Adolescence, errance, exclusion

Par Olivier Douville

Introduction :

Le terme d’errance, surtout s’il fait écho à celui d’exclusion articule au moins trois notions : le sujet, le lieu, le corps.

Le sujet n’est pas situé par nous comme une réalité première, il est cette instance qui permet un usage à la première personne de sa subjectivité, tout en étant divisé par des conflits. Il est représenté par des signes lisibles pour un autre sujet et est lui-même divisé entre un certains nombre de signifiants et d’autres. Aussi deux lignes de questions sont-elles mises à nue et à vif lorsque des individualités et des collectifs vivent des situations de maturation traumatiques et/ou de grandes ruptures culturelles et symboliques. Soit, d’une part la question du code avec laquelle on éprouve et on fait reconnaître sa présence au monde auprès de semblables c’est-à-dire d’un groupe humain composés de pairs et d’alters. Mais aussi, la question des langages qui nous traversent des discours qui nous situent, des signifiants qui nous représentent et qui peuvent brutalement être tenus pour rien.

La dimension du passage adolescent est bien ici convoquée surtout lorsque l’adolescent loin de se faire l’exact doublon des modèles générationnels qui l’ont précédé, explore, et remet au clair jour, ce qui a été refoulé ou dénié dans les transmissions et les héritages. . L’adolescence vaut comme un temps d’expérimentation des repères identificatoires et des ordres d’appartenance.

Dans l'expérience clinique psychanalytique, nous sommes alertés et comme en arrêt devant les risques, les accidents ou les dégâts entamant le réel du corps en rapport avec ce qui est mis hors course, rejeté du côté d'un échec ou d'une casse de la transmission symbolique, échec ou casse de la transmission du goût pour la parole pleine comme dette à la vie.

L'adolescent interroge et met à l'épreuve les liens entre générations et transmission. Il serait plus exact de dire qu'il est au centre de l'ensemble des phénomènes et des processus faisant lien et disjonction entre générations et transmissions.

Si la puberté est une donnée naturelle qui renvoie à la maturation du corps humain, la réponse psychique à cet événement, soit l’adolescence, est un excellent analyseur du social et du culturel contemporain. Tel sera mon point de départ que j’adopte afin de penser des processus anthropologiques et sociaux qui font lien et disjonction entre générations et transmission.

Clinique avec des adolescents doit aussi rebondir sur une clinique du processus adolescent toujours vivant en notre rapport au corps et aux mots. Nous pourrions envisager cette proposition par un détour, celui de la construction mytho-historique que produit l'adolescent afin de s'orienter dans la structure de son existence. Cet abord ouvre, bien évidement, sur une perspective qui, mettant en lien plus de deux générations, se penche sur ce qui se transmet d’une génération à l’autre.

De ce fait, l'adolescent est renvoyé à une dérive du langage, une position mélancolique presque, où il teste le langage et la parole dans leur capacité de recueillir les effets érotiques et mortifères du travail de la perte. L'adolescent teste surtout, les possibilités de transférabilité des effets et des marques de cette perte. De quel prix se trouve payée cette invention adolescente ? La mise en scène de la perte de ces traces s'effectue par un renouvellement inouï des fictions d'origine qui peuvent ou non être étayées par des romans familiaux, sociaux, des fictions de groupe, des grands romans. Le moment de l’adolescence se repère comme stase et non plus comme période de passage à partir du moment où se manifeste un épuisement des récits et des figures historiques de l’Autre, réputées nécessaires à la fabrique du sujet.

L’histoire dilapidée c’est aussi un trait symptomatique de la façon dont la modernité écrit le passé.. Et plus elle se dilapide, moins le jeune pourra donner forme à son rapport à la perte et à l’invention. Il se fait des corrélations importantes entre l’impossibilité de penser la façon dont l’origine nous manque et dont on lui manque et la dilapidation des registres de l’adresse à l’autre. Aussi des sujets coupés de tout lien produits par la destruction de ces liens auront-ils le plus grand mal à se proposer comme sujet de la demande. Furtos écrit : « Il y a une corrélation assez stricte entre l’impossibilité de penser l’objet manquant et la demande impossible, puisque demander c’est admettre l’objet manquant. Le travail de deuil et la demande constituent donc « un luxe » de personnes allant suffisamment bien, luxe nécessaire dont la carence s’avère mutilante » [1]

Adolescent et héritage culturel

A contrario, et en le situant dans son idéal empan, le travail de l’adolescence serait alors le nom d’un mouvement symbolique du sujet dès qu’il doit s'adopter lui-même comme "fils de" ou "fille de". Il reconsidère son rapport à l'origine en se donnant pour cela l'appui d'une construction par laquelle il tente de subjectiver deux aspects de l'origine. Soit, d’une part, le rapport à ce qui fait de lui une créature, liée au Réel de la cause sexuelle de l’existence et, de l’autre, le rapport à ce qui fait de lui un sujet pris dans la transmission, cible et relais de la transmission, et rendu, de ce fait, tout particulièrement sensible à la dette et à l'offense. La question de la filiation se pose donc avec force au jeune en même temps que se pose à lui la question du sens qu'il est possible d'attribuer à la particularité.

La sexuation et le subjectivation adolescente ne peuvent être, il est vrai, uniquement expliquées par la psychologie. Des positions novatrices (telle celle de Michèle Cadoret[2]) voit en l’adolescent un « paradigme » de notre actualité, faisant de certains jeunes d’Europe, du Maghreb ou du Japon, des anticipateurs des mondes à venir, autant sinon davantage, que des héritiers des mondes anciens.

Les lieux où nous rencontrons les adolescents, qu’ils explorent et au sein desquels ils apposent leurs marques ou envisagent leurs trajectoires, sont chargés d’histoire, d’une histoire qui ne se sait pas ni ne se narrative pas toujours. Le clinicien interroge l’expérience du lieu, celle de la trace, de la mémoire, là où les dedans et les dehors s’interpénètrent, là où les espaces sont marqués par les alliances et les écarts entre le politique et le religieux, la coutume et les ruptures d’héritage.

À cet égard, les approches psychanalytiques et les approches anthropologiques cernent des réalités communes. Quels sont, aujourd'hui, les devenirs des représentations du corps et de l'identité sexuée quand leurs ritualisations sont affrontées à des nouveautés scientifiques et techniques touchant la scène même de l'origine ? Dans les sociétés modernes, pour lesquelles émergent des ritualisations erratiques et inédites, caractérisées par une dilution ou un émiettement irréversible des opérations de coupure-lien ordonnant les initiations traditionnelles, l'adolescence est une expérience de rencontres, de traversées et de brouillages des repères, des référents et des lieux. Le passage d'adolescence articule la fonction du fantasme aux rhétoriques instituées permettant assignations et identifications.

L'adolescence récupère et emblématise un certain traitement du corps mis de côté par les refoulements ordinaires et directement branché sur les utopies scientistes de productions d'un individu post-moderne ou sur un régime machinique du rapport à l'objet et à la satisfaction phallique. Les liens entre les conduites individuelles et les conduites collectives expriment les rapports compliqués des adolescents à la garantie des systèmes symboliques et identificatoires.

Le processus adolescent se déplie alors dans la confrontation du sujet à la différence. En cela l’adolescent peut apparaître comme un sujet qui, pris de peur devant cette assomption de la différence, va se lover dans une figuration et une mise en acte d’unicité, de bouclage sur son propre mirage et sur ses objets de consommation courante.

D’une « psychogéographie» de l’errance

Le simple fait de se poser la question du sens de l’expérience de la rue pour des adolescents ouvre déjà à une problématique, celle des modalités avec lesquelles est psychisé ce morceau d’espace urbain, la rue..

Des façons de faire avec les espaces urbains communs peuvent nous surprendre et nous inquiéter, et, pourtant, elles ne se résument pas à la violence ou à la délinquance. Parmi les souffrances pouvant amener un jeune à nous alarmer, et, le plus souvent, à alarmer les autres jeunes, l’errance vient au premier plan. Elle impose une attention particulière, car loin de constituer un symptôme à déchiffrer, l’errance est plutôt à situer comme un défaut d’inscription, et plus justement encore comme l’impossibilité pour le sujet de surmonter un défaut d’inscription le concernant dans son être et aussi dans sa filiation. En contrepoint de l’errance, et venant sinon la cadrer, du moins la baliser, et la trouer pour la fixer, ce qui frappe dans les quartiers est ce qui s’adresse aux yeux du plus grand nombre. Je parle ici des marquages de lieux, que nous nommons “ tags ” ou “ graphes ”. Ces productions sont reçues le plus souvent comme une provocation que perçues comme une création. Ces marques font consister une création de points fixes, rendant, là où ils sont produits, l’espace marqué et orienté comme le serait un corps scarifié mis en scène et prêt à paraître en public. Espacement du temps et de l’espace que produit cette écriture, espacement du corps et de son milieu, qui font le corps et le temps, le corps et l’espace. Le sujet se produit alors comme la mesure de tels espacements. Pas encore donnée géométrique mais présence. Un point de temporalité arrête la fuite de l’espace et l’hémorragie de l’errance. Un pari sur une croyance (il y aurait des signes qui peuvent attendre celle ou celui qui les déchiffre) fait tenir, plus ou moins durablement, un espace, un temps minimal, cadre possible pour une communauté à venir. Ainsi doté d'un point fixe, l'espace n'est plus une étendue erratique mais une surface alourdie, et lestée d’un poinçon. L’espace urbain est fuyant, plus fébrile que rythmé, et, en contraste, il doit être marqué.

On a pu se demander pourquoi les jeunes des banlieues étaient si prompts à réagir massivement à des violences ou à des auto-violences, avec des formes de ritualisation du deuil (marches, voire émeutes…). C'est aussi pour eux, reprendre à leur compte la pathogènie des espaces urbains, espaces sans traces des sites sur lesquels ils se sont édifiés, et marquer du lieu, faire de l'encoche, faire de la mémoire. La mémoire du lieu qui palpite en eux est souvent une mémoire saccadée, hachée, virulente, marquée par des décès tragiques, des violences, des sentiments d'appartenances très féodaux que cimentent ces souvenirs et leurs ritualisations cérémoniales régies par des codes tres précis et très sévères d’assignation et d’affiliation, de domination et de soumission aussi. . La position de marqueur d'espace et de marqueur de support de la mémoire est alors un des piliers du narcissisme adolescent entendu là où il se joue : dans des modes d’adresse à l’autre, au semblable, dans des recherches de paroles pleines – très prescriptives et peu équivoques- pour de nouveaux étayages et de nouvelles altérités.

Oscillation sur les mêmes sites de ce qui serait enfin un lieu occupable et de ce qui ne l’est pas encore. Cette oscillation est bien ce qui impose une ritualisation, une forme de lien, une codification du contenant. Sans toujours grand succès. Comment comprendre cette fragilité de la construction émotionnelle de l’espace qui produit tant d’emblème de territoires mais si peu de territoire contenants ? De nombreux jeunes des cités dépensent une énergie psychique importante pour constituer des repères qui croiseraient deux dimensions de l’espace. La construction de ce plan bi-focal ne va jamais de soi. L’extérieur engouffre, aspire tant qu’un espace de sécurité n’est pas constitué. L’errance n’est pas, contrairement à ce qu’une idéalité romantique voudrait en faire, un cheminement de liberté, une extension de l’espace acquis par le sujet dans sa déambulation hasardeuse. C’est pourquoi il convient de distinguer des trajets de nomadisme ou d’errance active des errances pathogènes de certains jeunes suivant une lancée rectiligne, sans qu’aucune incurvation ou dérivation signifiante ne leste le cheminement dans le sens d’une direction voulue et espérée.

Les confins de ses espaces d’errance sont sources de dangers dès qu’ils ne sont plus à même de fonctionner comme des restes de mémoires coupés de ce qui ferait récit intergénérationnel ou transmission. Les jeunes construisent des amorces de territoire en installant leur lieu de rendez-vous, de rencontre, dans des lieux d'oubli, dans des lieux qui conservent des traces de mémoire répudiée, des point de repères des moments passés. Là où, aujourd'hui nous ne voyons que terrains vagues ou friches, s'édifiaient, hier, des usines ou des hangars, lieux de productions ou de stockages de biens, lieux de luttes sociales parfois. Dans ses lieux et sur ces lieux qui sont en danger de quitter la mémoire du quartier ou de la cité, les jeunes fabriquent du lien et de la trace, peut-être pour sauver l'imaginaire et le rêve, pour faire parler de façon imaginaire les vestiges réels d'un exercice réel et symbolique de la richesse et du pouvoir, exercice congédié par les « cruautés » économiques contemporaines. Ces lieux deviennent des “ toiles de fond ” qui renforcent un statut symbolique d’appartenance. Là prolifère l’écriture des tags, des graphes ou, la simple biffure que sur les murs laissent ces “ tags ” qui n’en sont pas ou pas encore : simples marques en réseaux sur les surfaces désertées. On retrouve dans la gamme des tags ou des graphes des variations d’expression qui, pour les marques du corps, iraient de la scarification au tatouage proprement dit.

Cette création de traces, d’écritures distordues et de corps de lettre en anamoprphose et en chorégraphie vise parfois à marquer ce seuil si bien désigné par l’expression anglaise “ the outskirts of the town ”, ce qu’il y a au-delà du rideau de la ville. Ainsi ce seront ces espaces qu’une pauvre perspective oriente à peine, qui ne s’allègent d’une grande profondeur de champ, ces espaces en sommeil et friches, traités et honorés comme un corps, marqués comme un corps et signés.

L’espace psychique abandonné travaille et rend parlant l’espace urbain délaissé. Anachronique, cet espace accueille des sujets sur lesquels le pouvoir n’a pas beaucoup de prise, déambulant dans des lieux sans récits, sans mémoires, des lieux qui ne sont pas rêvés. Et certains de ces jeunes fabriquent de la trace, non pas seulement par volonté de marquer un territoire, mais pour faire consister du reste diurne, de la biffure, du trait, quelque chose qui fasse point d’appui pour la psyché, support possible pour le rêve. Nous avons pu observer, à plus d’une reprise, combien pour certains adolescents, le fait de creuser des marques dans les murs, de déposer des traces, modifiait le rythme et la qualité du sommeil. Cette pratique de la marque, si ancienne, venant conjurer la peur si profonde en nous de voir sous nos yeux s’effacer tout signe attestant présence de l’humain, sans doute conviendrait-il de l’entendre comme une création de points d’appui afin de démultiplier par les voies du rêve, de l’expérience émotive et signifiante de l’espace et du langage, les représentations du corporel. Mais cette généreuse invention d’un espace démultiplié et sur son autre scène branché reste, la plupart du temps très fragile. Au point que le rappel de l’obsession du lieu vient faire barrage à des expérimentations du dehors restant à l’état d’essai sans se rassembler en programme et en usage..

Le dehors, au delà de ces vestiges du passé qu’aucun récit ne réanime et ne célèbre, ni même ne reconnaît, est déjà présent pour de nombreux jeunes comme une menace d’effacement toujours là au jour frisant de ce que les tags, les réunions entre soi, les rituels de consommations de produits divers, ne parvienne pas à constituer comme familier, comme lieu parlé et parlant. Ce qui est érotisé c’est souvent la peau trouée, tracée, écrite, de même la frontière et les seuils. Oscillation sur les mêmes sites du non lieu et du lieu, du corps emblème et de cet informe du corporel qui sidère de plus en plus à mesure que le jeune s’exclue. C’est bien ce qui impose une ritualisation, une forme de lien, une codification du contenant. Sans toujours grand succès. Comment comprendre cette fragilité de la construction émotionnelle de l’espace qui produit, au fond, tant d’emblème de territoires mais si peu de territoire contenants ?

De nombreux jeunes des cités dépensent une énergie psychique importante pour constituer des repères qui croiseraient deux dimensions de l’espace. La construction de ce plan bi-focal ne va jamais de soi. L’extérieur engouffre, aspire tant qu’un espace de sécurité n’est pas constitué. L’errance n’est pas, contrairement à ce qu’une idéalité romantique voudrait en faire, un cheminement de liberté, une extension de l’espace acquis par le sujet dans sa déambulation hasardeuse.

Stase auto-exclusive et errance active

C’est pourquoi il convient de distinguer des trajets de nomadisme ou d’errance active des errances pathogènes de certains jeunes qui suivent une lancée rectiligne, sans qu’aucune incurvation ou dérivation signifiante ne leste le cheminement dans le sens d’une direction voulue et espérée. Je voudrais rappeler ici que brûler des voitures, c’est brûler aussi ce qui permet de se déplacer et que pour beaucoup de sujets la question du déplacement est une question redoutable. Il me semble naïf de penser que brûlant des voitures, les adolescents porteraient atteinte à une image de leur corps propre. Cette violence, c’est du moins une hypothèse, ne pourrions nous pas supposer qu’elle vise non le corps mais bien ce qui a été dérobé au corps, qu’elle vise comme un champ signifiant, un réseau, destiné à consister dans la durée.

À partir de cet archaïque que représente la destruction des objets pourvus de direction dans l’espace et destinés à aller vers le dehors (il me faudra nommer ainsi les voitures, et les moyens de transport), se pose la question de ce qui rend, pour un adolescent, et à partir de la rue, un espace signifiant. Une première réponse se dessine. Pour se repérer dans les espaces, il faudra au sujet prendre appui sur des croisements de lignes et de dimensions mettant en perspective des angles. D’emblée, des adolescents ne sont pas dans la logique du territoire, laquelle suppose la conquête de plus d’un angle, mais dans celle du point fixe, et de l’infini “ turbulent ” et menaçant, avec des périmètres de sécurité extrêmement précaires et flottants. Se construire comme acteur dans son espace revient à se repérer à partir de deux angles au moins et très investis. Ces “ coins-seuils ” (qu’on m’autorise ce néologisme car que veut dire parler de “ seuil ” si n’est pas mise en place la fonction d’un coincement et d’un recoupement de lignes ?) sont marqués sans doute par des tags. Une fois encore dégageons nous d’une approche esthétique du phénomène. La plupart de ces tags ne sont pas cette espèce de torsion de l’être venant rehausser en objet d’art ou en création “ les floraisons lépreuses des vieux murs ” (Rimbaud). Non, ils sont plus exactement des espèces de scansions, de coches, de traits unitaires. Or les tags appellent la voix, le geste. Ils appellent une forme de chorégraphie première de la marque. N’étant pas à lire et ne pouvant pas être lus, ils sont un peu comme des entailles venant décompléter des mortifications et des jouissances mortifères.

Il est possible que cette dernière remarque contrarie un certain nombre d’amis sociologues qui ne découvrent dans les tags ou les graphes dont je parle que peu de ressemblance avec les productions des auteurs de la culture “ hip hop ”, marquée comme on le sait par l’usage du rap du graphe, du tag ,du break-dance ou du smurf-dance.

Il n’est cependant plus un clinicien travaillant assez quotidiennement dans nos banlieues qui n’irait porter son regard sur des jeunes, pris en pleine détresse identitaire, sans se rendre vite compte que ces adolescents sont bien loin de se camper face “ à la société ” comme des auteurs. S’ils se portent et se fixent vers des friches ou des ruines, ce n’est pas, ou pas encore, dans l’objectif de les subvertir et d’en faire le site de leur construction paysagistes, graphiques etc. Les adolescents dont il est ici fait mention, faute souvent d’inventer un rapport de traduction de l’ancien, entretiennent un rapport de collage à ce que les nouveaux espaces urbains et les nouvelles réalités de l’emploi et du marché ont laissé de côté, en marge sans même en faire des simulacres de lieux souvenirs. Les graphes ou les tags dont je mentionne la présence sont rarement des réalités picturales aussi agencées et complexes que celles qui mettent en avant, ou sur la scène de l’Internet, les taggeurs et les grapheurs connus. Il y a de l’embarras parfois à user des mêmes termes pour désigner d’une part des productions artistiques, et d’autre part une simple et obstinée pratique de la griffure, de la coupure, de l’entame de lieux inemployés par le commun. Ce caractère de biffure exercée sur des espaces en friche ou en rebut, ou encore sur des espaces encore non utilisés par les marques sociales (signalisation, publicité) est capable cependant d’inciter au rassemblement. Tels de discrets signes de piste, ces tags élémentaires tressent un réseau de craquelure[3] aux bords des carapaces de la ville, autour de quoi des jeunes se repèrent, se trouvent sinon se retrouvent, se supportent dans un être ensemble encore précaire et peu loquace.

Deux usages de l’espace ne se plient apparemment pas au modèle de la représentation géométrique semblant brouiller les repères du dedans et du dehors, de l’intime et du privé. Ils sont spécifiques de ces adolescents qui se mettent souvent en risque. Un espace infini et non scandé traversé toutefois par des lignes de dérive, expérimenté dans l’errance, accueille par moments une concentration topocentrique, laquelle à partir de brisures d’espace, que, le plus souvent, tags ou graphes surdéterminent, construit des systèmes de lien, d’affiliation, de hiérarchisation assez rigides. Dans un cas comme dans l’autre le semblable est précaire, et les identifications symboliques sont incertaines : Incarnations symboliques des ascendants brutalement réduits à presque rien. Fleurissent alors des façons de cliver un imaginaire du corps et de l’espace qui se dilue dans la spatialité ou qui se fixe sur des moments d’inscription emblématiques où l’auteur, voire parfois les auteurs de ces encoches, de ces graphes, de ces tags, tout comme parfois le nom, circulent en contrebande. Topologie du point fixe et de l’infini. Car il faut bien en revenir à la topologie.

Pour beaucoup d’adolescents, une représentation de la rue sur le modèle où nous l’entendons ordinairement et qui fait de la rue un passage entre deux lieux, n’existe pas, ou, du moins, cela ne renvoie pas au modèle géométrique d'une délimitation spatiale qui mettrait bout à bout deux espaces hétérogènes. La rue n'est pas toujours un seuil, un "passage", elle peut apparaître et être vécue comme un gouffre catastrophique. L'espace n'est pas alors une simple étendue, il est fait de nappes d'étendues mal reliées entre elles, raboutées par des espaces eux-mêmes non solides. Au-delà du coin de la rue, c'est l'inconnu, parfois le péril. Au-delà du familier, c'est le non-territoire, là où on vit dans une absence totale de sécurité et d'amour. La rue peut donc devenir non un entre-deux lieu, mais un pur “ entre ”, le lieu lui-même, affecté par les objets qu’il contient et par les objets qui le traversent. L’espace de la rue ne pourrait alors se comprendre que par la science du cheminement, l’ondologie. La rue est ce qui pousse à affronter des passages, c’est-à-dire des risques. Des passages supposent des ritualisations, et donc aussi des destructions. Mais aussi un point d’accueil. De même l’entre-deux suppose le deux. Or ce ne peut être que par la pratique de l’alliance et par l’exercice de la désappropriation que la promesse du passage ouvre à un point d’accueil : du deux. Et se recompose, comme un gain, le trajet, la promesse, l’ouvert de la frontière en même temps que perd de sa force le rappel obsessionnel du lieu quitté. Dedans et dehors à nouveau s’articulent et s’entrecroisent sans se contaminer. Dans le sillage de cette alliance, oui, un entre-deux est possible. Mais l’adolescence qui nous importe dans cet article, celle qui s’en va en errance, et qui s’y abandonne, mais ne se fait pour autant recueillir n’importe où, celle encore qui risque une invention de la matérialité sonore et visuelle de la lettre, celle enfin qui garde le seuil dans la crainte de ce qui, de l’autre bord, pourrait surgir, l’adolescence enfermée dehors par surcroît d’abandon, est toute entière occupée à expérimenter un pur “ entre ”, avant même qu’elle puisse croire à la promesse d’un temps qui garantit une circulation, un échange, une invention du deux. Ce n’est pas rien la fabrique de l’altérité dans les cités. Des altérités de références qui auraient pu dire le passé et donc réguler et justifier un rapport pacifié à l’idéal du moi sont souvent socialement désavouées, mises sous le boisseau de l’oubli, voire du dédain.

Oui, pour comprendre l’usage de l’espace propre à beaucoup d’adolescents, nous ne pouvons que fort pauvrement recourir à une topologie du dedans et du dehors, franchir un seuil, interpréter également ce passage, le mettre en “ projet ” comme on le dit tant, et orienter sa marche vers un lieu perspectif. Or, parfois, franchir un seuil, cela peut être terrorisant. La rue (appelons là, boulevard, allée, contre allée, tout ce que l’on veut…) ne serait pas alors un boyau qui mène d’un lieu à un autre , mais le lieu par excellence où se tient, s'expose et se valide, le rapport du sujet à ses marques, à ses dires, à ses semblables. De ce fait, ce qui a un effet de coupure d'angle ou encore, et à l'inverse, tout objet mobile porteur d’une grande ligne de traversée et drainant avec lui d’une façon de coupure infinie (certaines lignes de bus peuvent être vécues sur ce mode) sont surinvestis et deviennent parfois persécutifs en raison de leur kinesthéise intrusive. Il y a des modes d’usage socialement repérées, des territoires qui ne sont pas alors à visualiser comme des sous-régions, mais comme des surfaces de maîtrise, de ritualisation rudimentaires, comme des espaces où des liens sociaux mimétiques sont exacerbés.

Le plus souvent ce n’est pas un périmètre fixe qui détermine le territoire, le sien, ou celui de l’autre, comme le font les frontières de nos pays ou de nos continents. Le privilège de la démarcation est supporté par des figurations et des incarnations urbaines de la découpe qui ne se lient ni ne s’additionnent en périmètre fini. Ainsi, un croisement, un carrefour, qui provoquent à l’usage de la troisième dimension, font ligne de partage entre Monde communautaire et immonde, entre cet espace du familier où il est loisible de prendre des risques et d’éprouver des sensations et cet espace toujours menaçant qui ne se devine pas au-delà des torsions et des découpes, au-delà de certains carrefours et de certains croisements, cet espace de l’autre bord où de nombreux adolescents se sentent mis en danger. Nous sommes amenés à penser les incidences psychiques de l’espace urbain des cités dans une espèce de topologie caoutchouteuse qui contient des points fixes, du vide et une périphérie hyper dramatisée. Entre ce coin d’espace et un autre coin d’espace, deux rues à traverser ou une passerelle comme flottante entre une dalle et une autre…et, soudain, cette rue, cette passerelle évoquent beaucoup plus le gouffre, le vide, le vertige, l’inconnu que le passage.

Du corps…

Il y a plus grave encore. Ces sujets semblent réduit à la plus grande indifférence. Ils ne peuvent alors plus faire l’expérience qu’autrui leur suppose une intentionalité, une capacité de dire « non », et occupent par leur corps la place d’un réel. Jean Furtos a nommé ceci « syndrome d’auto-exclusion ». Souvent ils se manifestent à nous soignants et nous inquiètent pour deux séries de raison :

d’une part les atteintes contre le corps propres peuvent être nombreuses. Ce ne sont pourtant ni des auto-mutilations, ni des actes ou des gestes dépressifs. Il semblerait plutôt que le corps en grande errance soit dissocié de tout imaginaire glorieux ou esthétique et que les pulsions ne soient plus limitées par un strict bord anatomique D’où des conduites parfois fréquentes et de scarification et d’obstruage des orifices qui sont loin de faire écriture sur le corps, mais qui assigne des bords et des surfaces planes et aplanies à l’excitation. J’évoque ici une clinique des malheurs et des heurts de la peau, comme si la perte du sens commun du corps, celle de l’assentiment subjectif à la fiction commune du corps créait par contrecoup une façon d’érogénéité de la peau et de la surface, sur laquelle se dépose un mémorial du corps souvent à peine à lire, souvent impossible à dire. La subjectivité du corps est liée, pour tous, à la présence ou à l’absence d’un Autre. L’abolition du registre de la demande à l’Autre (et à celle de l’autre), abolition masquée parfois par les politiques anonymes et efficaces d’assistance, crée un rapport au corps à la fois trop erratique et trop réel. L’organisme consent peu et mal à accorder les faveurs de ses découpes au fonctionnement du rythme et de la pulsion. Le corps se fragilise, il se morcelle pour autant que s’abolit la présence d’un autre proche et langagier.

Je me souviens ici de moments cliniques témoins saisissants de ce qu’entraîne un retrait psychique de l’espace corporel : obstruage des orifices, automutilations, indifférence à des morceaux de corps s’en allant pourrissant. Or ces patients ne sont ni schizophrènes, ni délirants, ni confusionnels. Comment comprendre de telles aberrations dans la façon dont le sujet traite son corps, sans immédiatement référer cet ensemble de fait à de la folie psychotique ? La nosologie automatiquement appliquée ne rend en rien compte des processus de destitution de l’investissement libidinal du corps qui se manifestent ici. Ni de la désintrication pulsionnelle qui se donne à voir. Une hypothèse proposerait que oubli du souci du corps – que nous avons reliée à un effacement du statut de sujet politique de ces grands exclus cassés psychiquement et physiquement – survient après l’abandon par le sujet de défenses psychiques qui permettait de maintenir une certaine excitabilité du cops et aussi un certain montage à de l’altérité et de l’externalité, fut-ce par le biais d’un masochisme, gardien de la vie.

Dans le particulier, voire le singulier, du cas par cas, la ruine des fonctions vitales se soutient aussi par des proférations de négation. L’excitation du corps par des points de douleur qui rendent le sujet non consentant aux soins médicaux élémentaires – cela arrive souvent - apparaît non comme une régression vers on ne sait quel masochisme érotique, mais comme un puissant dispositif anti-mélancolique, une forme de résistance à cette mort du sujet qu’est la mélancolisation anesthésique de l’existence. Le corps partenaire est un partenaire, maltraité, fécalisé, “ laissé tombé ” par l’Autre, mais c’est un corps encore doté de capacités subjectives. Obscénité du corps dira t-on, et, il est vrai, que dire d’autre ? Mais aussi et bien plus encore, un corps qui n’est plus cette trique traversée par un souffle et ouverte à chaque extrémité, sans que se confondent les extrémités, c’est-à-dire les orifices, bref, un corps à qui manque l’instance qui fait coupure et lien, l’instance phallique. La négation de tout existant a le plus souvent marqué la vie de ces sujets. Nous ne pouvons lutter contre cette négation, en guérir le sujet, si nous la considérons comme totalement triomphante. Notre clinique est aussi et avant tout celle de la résistance du sujet.

Du transfert …

Il convient alors de situer avec quels bagages psychiques (représentationnels et affectifs) , avec quels restes de médiations ces êtres humains en grande exclusion viennent vers nous ou acceptent que nous allions vers eux. En effet, ils fabriquent encore des montages entre leur corps et l’espace, se lovent au cœur de dispositifs topologiques pour lesquels seul compte le territoire rétréci mais hyper émotionnel et signifiant qui est, en quelque sorte, leur peau psychogéographique irréductible. Or une telle construction d’une topologie atypique et questionnante ne peut pas s’observer de n’importe quelle place. Un regard extérieur, expert et évaluateur n’y suffit guère. Pour y comprendre quelque chose, il faut retenir comme prépondérante dans l’observation de ces topologies l’inéluctable implication du chercheur et du clinicien dans la réalité locale au sein de laquelle il met en avant ses offres d’écoute, de recherche, voire de soin.

La clinique des adolescents en grande errance se verrait alors transformée : le clinicien peut élaborer une clarification théorique et épistémologique sur la nature de la démarche clinique vis-à-vis de réalités psychiques et sociales largement inabordées par les actuels savoirs en psychopathologie, en psychologie clinique et en ethnopsychiatrie.

Une raison simple encourage à ce renouveau. Elle tient aux modifications des dispositifs de secteur. On s’en souvient peut-être, la politique de secteur visait à concilier la cité comme acteur dans la politique de santé mentale. Dans le même temps, les dispositifs de santé peinent à s’adresser aux grands exclus. Or ce sont moins vers des sujets insérés dans la cité que notre clinique de la mélancolie du lien social nous porte que vers des sujets vivant dans l’ “a- cité ”.

Du soin …

Arrêtons nous un instant sur l’effet qu’ont les grands exclus sur des soignants, partie prenante de la culture de secteur, culture bien mal en point aujourd’hui, et qui, en conséquence, ont des idéaux de résinsertion et de réhabilitation psychosociales dans la cité. Or ce que portent avec eux de jeunes errants ou de grands exclus c’est toute un part de la destruction de la cité, de cet espace de la cité qui est aussi comme un groupe interne, une communauté interne

Revenons au thème de l’ "a-cité ", indiquant par le “ a ” privatif cet effondrement objectif et interne d’un agencement communautaire. Un point inaugural des prises en charge, une fois épuisées les déclarations à la fois vaines et nécessaires de “ bons sentiments ”, est la présence d’un affect de honte sur les soignants et la sidération dans laquelle cet affect les plonge. La souffrance psychique des soignants, voilà une expression qui n’est pas de simple abstraction ! Honte d’avoir en face de soi, dans un commerce de corps plus que de paroles des sujets qui sont, eux, dans un état d’éhontement. La honte dont je parle ici est comme l’envers de l'aspect impudique du social à tolérer l'insupportable.

L’étayage pulsionnel est dans un état extrême d’épuisement. Je pense à cet errant de 35 ans qui se bouchait compulsivement tous les orifices avec un mélange de boue et de pitances pour animaux mais aussi à cette fillette en pleine déshérence, au Mali, rencontrée et qui obstruait ses yeux avec de la boue et de la terre. Au premier abord, elle ne souffrait « que » d’infection des yeux. Toutefois, je me suis interrogé sur le fait que ses deux yeux étaient également infectés par frottement. Parlant avec les autres enfants, je me suis rendu compte que cette gamine se bouchait compulsivement les yeux parce qu’elle souffrait d’hallucinations. Il est bien évident qu’au-delà de la nécessaire désinfection des yeux, il fallait aussi un soin psychiatrique précis, qui fut donné peu après. Dans un premier temps, il a fallu renoncer à la conduire vers un centre « psy », car l’éloigner de cet espace où elle tournait en rond aurait été vécu comme un véritable arrachement, un démembrement imposé. Cette décision imposait de rester auprès d’elle, régulièrement, pendant de longues heures, et de donner des soins sur place. C’est très progressivement, au terme de l’établissement de relations transférentielles, qu’il fut possible de la conduire en psychiatrie.

Ce qui reste des affects … loin de toute empathique émotion

Les affects sont violents lorsque la vie bat encore son exigence, lorsque le sujet sait que la vie ne suffit pas à la vie, que le corps ne suffit pas au corps, que la mort ne suffit pas à la mort..

Honte et haine sont des affects qui escortent toute déclaration de soi et toute présentation de soi, dans le registre de la filiation. Y a-t-il pour le sujet une racine vivante de la filiation? Cette racine, cette réassurance tient en un acte. La possibilité de dire oui, au fait d'être vivant avec d'autres , c’est-à-dire mortel avec d'autres. La filiation comme situation subjectivante pour chacun, prend support dans la possibilité de dire qu'une dette de vie est respectée et honorée. Ce n'est pas une dette de “ survie ” En ce sens elle peut se faire en prenant la parole. Il ne s'agit pas de rembourser la dette de vie, mais de participer à ce qu'il faut de collectif pour affirmer que l'on est, au même titre que d'autres et avec d'autres, reconnus comme participant de cette dette. Nous tenons là un des socles anthropologiques de l'articulation entre affiliation et filiation ? La désaffiliation toucherait effectivement les sujets qui sont empêchés d'affirmer leur dignité d'avoir pu recevoir et reconnaître cette dette de vie.

Immergeons cette donnée anthropologique dans une autre, un peu plus préoccupante encore, puisqu'elle concerne certains aspects actuels du lien social. Il se produit, pour certains et à certains moments, de telles déceptions de rencontre, voire de tels risques concrets, réels, de rencontre que le sujet peut tout à fait supposer que ça ne vaut même plus le coup d'avoir une vie psychique.

En face de tels patients nous ressentons comment la désespérance se traduit par des attaques (formes d'attente) envers l'évènement que constituent la musique, les scansions et le pouvoir d'évocation de la parole humaine. Réduit à la plus vive des solitudes, nul ne sait pas s'il est mort ou vivant. D’où la nécessité d’un accueil des signes de vie que donnent les grands exclus ne réduisant pas ces manifestations à des expressions pathologiques ou déficitaires.

Clinique d’aujourd’hui…

À revenir au plus près de mon travail clinique auprès d’adolescents, je relaterai l’anecdote suivante. On a tenté d’installer une consultation au milieu d’une barre - barre de grand ensemble. On a créé une consultation. Il y a une porte, une sonnette, donc une salle d’attente et des bureaux avec des fauteuils et, rassurez-vous, des divans, assez peu utilisés mais servant d’argument auto-légitiment et rassurant quant à notre identité professionnelle - ce qui n’est pas évidemment une mince affaire en certains lieux. Beaucoup des jeunes n’y sont jamais rentrés. Ils se plantent au seuil de l’institution, ils sonnent, restent figés devant la porte lorsqu'on leur la ouvre et sont à ce moment-là en panne devant cette ouverture, alors qu’on les invite à franchir le seuil… comme si ça se franchissait comme ça un seuil. Ils sont comme devant une espèce de membrane résistante, ils ne peuvent pas rentrer dans un autre espace, ils sont enfermés dans leur espace. Que nous montrent-ils, que nous demandent-ils ? Et nous, que pouvons-nous leur signifier ? On pourrait peut-être les suivre, dehors. Aller avec eux, faire les cent pas. Ici le lecteur sera surpris. Convoquons la mauvaise conscience. Elle s’exprimerait ici haut et fort. Elle parlerait de transgression et de non-respect du cadre. Elle aurait raison à vanter son épure. Mais de quelle transgression s’agit-il alors qu’aucune règle fondamentale n’a été énoncée ? Avant le transfert : le contact, avais-je écrit [4]. Aller au possible de ce qui donne consistance à la situation de parole. Parler c’est découper et nouer. Mais parler avec des sujets pour lesquels la coupure est encore privée de son effet de coupure c’est doubler les trajets, les lignes, les errances, les pas qui tracent et se font traces, c’est doubler cette orientation du corps dans l’espace, comme on double l’étoffe d’un habit.

Ce matin, je vais donc suivre ce jeune en faisant les cent pas, en marchant avec lui. Après tout c’est une façon de suivre les gens [5]. Ce jeune un jour me pousse, non sans une certaine rudesse du geste, à l’entrée d’une cave. J’en fus surpris, immédiatement. Qu’y avait-il là dans cette cave ? J’y fait rencontre d’un autre , bien jeune semble-t-il et complètement cassé par la colle.

Or c’est assez souvent sous ce mode que les demandes de soins sont adressées. Un sujet qui va porter la détresse d’un autre nous demande d’intervenir sur ce montage[6]. Dans ces conditions de précarité, bien sûr parce qu’il y a quand même des adolescents différents, on travaille rarement sur un seul sujet, on travaille plutôt sur un montage de partenaires, entre un sujet qui va attirer notre attention sur quelqu’un d’autre, au risque bien évidemment de se faire oublier en route. Le jeune, le premier, celui qui était venu me chercher, avait été également mis en position de “ porte-parole ” par d’autres jeunes de la cité. Souvent les adolescents consommateurs de ces drogues qui visent à alléger la douleur de la vie psychique ont une façon bien particulière de considérer des seuils de dangerosité dans le sur-usage de toxiques. Prenons l’exemple, dans ce cas, du moment d’alerte, ce moment où celui qui était là très cassé par la colle, a alerté les adolescents du groupe, alors que de façon du reste assez terrifiante tout ça se passait dans une forme d’indifférence. Cette alerte fut contemporaine de son changement brutal de rapport à la drogue. Vous savez sans doute que les adolescents prennent de la drogue comme d’autres, moins adolescents, prennent des somnifères, pour provoquer artificiellement l’opposition de la veille et du sommeil. Cette opposition fait passer dans le corps l’opposition du jour et de la nuit, comme si le corps était le lieu, où, par la grâce de l’intrusion d’un adjuvant chimique, se rejouait, au rythme de la prise de “ toxique ” la première matrice des signifiants : jour / nuit. Il est alors conféré au médicament, ou au pharmakon “ drogue ”, la possibilité de réinscrire le corps dans un scansion. En revanche, d’autres jeunes ne supportent même pas cette alternance. Ils ne la supportent d’autant moins qu’ils sont confrontés, non seulement à une ruine ou une errance de l’idéal du moi, mais plus encore à une remise en question radicale du moi idéal, c’est-à-dire de l’image de leur corps. Leur présence n’est plus lestée par les regards et les voix qui, normalement, permettent le raccordement de l’expérience du corps propre à des paroles qui en reconnaissent l’unité et la projette dans des idéaux. Ces jeunes qui n’ont pas de promesse communautaire, pas même de tribus comme on le dit si platement[7], pour se sentir suffisamment aimables, suffisamment à même de jouer un rôle dans les lendemains, sont dans une façon de désactivement pulsionnel. Les adolescents ne se trompent pas lorsqu’ils opèrent une distinction entre une toxicomanie jugée par eux normale, celle du pharmakon qui fait circuler du contraste, des états psychiques opposés, mais sans les articuler, et une toxicomanie inquiétante, celle de la colle à haute dose, à inhalations continues. Ils distinguent un usage qui "mécanise" le moi idéal, mais le conserve à ce prix et un usage qui signe la ruine du moi idéal. Dans ce dernier cas, le corps délesté, réduit à sa pesanteur, disjoint des mots ou des regards qui lui ont peut-être autrefois prodigué amour et conféré dignité devient un trou où s’engouffre le collage du sujet et du produit.

Cet adolescent est en pleine errance, il a alerté les autres au moment où il a pris de la drogue non pas pour fabriquer du rythme mais pour en abolir en lui toute forme.

Le voilà, pour le moment, sorti du péril. Ce ne fut pas une mince affaire. Je ne rentre pas dans les détails. À partir de cette aventure, comme d’autres équipes en France ou ailleurs, dans la banlieue de Paris ou dans celle de Bamako, des “ psy ” travaillent avec des jeunes. Les rencontrent. Se constituent lentement comme partenaire de soin et de dialogue. Travaillent avec les services sociaux et avec les jeunes du quartier. Et ce que nous demandent aussi les jeunes, c’est ce qui s’est passé dans cette banlieue de Paris, que l’on puisse raconter quelque chose de l’histoire du quartier, parce que les quartiers sont pleins de noms d’histoire : il y a des avenues Mozart, des avenues je ne sais pas quoi épinglées de références prestigieuses puisées dans le trésor de la République des Arts et Lettres. Or, tout a poussé en même temps, les rues, les avenues, les dalles, les passerelles, les arrêts de bus et se sont posées comme des signifiants sans chair ni passé les noms d’hommes et de femmes célèbres apposés ici ou là, tous au même moment, ou presque. Mais les emblèmes de la culture ne font pas effet de culturation. En revanche, prenant en compte la demande que se dise quelque chose de l’histoire de ce quartier, de son origine et de sa fondation et de ce qui était là avant l’orgine de ce quartier, puis des différents moments de peuplement qui ont donné naissance à la population de ce quartier, nous mettons en place des rencontres entre adolescents. Dans un premier temps l’histoire se raconte en même temps qu’elle s’invente et se retrouve autour d’histoires de violence. Ces moments chauds font points de repère pour l’espace comme pour le temps. Le temps est pulsionnel, la parole ne l’est pas toujours, elle prend goût à la douceur de l’échange, du respect dédramatisé

Au lointain : Bamako

Venons-en maintenant à quelques éclairages concernant ces formes particulières de socialisation des enfants et des adolescents qui vivent trop souvent dans la rue, à partir de mon expérience africaine, à Bamako (Mali) [8] avec le Samu Social Mali, association malienne reliée au Samu Social Interantional que dirige le Dr. Xavier Emmanuelli.

La rue est un très large espace informel de productions de biens et de services, certains enfants investissent ce « marché » du travail « sauvage » en se faisant guide, laveur de vitre de voitures, petits revendeurs, mais certains jeunes filles aussi survivent en se prostituant.

C’est bien sûr la durée de présence dans la rue, en termes d’heures par jour, qui sera un critère important de désocialisation : plus des deux tiers de la population d’ensemble de la ville de Bamako passe plus de huit heures quotidiennes dans la rue. La différence est toutefois importante avec ceux et celles qui y élisent un domicile permanent. De nombreux enfants et adolescents se regroupent autour de points géographiques précis, souvent liés aux zones de circulation intensives et aux voies de communication (marchés, gare routière ou gare ferroviaire). Ces lieux de grands passages telles les gares ferroviaires ou routières est des lieux où aboutissent et s’échouent des jeunes garçons, plus rarement des jeunes filles qui sont dans des grandes errances, certains viennent de pays limitrophe, comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, ou encore la Mauritanie. Ils sont signalés aux services sociaux par la brigade des mineurs, elle-même alertée par les services de police qui gardent ces lieux. C’est souvent en faisant des démarches auprès des consulats que l’on peut reconstituer les centaines de kilomètres tracés par l’errant, et envisager un retour au pays. Ces grandes errances n’expliquent en rien, toutefois, l’aspect massif de la présence des enfants et adolescents qui restent fixés autour de ces lieux puisque la plupart de ces jeunes dont il est maintenant question s’y sont sédentarisés et ne voyagent jamais. Il faut indiquer qu’ici les moyens de transport, ces objets mobiles qui traversent des plaques de temps et d’espace et que sont les taxis-brousse, les bus, les camions ou les trains, ne sont pas adoptés par les jeunes pour se déplacer. Il y a un intérêt peut-être « économique » à réfugier dans de tels endroits, idéaux pour faire la manche en raison des grandes animations qui y règnent, mais il y a autre chose, et plus encore : un intérêt psychique à rester au plus proche d’une vie continue de la cité, là où tout se meut, là où tout fait signe de vie, sans presque de pause. Comme une façon de se tenir dans la proximité d’un ballet de signes, de traces, permanents, répétitifs.

Les groupes que nous rencontrons là sont mobiles et leurs contours sont fluctuants. Ils sont le plus souvent stables le soir et jusqu’au petit matin en de tels endroits. S’il y a des leaders avec lesquels il faut parler et qui servent de médiateurs entre l’équipe et les jeunes, on ne saurait pour autant décrire ces « bandes » comme des organisations pyramidales campées sur un territoire délimité et clos. Il s’agit plus exactement de bandes instables, vivant dans des périmètres mouvants autour de ces quelques points fixes que sont les diverses gares ou les marchés. Il est rare que des luttes pour le contrôle de la territorialité soient suffisamment denses et organisées pour que puissent se former des groupes organisés ou des contre groupe (ceci expliquant cela). Des flux en errance plus que des parcelles délimités et rendues sédentaires par un investissement des frontières et des seuils. À ce stade de notre recherche, il est possible de souligner que les vecteurs qui donnent consistance à ces groupements erratiques, ou, pur le dire autrement, ce qui fait trait d’union entre les enfants et les adolescents composant ces groupes, se réfère à deux ordres de réalité :

- l’existence de ce qu’on peut repérer comme langues codes, très particulières et qui sont souvent le produit d’une déformation du bambara et du français, enrichie de quelques tournures venant d’autres langues africaines parlées au Mali (dialectes ethniques, langues véhiculaires et argots des grandes cités, comme le Noschi, que le succès de quelques groupes de chanteurs étend au-delà des quartiers de ville où ils prirent naissance). Il n’est pas pour autant question de postuler ici l’existence d’un pidgin ou d’un créole, ni même de supposer une grande inventivité dans la compétence linguistique de ces adolescents, mais de constater la dérive du langage parlée vers un langage code, très resserré à des verbes d’action et à des codifications de la domination ou de la soumission, qui souvent devient le propre idiolecte de tel ou tel regroupement d’enfants. Au fond il suffit à celui qui veut rejoindre le groupe de connaître ces langues codes et les salutations précises qui en dérivent. Un enfant Dogon ne parlant pas le bambara peut apprendre rapidement quelques-unes des expressions clefs de ce groupe et s’y adjoindre sans trop de difficultés. Il y sera tout à fait toléré. L’observateur qui se donnerait la tâche de tracer sur le plan de la ville de Bamako les zones de diffusion et de cristallisation de telle ou telle langue-code aurait une idée assez juste des zones et des limites qui pourraient spécifier tel ou tel regroupement d’enfant. En revanche, vis-à-vis des adultes qui rencontrent ces jeunes, les salutations coutumières et traditionnelles bambaras restent le vade me cum indispensable. L’observateur se doit donc de se les faire enseigner, ce qui est, somme toute, un exercice assez joyeux.

- la mise en commun d’expériences traumatiques qui, soit expliquent l’errance de ces jeunes, soit ont été vécues en commun (décès d’un camarade suite à des accidents ou à des overdoses).

Ces groupes sont hiérarchisés, et ils sont pluri ethniques : la variable « appartenance ethnique » ne rend pas compte des modes d’adhésion des enfants entre eux, ni des modes de socialisation au sein de ces groupes. Des enfants d’origine diverses peuvent se nommer entre eux, non par leur nom d’ethnie d’origine, mais par le vocable de « forgeron ». Ce dernier signifiant ne désigne pas ici un métier, mais une place à part, le forgeron étant généralement dans de nombreuses ethnie celui qui n’a ni les mêmes initiations, ni les mêmes obligations que celles qui régissent la vie du reste de la communauté. Ce terme de « forgeron » signifie et stigmatise l’étranger interne, l’exclu interne. Si on désire comprendre ce que des enfants en errance mettent en commun pour s’associer et comment ils se reconnaissent, alors le recours a l’information ethnologique « académique » n’aide pas ici le praticien. Les facteurs de rassemblement des enfants entre eux sont d’abord des communautés d’expérience et non de fond traditionnel : l’ancienneté de la vie dans la rue, ensuite, les logiques qui mènent à être à la rue (cf. supra). Les limites de ces territoires sont mouvantes, surtout pour ces bandes d’enfants qui n’établissent pas leur lieu de sommeil la nuit à proximité des regroupements d’adultes mendiants ou nomades, qui, eux, se retrouvent pour dormir à proximité les uns des autres autour de grandes places très repérées à Bamako Centre, telle la place de la Mosquée. Il faudrait ajouter que plus un groupe est lourd d’enfants désocialisés, moins il est territorialisé, se repliant dans des lieux bien davantage marqués par la circulation des biens et des moyens de transport que dans des lieux de communication et d’échange. Dans ces lieux, le « risque » de rencontre avec le monde adulte est atténué, hélas ! règne un monde marqué par l’objet et le déchet. Au sein de ces groupes ne tiennent pas un territoire précis, un bout de quartier qui serait leur domaine et leur royaume. Telle est peut-être la raison qui fait que pour rentrer dans ce groupe, il suffit de se soumettre à certains chantages venant de leader mais qu’il n’y a pas de véritables rituels d’adoubements auprès d’eux, ni de période préalable probatoire pour faire partie de ce regroupement. Cette tendance est renforcée du fait que les frontières sont poreuses, on ne saurait parler de territoire fixe, mais plutôt de mouvances assez lentes autour de certains points fixes (les gares, etc.) En outre, certains enfants ne peuvent faire partie d’une bande que pour quelques jours tout au plus, et aucune conduite collective (y compris de délinquance) n’y est planifiée et organisée durablement. Les groupes d’enfants qui nous préoccupent se regroupent donc plus précisément par communauté de trauma, bien plus que par communautés culturelles. Est-ce pour autant qu’ils se définiraient comme des « victimes ». Là encore la construction idéologique de la « victime », nécessaire à légitimer la médecine humanitaire n’est pas d’un grand profit pour la recherche clinique, ni même pour l’abord clinique de ces jeunes. Ces groupes ou se reconnaissent des anciens « trafiqués » ou des anciens combattants en pleine adolescence, ne se présentent pas comme des associations de victimes. Ils m’ont plutôt donné le sentiment de vivre, entre apathie et défi, un rapport au temps historique tout à fait particulier. De fait, ce qu’ils ont vécu ne renvoie nullement aux grandes scènes de violence initiatique qui marquèrent les identités et les identifications de leur pères. Exacts contemporains d’une violence actuelle, ces adolescents vivent l’insolite situation, grisante et déprimante, d’être le premier à prendre la parole à propos de ce bouleversement violent des rapports des hommes entre eux, à propos de ces transgressions terrifiantes de tout pacte généalogique et dont ils furent victimes, témoins, et parfois, dans le cas des « enfants-soldats » acteurs. Être alors sans semblable aucun, c’est comme devenir « fou », dépourvu de l’assise de la parole. Ce qu’ils ont vécu, et que nous nommons, à leur place « traumatique » doit rentrer dans la polyphonie des reconnaissances, dans la réassurance que donnent des miroirs reconstruits, dans la promesse du surgissement d’un semblable de bonne foi. Autrement dit, c’est bien dans ce temps de reconnaissance comme sujet d’une histoire que se constituent les scènes fondamentales de la socialisation. Les barrières de défense du moi semblent se consolider dans cette reconnaissance que les jeunes font d’être les produits de violence actuelle de l’histoire. Si la notion assez floue de résilience peut avoir un sens, ce qui reste à établir, alors l’essentiel est bien qu’une possibilité de relation à autrui est rendue possible si le « traumatique » passe comme souvenir et comme mémoire reconstruite par un autre ou même plusieurs autres jeunes dont le sujet dépend. La dite résilience ne serait pas ici dans une forme de rage de vivre ou de survivre, dans le fait d’être instruit par les douleurs de l’existence et d’en forger des armes psychiques qui objectent à toute psychologie du développement déficitaire de l’exclu ; ou du moins cela importe assez peu, car il y a bien des suradaptations en « faux self » qui doivent casser et qui ne durent pas dès que le sujet est bien accueilli et bien soigné (Douville, 2001). L’actualité d’une résilience possible consiste en cela : des jeunes sont affectés dans leur singularité ; ils n’ont d’autres choix que de se poser, d’abord et avant tout comme le produit de ruptures et de cassures qu’aucun de leur ascendant n’a pu connaître. Ils vivent une situation inédite et se vivent aussi en position inédite. La demande de l’autre à leur égard est souvent peu supportée lorsque qu’elle est portée par des modèles convenus et obsolètes de l’appartenance et de la cohérence culturelle. Il est inutile de s’adresser à eux comme étant d’abord des Bambaras, des Peuhls ou des Dogons. De plus, certains se sentent dans une telle cassure, voire une telle transgression, vis-à-vis de leur famille, certains autres sont tellement rejetés par cette famille qu’on a bien du mal à situer comme facteur de sens et d’identification structurante la relation aux ancêtres et à l’ancestralité. Certains se vivent comme recrachés, vomis, par la culture de leurs parents. Et ils ne désirent pas particulièrement entrer en lien avec un adulte de même origine qu’eux, ou invoquant des préceptes et des formulations culturelles établis. De là, peut-être le bon accueil qui est réservé à l’étranger, avec celui dont ils sont certains de ne pas avoir masse d’ancêtre en commun. Sans que cela ait été délibérée la composition multiethnique et multiconfessionnelle des équipes maliennes est un atout, c’est de fait une situation trans-culturelle permettant de jouer sur les variations de gamme de l’étranger et du familier.

Un des signes les plus probants d’une mise en danger est l’existence de forces d’exclusion dans des groupes de jeunes par rapport à des enfants qui inquiètent (délire, hallucination, épilepsie ou énurésie). Ces enfants souvent s’auto-excluent, et il faut faire preuve de tact et de patience pour aller les découvrir et leur parler, mais d’autres, ce qui est encore plus compliqué pour les soignants, sont comme exclus de l’intérieur par le groupe, lequel, en fonction des ordres du leader, peut comme les camoufler, les dissimuler au sein de l’espace « commun », il en est ainsi de ces enfants cachés sous des tables de marché ou qui émergent à peine des toiles de sacs de riz ou de couverture pouilleuses disposées à même le sol. Le contact est ici plus difficile dans la mesure où les groupes d’enfants comprennent mal pourquoi nous nous intéressons à ces enfants. Les adultes qui vivent dans ces quartiers, et qui, souvent tolèrent plutôt bien les enfants et les adolescents errants, ne perçoivent pas l’existence de ces parias parmi les parias que sont les enfants exclus des groupes. Ce sont bien ces enfants en situation très limites qui, en raison du dénuement extrême et de l’hostilité qu’ils déclenchaient de la part des autres jeunes, nous ont mené à travailler le plus avec les gens du quartier. Il va de soi qu’un travail comme celui relaté ici doit être accepté par les habitants de ces quartiers pauvres où se replient, d’erratique façon, les « enfants des rues », pour un certain nombre de raison dont la plus importante est la présence régulière des « tournées », de la camionnette, mais aussi de certains parmi nous qui restons des heures en compagnie de tel ou tel enfant. Ce « point fixe » que représente la camionnette du Service de soin faisant irruption régulière dans la nuit de Bamako, devient autre chose. Elle devient un contenant, un lieu pour des contacts, des échanges. Comme partout parmi les enfants exclus, il y en qui le sont plus que d’autres et qui redoutent de nouer des liens avec les structures existantes. On mesure peu et mal quel « exploit » peut représenter le fait de quitter l’étroit périmètre des liens et des lieux familiers pour traverser des pans entiers de la cité afin d’être hébergé, soigné, incité au dialogue dans un centre institutionnel, comme le sont les centres d’hébergement avec lesquels le nous travaillons. Il n’est pas absurde de poser qu’il vaut mieux ici renoncer à l’idéal d’une prise en charge en réseau, devant mener à un placement, même transitoire du sujet, dans une structure existante, et s’en tenir à des relations d’aide et de proximité en prenant appui sur les relations que certains jeunes très exclus peuvent néanmoins nouer avec les gens du quartier. En ce sens notre action s’inscrit dans une logique de santé communautaire. Le plus souvent fort bien acceptée, la présence des équipes du Samu Social Mali, donne lieu, de trop rares fois il est vrai, à un véritable travail d’échange avec la population adulte de ces quartiers, habitants, commerçants, transporteurs.

L’addiction aux substances solvantes est régulière, mais les amphétamines font leur apparition. Les enfants et, surtout, les adolescents discriminent clairement deux formes d’usage, l’une qui fait que les solvants sont utilisés de façon contrastée : créant comme un rythme d’avec et de sans, de vigilance et d’endormissement comateux, pour le premier usage. En revanche, ceux de ces jeunes qui font un usage constant de la drogue, non « stratégique » et qui portent massivement attaque à leur vie psychique, inquiètent et sont souvent signalés à l’équipe mobile des soignants. Cette façon de ne retenir comme alarmante les effets totalement anesthésiant de la drogue, a pu être aussi remarquée chez des adolescents vivant dans d’autres banlieues, non loin de Paris (France), par O. Douville (2003)

Enfin, il est fréquent (ce qui n’est pas à réduire à de l’altruisme « culturel ») qu’un jeune ne consente à être soigné que si on prend soin aussi d’un autre jeune repéré par le premier, et souvent à juste titre, comme allant plus mal que lui. Cette attitude renvoie à une façon de dignité : montrer qu’on a su prendre soin de la survie d’autrui, en dehors parfois de toute espérance tangible.

Des situations cliniques extrêmes se rencontrent avec des enfants dont la présence dans la rue s’explique par le fait qu’ils sont des rescapés des guerres atroces qui endeuillent le Libérai et la Sierra Leone, deux pays assez proches du Mali. Ils trouvent refuge, abri, à Bamako, mais en connaissant des conditions de vie extrêmement précaires. Cette situation est récente et préoccupante. Il peut s’agir d’enfants étrangers anglophones, mais aussi de jeunes issus de familles maliennes ayant émigré, il y a de cela des années dans ces pays aujourd’hui en guerre. Ils sont, pour certains, arrivés au Mali et à Bamako, dans l’espoir de rencontrer un membre de leur famille, dont ils ont pu entendre parler mais que, bien entendu, ils ne connaissent pas et qu’ils ne rencontreront que dans de trop rares cas. Ceux qui restent en dehors de toute attache familiale reconstituée sont en totale errance, et au mieux s’agglutinent-ils à des groupes d’enfants déjà constitués. Ces jeunes qui peuvent avoir entre neuf et seize ans furent, pour certains, des enfants soldats qui n’avaient d’autre choix que de se joindre à des bandes ou des groupuscules emmenés par des chefs de guerre plus ou moins déments. Eux-mêmes vivent dans des confusions de temps et d’espace tout à fait sidérantes. Il est, ici, à noter que présentant aux yeux des autres adolescents la figure de celui qui est revenu de la mort, et de celui qui n’aurait pas peur de la mort, de tels adolescents peuvent être choisis comme leader dans un groupe. En ce cas, ils peuvent paraître étrangement adaptés, à l’aise, programment ce que le groupe doit faire et comment il doit s’adapter à des logiques de survie. Cette suradaptation qu’on pourrait nommer « résilience » est, bien entendu, une façon de carapace dont il convient de déshabituer le sujet lorsqu’il est accompagné par un adulte responsable et de bonne foi. Mais, le plus souvent, les adolescents-soldats que j’ai rencontrés et soignés étaient dans une prostration psychique grave que singularisait une forte activité hallucinatoire où revenaient souvent des images des proches morts, exécutés sous les yeux du jeune qui avait pu, à ce moment là se cacher puis fuir, sans pouvoir honorer les disparus, emportant, dans le meilleur des cas une trace matérielle arrachée au cadavre : bribes de lunettes, de stylos, pièces de vêtements.

Le psychisme utilise, à ce moment-là, pour se représenter un lien possible avec l’objet des images de choses corporelles, images qui sont en deçà d’une perception unifiée du corps. L’activité hallucinatoire réalisera des formes d’objets où se jouent des processus de destruction et de destructivité rejetés hors de soi. Et l’adolescent met alors son propre corps en jeu. Il peut ressentir alors la nécessité impérieuse et censée de garder comme une possession une relique qui viendrait de l’autre, tel un reste de vêtement, une encore une bribe d’objet.. Cet objet reliquat qui condense et noue ensemble ces malheureux restes est autre chose qu’un souvenir, c’est une forme agissante qui redonne du semblant de corps à ce trou dans le maillage des semblances et dans affiliations déchiré, et à partir de quoi une élaboration fantasmatique des altérités perdues en un non-lieu, peut se remettre en chemin et en chantier. J’en ai vu de ces reliques de ces objets vestiges, de ces formes informes qu’enserraient des bouts de tissus, de bandelettes, de paperasses, et qu’une investigation superficielle aussi malheureuse qu’offensante nommerait fétiche. J’ai parfois entendu ces pauvres litanies, ces psalmodies minimales et ténues qui accompagnaient la manipulation de ces reliques, ces façons de berceuses qui conjoignaient enfin, et à nouveau, le corps de la voix au corps du voir. Une forme rythme donnée au silence et orientant le silence, faisant ombilic de mémoire, avant qu’à partir de ce don de voix outrepassant la sidération où nous engloutissent les ténèbres obscurs et mutiques, une mémoire narrative puisse refleurir. Si on suppose que l’objet reliquat est le reste diurne qui se repose dans les mains du sujet après la décantation des élaborations hallucinatoires, alors nous pourrions généraliser à parler de la matérialité de ce qui reste après l’expérience hallucinatoire et dont l’enfant fait partenaire. Je note encore que ceux des enfants ou adolescents qui ont développé une pratique de ce reliquat sont, beaucoup moins que les autres, enclins à la consommation de ces drogues qui, tout comme le choc replie l’appareil psychique sur lui –même dans une immédiateté anesthésiante, dans ce triomphe d’une apathie, mélancolie sans dépression.

Conclusions… très provisoires

Nous intervenons sur la continuité entre réel et symbolique. Notre rôle est alors d’être point fixe vers lequel on vient et l’on revient nouer un contact. Ce point fixe contrarie la phobie de l’espace et il peut déterminer spatialement quelque chose d’une monstration du sujet, voire d’une plainte, presque d’une demande. Et à ce moment-là, oui, ce n’est pas idyllique à tous les coups. On voit très bien que peut émerger alors une production d’affect : la haine. Or la haine est un temps nécessaire. Du côté de la survie, la haine opère un clivage chez l’autre, l’autre qui a trahi qui est l’ennemi et l’autre qui consiste et qui peut aider.. L’émergence de la haine à l’adolescence, victoire sur la honte, coïncide avec le clivage de l’imaginaire, qui démarque un maniement assez sensitif des lois communes de la mise en place d’une altérité idéale. Oui, la haine fait consister une altérité qui garantit le sujet contre sa propre disparition à ses propres yeux. Le sujet ne se garantit de sa permanence dans son être que s’il arrive à faire tenir un autre qui tient le coup, et là, effectivement, la possibilité de transmuer la honte d’exister en haine fait un pas vers le lien.

Un champ d’investigation est ouvert et nous ne sommes qu’au seuil de mettre en place une compréhension des modes d’abords de ces enfants et adolescents en danger dans la rue.

Une telle compréhension suppose une grande mobilité des équipes, aptes à aller sur le terrain, à se faire reconnaître par les populations de ces quartiers difficiles.

La vie « dans la rue » qui se chronicise très rapidement n’est pas sans entraîner des perturbations des fondations subjectives du temps, de l’espace, d’autrui et du corps. Nous ne pouvons envisager ces répercussions subjectives sans envisager, également, ce qui se présente comme logique d’adaptation, voire de suradaptation paradoxale.

Cette suradaptation a pu être décrite sous le terme de résilience. S’y désigne la possibilité pour un enfant de surmonter des états de graves privations éducatives et affectives en rétablissant des modes de transferts avec d’autres supports affectifs et socialisants et en adoptant des modes de conduites et d’inconduites, porteuses d’identification et donnant du sens à des logiques de territoires. Ces conduites de suradaptation paradoxale qui renvoient à des logiques psychiques, singulières et collectives, de survie ont pu être positivées; et, à ne voir dans ces suradaptations à l’immédiat des logiques de survie, que des capacités à ne pas trop se détruire, on oublie aussi que de tels modes de résilience doivent être cassés : il est nécessaire pour un enfant de pouvoir régresser à son propre service, ce qu’il ne manque pas, fort heureusement de faire, lorsqu’il a la chance – en fait c’est un droit minimal- d’être accueilli, entendu, soigné et éduqué dans un milieu adulte respectueux des lois des échanges et des lois de la parole. Nous connaissons encore mal les conséquences psychologiques de ces mises en danger des enfants et des adolescents des rues, alors que nous pouvons assez aisément identifier les raisons et les facteurs de cette grande exclusion : pauvreté, ruptures des liens sociaux et familiaux, errances, etc.

De plus, dans le vif de notre travail, nous devons fabriquer du projet, le plus souvent. Or, nombre d’illusions réparatrices ne peuvent plus avoir cours, si ce n’est à titre de rêverie stérile. Il est en ainsi des idées de réinsertion prônée comme une solution automatique et miraculeuse, de tels idéaux sont utiles certes, mais ils ne deviennent réalisables toutefois qu’à la condition que le « milieu » dont est parti le jeune soit encore capable de le réinsérer. Il faut oser affirmer que ceci n’est pas vrai, le plus souvent, en ce qui concerne des enfants déjà habitués à l’errance, à la survie dans la rue, et qui ne fondent aucun espoir quant à leur chance d’être à nouveau accueilli dans leur famille, voire leur belle-famille.

Il y a donc une réalité, chaque jour de plus en plus insistante, et, au demeurant, peu supportable, qui est celle de l’installation dans la vie de la rue de garçons, voire de filles, de plus en plus jeunes. On peut tout à fait, dans un premier temps, dire que ces jeunes sont en danger. En risque. De délinquance, de prostitution. En risques physiques aussi. Cependant, si on désire valablement travailler au contact de cette population, on doit, au-delà de ces déplorations et de ces éventuelles indignations légitimes, se montrer pragmatique.

Les équipes qui, impliquées dans un travail de terrain, ont dit avoir retiré quelque chose de neuf de la formation et de leur expérience se sont entendues à reconnaître deux choses. D’une part qu’il fallait entendre toute forme de relation où un jeune ne peut demander assistance et soin qu’en attirant d’abord l’attention d’un éducateur et d’un soignant sur un autre jeune qui, objectivement, va encore plus mal que lui, mais sans oublier le risque que le premier de ces jeunes disparaisse sous l’évidence de la maladie ou du malêtre du second. D’autre part, qu’il ne fallait pas s’alarmer d’assister à des régressions lorsqu’un « sur adapté» se sentant en confiance et en sécurité pouvait alors laisser tomber ses défenses et ses béquilles psychiques. Qu’enfin le meilleur « médicament » qui soit reste la parole, celle qui restaure le sujet dans la dignité de la promesse et l’arrache à la crainte et à la menace.

Réalités urbaines, adolescence : le psychanalyste est concerné en tant que son travail avec des adolescents pris dans la tyrannie de la hâte est de présenter un point d’appui, un point fixe, une face de la répétition. Point à partir de quoi peut se déplier le transfert, créant une zone intermédiaire entre la hâte à quitter toute assignation et les moments où l’adolescent cherche à rentrer dans le rang en se fondant dans une masse ou dans une précipitation à jouer ce qu’il croit être l’adulte et reconduisant le plus souvent pour cela des idéologies totalitaires.

Dans le moment où le sujet renonce à son errance et à son objectivation par et qu’il élabore ce que s’est que d’être vu, être pensée, et lié à l’Autre, il renverse cette aliénation en affirmant son identité. Il affirme un Je qui retire sa certitude de cette dernière anticipation qu’est le moment de conclure. La conclusion identitaire ne résulte en rien d’une harmonie entre ce qui est supposé par l’autre et ce qui est supposé par le sujet, mais de ce qui fait discord entre les deux. À une condition : que cette certitude se dise et s’éprouve dans l’intime, non plus dans le lien de fascination ou de le climat de sensitivité si fréquent lors des premiers temps de l’adolescence. Entre dé-liaison et sur-liaison, il reste donc –et c’est la chance du travail psychanalytique- une potentialité que se crée un rapport au Père du Nom, à une nouvelle fondation imaginaire limitée par le recours au concept et à la nomination.

Je ferai alors un dernier rappel alors du temps logique, dont Lacan parlait presque tout du long de son enseignement. Si la passe adolescente est bien le temps du surmontement de l’effacement et de la choséification du Nom propre (Gori, 1997), si alors elle reconfigure et redistribue autrement les signifiants qui, dans l’infantile, servaient à représenter le sujet et sa place, alors, le monde nouveau auquel s’ouvre l’adolescent est tissé entre une multiplicité de sujets liés entre eux selon les lois du désir. Ils ne sont plus appareillés sous forme de chaîne reliant un sujet sexué à un autre sujet sexué. En fin de compte, on a changé, on n’est plus membre d’un groupe relié et unifié autour d’un objet, mais habitant d’un espace où coexistent des hommes et des femmes marqués par des manques, des incomplétudes, des scansions, et des rapports jamais totalement clos à la chance du dire. La filiation, en relance, devient le nom de la génération.

Olivier Douville

Bibliographie

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Rassial, J.-J. (éd.) (1998) : Y a-t-il une psychopathologie des banlieues ?, Ramonville Saint Agne, Érès, 1998

[1]

Furtos,J. « Souffrir sans disapraître », 200( : 27

[2]

Cadoret M. Le paradigme adolescent, Paris, Dunod, 2003

[3]

Il y a somme toute peu de “ bombages ” puisque c’est ainsi que l’usage précieux et le Journal Officiel voudraient que nous traduisions tag en français

[4]

Douville, 2002 titre du chapitre paru dans la collection Le Bachelier

[5]

Lacan entendant une patiente dire : je suis suivie, il lui a répondu ne vous inquiétez pas on va trouver quelqu’un qui va très bien vous suivre. Evidemment il ne faut pas penser que c’est une formule magique, je n’encouragerai personne à répéter ça systématiquement à tous les patients un peu sensitifs

[6]

Cette façon de porter la détresse d’un autre comme pour fabriquer un partenariat de la demande, comme pour faire émerger deux demandes, est semble-t-il transculturelle et liée à la précarité dans les grandes friches des métropoles. Je l’ai rencontré quasiment à l’identique à Dakar et à Bamako où je travaille assez régulièrement dans un projet de prise en charge des enfants de la guerre et des enfants en errance dans les rues.

[7]

Que ce terme est maladroit, qu’il est réducteur de parler de tribus à propos de nombreux adolescents des cités ! quelle misère de la sociologie que cette esthétisation de la misère

[8]

Je remercie Xavier Emmanuelli de la confiance qu’il ma fit à cette occasion, en me permettant de contribuer à la mise en place d’un Samu Social à Bamako.