dépassons l’aphorisme stupide qui pose que le corps existe avant le langage et faison fi de cette commodité qui énonce que « tout est langage ». Pour cela, permettez moi les rappels suivants.

Avant donc que l’enfant parle son corps, en tant qu’il est pris dans la grammaire de ce que l’autre lui veut, il est marqué et morcelé par les messages qui lui viennent de la mère. S’il est évident qu’il y a pour chacun un organisme préalable au corps, c’est aussi que le corps du sujet parlant est le fruit d’une opération de la mère et des opérations du sujet. Le corps du sujet n’est pas commencé par le sujet en tant que tel. C’est la position de futur sujet « en-corps » dans les gestes et les phrases de l’autre, qui permet au sujet de s’assurer qu’il a un corps qui vient signifier son organisme. Autrement, réduit à son organisme, le sujet est un reste informe. Il prend un corps en prélevant sur l’autre des réseaux, des traits. Une cartographie de l’entre-deux corps se profile, se promet et se promeut, qui sera sans doute en état de défaillance là où, ultérieurement ce sera sur son propre organisme que le sujet tentera de prélever ces traits, mais sans boucler son geste dans la signification assumée d’une adresse à l’autre.

Ainsi se fait jour une première différence, qui sera assez longuement commentée par les psychanalystes à la suite de Lacan (dont S. Faladé) qui est celle entre un état mythique et originaire de jouissance absolue et une mémoire trouée. La signification toute phallique du corps, une fois rejetée, crée le monde, orphelin de la Chose. Ce rejet est rejet du désir maternel. Cela veut dire que l’organisme acquiert des possibilités subjectives si se mettent en place des mouvements de rejet de l’excès d’excitation et de l’excès de présence maternelle ; c’est aussi l’enfant qui crée la mère « suffisamment bonne » par ces rejets, amorces psychiques et physiques de la dénégation.

Ces points théoriques étant précisés, on peut ajouter qu’un tel rejet n’est pas une simple opération mentale. Il suppose aussi une kinésie. Du mouvement. Des possibilités de renverser l’activité en passivité, la passivité en activité. Un moment de lien entre ce déni de l’emprise du désir de l’Autre sur le psychisme du sujet, et une acceptation de se laisser séduire par la face découpée du complexe d’autrui, les signifiants et les bouts de corps retirés au corps de l’autre. La vie psychique symbolisante suppose le rythme. L’argument clinique pourrait alors être le suivant. La pulsion est située comme dépendante d’un double mouvement : de la demande de l’Autre s’origine la pulsion, qui est d’abord jouissance, puis excès de jouissance rejetée au-dehors. En même temps, donc, l’Autre se divise en une part compréhensible et une part incompréhensible Cette part compréhensible permet au sujet d’adopter les signifiants de l’Autre. L’enfant se fait alors manipulateur et découpeur des premiers flots continus de matière, au premier rang, desquels vibre la vocalisation.

Notre mythologie théorique attribuera en ce sens une capacité de choix à l’infans.

C’est ici que l’on peut toutefois se demander s’il n’y a pas des destins différents du rapport au corps et à l’objet liés à la possibilité d’une trame psychique renversant en actif le passif et l’actif en passif, et aidant à la combinatoire des fantasmes originaires et jouant avant la puberté. Certains sujets mélancoliques (et non psychotiques) étant persuadés que le monde des objets est clivé entre des objets qui les tyrannisent et des objets vers lesquels tout l’affect va se transvaser, le sujet étant la cause du défaut qui les accable. Ainsi C. Chabert signale-t-elle avec raison la fréquence du traitement mélancolique du fantasme de séduction lorsque le retournement sur la personne propre (destin possible de la pulsion) assure la conviction d’avoir séduit le père et non d’avoir été séduite par lui. « L’agent séducteur n’est plus l’adulte pervers, il est le sujet lui-même. »

A l’adolescence

Si l’on écoute des patients adolescents, certains parmi eux étant de jeunes étudiants on se rend aisément compte de la fréquence des atteintes portées contre le corps, certains parmi eux ayant ces gestes à de nombreuses reprises avant ou parfois à côté de prises en charge à ambitions psychothérapeutique.

Comment comprendre ceci. ?

Une fois de plus nous faut-il préciser, ce terme d’auto mutilation décrit des conduites qui peuvent être compulsives ou impulsives. Ces dernières consistent en un traitement de l’énigme et de l’insupportable du corps par des tentatives de le marquer, de la couper, de le brûler, parfois. Il est important de repérer la possible fréquence de troubles associés qui sont ceux de la zone orale – que l’on nomme « troubles alimentaires » mais qui implique toute la dimension pulsionnelle de l’oralité.

Parler ici d’agressivité, c’est décrire. Toutefois poser l’hypothèse d’une volonté de destruction du soi corporel ou de haine du soi corporel ne saurait à elle seule guider l’accompagnement thérapeutique. Souvent l’automutilation adolescente renvoie à un trouble des assises narcissiques, à un brouillage des images du corps, à la nécessité qui se fait souvent impérieuse, de « fixer » sur et dans le corps des angoisses psychiques difficilement représentables et en « panne » de correspondance fantasmatique. Ainsi d’intenses phobies du toucher peuvent-elles s’accompagner d’un traitement compulsif de « purification » du corps, visant à le conserver comme intact dans un masochisme conservateur. Il me revient ici certaines de ces paroles fortes qu’ont les adolescents lorsqu’ils parlent de leur existence comme d’un destin inexorable « si je me coupe au rasoir un peu, c’est pour laisser libre mon esprit, le laisser vivre sa vie… « , « tant que je me brûle avec la cigarette, je sais que je ne me supprimerai pas ». Nous pouvons entendre, ne serait-ce que dans la résonance que prennent ce genre de phrases, que si de telles conduites peuvent être présentées comme des conduites de punition liées à un Surmoi cruel, il se joue aussi autre chose qui renvoie à la mise en place des liens entre pulsion et pensée. En ce sens il importe que le clinicien puisse entendre l’en deçà de cette gamme œdipienne et explore prudemment si les automutilations désignées par l’adolescent comme des gestes de protection, de purification ou d’expiations, ne sont pas aussi des stratégies plus sourdes et plus dépressives pour se sentir réel, des stratégies obscures pour masquer ce qu’aurait d’intolérable l’excitation sexuelle par une fabrication expérimentale de la douleur.

Ils sont nombreux parmi ces jeunes filles et de ces jeunes gens « automutilateurs » à faire l’épreuve dès les premières explosions de la puberté d’un moment transitoire, fortement anxiogène où la vie brutale qui circule dans les humeurs de leur corps et se signale par irruption (sang des menstrues, éjaculations) crée une sidération, un vide idéatif, une angoisse de dépersonnalisation. Or cette angoisse signale la rencontre avec la matière brute du corporel, avec sa substance même. On pourrait proposer l’hypothèse que l’imaginaire du corps et le réel étant alors mis en continuité, la symbolisation de l’existence de cette subjectivité corporelle ne se fait que par la répétition automatique des gestes de marquage de certaines zones et d’effacement ou d’annulation d’autres. Un tel raccourci théorique peut tout de même expédier trop vite la dimension de ce qui met en suspend ou en arrêt ce type de conduite et du genre de jouissance qui y entre en jeu. Nous ferons l’hypothèse que des automutilations servent aussi de défense anti-mélancoliques en ceci qu’elles font insister et consister du corporel, lequel a pu ne pas être, antérieurement, suffisamment signifier comme existant dans les premiers échanges entre l’enfant et son environnement. Autrement dit, nous avançons que le rapport du jeune à son corps est fortement dépendant des accidents des premières identifications de l’enfant au narcissisme maternel. Aussi l’automutilation peut-elle avoir la valeur d’un appel à un Autre qui rend possible et consistant le nouage entre le champ pulsionnel du regard et de la voix, le sexuel et la parole.

Posons-nous alors la question de ce qu'est alors le corps adolescent à ces moments-là ? Que revit-il ? Il n’est pas encore une scène bien qu'il insiste à se représenter, pas encore un thème bien qu'il insiste à se couvrir de "piercings", de tatouages ou de blasons. Pas encore un motif, donc. Au reste, il n'est rien de plus malhabile ou de plus erratique pour toute recherche en anthropologie clinique de ne considérer les piercings ou les tatouages que comme des actes d'écriture sur un moi étendu et aplani à sa surface corporelle. Le poinçon de la trace ne se dépose pas sur une surface plane, il crispe et cristallise une topologie de la profondeur qu'il excite bien davantage qu'il ne la signe. La coupure ne s’est pas déposée en lettres. Il se fait une activité incessante de la marque et de la coupure, forme erratique du premier trait symbolique qui se répète dans sa violence même. Parler, à propos de ce type d’automutilations de « défaut de symbolique » ne peut qu’induire en confusion. Il n’y a pas à tenir là le conventionnel discours portant sur le défaut de symbolique, mais bien davantage un geste symbolique qui se répète compulsivement. Il y a un défaut de nouage du symbolique aux registres du réel et de l’imaginaire. Il serait plus astucieux de parler d’un défaut de médiation imaginaire : le corps ne trouvant pas la scène et le récit pour se produire comme événement pour autrui, lieu des parures, des promesses, des mascarades déjouables et des échanges possibles. En deçà de ce dépliement, le corps récapitule le geste de marque par quoi commence le corps humain, en attente de retrouver dans l’Autre une demeure où se croire et se sentir hébergé accueilli, reconnu .

La clinique insiste qui mise sur une prise en compte des puissances de l'informe du corporel.

L'adolescence doit effectuer deux opérations solidaires. D'une part, fabriquer une façon de geste polémique avec l'informe du corporel ; ensuite sexualiser ce qui reste de ce dialogue. Ces deux opérations étant provoquées, comme réponse après-coups, par le trauma pubertaire.

Quel corps pour quelle adolescence ? La question a deux faces, deux aspects. Elle est tout d'abord pathognomonique de nos mondes contemporains au sein desquels se diffusent autant qu'elles s'éparpillent, les techniques du corps. Elle est ensuite une question de structure qui prend en compte la naissance des significations et des assignations symboliques des turbulences corporelles du pubertaire. L'anthropologie est ici convoquée. Mais elle l'est à un double titre. D'une part sa puissance d'information sur le local apprend, fascine et divertit. Le culturalisme sema mille efflorescences de descriptions de sexualités adolescentes joyeuses, innocentes, gourmandes et sensuelles.

Reste la dimension de ce qui humanise le scandale du corps humain. Les anthropologues et les psychanalystes savent, aujourd'hui, que la fabrique du corps humain suppose des attaques, des marquages, des assignations et de référenciations. Et, de plus en plus, leur objet n'est plus seulement la grammaire culturelle du corps. Il se déplace. S'élargit. Jusqu'à toucher aux fondements de l'appropriation du corporel, aux moments décisifs des dépersonnalisations singulières et collectives.

Conclure…

L’extrême diversité des conduites automutilatoires, leurs survenues chez des sujets de structures psychiques fort différentes, nous a mené à tenter un repérage dialectique autour du complexe d’autrui.

Le fil rouge pourrait être de considérer ces conduites en rapport à la dimension d’altérité, et sans les réduire à de simples poussées de fureurs autodestructrices, de tenter de situer en quoi elles écrivent, dans la hâte, une possible nouvelle articulation entre corps, espace, temps et autrui.

Olivier Douville

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